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3 femmes parlent du pouvoir de la recherche par les pairs et des soins centrés sur les femmes.

Entrevues par RonniLyn Pustil et Dieynaba Deme

Les femmes vivant avec le VIH sont aux prises avec des problèmes particuliers liés à leur santé et sont moins susceptibles que les hommes d’être impliquées dans les soins. Cependant, peu d’études à ce jour portent sur la santé et le bien-être des femmes vivant avec le VIH, et sur la façon dont la qualité de leurs soins pourrait être améliorée. Un projet de recherche national appelé CHIWOS (Étude sur la santé sexuelle et reproductive des femmes vivant avec le VIH au Canada) s’évertue à combler cette lacune.

Dans l’esprit de la recherche communautaire, CHIWOS brise la hiérarchie entre les chercheurs et les sujets de recherche. La recherche est réalisée par, avec et pour les femmes vivant avec le VIH, en partenariat avec des chercheurs en milieux universitaires et des cliniciens.

Au lieu de simplement consulter les femmes vivant avec le VIH, les femmes sont impliquées de manière considérable à chaque étape de la recherche. Ces femmes, connues sous le nom de paires associées de recherche (PAR), jouent un rôle clé dans l’établissement des priorités, l’élaboration des sondages, la collecte de données et la diffusion des résultats (en utilisant à la fois les méthodes traditionnelles, comme les publications universitaires, et les événements communautaires non traditionnels organisés par les PAR.)

Lancée en 2011, CHIWOS a recruté un total de 1 422 femmes vivant avec le VIH en C.-B., en Ontario et au Québec, et qui ont répondu à un sondage administré par les PAR. De 2015 à 2017, 1 252 participants ont rempli un deuxième sondage. La troisième vague, en cours, devrait être terminée en septembre 2018. La Saskatchewan et le Manitoba se sont joints à la cohorte CHIWOS en 2015, en organisant des événements artistiques autochtonisés pour recueillir des données et découvrir les perspectives et les priorités des femmes vivant avec le VIH dans ces provinces.

Rencontrez les paires associées de recherche (PAR)

Claudette, Stephanie et Brigitte sont trois paires qui s’efforcent de briser les barrières et d’ouvrir la voie à la participation active des femmes à la riposte du Canada au VIH.

CLAUDETTE CARDINAL, 49 ans

PAR en Colombie-Britannique
Étudiante en travail social
Vit avec le VIH depuis 22 ans

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CHIWOS


Pourquoi CHIWOS est-il important pour vous?

Après mon diagnostic, j’ai été invitée à participer à une étude qualitative pour les personnes nouvellement diagnostiquées, ce qui impliquait de parler à une infirmière de l’Université de l’Alberta. Ce qui devait être une entrevue de deux heures a finalement duré plus de quatre heures. Cette infirmière a été la toute première personne à qui j’ai parlé du fait d’avoir le VIH. Ce fut un grand soulagement que de lui ouvrir mon cœur.

Maintenant, je suis de l’autre côté de cette relation de recherche. Je suis membre du comité consultatif communautaire de CHIWOS depuis plus de six ans. Lorsque CHIWOS a recruté des pairs en Colombie-Britannique pour la première fois, j’ai posé ma candidature et j’ai été embauchée en 2013. J’ai maintenant mené plus de 20 entrevues en profondeur avec des femmes séropositives.

C’est comme si j’avais bouclé la boucle. Être maintenant celle qui pose des questions et qui soutient les femmes est un grand honneur pour moi parce qu’il y a tellement de gens qui n’ont personne à qui parler, soit une personne qui va écouter et comprendre ce qu’elles vivent, comme cette infirmière en Alberta l’a fait pour moi il y a des années. Avoir cette connexion ne se produit que lorsque vous avez quelque chose d’important en commun. Dans ce cas, être des femmes vivant avec le VIH.

Qu’est-ce qui vous a motivé à devenir PAR?

Ma grand-mère. Elle est décédée en 2002. Si elle était encore en vie, elle aurait 103 ans. Selon elle, il fallait prendre soin des malades et de ceux qui souffrent. C’est l’une de ses valeurs que je perpétue. Maintenant, c’est à mon tour de redonner à la communauté et de soigner les autres qui ont le VIH. Je suis passée d’ex-consommatrice de drogues, prostituée et alcoolique, à une vie sans drogues ni alcool. Maintenant, je suis un modèle positif pour les autres et je continue sur ce chemin.

Qu’est-ce qui rend ce travail important pour vous?

