Le VIH et le cerveau — du passé au présent

Vers la fin des années 1970, des médecins nord-américains et européens commençaient à soigner de jeunes adultes (principalement des hommes) souffrant de symptômes persistants récemment apparus figurant dans la liste suivante :

  • ganglions lymphatiques enflés
  • fatigue prolongée
  • sueurs nocturnes
  • foie et/ou rate enflés

Les médecins restaient perplexes devant ces jeunes adultes, précédemment en bonne santé, qui ne présentaient aucune raison évidente justifiant l’apparition des symptômes en question.

Subséquemment, sur une période allant de plusieurs mois à quelques années, les médecins ont constaté que leurs patients éprouvaient d'autres symptômes, dont les suivants :

  • perte de poids involontaire et persistante
  • épisodes de diarrhée
  • infections herpétiques récurrentes

Dès 1981, les médecins ont commencé à observer encore d’autres symptômes chez ces patients, y compris des infections et des cancers potentiellement mortels — c'est ainsi que fut reconnue l’épidémie du sida pour la première fois.

Ces infections et cancers potentiellement mortels apparaissaient à cause de l’état extraordinairement affaibli du système immunitaire des patients. Tenter de diagnostiquer, traiter et sauver la vie des patients infectés est devenu l’objectif principal des médecins impliqués dans la lutte contre l’épidémie.

Le cerveau

Déjà en 1982, les neurologues faisaient état de symptômes étranges touchant certains patients, symptômes qui soulignaient le rôle que jouait le cerveau dans le syndrome émergent. Les symptômes en question n’étaient causés par aucune des infections potentiellement mortelles typiquement associées au sida et pouvaient comporter une ou plusieurs des manifestations suivantes :

  • trous de mémoire
  • difficulté à se concentrer
  • lenteur de la pensée
  • changements de personnalité
  • difficulté à maintenir l’équilibre
  • perte de contrôle et affaiblissement des muscles des jambes
  • perte d’intérêt pour les activités quotidiennes

Le rôle du VIH

Les raisons sous-jacentes de ces problèmes touchant le cerveau ont fini par être attribuées au VIH. Le VIH n’infecte pas directement les cellules cérébrales importantes appelées neurones, mais il infecte bel et bien des cellules du système immunitaire qui se déplacent au cerveau, parfois  pour s’y loger; il s’agit des cellules T, des monocytes et des macrophages.

À l’intérieur du cerveau, les cellules immunitaires infectées par le VIH libèrent des protéines virales et émettent des signaux chimiques qui vont causer de l’inflammation. Par conséquent, les cellules cérébrales deviennent dysfonctionnelles et, dans certains cas, meurent.

Le VIH infecte aussi des cellules accessoires du cerveau appelées astrocytes dont le rôle consiste à soutenir la santé des neurones.

Les préoccupations actuelles touchant le cerveau

Dans les pays à revenu élevé, la grande accessibilité des combinaisons de médicaments anti-VIH puissants (couramment appelées thérapies antirétrovirales ou TAR) a fait en sorte que les cas graves de lésions cérébrales liées au VIH — communément appelées démence — sont maintenant plutôt rares parmi les personnes qui s’impliquent bien dans leurs soins et leur traitement. De fait, les chercheurs estiment que la démence ne toucherait qu’environ 2 % des personnes vivant avec le VIH aujourd’hui.

À la place de la démence, les chercheurs observent de nos jours des genres de lésions cérébrales plus légères associées au VIH. Ces cas moins graves sont souvent subtils, et pour les découvrir, il faut réaliser des évaluations neurologiques complexes qui prennent beaucoup de temps, surtout initialement en l'absence de symptômes.

De nos jours, les chercheurs qui étudient le cerveau ont réparti les lésions cérébrales liées au VIH en trois catégories, comme suit :

  • Déficience neurocognitive asymptomatique (sans symptômes) – Dans les cas de ce genre, les tests permettent de détecter une dégradation subtile ou légère de la mémoire et du processus cognitif qui ne s’observe pas généralement chez les personnes du même âge et du même niveau de scolarité. Ce genre de déclin n’est pas suffisamment grave pour empêcher une personne d’accomplir ses activités quotidiennes.
  • Trouble neurocognitif léger (TNL) – Au minimum, les tests détectent un déclin modeste de la mémoire et du processus cognitif. Ce déclin fait en sorte que la fonction neurocognitive des personnes atteintes est inférieure à celle des personnes du même âge et du même niveau de scolarité. Dans les cas de TNL, la capacité à vaquer à ses activités quotidiennes diminue.
  • Démence liée au VIH – Les tests révèlent un déclin grave de la cognition claire et de la mémoire ainsi qu’une diminution modérée à grave de la capacité à vaquer à ses activités quotidiennes.

Ces trois catégories sont maintenant regroupées sous la rubrique HAND (acronyme anglais signifiant HIV-associated neurological disorder – trouble neurologique associé au VIH). Dans l’ensemble, les neuroscientifiques estiment que 50 % à 60 % des personnes séropositives souffrent de ce trouble jusqu’à un certain degré.

Précision importante

Nos lecteurs doivent se rappeler que les trous de mémoire épisodiques peuvent arriver à n’importe qui, peu importe son statut VIH. Il reste toutefois que les problèmes de mémoire et de cognition persistants doivent être signalés à un médecin afin qu’il puisse les évaluer et en déterminer les causes sous-jacentes.

Dans ce numéro de TraitementSida, nous examinons plusieurs études importantes qui ont exploré les préoccupations émergentes liées au VIH et au cerveau.

—Sean R. Hosein

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