Comment pouvons-nous enrayer l’hépatite C au Canada? En menant une campagne mondiale d’élimination et en rendant le remède largement accessible au Canada, nous sommes plus près que jamais d’y parvenir. CanHepC, un réseau canadien d’experts de l’hépatite C, a élaboré un modèle directeur en vue d’atteindre cet objectif. Le Modèle directeur pour guider les efforts d’élimination de l’hépatite C au Canada est un document destiné à orienter les interventions des décideurs et à en mesurer les progrès. Cela étant, quel est le rôle des fournisseurs de services de première ligne et des communautés du Canada? Cet article présente le nouveau Modèle directeur et en examine l’incidence pour les fournisseurs de services de première ligne.
Qu’est-ce qu’un modèle directeur?
Le Modèle directeur pour guider les efforts d’élimination de l’hépatite C au Canada est un document élaboré à l’intention des décideurs, des planificateurs de programmes et des fournisseurs de services. Il rassemble des recommandations d’experts visant à orienter les interventions et les stratégies destinées à éliminer l’hépatite C. Le Modèle directeur énonce également les principaux objectifs que le Canada peut se fixer, de manière à pouvoir mesurer nos progrès.
Il renferme les objectifs que le Canada doit s’efforcer atteindre d’ici 2030, parmi lesquels :
- Diminution de 80 % des nouvelles infections
- Diagnostic de l’hépatite C chez 90 % des personnes qui en sont atteintes
- Instauration du traitement de l’hépatite C chez 80 % des personnes porteuses de cette infection
Mais alors, comment y parvenir? Le Modèle directeur propose un éventail d’interventions et de recommandations fondées sur des données probantes auxquelles les décideurs et les planificateurs de programmes peuvent accorder leur attention et leurs ressources. L’envergure de ces interventions va du niveau national à celui des communautés. Il s’agit notamment de modifier les politiques de santé, d’élargir les services et les programmes de santé et d’adopter de nouvelles approches en matière de prévention, de dépistage et de traitement. Le Modèle directeur dresse également une liste exhaustive d’indicateurs de rendement, ce qui aidera le Canada à mettre en place des mesures concrètes et quantifiables de lutte contre l’hépatite C.
Le Modèle directeur présente également des recommandations qui conduiraient à la création d’un système de surveillance nationale fiable permettant la collecte des données de santé ainsi qu’une liste exhaustive d’indicateurs de rendement. Ce système permettra au Canada d’établir des mesures concrètes et quantifiables sur l’incidence de l’hépatite C et de surveiller nos progrès vers l’élimination du VHC.
Le document fait suite à deux faits récents survenus sur les scènes internationale et nationale. En 2016, le Canada a appuyé la Stratégie mondiale du secteur de la santé contre l’hépatite virale, 2016-2021 adoptée par l’Organisation mondiale de la Santé, qui a pour objectif d’éliminer l’hépatite virale comme menace majeure pour la santé publique d’ici 2030. En 2018, l’Agence de la santé publique du Canada a lancé Réduction des répercussions sur la santé des infections transmissibles sexuellement et par le sang au Canada d’ici 2030 : un cadre d’action pancanadien sur les ITSS, qui s’aligne sur la stratégie mondiale. Le Modèle directeur vient compléter ces deux documents en établissant un plan précisément axé sur l’hépatite C adapté au contexte canadien.
La situation actuelle en matière d’hépatite C au Canada
L’hépatite C cause plus d’années de vie perdues que toute autre maladie infectieuse au Canada1. Certaines populations prioritaires sont plus susceptibles de contracter de nouvelles infections par l’hépatite C, et les personnes qui en sont atteintes depuis de nombreuses années souffrent des complications liées aux lésions hépatiques à long terme. Environ un Canadien sur 100 contracte l’hépatite C dans le cours de sa vie.2 La moitié de ces cas ne sont pas diagnostiqués.
La plupart des Canadiens peuvent maintenant se faire rembourser par le régime public un remède très efficace contre l’hépatite C à base d’antiviraux à action directe (AAD). Si le traitement est accompagné de mesures concrètes de prévention et de dépistage, l’élimination de l’hépatite C est possible pour la première fois au Canada.
