Les stimulants comme l'amphétamine et sa forme la plus puissante, la méthamphétamine en cristaux (crystal meth, tina, ice), s'accumulent rapidement dans le cerveau après avoir été ingérés. Sous l'effet de cette drogue, le cerveau libère des signaux chimiques appelés neurotransmetteurs — dopamine, norépinéphrine et sérotonine — qui procurent aux usagers des sentiments de plaisir, ainsi qu'un soulagement temporaire de la fatigue, de l'anxiété et de la dépression. En partie, le crystal meth exerce ces effets parce qu'il modifie les perceptions des usagers et rehausse temporairement les états suivants :
- vivacité d'esprit
- concentration
- énergie
- sentiment de bien-être
Les concentrations élevées de neurotransmetteurs qui sont libérées dans le cerveau après la prise de crystal meth peuvent augmenter considérablement la tension artérielle et la fréquence cardiaque de l'usager, donnant parfois lieu à une crise cardiaque.
Le crystal meth peut causer délires, hallucinations et paranoïa. La psychose induite par le crystal meth peut rendre les personnes touchées instables sur le plan émotionnel, voire hostiles.
Dépendance
Le crystal meth peut créer rapidement une dépendance. L'usage fréquent semble reconfigurer les circuits du cerveau, de sorte que l'envie d'en consommer s'intensifie. De plus, autre problème majeur, sous l'effet de la dépendance au crystal meth, certains usagers perdent la capacité de comprendre clairement leur état.
À l'instar de beaucoup de drogues qui créent une dépendance, le crystal meth peut perturber le jugement et la pensée critique des personnes qui en consomment. Pas étonnant alors que nombre d'usagers aient des rapports sexuels non protégés et contractent le VIH et d'autres infections transmissibles sexuellement (ITS).
Tenter de se libérer de l'emprise du crystal meth n'est pas facile à cause des symptômes de sevrage très déplaisants, y compris les suivants :
- manque d'énergie très prononcé
- difficulté à s'endormir
- irritabilité
- perte d'intérêt pour les activités quotidiennes
- anxiété
- dépression
À l'heure actuelle, il n'existe aucun traitement médical pour combattre la dépendance au crystal meth. Les efforts pour s'en remettre consistent en une thérapie psychologique. Des équipes de recherche partout dans le monde ont mis à l'épreuve différentes stratégies dans l'espoir de traiter la dépendance au crystal meth, mais avec peu de succès.
La mirtazapine fait son entrée
La mirtazapine (Remeron) est un antidépresseur. Les résultats d'expériences menées sur des rats accros au crystal meth laissent croire que ce médicament pourrait faciliter la lutte contre la dépendance à cette drogue.
Lors de quelques petites études de courte durée, la mirtazapine a donné des indices d'une activité prometteuse chez des personnes souffrant d'une dépendance au crystal meth. Des chercheurs du bureau de santé publique de San Francisco ont donc mené une étude randomisée de 12 semaines, contrôlée contre placebo, pour évaluer la mirtazapine chez des usagers de crystal meth, dont près de la moitié étaient séropositifs. Entre autres, les chercheurs ont choisi la mirtazapine parce que, contrairement à d'autres antidépresseurs, elle n'a pas tendance à causer des problèmes érectiles.
Tous les participants ont reçu un counseling visant à les aider à surmonter leur dépendance. Les chercheurs de San Francisco ont constaté que les tests d'urine des participants recevant de la mirtazapine indiquaient moins la présence de crystal meth. Chose importante, la fréquence des rapports sexuels non protégés a également diminué significativement chez les participants sous mirtazapine. Il faut des études plus grandes et de plus longue durée pour confirmer et étoffer les résultats de cette étude.
Détails de l'étude
Les chercheurs ont recruté 60 hommes gais et bisexuels souffrant d'une dépendance au crystal meth. Tous les hommes souhaitaient se libérer de leur dépendance ou réduire leur consommation de cette drogue. Les hommes ont également dévoilé avoir utilisé la drogue dans le passé pour rehausser leur plaisir lors des rapports sexuels.
