Les relations intimes peuvent contribuer à la fois à la vulnérabilité et à la résilience par rapport à l’hépatite C et au VIH, chez les femmes qui s’injectent des drogues. Dans cet article, nous examinons ces idées et adressons des suggestions pour aider les intervenants de première ligne à soutenir les femmes qui s’injectent des drogues.
Remarque : Le point de mire de cet article porte sur les femmes cisgenres (non transgenres) qui ont une relation hétérosexuelle, car le corpus de littérature utilisé concerne des femmes cisgenres ayant une relation avec des hommes cisgenres. Toutefois, plusieurs points de la discussion peuvent être applicables à des femmes transgenres qui ont une relation avec des hommes cisgenres.
Données canadiennes sur la vulnérabilité à l’hépatite C et au VIH parmi les femmes qui s’injectent des drogues
L’hépatite C et le VIH sont prévalents parmi les femmes qui s’injectent des drogues au Canada. D’après les plus récentes données de l’étude I-Track1 qui porte sur les personnes s’injectant des drogues au Canada :
- 68,1 % des femmes s’injectant des drogues ont ou ont déjà eu l’hépatite C;
- 10,4 % des femmes s’injectant des drogues vivent avec le VIH; et
- 9,5 % des femmes s’injectant des drogues vivent avec le VIH et ont l’hépatite C ou l’ont déjà eue.
Les femmes participant à l’étude I-Track étaient plus susceptibles que les participants de sexe masculin de déclarer que leur partenaire sexuel régulier était la personne avec laquelle elles s’étaient injecté des drogues le plus souvent, au cours des six mois précédents (44 % et 25 % respectivement).
Les participantes à cette même étude étaient aussi plus susceptibles que les participants de sexe masculin de s’être injecté des drogues au moyen d’une seringue et/ou d’une aiguille usagée, au cours du mois précédent (20 % et 14 % respectivement).
Comment se crée la vulnérabilité à l’hépatite C et au VIH, dans une relation intime?
Les relations intimes et les personnes qui s’injectent des drogues
Les personnes qui s’injectent des drogues sont souvent décrites de façon stéréotypée comment étant incapables de développer des relations amoureuses et intimes.2 Plusieurs de ces personnes considèrent toutefois leurs partenariats intimes comme étant des espaces où elles se sentent en sécurité et acceptées, et où elles vivent de façon stable.2,3,4 Certaines de ces relations peuvent être marquées par la maltraitance, comme toute autre relation intime, mais ceci n’est pas une dynamique fondamentale des relations intimes entre personnes qui s’injectent des drogues.
Développer l’intimité et la confiance dans le contexte de la consommation de drogues
Des relations hétérosexuelles intimes entre deux partenaires qui s’injectent des drogues peuvent donner lieu à une vulnérabilité à l’hépatite C et au VIH, chez les femmes, mais elles peuvent également conduire au développement d’une résilience lorsque les deux partenaires vivent dans la bienveillance, la confiance et le soutien mutuel.2
Dans le contexte de relations intimes, la consommation de drogues avec son partenaire peut avoir d’importantes significations émotionnelles. Par exemple, le partage de seringues et d’autres types de matériel d’injection entre les deux partenaires, peut contribuer à créer de l’intimité, une connexion émotionnelle, la confiance et l’engagement.5 Plusieurs couples ont des rituels quant aux rôles de chaque partenaire dans l’acquisition, la préparation et l’utilisation des drogues. Ces rituels peuvent être une façon pour le couple de bâtir et de maintenir sa relation.2
Chez certaines femmes qui ne s’injectent pas de drogues mais dont le partenaire s’en injecte, le désir d’intimité peut conduire à l’injection de drogues avec lui.2 Ceci peut procurer un sentiment de plus grande proximité, mais peut conduire également à partager des seringues et à se préoccuper moins des risques pour la santé, comme le VIH.5
Le refus de partager des drogues et du matériel d’injection peut avoir un impact négatif sur le développement de l’intimité. Par exemple, le fait de ne pas vouloir partager de matériel d’injection peut être considéré comme une trahison et un signe de méfiance.2
Comme dans plusieurs relations hétérosexuelles,6 l’utilisation de condoms dans les relations intimes entre un homme et une femme qui s’injectent des drogues est généralement faible.5 Les couples hétérosexuels qui s’injectent des drogues choisissent souvent de ne pas utiliser de condom en raison des sentiments d’amour, de confiance et d’engagement qu’ils entretiennent. Si les partenaires présument que leur relation est monogame alors que l’un d’entre eux ou les deux ont des relations sexuelles hors couple, ceci peut rendre les partenaires plus vulnérables au VIH et à d’autres ITS.5
S’injecter les drogues ensemble pour se protéger mutuellement
Les couples qui s’injectent des drogues ensemble peuvent essayer de s’entraider de plusieurs façons pour réduire certains des méfaits associés à l’injection. Certains choisissent de toujours s’injecter ensemble afin d’éviter les risques associés à l’injection avec d’autres personnes, parmi lesquelles certaines s’adonnent couramment au partage de matériel d’injection.2
Par ailleurs, certaines femmes qui ne savent pas comment se faire leurs propres injections peuvent se sentir en plus grande sécurité si leur partenaire, plutôt qu’une autre personne, leur fait leurs injections et veille à ce que celles-ci soient moins dommageables.5
Bien que certaines de ces stratégies puissent offrir un certain degré de protection, elles peuvent également accroître les risques dans certaines circonstances. Par exemple, si un partenaire vit avec le VIH ou l’hépatite C et ne le sait pas, il y a un risque de transmission d’infection(s) à l’autre.