Une approche axée sur les populations prioritaires
Pour éliminer l’hépatite C, les efforts doivent se concentrer sur les populations prioritaires touchées de manière disproportionnée par cette maladie au Canada. Cette démarche est fondée sur le principe d’équité en matière de santé qui reconnaît que des déterminants sociaux, économiques et environnementaux créent des inégalités en matière de santé, et que certaines populations nécessitent un soutien et des services supplémentaires ne relevant pas du système de santé général.
De nombreuses personnes en butte aux inégalités sont déjà marginalisées dans la société et n’ont peut-être pas accès aux services de santé à cause de la stigmatisation et de la discrimination. Ce phénomène peut être aggravé par les préjugés sociaux liés à l’hépatite C. Chacune des populations prioritaires énumérées ci-dessous n’est pas distincte ou exclusive; une personne peut appartenir à un ou à plusieurs groupes, ce qui la rend de ce fait plus susceptible de contracter l’hépatite C.
Le Modèle directeur formule à l’intention des fournisseurs de services des recommandations pertinentes pour cinq grandes populations prioritaires :
- Personnes qui s’injectent/utilisent des drogues
- Peuples autochtones (Premières Nations, Inuits et Métis)
- Immigrants et personnes nouvellement venues de pays où le VHC est répandu
- Hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (GBHARSAH)
- Personnes ayant fait l’expérience du milieu carcéral
Recommandations du Modèle directeur destinées aux fournisseurs de services et aux travailleurs de la santé
Bon nombre des recommandations du Modèle directeur sont axées sur la communauté ou les patients. Ces recommandations peuvent être mises en œuvre par les fournisseurs de services dans le cadre de leur activité professionnelle quotidienne, et intégrées à la planification des programmes dans leur communauté. La présente section résume certaines des recommandations qui concernent le plus les travailleurs de première ligne.
Personnes qui s’injectent/utilisent des drogues (PID/PUD)
L’incidence et la prévalence les plus élevées de l’hépatite C au Canada s’observent chez les PID.2,3 La criminalisation, l’instabilité en matière de logement, la pauvreté et la discrimination constituent des obstacles aux services de santé à l’intention des PID/PUD, et l’incarcération augmente le risque d’infection par l’hépatite C.
Recommandations les plus pertinentes pour les fournisseurs de services :
- Veiller à ce que les PUD participent pleinement à la conception, à la prestation et à l’évaluation des programmes.
- Déplacer la prestation des soins et des traitements vers des milieux à bas seuil, incluant des points de service que les PID utilisent déjà (programmes de réduction des méfaits, soins primaires dans la communauté).
- Intégrer la réduction des méfaits et les initiatives de prévention des surdoses dans tout le continuum des services se rapportant à l’hépatite C.
- Favoriser les approches axées sur la communauté qui assurent une prise en charge globale centrée sur les besoins des clients, qui tient compte des traumatismes et des déterminants sociaux de la santé.
- Les programmes de seringues et d’aiguilles (PSA) peuvent contribuer à prévenir la transmission du virus de l’hépatite C. Il faut les rendre plus accessibles pour ce qui est de la proximité, des heures d’ouverture et des points d’accès. Envisager d’ouvrir des locaux fixes spécialisés et des unités mobiles de sensibilisation, et de multiplier les points de service classiques comme les pharmacies et les cliniques.
- Élargir l’accès au traitement par des agonistes opioïdes comme la méthadone et Suboxone. Il s’agit notamment de rendre le traitement par des agonistes opioïdes accessible par le biais de pharmaciens et de praticiens en soins infirmiers, ou dans divers milieux comme les cliniques de soins primaires, la communauté, les centres des PSA, les hôpitaux et d’autres unités de soins d’urgence.
Peuples autochtones (Premières Nations, Inuits et Métis)
Les taux d’hépatite C sont plus élevés chez les peuples autochtones que dans la population générale du Canada3,4,5. Plusieurs facteurs complexes et entrecroisés ont un impact sur cette population : le racisme, le colonialisme, le traumatisme intergénérationnel et les abus systémiques accroissent la vulnérabilité au VHC chez les peuples autochtones. Ces facteurs rendent les personnes autochtones moins enclines à faire confiance et à recourir aux soins et aux services de traitement du VHC.
