- Le médicament anti-VIH dolutégravir a été associé à l’apparition d’une anomalie congénitale dans une étude menée au Botswana.
- Les autorités réglementaires publient des conseils à l’intention des femmes séropositives.
- Les résultats sont préliminaires et l’étude n’a pas prouvé la cause de l’anomalie.
Le dolutégravir est un médicament anti-VIH couramment utilisé dans le cadre des traitements combinés contre le VIH. Le dolutégravir se vend au Canada et dans d’autres pays et régions à revenu élevé sous le nom de marque Tivicay, ainsi que comme ingrédient du comprimé Triumeq (dolutégravir + 3TC + abacavir). Le dolutégravir appartient à une classe de médicaments anti-VIH appelés inhibiteurs de l’intégrase. Approuvé au Canada et aux États-Unis en 2013 et dans l’Union européenne en 2014, ce médicament est largement utilisé.
L’agence de réglementation des médicaments de l’Union européenne s’appelle l’Agence européenne des médicaments (EMA). L’EMA a été la première agence à publier un communiqué de presse annonçant qu’elle évaluait les résultats préliminaires d’une étude par observation menée au Botswana auprès de 11 558 femmes séropositives enceintes. Des chercheurs au Botswana ont évalué la santé des bébés nés des femmes inscrites à cette étude et ont constaté un signe préoccupant, soit la possibilité que les femmes recevant le dolutégravir au moment de tomber enceintes soient plus à risque d’accoucher de bébés atteints de malformations congénitales appelées anomalies du tube neural. Les anomalies de ce genre touchent le cerveau et la moelle épinière. Voici les données spécifiques que l’EMA a rendues publiques :
- 426 femmes prenaient le dolutégravir au moment de la conception – quatre bébés sont nés avec des anomalies du tube neural (taux : 0,9)
- 11 173 femmes prenaient d’autres médicaments anti-VIH au moment de la conception – 14 bébés sont nés avec des anomalies du tube neural (taux : 0.1)
En lisant ces chiffres, on peut constater que le taux d’anomalies du tube neural est presque 10 fois plus élevé chez les bébés nés de femmes traitées par dolutégravir au moment de la conception que chez les bébés nés de femmes recevant d’autres médicaments anti-VIH. Aucun cas d’anomalie du tube neural n’a été observé chez les bébés dont la mère a pris du dolutégravir plus tard dans la grossesse. Il importe de souligner que cette étude menée au Botswana est une étude par observation; les études de ce genre ne peuvent trouver que des associations entre un médicament et un problème. Autrement dit, l’étude botswanaise ne peut pas prouver que le dolutégravir a causé les anomalies congénitales (ou tout autre problème). Toutefois, par mesure de prudence, les agences de santé ont publié les données préliminaires de cette étude.
Pourquoi les résultats sont-ils préliminaires?
Ces résultats provenant du Botswana sont considérés comme préliminaires pour deux raisons : l’étude se poursuit et nombre d’autorités réglementaires, dont Santé Canada, l’EMA, la Food and Drug Administration des États-Unis et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), prévoient mener une enquête poussée qui inclura, dans certains cas, des consultations auprès d’experts médicaux et scientifiques afin de mieux évaluer les données. Le fabricant du dolutégravir, ViiV Healthcare, a analysé les données recueillies auprès de plus de 2 000 femmes séropositives, dont 648 prenaient le dolutégravir au moment de la conception. Sur ce nombre, un seul cas d’anomalie du tube neural a été détecté chez un bébé. La cause de l’anomalie du tube neural n’est pas claire dans ce cas particulier.
Dans l’étude botswanaise qui se poursuit, il reste des données à recueillir auprès de plusieurs centaines de femmes enceintes qui prenaient le dolutégravir au moment de la conception, mais qui n’ont pas encore accouché. Notons qu’il existe des facteurs connus qui augmentent le risque d’anomalies du tube neural durant la grossesse (on en parle plus loin). L’EMA et les chercheurs botswanais doivent tenir compte de ces facteurs lorsqu’ils essaient de discerner la cause des anomalies congénitales de ce genre chez les enfants nés de femmes traitées par dolutégravir au moment de la conception.