L'équipe a cherché à recruter des participants qui correspondaient à la description suivante :
- absence de dépression grave
- usage d'antidépresseurs dans le passé
- compte de CD4+ d'au moins 200 cellules (participants séropositifs)
- usage courant de crystal meth
Les chercheurs ont proposé aux participants un counseling standard conçu à l'intention des toxicomanes. Cela consistait en une session hebdomadaire de 30 minutes pendant 12 semaines (durée totale de l'étude). Les chercheurs ont également conseillé les participants sur la réduction des risques de transmission du VIH. Les participants ont été affectés au hasard à l'un de deux groupes, ou volets, pour recevoir les interventions suivantes :
- mirtazapine 15 mg (une capsule) à l'heure du coucher durant la première semaine, suivie de mirtazapine 30 mg (deux capsules) chaque nuit pour le reste de l'étude
- capsules placebo identiques selon les mêmes posologies
Le profil moyen des participants était le suivant :
- âge – 40 ans
- 38 % avaient un diplôme universitaire
- 60 % étaient au chômage
- 40 % consommaient du crystal meth deux jours par semaine ou moins
- 43 % consommaient du crystal meth de trois à six jours par semaine
- 17 % consommaient du crystal meth tous les jours
- 53 % des participants étaient séropositifs
Les participants employaient les méthodes suivantes pour consommer du crystal meth (notons que certaines personnes utilisaient plus d'une méthode, d'où le fait que la somme des pourcentages dépasse 100) :
- injection – 45 %
- insertion rectale – 30 %
- voie nasale (sniffer) – 40 %,
- voie orale (avaler) – 17%
Soixante personnes ont été recrutées au total, et 93 % des membres de chaque groupe (23 personnes) ont complété l'étude.
Résultats
Pour chaque volet de l'étude, on a détecté la présence de crystal meth dans les échantillons d'urine prélevés au début et à la fin de l'étude dans les proportions suivantes :
Mirtazapine
- 73 % – test d'urine positif à la semaine zéro
- 44 % – test d'urine positif à la semaine 12
Placebo
- 67 % – test d'urine positif à la semaine zéro
- 63 % – test d'urine positif à la semaine 12
Cette différence entre les deux groupes quant à la baisse de la consommation de crystal meth était significative du point de vue statistique.
À la fin de l'étude, deux participants ont dévoilé qu'ils avaient pris des « médicaments psychiatriques » durant l'étude. L'élimination des données se rapportant à ces deux participants n'a pas changé la signification des résultats.
Observance thérapeutique
La capacité de prendre ses médicaments en suivant à la lettre les prescriptions est cruciale au succès des essais cliniques. Lors de la présente étude, on a évalué l'observance de deux manières :
- on avait recours à un système de contrôle de la prise des médicaments (MEMS – Medication Event Monitoring System) pour enregistrer électroniquement l'ouverture des piluliers par les participants
- auto-déclaration de l'observance
Les taux d'observance mesurés électroniquement étaient les suivants :
- mirtazapine – 48 %
- placebo – 49 %
Les taux d'observance auto-déclarés étaient les suivants :
- mirtazapine – 76 %
- placebo – 73 %
Lorsque les chercheurs leur ont demandé pourquoi ils n'avaient pas respecté le protocole de l'étude, les participants ont donné les raisons suivantes :
- « j'ai oublié » – 61 %
- « je dormais à l'heure de la prise » – 54 %
- « occupé avec d'autres affaires » – 45 %
- « changement dans ma routine quotidienne » – 45 %
Comportements sexuels à risque
Le nombre de comportements sexuels à risque a diminué plus rapidement chez les participants sous mirtazapine que dans le groupe placebo. La réduction des comportements à risque prenait les formes suivantes :
- baisse du nombre de partenaires sexuels
- baisse du nombre de relations sexuelles anales non protégées avec des partenaires au statut VIH différent ou inconnu
De plus, de façon générale, les participants sous mirtazapine s'adonnaient moins souvent à des comportements à risque que les participants recevant le placebo. Cette différence est significative du point de vue statistique.
On a relevé un lien entre les dépistages du crystal meth négatifs et la baisse du nombre de relations sexuelles non protégées.
Aucun des participants inscrits à cette étude n'a vécu d'épisode de dépression grave et prolongé. Ainsi, la réduction de la consommation de crystal meth que favorisait la mirtazapine n'était pas attribuable au soulagement des sentiments de dépression, même légers. On n'a constaté aucune différence entre les taux de dépression des participants sous mirtazapine et le groupe placebo au cours de cette étude.