Le contrôle de la consommation de drogues et de l’utilisation de condoms
La violence entre partenaires, dans une relation intime, est définie comme l’utilisation d’une forme de coercition psychologique, physique et/ou sexuelle par un partenaire afin d’exercer du pouvoir et un contrôle sur l’autre.7 Dans le cas où les deux partenaires hétérosexuels s’injectent des drogues, une relation à sens unique peut devenir violente si l’accès aux drogues et au matériel d’injection est contrôlé par le partenaire masculin.5 Dans une telle relation, une femme peut n’avoir qu’un contrôle limité sur l’obtention, la préparation et l’injection des drogues, et sur la façon de partager celles-ci ainsi que le matériel.5 Les femmes, étant moins susceptibles que les hommes de recourir à des services de réduction des méfaits,8 ont moins de chances d’avoir un accès direct à du matériel d’injection stérile et à du soutien en réduction des méfaits qui pourrait les habiliter à devenir plus autonomes dans leur consommation de drogues.
Pour de nombreuses femmes, la première injection de drogue a lieu avec un partenaire qui leur donne l’injection.5 Si une femme n’apprend pas à se faire elle-même ses injections, elle dépendra d’autres personnes. Les femmes dans cette situation courent le risque de se faire injecter des drogues au moyen d’une seringue qui a déjà été utilisée (une situation que l’on appelle parfois « être la deuxième à utiliser la seringue »),5 ce qui présente un potentiel de transmission de l’hépatite C et du VIH. Lorsqu’une femme a des symptômes de sevrage et a besoin de quelqu’un qui l’aide pour l’injection, il peut lui être particulièrement difficile de demander à la personne d’utiliser du matériel d’injection neuf.
D’autres formes de contrôle et de violence peuvent avoir cours dans les relations intimes entre personnes hétérosexuelles qui s’injectent des drogues. Par exemple, un partenaire masculin préparant pour sa partenaire une dose plus petite que la sienne, la privant de drogues afin qu’elle ait des symptômes de sevrage, ou tentant de la rendre plus dépendante des drogues afin d’exercer un plus grand contrôle sur elle.9
Une relation peut devenir empreinte de violence avec le temps même si elle n’a pas commencé ainsi. Par exemple, certaines femmes déclarent que leur relation avec leur partenaire avait commencé comme un partenariat conventionnel, puis que leur partenaire en est venu à contrôler plusieurs aspects de leur vie. Ceci inclut l’action de limiter l’accès à des condoms pour le travail du sexe ainsi que l’accès aux drogues et à du matériel d’injection. En conséquence, la capacité des femmes d’exercer un contrôle pour avoir des relations sexuelles plus sécuritaires et adopter des pratiques d’injection en ce sens est devenue restreinte.10
La violence
La violence ou la menace de violence est un facteur qui contribue grandement à la vulnérabilité, parmi les femmes qui s’injectent des drogues.11,12 Il arrive souvent que cette violence soit exacerbée pour les femmes vivant dans la rue ou proche de ce milieu, ou aux prises avec d’autres formes de discrimination, comme celles qui sont autochtones, transgenres, racialisées, handicapées et/ou qui exercent le travail du sexe.10,13
Dans le cas de femmes qui vivent dans la pauvreté et qui sont sans abri, cette violence peut-être fréquente au point d’être banalisée,14 parfois à un tel point qu’elle n’est plus perçue comme étant de la violence.9 À certains endroits, la culture de la rue engendre et perpétue la violence en dénigrant les femmes et en limitant les rôles qu’elles peuvent adopter afin d’être respectées et de trouver des ressources.13 Le phénomène peut inclure le vol, la violence physique, le viol, la menace de leur faire perdre la garde de leur enfant par l’intervention des services de protection de la jeunesse ou par l’arrestation. Survivre à ces menaces fait concurrence à la prévention du VIH et de l’hépatite C, et peut l’emporter sur ces préoccupations.13
Parmi les femmes qui consomment ou s’injectent des drogues, la prévalence de violence entre partenaires intimes (VPI) est entre trois et cinq fois plus élevée que parmi celles qui n’en consomment pas.5 Certaines théories tentent d’expliquer pourquoi la VPI est plus répandue chez les femmes qui consomment des drogues. Certaines drogues, comme le crack, la cocaïne, les amphétamines et les benzodiazépines, sont associées à une augmentation des comportements violents et agressifs, bien qu’il y ait encore un débat à savoir si la consommation de drogue cause la violence ou si l’une et l’autre sont plutôt réunies par d’autres facteurs.15 Une autre explication possible : dans une société où les drogues sont criminalisées, leur consommation engendre un climat de stress qui est propice à la violence si les personnes qui consomment des drogues sont désespérées de s’en procurer, ont peur d’être arrêtées par la police et manquent de moyens légaux pour résoudre des disputes concernant les drogues.9,15 Par ailleurs, il a été avancé que les femmes qui font usage de certaines drogues comme le crack sont considérées comme étant de statut social inférieur et certains partenaires pensent qu’elles méritent la violence.16
