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L'amélioration du traitement du VIH et des soins prénatals liés au VIH a donné lieu à une énorme réduction de la transmission de ce virus entre une personne ayant le VIH et son bébé (transmission périnatale). Grâce à ce changement, le nombre de personnes ayant le VIH choisissant d'avoir des enfants a augmenté au Canada. Grâce à la campagne I=I (Indétectable = Intransmissible), de plus en plus de personnes savent que les personnes sous traitement anti-VIH qui maintiennent une charge virale indétectable ne courent pas le risque de transmettre le VIH à leurs partenaires sexuels. Par conséquent, certaines personnes se demandent si l'on peut en dire autant de la transmission périnatale. Une charge virale indétectable peut-elle éliminer le risque de transmettre le VIH à son bébé? Dans cet article, nous examinons les connaissances actuelles en ce qui concerne le risque de transmission du VIH pendant la grossesse, l'accouchement et l'alimentation des nourrissons.
Tout comme à l'échelle mondiale, on a constaté une réduction énorme du nombre de bébés venant au monde avec le VIH au Canada et ce, malgré le nombre croissant d'enfants nés de femmes ayant le VIH. Avant l'introduction du traitement du VIH pendant la grossesse en 1994, la proportion de bébés à risque naissant avec le VIH se situait à plus de 25 % au Canada.1 Cette proportion a chuté jusqu'à 0,4 % (un bébé sur 263) en 2016.2 La seule grossesse qui a fait naître un enfant ayant le VIH en 2016 fut celle d'une femme qui n'avait reçu aucun traitement anti-VIH durant sa grossesse.
La transmission du VIH entre une femme ou une personne trans ayant le VIH et son bébé peut avoir lieu durant la grossesse, l'accouchement ou après la naissance lors de l'allaitement. Pour cette raison, la prévention de la transmission périnatale est plus complexe que la prévention de la transmission sexuelle et nécessite plusieurs interventions auprès des personnes séropositives et de leurs bébés. Sans traitement, entre 15 % et 30 % des bébés nés de personnes séropositives contractent le VIH pendant la grossesse ou l'accouchement.3 La recherche révèle toutefois que la prise d'un traitement anti-VIH est la façon la plus efficace de réduire la transmission vers les bébés. 3,4,5,6,7,8,9,10 Cela est dû au fait que le traitement réussi du VIH réduit la charge virale (mesure de la quantité de VIH dans le corps) jusqu'à un niveau indétectable. Une charge virale indétectable est bonne pour la santé de la personne enceinte et réduit aussi le risque de transmettre le VIH au bébé. De fait, des études ont montré que si la personne enceinte reçoit des soins, suit un traitement anti-VIH et maintient une charge virale indétectable tout au long de la grossesse, le risque qu'elle transmette le VIH à son nouveau-né est nul.7 Lors des études en question, le nouveau-né a également reçu un traitement de courte durée par médicaments anti-VIH afin d'aider à prévenir la transmission.
L'une des études majeures qui a révélé l'impact du traitement sur la prévention de la transmission du VIH vers les nouveau-nés fut une étude de cohorte française menée entre 2000 et 2011. Cette étude a révélé qu'aucune transmission ne s'est produite parmi les 2 651 bébés nés de femmes qui avaient suivi un traitement anti-VIH depuis avant la conception jusqu'à la fin de la grossesse et dont la charge virale était indétectable au moment de l'accouchement.7 Toutefois, si le traitement n'est pas pris pendant toute la durée de la grossesse ou encore si la charge virale indétectable n'est pas maintenue, il existe un risque de transmission du VIH vers le bébé durant la grossesse et/ou l'accouchement.7
Le dépistage du VIH auprès des personnes enceintes est important pour découvrir lesquelles d'entre elles courent le risque de transmettre le VIH à leur bébé. Les personnes qui sont diagnostiquées séropositives durant la grossesse, ou celles qui ne suivent pas fidèlement leur traitement pendant la grossesse, courent un risque plus élevé de transmission périnatale, surtout si elles ont une charge virale élevée.3,11,12 Lorsque le risque de transmission augmente à cause d'une charge virale élevée, il est possible que l'accouchement par césarienne soit recommandé pour aider à prévenir la transmission du VIH lors de l'accouchement parce que c'est à ce moment-là que la majorité des transmissions périnatales ont lieu si la charge virale est détectable.13
De nos jours, on recommande un traitement anti-VIH à vie à toutes les personnes recevant un diagnostic de VIH;13 et les personnes ayant le VIH qui souhaitent tomber enceintes devraient consulter un spécialiste du VIH aussitôt que possible, de préférence avant la conception, afin de déterminer un régime de traitement convenable. 13
Il existe deux voies par lesquelles il est possible de transmettre le VIH au bébé après la naissance, soit l'allaitement et la prémastication (il s'agit de donner au bébé de la nourriture qui a été prémâchée par un parent ou un soignant ayant le VIH).