Recommandations les plus pertinentes pour les fournisseurs de services :
- Veiller à ce que les approches pour répondre à l’hépatite C soient dirigées par des Autochtones, soient multidisciplinaires (y compris des modèles de soins partagés qui réunissent les approches de santé autochtone et occidentale) et prennent en compte les déterminants de la santé autochtone (p. ex., le colonialisme, le racisme et l’exclusion sociale).
- Fournir l’accès à des services holistiques de santé autochtone dans les réserves et hors réserve, par l’entremise de cliniques et de liens avec des équipes appliquant des modèles de soins partagés.
- Renforcer la sensibilisation et l’état de préparation des communautés à l’égard des programmes de lutte contre l’hépatite C, notamment en matière de réduction des méfaits, avec le soutien des dirigeants autochtones et de leurs communautés.
- Être disposé à répondre à des besoins communautaires plus larges, allant au-delà de l’hépatite C, et ôter les préjugés liés à la consommation de drogue et à l’hépatite C.
Immigrants et personnes nouvellement venues de pays où le VHC est répandu
Les taux d’hépatite C sont plus élevés chez les immigrants et les nouveaux arrivants en provenance de pays où l’hépatite C est répandue, que dans l’ensemble de la population canadienne.2 Dans le pays d’origine de ces immigrants, l’hépatite C se transmet souvent du fait de pratiques médicales et dentaires non sécuritaires.
Recommandations les plus pertinentes pour les fournisseurs de services :
- Intégrer le dépistage et le traitement dans des modèles communautaires de soins primaires multidisciplinaires à l’intention des nouveaux arrivants, par exemple, des centres de santé communautaire.
- Informer les professionnels de la santé du risque accru d’infection par l’hépatite C parmi les personnes immigrantes et nouvellement venues en provenance de pays où l’infection est répandue, et sur l’importance de leur faire passer un test de dépistage.
- Former les fournisseurs de soins de santé qui traitent de nombreux patients provenant de pays où l’hépatite C est répandue afin qu’ils soient en mesure de diagnostiquer et de traiter cette infection.
- Offrir des services adaptés sur le plan culturel, dans la langue des immigrants et des nouveaux arrivants.
Hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (GBHARSAH)
Les GBHARSAH sont une population prioritaire émergente qui compte un nombre croissant d’infections par l’hépatite C.6 Parmi les GBHARSAH, le mode de transmission de l’hépatite C le plus fréquent est par contact sexuel ou consommation de drogue, en particulier lors de rapports sexuels brusques et en groupe accompagnés d’une consommation de drogues.7
Principales recommandations et incidences pour les fournisseurs de services :
- Intégrer l’hépatite C dans les stratégies et programmes actuels en santé sexuelle et en lutte contre le VIH s’adressant aux GBHARSAH, notamment : offrir des services de dépistage et de prévention de l’hépatite C dans les cliniques de santé sexuelle, et proposer le test de dépistage de l’hépatite C à toutes les personnes recevant une prophylaxie pré-exposition (communément appelée « PrEP »).
- Les GBHARSAH n’ont pas toujours recours aux programmes classiques de seringues et d’aiguilles. Les services de réduction des méfaits devraient être intégrés à d’autres services et programmes destinés aux GBHARSAH afin d’en faciliter l’accès.
- Assurer une surveillance périodique pour prévenir la réinfection, et effectuer des tests de dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) chez les GBHARSAH dont l’infection par l’hépatite C a été enrayée spontanément ou à la suite d’un traitement.
Personnes ayant fait l’expérience du milieu carcéral
Dans les établissements correctionnels fédéraux, 30 % des détenus présentent des signes d’une infection antérieure ou en cours par l’hépatite C.8 Les personnes qui s’injectent/utilisent des drogues, les personnes autochtones et d’autres populations racialisées sont plus susceptibles d’avoir une expérience dans le système carcéral.9 L’incarcération accroît ce risque, car l’injection de drogues et le tatouage avec des instruments partagés sont des pratiques courantes dans ce contexte.
Recommandations importantes à l’intention des fournisseurs de services :
- Mettre en œuvre des programmes de réduction des méfaits en consultation avec des détenus et des membres du personnel de santé des établissements. Il peut s’agir de programmes d’aiguilles et de seringues, de programmes de traitement par agonistes opioïdes, d’autres services de réduction des méfaits et de formations obligatoires sur la prévention des surdoses.