Voir les sourires sur les visages des femmes qui sont là pour donner leur contribution. En participant à CHIWOS, les femmes découvrent l’estime et la prise en charge de soi. Avoir une PAR qui prend le temps de leur poser des questions personnelles et qui les encourage leur permet de s’engager avec la communauté VIH et de se mettre au défi de nouvelles façons. Elles ne sont pas coincées chez elles dans la routine. Une participante m’a demandé : « Comment puis-je faire votre travail? » Cela montre à ces femmes qu’elles peuvent sortir et essayer quelque chose. Une fois qu’elles le feront, les portes s’ouvriront.

Quand les femmes reviennent pour leur entretien de suivi 18 mois après l’entrevue initiale, c’est si bon de les entendre dire qu’elles ont apporté des changements positifs dans leur vie, et d’être témoin de leurs réalisations — si elles sont restées à l’écart des problèmes, qu’elles n’ont pas consommé de drogue ou pris un verre, ni ne sont allées en prison depuis le dernier entretien —, ces bonnes choses qui continuent à les porter. J’ai l’impression que leur rôle dans la recherche les aide à faire le suivi des choses positives qu’elles ont faites depuis leur dernière entrevue. Ce sont ces triomphes que je célèbre.

Y a-t-il eu un moment qui se démarque?

La cérémonie de transfert de données des femmes autochtones à Montréal, en 2017. Nous avons transféré les données recueillies auprès de 453 femmes autochtones vivant avec le VIH aux leaders Carrie Bourassa et Renee Masching. Ce fut un moment très sincère. Après une cérémonie de l’eau, j’ai parlé au nom des femmes autochtones de l’étude. Ce fut un grand moment pour moi, de me lever, de représenter les femmes qui étaient décédées et de livrer mon message sur l’importance des données que nous transférions. Nous avons eu un moment de silence pour toutes les femmes décédées, puis nous avons commencé à boire de l’eau lors de la cérémonie.

Selon vous, à quoi ressemblent les soins centrés sur les femmes?

Ce sont des soins qui sont dirigés par des femmes du début à la fin. Cela veut dire que des femmes séropositives travaillent dans tous les départements et sont impliquées dans tout ce qui se passe dans une clinique.

Lorsque les femmes séropositives parlent de nos problèmes, nous nous comprenons et nous pouvons parler ouvertement de nos sentiments et de nos expériences. Il est nécessaire pour les femmes d’avoir un endroit où nous pouvons avoir ces discussions, sans être jugées parce que nous venons du centre-ville ou que nous sommes sans-abri, sans avoir à craindre ces stéréotypes qui nous mettent dans des boîtes. Lorsque nous sommes autorisées à parler librement et ouvertement à qui que ce soit dans le cadre de notre prise en charge du VIH — l’infirmière, le psychiatre, la personne qui fait notre prise de sang —, nous ne sommes alors pas stigmatisées et sommes traitées comme des gens ordinaires. C’est juste un non-sens que nous soyons stigmatisées parce que nous vivons avec cette maladie.

STEPHANIE SMITH, 39 ans

PAR en Ontario
Préposée aux opérations
Vit avec le VIH depuis 14 ans

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CHIWOS


Pourquoi CHIWOS est-il important pour vous?

Les femmes sont sous-représentées dans la recherche sur le VIH, et dans la plupart des études où les femmes sont incluses, nous sommes traitées comme des hommes, même si nous avons des besoins différents. Avec CHIWOS, nous entendons le point de vue des femmes : ce que nous voulons, ce que nous ressentons, comment les choses nous affectent. Nous avons des expériences de vie différentes, il est donc important d’entendre la situation des femmes, dans toute sa complexité.

Je trouve que la diversité des femmes positives que j’ai interviewées est étonnante — comment elles ont contracté le VIH, ce qu’elles ont accompli dans leur vie, comment le fait d’être séropositives les a rendues plus fortes.

De plus, je peux rencontrer certaines femmes qui autrement ne sont pas impliquées avec la communauté du VIH. Ce n’est pas parce qu’elles sont séropositives et qu’elles ne souhaitent pas s’impliquer qu’elles ne veulent pas que quelqu’un leur parle. C’est agréable de s’asseoir et de parler avec une femme qui vit la même chose.

Qu’est-ce qui vous a motivé à devenir PAR?

J’ai contracté le VIH par mon partenaire à l’époque, qui m’a trompée avec des hommes. Après mon diagnostic en 2003, j’ai voulu utiliser mes compétences et faire de ce que je vivais quelque chose de bien.