Allaitement
Lors d'une revue systématique des données sur la transmission du VIH vers les bébés allaités par des femmes sous traitement, on a constaté que le risque de transmission après la naissance se situait à 1 % après six mois d'allaitement et à près de 3 % après un an.14 Cependant, dans le cadre des études en question, les femmes avaient suivi leur traitement pour des périodes variables et ne l'avaient pas poursuivi au-delà du sixième mois suivant l'accouchement. Comme la revue systématique n'a pas tenu compte de la charge virale ou de l'observance thérapeutique, nous ne savons pas combien de ces femmes avaient une charge virale détectable au moment de la transmission malgré la prise d'un traitement anti-VIH.
Il existe très peu de recherches dont les données incluent des détails sur la charge virale de personnes sous traitement anti-VIH qui allaitent. Même si une charge virale indétectable offre une protection considérable contre la transmission du VIH, des cas se sont produits où le VIH a été transmis par des femmes allaitantes qui avaient une charge virale indétectable.15, 16
Lors d'une étude récente menée en Tanzanie, on n'a fait état d'aucune transmission du VIH parmi les femmes allaitantes ayant une charge virale indétectable.17 Dans l'étude en question, deux cas de transmission du VIH se sont produits parmi les 177 bébés allaités par des femmes qui avaient commencé leur traitement avant la naissance de ceux-ci, mais les deux femmes en question avaient une charge virale détectable.18
Certaines personnes qui choisissent l'allaitement utilisent aussi des méthodes supplémentaires pour nourrir leur bébé, telles que les préparations pour nourrissons ou d'autres aliments et liquides (on parle dans ce cas d'alimentation mixte). Lorsque cette pratique est utilisée durant les six premiers mois de la vie du bébé, il y a la possibilité d'un risque accru de transmission du VIH comparativement à l'allaitement seul. Les experts croient que ce genre d'alimentation peut irriter et endommager les intestins en développement du bébé, ce qui permettrait au VIH de se transmettre plus facilement.19
Cependant, lorsqu'un traitement est en cours et que la charge virale est indétectable, l'alimentation mixte est peu susceptible d'augmenter le risque de transmission du VIH.20
Prémastication de la nourriture
L'administration d'aliments prémâchés à un bébé a été signalée comme voie de transmission du VIH possible dans trois cas aux États-Unis.21 Dans chacun des trois cas soupçonnés, un jeune enfant a contracté le VIH après être né séronégatif et sans jamais avoir été allaité. Les trois enfants ont mangé des aliments qui avaient été prémâchés par un parent ou un soignant ayant le VIH dont la situation par rapport au traitement et à la charge virale n'a pas été rapportée. Dans deux cas, il paraît que des saignements buccaux étaient présents, ce qui aurait pu augmenter le risque de transmission.
Nous n'avons pas de données sur la prémastication au Canada, mais une étude américaine menée dans neuf cliniques pédiatriques a révélé que 31 % des soignants principaux des bébés donnaient de la nourriture prémâchée aux enfants à leur charge.22 Sur les 48 soignants qui avouaient prémâcher de la nourriture dans ce rapport, 79 % étaient les mères biologiques des bébés en question et elles vivaient avec le VIH.