Innocuité
Dans l'ensemble, on n'a pas constaté de différence entre la mirtazapine et le placebo quant à la fréquence des effets secondaire signalés par les participants.
Deux effets indésirables se sont produits : un cas de psychose induite par la méthamphétamine dans le volet mirtazapine et une fracture osseuse chez une personne recevant le placebo. Cependant, selon les chercheurs, ces événements n'étaient pas liés aux médicaments utilisés durant l'étude.
Des tests de laboratoire ont révélé la présence de taux élevés de l'enzyme du foie ALT (alanine aminotransférase) dans les proportions suivantes :
- mirtazapine – 23 %
- placebo – 30 %
Les taux d'une autre enzyme du foie appelée AST (aspartate aminotransférase) se sont révélés élevés dans les proportions suivantes :
- mirtazapine – 17 %
- placebo – 27 %
Comme il fallait s'y attendre, la mirtazapine a causé certains effets secondaires, dont les suivants (signalés par les participants recevant ce médicament) :
- somnolence diurne – 43 %
- augmentation de l'appétit – 13 %
- prise de poids – 10 %
L'un des participants du groupe mirtazapine a pris 13 kg (29 livres) au cours de l'étude, et un autre en a pris 10 (22 livres). Après avoir pris huit kilos (près de 18 livres) durant le premier mois de l'étude, un troisième participant a refusé de dévoiler tout changement ultérieur dans son poids.
Lever l'aveugle
Lors des études contrôlées contre placebo, il arrive parfois que les participants tentent de lever l'aveugle sur l'étude; autrement dit, ils essaient de déterminer s'ils reçoivent le médicament actif ou le placebo. À la fin de cette étude, les chercheurs ont demandé aux participants de « deviner » quelle substance ils avaient reçue. Dans le groupe mirtazapine, 50 % ont eu la bonne réponse, comparativement à 56 % des participants du groupe placebo. Cette différence n'est pas significative sur le plan statistique.
Points à noter
Cette étude menée à San Francisco a donné quelques résultats prometteurs. Dans l'ensemble, on a constaté une association significative entre la prise de mirtazapine et la réduction de la consommation de crystal meth sur une période de 12 semaines. Des chercheurs suédois avaient obtenu un résultat semblable lors d'une étude contrôlée contre placebo sur le médicament naltrexone pour le traitement de la dépendance chez les usagers d'amphétamines. Toutefois, lors de l'étude suédoise, les participants devaient avoir cessé l'usage d'amphétamines avant de s'inscrire à l'étude.
Limitations
La mirtazapine s'est avérée quelque peu efficace lors de l'étude de San Francisco, mais les taux d'observance des participants n'étaient pas idéaux. Des études futures comportant un programme intensif de soutien à l'observance donneront peut-être de meilleurs résultats. Les chercheurs de San Francisco n'ont pas offert de soutien à l'observance parce qu'ils voulaient voir ce qui se passerait dans un contexte clinique moyen où, vraisemblablement, ce genre de soutien n'existerait pas.
Des études d'envergure sont nécessaires pour confirmer et développer les résultats obtenus à San Francisco, du moins en ce qui concerne les questions suivantes :
- La prise de mirtazapine sur de longues périodes aiderait-elle au moins certaines personnes à cesser de consommer du crystal meth?
- Serait-il possible d'améliorer les taux d'abandon du crystal meth en associant une thérapie psychologique intensive à la prise de mirtazapine? La présente étude a été conçue pour évaluer simplement les différences dans la consommation de crystal meth entre des personnes recevant de la mirtazapine et des personnes recevant un placebo. Elle n'a pas été conçue pour déterminer dans quelle mesure la mirtazapine aidait les gens à cesser définitivement l'usage de crystal meth ou pendant combien de temps elle les aidait à ne pas en consommer. Cette question devrait être explorée lors d'une étude future.
Les chercheurs n'ont pas recruté de personnes souffrant de dépression grave pour cette étude parce qu'ils voulaient éviter la possibilité que ces personnes reçoivent le placebo (rappelons que la mirtazapine est un antidépresseur). Ainsi, à l'avenir, les essais cliniques devront trouver des moyens d'évaluer l'impact de la mirtazapine (ou d'autres thérapies) chez des personnes déprimées accrochées au crystal meth.
—Sean R. Hosein
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