Kaletra : du VIH au SRAS à la COVID-19

L’un des médicaments qui fait l’objet de nombreuses expérimentations chez des personnes atteintes de COVID-19 est une formulation à dose fixe de deux médicaments : le lopinavir + le ritonavir. Cette formulation se vend sous le nom de marque Kaletra au Canada et dans d’autres pays, et il en existe des versions génériques. Il se vend aussi sous le nom d’Aluvia dans certains pays.

Le lopinavir est le médicament antiviral actif dans Kaletra. La dose relativement faible du ritonavir est présente pour retarder la dégradation du lopinavir et pour augmenter ainsi les concentrations de ce dernier dans le corps. Cela permet aux patients de prendre Kaletra une ou deux fois par jour seulement. La faible dose du ritonavir ne possède aucune activité antivirale.

Pendant la première décennie du 21e siècle, Kaletra figurait parmi les agents les plus utilisés dans les combinaisons de médicaments anti-VIH. Au fil du temps, cependant, Kaletra s’est fait remplacer par des traitements plus puissants et mieux tolérés. De nos jours, Kaletra n’est plus recommandé pour le traitement initial du VIH au Canada et dans de nombreux pays à revenu élevé.

En 2003, un nouveau virus appelé SRAS-CoV-1 (syndrome respiratoire aigu sévère au coronavirus-1) a fait son apparition en Asie de l’Est. Ce virus provoquait une pneumonie grave et parfois mortelle chez les personnes infectées. Encouragés par des rapports anecdotiques qui sortaient à l’époque, certains médecins ont recyclé Kaletra pour traiter cette nouvelle infection virale. Malheureusement, en raison de la piètre qualité des études précipitées réalisées à l’époque du SRAS, il n’a pas été possible d’en tirer des conclusions définitives quant à l’efficacité de Kaletra. La disparition subséquente du SRAS a fait tarir l’intérêt pour ce syndrome et le financement de la recherche à son sujet.

SRAS-CoV-2

À la fin de 2019, un nouveau virus appelé SRAS-CoV-2 est apparu en Chine. Comme ce nouveau virus s’apparentait au SRAS-CoV-1 et qu’il s’agissait d’une urgence sanitaire, il était logique de vouloir tester des traitements potentiels contre le SRAS-CoV-2 même si les médecins n’étaient pas certains de quelle façon précise il rendait certaines personnes gravement malades.

Le 18 janvier 2020, des médecins de Pékin ont lancé un essai clinique randomisé portant le nom de Lotus. Les participants à l’étude Lotus ont reçu soit Kaletra et les soins standards, soit les soins standards seuls, les deux interventions pendant 14 jours consécutifs chez des personnes hospitalisées pour la COVID-19. Environ 85 % des participants avaient besoin d’oxygénothérapie à haut débit ou de ventilation non mécanique.

Dans l’ensemble, les chercheurs n’ont constaté aucun bienfait de Kaletra par rapport à la vitesse de l’amélioration clinique. Après 28 jours de suivi, 19 % des personnes traitées par Kaletra et les soins standards sont décédées, contre 25 % des personnes ayant reçu les soins standards seulement. Cette différence n’est pas considérée comme significative d’un point de vue statistique.

Bien que ces résultats soient décevants, il serait prématuré d’exclure Kaletra des essais cliniques futurs portant sur les personnes à risque de contracter l’infection au SRAS-CoV-2 ou celles atteintes de COVID-19.

Pourquoi Kaletra n’a-t-il pas réussi dans l’étude Lotus?

L’absence de bienfait clinique de Kaletra dans l’étude Lotus s’explique pour plusieurs raisons possibles :

  • Les personnes inscrites à l’étude Lotus étaient très malades. Le taux de mortalité global a été de 22 % dans cette étude. Ce chiffre est bien plus élevé que celui rapporté à propos d’autres patients hospitalisés pour la COVID-19 en Chine (15 %) durant les premiers jours de la pandémie.
  • Les patients ont commencé à prendre Kaletra environ 14 jours après l’apparition des symptômes, ce qui est relativement tard dans le cours de la COVID-19, trop tard peut-être pour être utile.
  • L’étude Lotus n’a pas inscrit suffisamment de participants pour démontrer un impact statistiquement significatif de Kaletra sur les points d’aboutissement (résultats), telle la survie.
  • Lotus n’est pas une étude contrôlée contre placebo. Face à l’émergence soudaine de la COVID-19 et à la nécessité de concevoir et de mener rapidement un essai clinique, il n’a pas été possible de fabriquer à temps des comprimés placebo. Par conséquent, il faut admettre la possibilité que le fait de savoir quels participants prenaient Kaletra ait faussé par inadvertance les résultats et l’interprétation de ceux-ci.

Les médecins qui ont examiné les données de l’étude Lotus ont commenté ainsi les résultats dans le New England Journal of Medicine : « Tout simplement, le lopinavir n’est pas particulièrement puissant contre le SRAS-CoV-2. La concentration nécessaire pour inhiber la réplication virale est relativement élevée comparativement aux données historiques sur l’absorption et la concentration du lopinavir. Nous en savons peu actuellement sur les concentrations de médicaments dans les tissus où le SRAS-CoV-2 se réplique ».

L’avenir de Kaletra contre la COVID-19

Malgré les nouvelles décevantes provenant de l’étude Lotus, il est encore possible que Kaletra soit bénéfique dans les circonstances suivantes, lesquelles devront être explorées dans le cadre d’un essai clinique :

  • Il est utilisé par des personnes exposées au SRAS-CoV-2 avant que les symptômes de la COVID-19 apparaissent.
  • Il est utilisé tôt dans le cours de la COVID-19.
  • Il est utilisé dans le cadre d’une combinaison de traitements expérimentale contre la COVID-19. Le fait d’associer Kaletra à d’autres traitements potentiels pourrait rehausser l’activité antivirale du lopinavir. Rappelons que les combinaisons de traitements constituent la norme de soins dans le cas d’autres infections virales comme le VIH et l’hépatite C chronique. De plus, des données préliminaires portent à croire que la combinaison d’interféron bêta + Kaletra + ribavirine est plus efficace pour faciliter le rétablissement des patients atteints de COVID-19 que Kaletra tout seul. Nous présentons plus d’information sur l’étude en question dans la prochaine section.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Chu CM, Cheng VC, Hung IF, et al.  Role of lopinavir/ritonavir in the treatment of SARS: initial virological and clinical findings. Thorax. 2004;59(3):252-256.
  2. Cao B, Wang Y, Wen D, et al. A trial of lopinavir-ritonavir in adults hospitalized with severe Covid-19. New England Journal of Medicine. 2020;382(19):1787-1799.
  3. Baden LR, Rubin EJ. Covid-19 - The search for effective therapy. New England Journal of Medicine. 2020;382(19):1851-1852.
  4. Cao B, Zhang D, Wang C. A trial of lopinavir-ritonavir in Covid-19. Reply. New England Journal of Medicine. 2020;382(21):e68.
  5. Doggrell SA. Does lopinavir measure up in the treatment of Covid-19? Expert Opinion in Investigational Drugs. 2020; en voie d’impression.