À l'heure actuelle au Canada, pour éliminer le risque de transmission postnatale du VIH, on conseille aux parents ayant le VIH de ne pas allaiter (et d'utiliser une préparation pour nourrissons à la place) et de ne pas donner de nourriture prémâchée aux bébés. Il existe de nombreux programmes au Canada qui fournissent gratuitement des préparations pour nourrissons pour les bébés nés de personnes ayant le VIH.
Le lait maternel est bon pour les bébés pour de nombreuses raisons : il leur fournit des nutriments et de l'hydratation, il aide leur système immunitaire à se développer et à combattre les virus et les bactéries.23 De fait, la protection naturelle fournie par le lait maternel explique partiellement pourquoi la majorité des bébés exposés au VIH lors de l'allaitement ne contractent pas le virus.23 Il reste que la préparation pour nourrissons constitue une option alimentaire qui fournit aux bébés les nutriments dont ils ont besoin pour grandir en santé et devenir forts.
Les messages au sujet de l'allaitement destinés aux personnes vivant avec le VIH peuvent causer de la confusion. Aux personnes n'ayant pas le VIH, Santé Canada recommande que les nouveau-nés soient allaités exclusivement pendant six mois, période pouvant se poursuivre jusqu'à l'âge de 24 mois ou plus, avec des méthodes d'alimentation complémentaires appropriées.24 Cette recommandation fait écho à la ligne directrice de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) en matière d'alimentation des bébés, laquelle recommande aux femmes ayant le VIH d'allaiter exclusivement pendant six mois, puis de continuer à allaiter pour un total de 12 mois durant lesquels elles suivent un traitement et reçoivent du soutien à l'observance thérapeutique.20 Notons cependant que la ligne directrice de l'OMS s'adresse principalement aux pays à faible revenu où la dénutrition et les maladies diarrhéiques sont des causes courantes de la mortalité infantile et où l'accès à de l'eau propre pour faire les préparations pour nourrissons n'est pas toujours une possibilité. Dans un tel contexte, les préparations pour nourrissons pourraient exposer les bébés à un risque accru de dénutrition, de maladie ou de décès. Au Canada et aux États-Unis, où la dénutrition et les maladies diarrhéiques ne sont pas courantes, l'allaitement n'est pas recommandé à l'heure actuelle aux personnes ayant le VIH à cause du risque inconnu de transmission du VIH au bébé; même si ce risque est faible, il est peu probable qu'il soit négligeable.
Les raisons biologiques de la transmission du VIH lors de l'allaitement n'ont pas été complètement élucidées. On croit que la transmission virale a lieu lorsque les muqueuses qui tapissent l'arrière de la gorge et les intestins sont exposées à du lait maternel contenant du VIH.23 Le virus peut entrer dans le corps du bébé via la gorge ou les intestins, où il peut se répliquer et se propager partout dans le corps pour causer l'infection permanente.23,25 Les nouveau-nés sont particulièrement vulnérables au VIH et aux infections parce que leur système immunitaire et leur organisme, et plus particulièrement leurs intestins, sont encore en développement.23
Le lait maternel peut contenir une forte quantité de VIH parce qu'il contient un très grand nombre de cellules immunitaires, soit bien davantage que les autres liquides qui peuvent également transmettre le VIH, tels que le sperme ou le sang.26 Le VIH infecte les cellules immunitaires afin de pouvoir fabriquer des copies de lui-même depuis l'intérieur des cellules.