Je travaillais déjà dans le domaine de la santé, en tant qu’aide aux soins à domicile. J’ai dit à mon patron, qui savait que j’avais le VIH, de m’envoyer chez des personnes séropositives. Je me suis rendu compte qu’en tant que PAR, en tant que personne qui pouvait comprendre, je pouvais apporter tellement plus à ces clients. Être pair semblait une belle occasion de faire davantage avec ma vie de personne séropositive.

Lorsque j’ai rencontré la Dre Mona Loutfy, la chercheuse principale qui m’a parlé d’un nouveau projet appelé CHIWOS, j’ai été intriguée parce qu’il y avait peu d’études disponibles propres aux femmes vivant avec le VIH. J’ai été l’une des premières PAR à participer : j’ai fait un essai du sondage et j’interviewe désormais des femmes vivant avec le VIH en Ontario.

Qu’est-ce qui rend ce travail significatif pour vous?

Je sais que cela aidera à changer les choses à long terme — les politiques, les programmes et, espérons-le, la façon dont les professionnels de la santé parlent aux femmes. J’espère que cela aidera les médecins à poser les bonnes questions quant aux besoins des femmes. Prenez par exemple les effets secondaires et comment la médication anti-VIH affecte notre corps. Les femmes reçoivent parfois les mêmes doses que les hommes. Une femme qui pèse 120 livres peut prendre la même dose qu’un homme de 300 livres qui mesure 6 pi 4. Qu’en est-il de la toxicité, de la différence dans les effets secondaires, des différentes façons dont les médicaments affectent le corps des femmes?

Y a-t-il eu un moment qui se démarque?

J’ai interviewé une femme à Ottawa qui commençait tout juste à changer de vie. Elle voulait arrêter de consommer de la drogue, devenir une meilleure mère et retourner à l’école. Nous nous sommes rencontrées dans un café et l’entretien a duré trois heures. Elle n’avait jamais rencontré de femme séropositive qui travaillait, avait une vie organisée et une bonne vie de famille. Elle a vu que je fréquentais et que j’étais en couple. Nous nous sommes assises là, avons bu du café et avons eu une très bonne conversation.

« Les choses peuvent changer », lui dis-je. « Je fais du VIH une petite partie de ma vie, ce n’est pas toute ma vie. » Elle a dit qu’elle n’y avait jamais pensé de cette façon ; elle pensait peu à sa vie, alors que le VIH prenait toute la place. Quand je lui ai expliqué que je voyais la situation de manière opposée, elle a pu voir les choses sous un jour différent.

Lorsque nous nous sommes rencontrées un an plus tard pour un entretien de suivi, elle était à l’université, avait son propre appartement et avait cessé de consommer. Cela m’a donné l’impression d’avoir aidé quelqu’un à améliorer sa vie en ayant passé que trois heures à lui parler. C’est ce qui fait la beauté de la recherche communautaire par les PAR : en plus de recueillir des informations importantes, vous pouvez établir une connexion avec les gens et parfois les aider.

Selon vous, à quoi ressemblent les soins centrés sur les femmes?

J’ai récemment changé de médecin de famille. C’est tellement bien d’aller dans une clinique où à la fois mon médecin et les infirmières sont des femmes qui comprennent mes besoins en tant que femme séropositive. Je peux tout faire à cette clinique : des prises de sang, des radiographies, des échographies. C’est tellement centré sur la femme en comparaison à l’endroit où j’allais voir mon médecin de famille précédent, qui ne comprenait pas vraiment les besoins d’une femme séropositive. Avoir des soins centrés sur la femme a changé toute l’expérience d’aller chez le médecin pour moi. Maintenant, je pose à mon médecin des questions délicates que je ne me sentais pas à l’aise de poser auparavant.

À quoi ressemble MIWA (la participation significative des femmes vivant avec le VIH)pour vous?

Je pense à la Dre Mona Loutfy, qui est incroyable à cet égard. En tant que chercheuse principale, elle nous traite comme si nous étions au même niveau qu’elle. Elle nous implique dès le début du processus afin que nous puissions fournir notre expertise. Nous savons ce que c’est que de vivre avec le VIH, alors il est pertinent d’être impliquée comme ça depuis le début.

BRIGITTE, 55 ans

PAR au Québec
Vit avec le VIH depuis 33 ans

Pourquoi CHIWOS est-il important pour vous?