Selon l’OMS, le fabricant ViiV a testé le dolutégravir pendant la grossesse chez des rats et des lapins, mais n’a trouvé aucun indice d’anomalies congénitales.
Analyses additionnelles
Le dolutégravir est un inhibiteur de l’intégrase. Comme tous les médicaments de cette classe, il a été conçu pour bloquer l’activité d’une enzyme dont les cellules infectées par le VIH ont besoin pour propager l’infection. Travaillant indépendamment de la compagnie ViiV, des chercheurs aux États-Unis et au Royaume-Uni ont décortiqué six bases de données publiques contenant de l’information sur 1 200 femmes séropositives et leurs enfants et n’ont trouvé aucune association entre le dolutégravir et les anomalies congénitales.
Santé Canada diffusera bientôt un avis aux professionnels de la santé pour les mettre au courant des résultats de l’EMA.
De nombreux pays à faible et à moyen revenu se fient aux conseils de l’OMS pour savoir quels médicaments utiliser durant la grossesse. Voici les conseils de l’OMS à l’égard du dolutégravir : http://www.who.int/hiv/en/
En attendant que l’analyse des données botswanaises soit terminée, voici quelques conseils de la FDA :
Conseils de la FDA à l’intention des femmes séropositives enceintes
Si vous prenez déjà le dolutégravir, « n’arrêtez pas de prendre le dolutégravir sans en avoir parlé d’abord avec votre professionnel de la santé parce que l’arrêt de votre médication pourrait entraîner l’aggravation de l’infection au VIH ».
« Si vous êtes déjà enceinte, le fait d’arrêter votre régime comportant le dolutégravir sans le remplacer par d’autres médicaments anti-VIH pourrait causer une augmentation de la quantité et de la propagation du VIH [dans votre corps]. »
« Si vous prenez un régime comportant le dolutégravir au moment de tomber enceinte et pendant le premier trimestre de votre grossesse, il est possible que votre bébé coure le risque de naître avec des anomalies du tube neural. Les anomalies du tube neural se produisent tôt dans la grossesse, avant même que les femmes sachent qu’elles sont enceintes dans de nombreux cas. Pour cette raison, les femmes en âge de procréer devraient parler à leur professionnel de la santé de la possibilité de prendre d’autres médicaments anti-VIH ne contenant pas de dolutégravir. »
« Vous devriez avertir votre professionnel de la santé si vous êtes enceinte ou envisagez une grossesse avant de commencer à prendre un régime comportant le dolutégravir. Votre professionnel de la santé voudra peut-être discuter d’autres options de traitement avec vous. »
« Les femmes en âge de procréer qui décident de prendre un régime comportant le dolutégravir devraient utiliser systématiquement une méthode contraceptive efficace pendant qu’elles suivent leur traitement contre le VIH. Les femmes devraient parler à leur professionnel de la santé pour déterminer la méthode contraceptive efficace à utiliser pendant qu’elles prennent un régime comportant le dolutégravir. »
« Avant de commencer un régime comportant le dolutégravir, vous devrez passer un test de grossesse pour déterminer si vous êtes déjà enceinte. »
Conseils de la FDA à l’intention des professionnels de la santé
« Les professionnels de la santé devraient renseigner les femmes en âge de procréer sur le risque potentiel d’anomalies du tube neural associé à l’utilisation d’un régime comportant le dolutégravir au moment de la conception et tôt dans la grossesse. »
« Les professionnels de la santé devraient peser les bienfaits et les risques associés au dolutégravir lorsqu’ils prescrivent des médicaments antirétroviraux aux femmes en âge de procréer. D’autres choix d’antirétroviraux devraient être envisagés. Discutez des risques et des bienfaits relatifs des autres options de traitements antirétroviraux semblables. »
« Si la décision d’utiliser le dolutégravir chez des femmes en âge de procréer est prise, les professionnels de la santé devraient souligner [l’importance de] l’utilisation systématique d’une méthode contraceptive efficace. »
« Effectuez un test de grossesse avant de prescrire un régime comportant le dolutégravir à des femmes en âge de procréer afin d’exclure la possibilité qu’une grossesse soit en cours. »
Renseignements généraux sur les anomalies du tube neural
Les anomalies du tube neural sont des malformations congénitales qui touchent le cerveau et la moelle épinière. Elles ont tendance à se produire tôt dans le cours de la grossesse, typiquement pendant le premier mois; il s’agit d’une période où la plupart des femmes ne savent pas encore qu’elles sont enceintes. Voici quelques exemples d’anomalies du tube neural :
- spina-bifida : la colonne vertébrale du fœtus ne se ferme pas complètement; dans certains cas, il en résulte des lésions nerveuses qui causent la paralysie des jambes et d’autres problèmes. Notons qu’il existe des sous-types de spina-bifida.