Un test de la charge virale peut mesurer le nombre de copies de VIH dans le sang ou le lait maternel; cependant, le VIH vivant dans les cellules infectées n'est pas détecté par les tests de la charge virale de routine. Cela veut dire que le virus peut rester dormant, caché dans les cellules immunitaires, même si la charge virale est indétectable.23 De plus, lorsque le VIH se trouve dans ses cachettes à l'intérieur des cellules, les médicaments ne peuvent pas le tuer.26
Si les cellules immunitaires qui contiennent du VIH sont mobilisées pour combattre une infection dans le sein de la personne qui allaite ou les intestins du bébé, les cellules peuvent commencer à produire de grandes quantités de VIH. Voilà pourquoi le VIH peut être présent dans le lait maternel même si la charge virale est indétectable dans le sang.26
Certains facteurs sont associés à un risque accru de transmission du VIH par l'allaitement, dont les suivants : charge virale plus élevée; faible compte de CD4; inflammation dans le sein (causée par une mastite, un abcès mammaire ou un engorgement mammaire); allaitement de plus longue durée et alimentation mixte.23,27
En ce qui concerne la réduction du risque de transmission du VIH lors de l'allaitement, le facteur le plus important réside dans le maintien d'un taux élevé d'observance du traitement antirétroviral afin d'assurer une charge virale indétectable soutenue.28 Les données révèlent que le traitement a un impact énorme sur la réduction du risque de transmission associé à l'allaitement et qu'une charge virale plus faible est associée à un moindre risque de transmission du VIH lors de l'allaitement.11
Comme l'allaitement pose un risque de transmission du VIH qu'il est possible d'éviter, le Canada et les autres pays à revenu élevé recommandent actuellement l'usage exclusif d'une préparation pour nourrissons dès la naissance jusqu'à l'âge d'un an. Même si les parents ayant le VIH souhaitent éliminer le risque de transmettre le VIH à leur enfant, l'alimentation par préparation pour nourrissons peut être difficile à adopter ou à accepter pour certains d'entre eux.
Bien que la plupart des familles au Canada aient facilement accès à de l'eau propre pour faire des préparations pour nourrissons, les préparations coûtent cher et leur usage exclusif peut être inabordable pour de nombreuses familles. Il n'y a que cinq provinces canadiennes qui offrent des subventions pour l'achat de préparations pour nourrissons pendant la première année de vie des enfants nés de personnes ayant le VIH, soit l'Alberta, la Colombie-Britannique, le Manitoba, l'Ontario et la Saskatchewan.29 Il existe toutefois de nombreux programmes au pays qui offrent gratuitement des préparations pour nourrissons.
Contrairement aux préparations pour nourrissons, l'allaitement ne coûte rien et est associé à de bienfaits pour la santé. Il constitue aussi une norme sociale ou culturelle dans de nombreuses communautés. Pour cette raison, le fait de ne pas allaiter pourrait exposer la séropositivité d'une personne. Dans les communautés où la stigmatisation du VIH est courante, la peur que son statut VIH soit dévoilé pourrait influencer la décision de cette personne concernant l'alimentation de son bébé.30,31 Pour cette raison, les parents pourraient avoir besoin de counseling additionnel pour les aider à expliquer aux autres pourquoi ils utilisent le biberon, mais sans qu'il soit nécessaire de dévoiler leur statut VIH.
Malgré les recommandations contre l'allaitement, certaines personnes choisissent de le faire parce qu'elles croient que c'est la meilleure décision pour elles et leur famille. Certaines de ces personnes choisissent d'allaiter sans prévenir leur professionnel de la santé à cause de la peur de la stigmatisation ou de la criminalisation.30, 31
Les fournisseurs de services doivent être conscients de ces enjeux et s'assurer que les parents ayant le VIH reçoivent de l'information et du soutien afin qu'ils puissent prendre des décisions éclairées et autonomes en ce qui concerne l'alimentation des bébés. Ces enjeux sont complexes, et les parents peuvent avoir besoin de plusieurs semaines ou mois pour explorer tous les faits et les émotions qu'ils évoquent afin de se sentir à l'aise de prendre une décision.
Article connexe
Pour une discussion sur les enjeux liés à la grossesse et à l'alimentation du nourrisson, voir Points de vue des premières lignes : La grossesse et l’alimentation des nourrissons.
Références
Camille Arkell est spécialiste en connaissances, Science biomédicale de la prévention chez CATIE. Elle détient une maîtrise de santé publique en promotion de la santé de l’Université de Toronto, et travaille en éducation et recherche sur le VIH depuis 2010.