En général, les chercheurs constatent des différences dans les taux de problèmes de santé chez les peuples autochtones (Premières Nations, Inuits et Métis), par rapport à la population non autochtone du Canada. À titre d’exemple, notons que les Autochtones ont tendance à avoir des taux plus élevés de diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires, de cancers et de blessures. Ces différences en matière de santé sont l’héritage du colonialisme et des nombreux siècles de déplacements et de discrimination d’ordre culturel, économique, social et politique que les Autochtones ont endurés. Étant donné ce contexte, il n’est pas étonnant que les études aient révélé des taux élevés de problèmes de santé mentale et de consommation de drogues/alcool parmi les Autochtones. Par conséquent, en tant que population, les Autochtones du Canada sont touchés cruellement par des infections virales comme le VIH et l’hépatite C.
Lorsqu’une personne le prend tous les jours en suivant les prescriptions et les consignes à la lettre, le traitement du VIH (TAR) peut améliorer sa santé. Sur une période de quelques mois suivant l’amorce du TAR, la quantité de VIH dans le sang de la personne diminue jusqu’à un niveau très faible (décrit couramment comme « indétectable »), et la prise continue du TAR aide à la maintenir ainsi. Des études montrent que lorsqu'une personne a une charge virale indétectable de façon continue, elle ne peut pas transmettre le VIH à ses partenaires sexuels.
Des chercheurs affiliés au Centre de recherche collaborative CANOC ont analysé des données de santé afin d’évaluer et de comparer la réponse des participants au TAR, y compris les participants autochtones. Selon les chercheurs, en tant que groupe, les Autochtones étaient moins susceptibles d’atteindre une charge virale indétectable au cours de la première année du TAR. Cependant, une fois la suppression virale atteinte, les Autochtones avaient les mêmes chances que les autres participants de maintenir une charge virale indétectable. Selon les chercheurs, les Autochtones atteints du VIH profiteraient d’interventions visant à renforcer leur capacité de prendre le TAR.
Détails de l’étude
L’équipe de recherche, qui incluait des membres autochtones, a passé en revue les données de santé recueillies auprès de personnes séropositives entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2012. Comme c’est le cas de toutes les études CANOC, les données recueillies et analysées ne contenaient aucune information susceptible de révéler l’identité d’un participant particulier. Les analyses ont porté sur des données recueillies par des cliniques ou lors d’études par observation menées en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec auprès de 7 086 personnes, dont 497 Autochtones.
L’équipe de recherche s’est fondée sur les définitions suivantes pour analyser les données :
- suppression virologique : deux tests consécutifs de la charge virale inférieurs à 50 copies/ml, à au moins trois mois d’intervalle
- rebond virologique : deux tests consécutifs de la charge virale supérieurs à 200 copies/ml, à au moins trois mois d’intervalle, chez une personne dont la charge virale était supprimée auparavant (moins de 50 copies/ml)
Résultats : suppression virologique
Au total, 89 % (5 890) des participants ont atteint une charge virale indétectable durant la première année d’utilisation du TAR.
Voici la répartition des personnes ayant une charge virale indétectable en fonction du groupe ethnoracial :
- Autochtones : 54 %
- Blancs : 77 %
- Africains, Caribéens ou personnes d’ascendance noire : 80 %
- autres groupes ethnoraciaux : 84 %
En ce qui concerne les Autochtones par rapport aux autres groupes ethnoraciaux, les différences entre les proportions de personnes ayant atteint une charge virale indétectable étaient significatives du point de vue statistique.
Dans cette étude, après avoir tenu compte des personnes qui s’injectaient des drogues, les chercheurs ont établi que les Autochtones étaient encore à risque de ne pas atteindre une charge virale indétectable.
Résultats : rebond virologique
Sur les 5 890 participants dont la charge virale était devenue indétectable durant la première année du TAR, 1 072 (18 %) ont connu subséquemment un rebond virologique. Cependant, il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre le taux de rebond chez les Autochtones comparativement aux autres groupes.
