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CATIE
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L’idée qu’une personne devrait être une participante active et non simplement la récipiendaire de ses propres soins de santé a de profondes racines. Les féministes, les personnes vivant avec le VIH et les hémophiles préconisent cette idée depuis des décennies : Les gens devraient exercer un contrôle sur leur propre corps. Nous vous présentons un homme qui parle d’expérience des bénéfices radicaux d'être partenaire des soins de santé. Il y a neuf ans, Vincent Dumez a entrepris de transformer le système de santé pour tirer parti des compétences et de l’expertise des patients.

Le concept de « gérer votre santé » est au cœur du mouvement du VIH canadien. Dès le début de l’épidémie, nombre de personnes séropositives ont insisté pour participer activement à leurs propres soins en raison d’un système de santé stigmatisant et paternaliste, qui ne semblait ni préparé ni enclin à soigner les personnes marginalisées touchées par le sida. Les hommes gais et leurs alliés se sont servis de l’expérience féministe de remodélisation des soins de santé pour les femmes qui est née dans les années 1960, ainsi que d’un sentiment croissant d’identité gaie et de solidarité qui a fait suite aux émeutes de Stonewall. Les personnes vivant avec le VIH ont pris leur santé en main et ont recherché un partenariat égal et respectueux avec leurs prestataires de soins de santé.

Cette approche révolutionnaire de la gestion de sa santé est venue de la communauté hémophile au moins une décennie plus tôt de façon différente — une histoire largement méconnue. Le concept du patient comme partenaire des soins de santé, d’abord lancé dans l’univers des soins aux personnes nées avec l’hémophilie, un trouble génétique de la coagulation du sang, a été central au développement d’un modèle de prestation des soins de santé reconnu internationalement dans lequel patient et prestataire apprennent mutuellement comment mieux prendre en charge une maladie chronique.

Vincent Dumez, qui est né avec l’hémophilie, connaît bien les bénéfices de ce modèle de soins. Il s’est fait une mission d’utiliser les leçons qu’il a assimilées en gérant ses propres maladies chroniques — l’hémophilie, le VIH, et l’hépatite C (dont il est maintenant guéri) — pour faire valoir le rôle essentiel que les patients peuvent jouer à titre de partenaires des soins de santé.

Comme codirecteur d’un programme patient partenaire à la faculté de médecine de l’Université de Montréal, son but est d’enseigner aux patients et aux professionnels de la santé à collaborer, à apprendre l’un de l’autre et à améliorer ensemble le système de santé. Souvent appelée simplement « le modèle de Montréal », l’approche de l’université est devenue un catalyseur de changement réel dans des hôpitaux et des universités du Canada et d’autres pays, tels que la Belgique, l’Italie, la Suisse et la France. Comme 50 pour cent des adultes nord-américains vivent désormais avec au moins une affection chronique — et que nombre d’adultes âgés, en particulier ceux qui vivent avec le VIH, gèrent plusieurs problèmes de santé chronique — Dumez indique que ce besoin de travailler en partenariat pour les patients et les prestataires de soins de santé est aussi crucial que jamais.

 

Ayant grandi dans les années 1970 avec l’hémophilie, Vincent Dumez était sans cesse à l’hôpital pour des transfusions sanguines afin d’arrêter ses hémorragies. Quand une personne hémophile tombe, se coupe ou se heurte à quelque chose, le sang peut prendre beaucoup plus de temps à coaguler. Et les opérations communes comme l’ablation des amygdales ou de l’appendice, par exemple, peuvent mettre la vie en danger. « Pour arrêter l’hémorragie, il nous faut des transfusions », explique Dumez. Enfant, son hémophilie grave signifiait 150 à 200 visites à l'hôpital par an pour traiter ses saignements.

Pour aider Dumez à mener une vie plus indépendante, son équipe de soins lui a enseigné ainsi qu’à sa famille, à faire des transfusions de sang, et à analyser ses symptômes afin de déterminer s’ils pouvaient le transfuser à domicile ou s’il devait obtenir de l’aide professionnelle. Cela s’inscrivait dans une grande tendance des années 1970 où les cliniques d’hémophilie offraient formation et éducation de façon continue aux hémophiles et à leurs familles et qui en ont fait une partie intégrante de leur protocole de soins.