Il y a 22 ans, j’étais en phase terminale. Je vivais dans une maison de soins palliatifs pour les personnes vivant avec le VIH. J’ai dû placer ma fille parce que j’étais mourante. Mais, comme vous le voyez, je m’en suis sortie. Un traitement antirétroviral efficace m’a sauvé la vie et a tout changé pour moi, ce qui m’a grandement motivé à défendre les droits des femmes séropositives.

Maintenant, je n’hésite pas à partager ce vécu avec les autres puisque je sais que cela a un impact positif sur les autres femmes vivant avec le VIH. C’est comme si nous avions une sorte de connivence naturelle. C’est pourquoi CHIWOS compte pour moi.

Qu’est-ce qui vous a incité à devenir une PAR?

J’ai intégré CHIWOS dans le cadre d’un comité du Réseau canadien pour les essais VIH, composé de personnes vivant avec le VIH. Ce comité révisait et donnait des recommandations sur la recherche liée au VIH.

Je suis tombée en amour avec ce travail de recherche dès le départ. Je me suis sentie en symbiose avec la vision et la mission de CHIWOS : optimiser la santé et le bien-être des femmes vivant avec le VIH. À ma connaissance, il n’y avait aucune recherche de ce genre lorsque CHIWOS a commencé. C’était une première. J’étais et je suis toujours enchantée d’en faire partie. Il était plus que temps qu’on tienne compte de la réalité des femmes vivant avec le VIH!

Qu’est-ce qui rend ce travail significatif pour vous?

J’ai mené une soixantaine d’entrevues auprès de femmes séropositives au Québec. Je « connecte » avec chacune selon son histoire particulière. Mon but est d’avoir un impact sur les gens que je rencontre et d’aider les femmes à puiser dans leurs forces.

À la fin de leur participation à la recherche, les femmes disent souvent que même s’il n’y a pas suffisamment de temps pour approfondir de nombreux sujets, cela leur donne l’occasion de parler. Leur participation leur permet de se sentir utiles et nécessaires.

Selon vous, à quoi ressemblent les soins centrés sur les femmes?

Ils ressemblent à tout ce qui concerne les femmes. Il est important d’aborder les spécificités biologiques propres aux femmes — tels que la grossesse, la ménopause, le syndrome prémenstruel, la menstruation — ainsi que les problèmes de santé mentale et les problèmes sociaux des femmes. Ces spécificités affectent la santé générale des femmes.

Lorsque vous entendez le terme MIWA (la participation significative des femmes vivant avec le VIH), à quoi pensez-vous?

MIWA est très important pour moi parce que plusieurs batailles attendent les femmes qui ont reçu un diagnostic de VIH. Il est primordial de rassurer les femmes et de les aider à s’intégrer socialement, par exemple, de les aider à trouver un emploi. Nous faisons des progrès grâce à l’implication des personnes vivant avec le VIH. Par exemple, I = I (indétectable = intransmissible) est un énorme pas en avant. Le fait que les gens vivant avec le VIH qui ont une charge virale indétectable ne transmettent pas le VIH à leurs partenaires sexuels et peuvent empêcher la transmission à un fœtus, cela change vraiment les choses pour les personnes vivant avec le VIH.

Grâce à CHIWOS et à ses recherches essentielles et incontournables, les femmes se sentent entendues. Il était plus que temps!

Les femmes et le VIH en chiffres

Globalement, les femmes représentent plus de la moitié des personnes vivant avec le VIH.

Au Canada, 23 % des personnes vivant avec le VIH sont des femmes.

Les femmes noires et autochtones sont surreprésentées parmi les femmes vivant avec le VIH dans ce pays :

  • 37 % des femmes diagnostiquées avec le VIH en 2016 se sont identifiées comme noires.
  • 36 % se sont identifiées comme Autochtones.
  • 21 % se sont identifiées comme blanches.

Une vaste étude de la C.-B., qui a analysé la qualité des soins de 3 600 participants vivant avec le VIH, a conclu que les femmes reçoivent généralement des « soins de moins bonne qualité » que les hommes.

Les données de CHIWOS révèlent que les écarts dans les soins sont réels : environ une femme sur trois ayant le VIH échappe aux soins à un moment donné à la suite de son diagnostic, avec des différences importantes entre les différents groupes. Par exemple, les femmes plus âgées et les femmes noires bénéficient plus souvent d'une suppression virale que les femmes plus jeunes, les femmes qui utilisent des drogues illicites, les femmes faisant face à l'insécurité alimentaire et les femmes récemment incarcérées.