Points à retenir
1. Les analyses effectuées par le CANOC portent seulement sur les données qui lui sont envoyées par des cliniques et des sous-études. Les données en question sont de nature quelque peu limitée. Par exemple, les chercheurs n’ont pas été en mesure de tenir compte de tous les facteurs qui auraient pu jouer dans la vie des Autochtones et influencer les conclusions tirées. À cet égard, les chercheurs ont mentionné les facteurs suivants, entre autres :
- système immunitaire gravement affaibli au moment de l’amorce du TAR
- difficulté à prendre le TAR tous les jours en suivant les consignes à la lettre
- absence de soins dispensés par un médecin ayant une grande expérience du traitement des personnes vivant avec le VIH
- faible implication des patients dans les soins et le traitement
- combinaisons particulières utilisées pour le traitement du VIH
2. Environ 80 % des Autochtones figurant dans la présente analyse CANOC vivaient en Colombie-Britannique. Par conséquent, il n’est pas clair si les conclusions de cette étude s’appliquent aux personnes autochtones vivant en Ontario et au Québec, les deux autres provinces d’où le CANOC reçoit la majorité de ses données. Depuis quelques années, le CANOC a commencé à amasser les données qu’il reçoit des cliniques de la Saskatchewan, province où les Autochtones sont particulièrement touchés par le VIH. Une analyse CANOC future qui tiendra compte des données de cette province pourrait éclairer davantage la réponse au TAR des personnes autochtones qui commencent le traitement en Saskatchewan. Notons qu’il existe aussi des populations importantes d’Autochtones en Alberta, au Manitoba et dans le Nord canadien, mais aucune clinique dans ces régions ne participe aux études CANOC en ce moment. Ainsi, pour le moment, toute analyse des résultats des soins et du traitement du VIH chez les Autochtones de ces régions devra être effectuée localement.
Vers l’avenir
La présente analyse des Autochtones inscrits dans la base de données CANOC constitue un bon point de départ vers l’explication des succès et des échecs virologiques chez cette population. Il reste toutefois beaucoup de travail à faire dans les régions habitées par des Autochtones afin que l’on puisse améliorer leur santé et réduire le nombre de nouvelles infections par le VIH.
L’équipe de recherche recommande que des interventions « culturellement appropriées » et ciblées soient mises en œuvre dans les régions canadiennes afin d’aider les Autochtones qui se font prescrire un TAR. Les interventions en question devraient inclure les suivantes :
- soutien à l’observance thérapeutique
- liaison avec les méthodes de guérison traditionnelle
- modèles de soins tenant compte des traumatismes
L’équipe de recherche aimerait aussi obtenir une « classification [plus complète] de l’ethnie selon l’identité, soit Premières Nations, Inuits ou Métis; la résidence dans les communautés et établissements des Premières Nations; et le statut de membre des Premières Nations contre le non-statut ».
Vers la cible 90-90-90
Les programmes qui offrent le dépistage du VIH, suivi d’un counseling et d’une orientation rapide vers des soins et un traitement en cas de résultat positif, vont devenir plus importants dans les années à venir. La puissance du TAR comme moyen de freiner la propagation du VIH est tellement grande que le Programme conjoint des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) a fixé des objectifs que les villes, les régions et les pays du monde devraient aspirer à atteindre d’ici 2020. Ces objectifs sont regroupés sous l’abréviation 90-90-90 :
- 90 % de toutes les personnes vivant avec le VIH connaîtront leur statut
- 90 % de toutes les personnes diagnostiquées séropositives recevront un traitement antirétroviral continu
- 90 % de toutes les personnes recevant un traitement antirétroviral bénéficieront d’une suppression virale
Si le Canada souhaite atteindre ses objectifs, il devra intensifier ses efforts au sein des communautés autochtones.
Ressources
Réseau canadien autochtone du sida (RCAS)
Résumé : Estimations de l’incidence de la prévalence, et de la proportion non diagnostiquée au VIH au Canada, 2014 (Agence de la santé publique du Canada — ASPC)
Mesurer les progrès réalisés par le Canada en ce qui concerne les cibles 90-90-90 pour le VIH (ONUSIDA)
Centre de recherche collaborative CANOC
90-90-90 : Une cible ambitieuse de traitement pour aider à mettre fin à l’épidémie du sida (ONUSIDA)
—Sean R. Hosein
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