À l’âge de 6 ans, Dumez pouvait s’autotransfuser. Ses parents, grands-parents et la famille élargie participaient tous à l’encadrer et à le soutenir. « J’ai gagné de l’autonomie et un genre de transfert de pouvoir, dit Dumez. Si j’ai été capable de développer une vie normale, c’est parce que j’ai bénéficié de ce système, cette philosophie de soins avant-gardiste. » Même qu’il s’est senti suffisamment en confiance pour s’essayer au ski alpin, malgré les risques pour quelqu’un dans cet état de santé.
 

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Patient as partner


Dumez est un des milliers d’hémophiles qui ont été infectés par le VIH et l’hépatite C dans les années 1980, après avoir reçu des transfusions de produits sanguins contenant les virus. Près de 2 000 Canadiens ont été infectés par le VIH et on estime à 30 000 de plus ceux qui ont été infectés par l’hépatite C dans les trois ans que la Croix-Rouge a pris pour remédier à cette situation désastreuse. La plupart était hémophile. Plus de 90 pour cent des personnes souffrant d’hémophilie grave ont été infectées par le VIH ou l’hépatite C et plus de la moitié sont mortes des suites de ces maladies. Le juge Horace Krever, qui a dirigé la Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang du Canada, déclenchée dans la foulée de cette tragédie, l’a qualifiée de « calamité nationale de santé publique ».

La tragédie du « sang contaminé » a déstabilisé la relation de collaboration étroite entre les hématologues et leurs patients. Les gens étaient furieux d’avoir été infectés par ce qui était alors un virus mortel, incurable; ils étaient également outrés que de nombreux médecins (y compris celui de Dumez) connaissaient le statut sérologique de leurs patients et choisissaient de ne pas leur dire, dans certains cas jusqu’à un an et demi après l’infection. Dumez décrit l’avènement du sida comme étant un « nouveau monde » pour les personnes souffrant d’hémophilie. Cette communauté faisait soudainement face à une maladie fatale dont on savait bien peu.

Dumez a éprouvé un sentiment de « perte profonde » lorsqu’il a réalisé à quel point le partenariat avait été rompu pendant cette période. Ce sentiment de perte et le besoin de retrouver confiance dans le système de soins de santé l'ont poussé à rédiger sa thèse de maîtrise sur la relation médecin-patient et lui ont ultérieurement inspiré son travail à l’Université de Montréal. Il voulait comprendre pourquoi tant d’hématologues avaient omis de communiquer avec leurs patients au moment même où ceux-ci en avaient le plus besoin, et il voulait s’assurer que ce partenariat n’échouerait pas de nouveau. « Sur un plan émotionnel, je voulais reconstruire quelque chose que j’avais perdu afin de me reconstruire moi-même », dit-il.

Les leçons du modèle patient partenaire n’ont pas été perdues pour la communauté hémophile. Les hémophiles et les membres de leur famille ont continué de venir ensemble échanger de l’information, des conseils et des expériences sur la façon de vivre avec ces nouvelles maladies.

Entre-temps, dans la communauté plus vaste du VIH, le besoin de modèles d’autogestion de la santé devenait aussi apparent. Très vite, les personnes vivant avec le VIH se sont mobilisées et ont trouvé des façons d’échanger de l’information essentielle — sur toutes choses allant des médicaments qui soulageaient leurs symptômes aux médecins disposés à les traiter. Les lignes d’entraide du sida et les organisations comme le projet de Toronto Treatment Information Exchange (TIE) — qui allait devenir CATIE et a publié Vous et votre santé (la « bible » du mouvement patient partenaire) en partenariat avec la Toronto People with AIDS Foundation — ont été créées pour répondre au besoin d’éducation des patients. Les personnes vivant avec le VIH ont prôné un modèle de patient partenaire qui est au cœur de la prise en charge du VIH aujourd’hui. Dumez résume cette réalisation : « Nous avons démontré que les personnes vivant avec le VIH pouvaient devenir compétentes en autosoins en se fondant sur la connaissance expérientielle qu’elles ont acquise en vivant chaque jour avec la maladie. »

 

En 2010, Dumez était tellement concentré sur son travail de copropriétaire d’une entreprise de gestion stratégique prospère qu’il n’avait pas beaucoup pensé au concept patient partenaire depuis un certain temps. Mais cette même année, il a rencontré l'équipe administrative de la faculté de médecine de l'Université de Montréal et s'est rendu compte qu'elle partageait la même vision du partenariat de soins et des changements qu'il fallait apporter à l'éducation des étudiants en médecine. Peu de temps après, le doyen a proposé à Dumez qu'il chapeaute un nouveau programme sur le partenariat avec les patients. Il a vite laissé sa carrière d'expert-conseil derrière lui et a relevé le défi.