- anencéphalie : la majeure partie du cerveau et du crâne ne se forme jamais; cela provoque habituellement l’accouchement d’un mort-né.
- encéphalocèle : le cerveau et les membranes qui le couvrent font saillie à travers un trou dans le crâne
Nous ne connaissons pas tous les facteurs de risque d’anomalies du tube neural, mais voici quelques facteurs connus :
- antécédents familiaux d’anomalies congénitales
- certains médicaments anticonvulsivants (les femmes devraient consulter leur pharmacien et leur médecin pour déterminer quels anticonvulsivants sont sans danger durant la grossesse)
- obésité
- faible taux de la vitamine B acide folique (voilà pourquoi les professionnels de la santé et l’OMS recommandent aux femmes enceintes et à celles qui souhaitent tomber enceintes de prendre un supplément d’acide folique)
Il est possible de diagnostiquer les anomalies du tube neural avant la naissance à l’aide de tests sanguins et d’échographies.
Déclaration des effets secondaires potentiels des médicaments
Avant l’approbation, la plupart des médicaments sont testés dans le cadre d’essais cliniques auprès de centaines de personnes, voire des milliers. Les essais cliniques de ce genre ont tendance à porter sur des personnes jeunes qui sont généralement en bonne santé. Par conséquent, certains effets secondaires peu courants peuvent passer inaperçus ou encore les effets secondaires se produisant chez les personnes malades risquent de ne pas être découverts.
Il est important de déclarer les effets secondaires. Voici quelques sites Web où il est possible de le faire :
Canada
Déclaration par les consommateurs et les professionnels de la santé
Déclaration associée aux produits de santé (sauf les matériels médicaux)
- Remplissez un formulaire en ligne.
- Appelez votre Bureau régional de Canada Vigilance au 1.866.234.2345 (sans frais).
-
Téléchargez et imprimez le Formulaire de déclaration des effets secondaires (lisez les instructions avant de remplir le formulaire) :
- Postez-le au Bureau régional de Canada Vigilance en utilisant l’étiquette préaffranchie, ou
- Envoyez-le par télécopieur au 1.866.678.6789
États-Unis
Patients https://www.fda.gov/Safety/MedWatch/HowToReport/ucm053074.htm
Professionnels de la santé https://www.fda.gov/Safety/MedWatch/HowToReport/ucm085568.htm
Union européenne
http://www.adrreports.eu/fr/index.html
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCES :
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- World Health Organization. Potential safety issue related with dolutegravir in pregnant women with HIV. Statement. 18 May 2018.
- Food and Drug Administration. FDA to evaluate potential risk of neural tube birth defects with HIV medicine dolutegravir (in Juluca, Tivicay and Triumeq). Drug Safety Communication. 18 May 2018.
- ViiV Healthcare. Maternal and infant safety of dolutegravir-based regimens used during pregnancy. Summary Medical Information. 3 May 2018.
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