- Offrir aux détenus de façon systématique, à l’admission et pendant la détention, l’accès au dépistage volontaire et confidentiel de l’hépatite C ainsi qu’à de l’information et à des services de counseling en matière de lutte contre l’hépatite C. Le cas échéant, cette intervention peut être facilitée par des organismes communautaires.
- Offrir le traitement du VHC à toutes les personnes incarcérées qui vivent avec le VHC, sans égard à l’admissibilité aux programmes provinciaux d’assurance médicaments, et/ou l’arrimage aux soins lors de la libération dans le cas de personnes qui purgent une peine brève. Établir des mécanismes pour l’arrimage des détenus à des soins dans la communauté au moment de leur remise en liberté. Cela comprend le transfert rapide et efficace de leurs dossiers médicaux et l’accès au traitement de l’hépatite C.
- Après la remise en liberté, établir rapidement un lien avec les services de réduction des méfaits, les services sociaux et les autres services de soins liés à l’hépatite C.
Incidences pour les fournisseurs de services
Les fournisseurs de services ont un rôle essentiel à jouer dans l’élimination de l’hépatite C. Bien que de nombreuses recommandations du Modèle directeur abordées ci-dessus concernent d’abord les décideurs et l’organisation du système, elles doivent être mises en œuvre par les fournisseurs de services de première ligne.
Les recommandations du Modèle directeur sont toutes fondées sur des données probantes et ont été passées en revue par les plus grands spécialistes canadiens de l’hépatite C. Les fournisseurs de services occupent une place importante dans leur communauté, et le Modèle directeur peut les aider à défendre leurs intérêts auprès des décideurs et des bailleurs de fonds.
Références
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- Trubnikov M, Yan P, Archibald C. Estimation de la prévalence de l’infection par le virus de l’hépatite C au Canada, 2011. Relevé des maladies transmissibles au Canada. 18 décembre 2014;40-19. Disponible à l’adresse : https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/rapports-publications/releve-maladies-transmissibles-canada-rmtc/numero-mensuel/2014-40/rmtc-volume-40-19-18-decembre-2014/rmtc-volume-40-19-18-decembre-2014-2.html
- Krajden M, Cook D, Janjua N. Contextualizing Canada’s hepatitis C virus epidemic. Canadian Liver Journal. 2018;1(4);218-30. Disponible à l’adresse : https://canlivj.utpjournals.press/doi/10.3138/canlivj.2018-0011
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- Spittal PM, Pearce ME, Chavoshi N et al. The Cedar Project: high incidence of HCV infections in a longitudinal study of young Aboriginal people who use drugs in two Canadian cities. BMC Public Health. 2012;12:632. Disponible à l’adresse : https://bmcpublichealth.biomedcentral.com/articles/10.1186/1471-2458-12-632
- Agence de la santé publique du Canada. M-Track: surveillance améliorée de l’infection à VIH, des infections transmissibles sexuellement et par le sang et des comportements à risque associés chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes au Canada. Rapport de la phase 1. Ottawa, ON: Centre de la lutte contre les maladies transmissibles et les infections, Direction générale de la prévention et du contrôle des maladies infectieuses, Agence de la santé publique du Canada; 2011.
- Jin F, Matthews GV, Grulich AE. Sexual transmission of hepatitis C virus among gay and bisexual men: a systematic review. Sexual Health. 2017;14:28-41.
- Service correctionnel du Canada. Surveillance des maladies infectieuses dans les pénitenciers fédéraux canadiens 2007-2008 : Rapport Provisoire. Ottawa, ON: Service correctionnel du Canada, 2012. Disponible à l’adresse : https://www.csc-scc.gc.ca/text/pblct/infdscfp-2007-08/index-fra.shtml
- Kouyoumdjian F, Schuler A, Matheson F. Health status of prisoners in Canada. Canadian Family Physician. mars 2016;62(3):215-22. Disponible à l’adresse : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4984599/
À propos de l’auteur
Christopher Hoy est spécialiste en connaissances pour les programmes de santé communautaires liés à l’hépatite C chez CATIE. Il travaille à renforcer la capacité en programmation des fournisseurs de services de première ligne. Christopher a déjà travaillé en communications pour la santé publique et dans des rôles liés aux politiques. Il détient une maîtrise en santé publique.