Peu après, il a quitté son emploi et a commencé à travailler à la faculté de médecine de l’Université de Montréal, où il a fondé le Centre d’excellence sur le partenariat avec les patients et le public dont il est codirecteur.

Ce programme reconnaît que la connaissance expérientielle qu’une personne a acquise en vivant avec une maladie est d’importance égale à la connaissance scientifique d’un professionnel de la santé. « Les médecins sont spécialistes de la maladie et les patients sont spécialistes de la vie avec leur maladie affirme Dumez. Les médecins doivent comprendre que le patient n’est pas quelqu’un sur qui l’on plaque des soins, le patient est quelqu’un avec qui on est partenaire. » Le programme accepte des patients à tous les niveaux du système de santé, y compris dans la formation de professionnels de la santé.

Dumez a réussi à ce que l’Université de Montréal intègre le concept du patient partenaire dans des cours qui enseignent aux professionnels de la santé à collaborer avec les patients. Il a convaincu l’université de permettre à des patients expérimentés de donner conjointement ces cours, une première mondiale. Aujourd’hui, à l’université, 300 patients font équipe avec des professionnels de la santé pour enseigner à des étudiants de 13 différents programmes de santé comment établir un partenariat avec les patients.

Le centre enseigne en premier lieu aux patients expérimentés à reconnaître et à comprendre les compétences qu’ils ont acquises en tant que patients. Outre leur connaissance expérientielle (sachant à quoi ressemble le fait de vivre avec leur maladie), certains patients expérimentés possèdent des aptitudes très développées à la communication et à la collaboration, selon Dumez.

Ces patients se servent alors d’exemples de leur propre vie pour contribuer à former les étudiants à développer eux-mêmes ces aptitudes. Par exemple, les patients du programme aident les étudiants en médecine à verbaliser leurs premières expériences difficiles de travail auprès de patients en milieu clinique. « Les patients leur offrent une rétroaction et les aident à réaliser que la collaboration est complexe, dit Dumez. Il n’y a pas de comportement spécifique qui fonctionne pour composer avec des situations humaines très complexes. »

Les étudiants en médecine apprennent non seulement à communiquer et à collaborer avec les patients, mais aussi à apprécier les perspectives des patients. Ils en viennent à comprendre, par exemple, que les buts d'un patient pour son propre traitement peuvent différer de ceux des prestataires de soins de santé.

Une fois leurs diplômes en poche, les étudiants en médecine formés par le modèle de Montréal entrent dans le monde réel avec une compréhension toute différente de la manière de travailler avec les patients. Ce changement est révolutionnaire parce que, dans la médecine occidentale, les médecins se sont traditionnellement vus comme des experts qui disent quoi faire aux patients, et leurs patients comme des personnes qui devraient largement suivre — et non remettre en question — leurs instructions.

De plus, le Centre d’excellence a travaillé avec 30 hôpitaux du Québec à des initiatives qui accordent aux patients un siège aux comités d’amélioration de la qualité de l’hôpital. « Les prestataires de soins de santé découvrent que les patients et les membres de la famille qui font l’expérience du système de santé jour après jour ont de bonnes idées de la façon de l’améliorer, dit Dumez. Il est grand temps. » Le Centre d’excellence a aussi appuyé les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) sur la façon d’incorporer le concept patient partenaire dans leur stratégie de recherche axée sur le patient (SRAP). Les chercheurs des SRAP sont désormais tenus de consulter les patients pour déterminer quelle recherche devrait être menée et comment procéder.

Les hôpitaux, les universités et les décideurs du Canada et d’autres pays comme la Belgique et la France ont fait appel à l’expertise de l’équipe de Dumez pour reproduire ou adapter le modèle de Montréal à leur situation. « Le modèle est un catalyseur de changement systémique de la prestation des soins de santé — changement qui a commencé dans les communautés de l’hémophilie et du VIH, dit Dumez. Les patients ont énormément de choses à apporter au système de santé. Cela fonctionne. »

 

Jennifer McPhee est une écrivaine de Toronto qui collabore régulièrement à Vision positive.

Illustration par Christine Roy

Photographie par Sarah Mongeau-Birkett