Dans des relations intimes empreintes de violence, les femmes qui s’injectent des drogues peuvent se voir menacer si elles refusent de partager des seringues ou d’avoir des relations sexuelles sans condom. Le fait d’avoir déjà vécu de la violence de la part d’un partenaire intime peut également rendre plus difficile le fait de demander l’utilisation d’un condom ou de refuser de partager du matériel d’injection de drogues, par crainte de s’exposer encore à la violence.5
Parmi les femmes qui consomment des drogues, la prévalence de troubles de santé mentale est élevée, en particulier le trouble de stress post-traumatique (TSPT) qui est souvent relié à des expériences de violence physique ou sexuelle. Certaines peuvent recourir à des drogues précisément dans le but de composer avec les symptômes difficiles du TSPT.17 Plusieurs femmes qui consomment des drogues pourraient être aux prises avec de la violence de sources multiples, ce qui se répercute sur leur santé, leur bien-être ainsi que leur capacité de prendre des précautions dans leur consommation de drogues et leurs relations sexuelles.
Que peuvent faire les intervenants qui travaillent auprès de femmes s’injectant des drogues?
Les intervenants auprès de femmes qui s’injectent des drogues ont un rôle important pour les aider à apprendre des stratégies efficaces de réduction des méfaits, comme l’utilisation de matériel d’injection neuf et de condoms, de même que le recours à la prophylaxie pré-exposition (PrEP). Ils peuvent également aider ces femmes à obtenir un dépistage pour le VIH et l’hépatite C, et/ou arrimer aux soins et traitements celles qui vivent avec le VIH et/ou l’hépatite C.
Les intervenants peuvent également offrir du counseling sur la prévention du VIH et de l’hépatite C, ou mettre les femmes en contact avec d’autres services qui pourraient les aider à répondre à leur vulnérabilité au VIH et à l’hépatite C ainsi qu’à d’autres enjeux sous-jacents et pertinents à la consommation de drogues, comme les traumatismes, les expériences de violence dans le passé, les troubles de santé mentale, la perte de la garde de leurs enfants ou la consommation d’alcool. Ils peuvent les aider à avoir accès à des services et ressources qui contribueront à améliorer leur santé générale (par exemple, soutien du revenu, logement, accès à des services d’alimentation ou de santé).
Améliorer l’accès des femmes aux services de réduction des méfaits
Les programmes peuvent prendre des mesures pour faire en sorte que leurs services soient plus faciles d’accès pour les femmes qui consomment des drogues. Voici quelques actions possibles :
- Établir certaines heures réservées aux femmes (incluant les femmes transgenres) dans les programmes offrant des services à des femmes qui s’injectent des drogues
- Élaborer un protocole de repérage de VPI pour votre organisme
- Adopter des horaires qui conviennent aux femmes; par exemple, les femmes qui pratiquent le travail du sexe ont besoin de services en soirée
- Embaucher des employées cisgenres et transgenres18
- Offrir des services mobiles de réduction des méfaits qui joignent les femmes de la rue là où elles sont18
- Offrir des services de gardiennage d’enfants sur les lieux pour les femmes qui utilisent des services18
- Reconnaître que des mères qui consomment des drogues peuvent éviter de recourir à des services parce qu’elles craignent qu’on alerte les services de protection de la jeunesse; par ailleurs, s’informer sur les circonstances où l’on doit faire appel à ces services, si une mère consomme des drogues
- Développer, en collaboration avec des mères qui consomment des drogues, des politiques concernant l’interaction avec une femme avant, pendant et après le moment où l’on fait appel aux services de protection de la jeunesse
- Créer des occasions permettant aux femmes qui consomment des drogues de se rencontrer, de partager leurs expériences et de militer pour des changements
- Offrir périodiquement le dépistage pour l’hépatite C et le VIH aux femmes et aux couples qui consomment des drogues ensemble
- Développer des partenariats avec des refuges et avec des services en matière de VPI et de violence sexuelle, pour soutenir les femmes violentées16
- Développer des partenariats avec d’autres programmes et services afin de mettre les femmes qui s’injectent des drogues en contact avec divers services, notamment en santé sexuelle et génésique, en matière d’emploi, de logement et de soutien du revenu, de même que des programmes de seringues et d’aiguilles16
- Offrir des services antiracistes, culturellement compétents, non stigmatisants et respectueux de toutes les femmes, y compris celles qui sont autochtones, racialisées et qui ont des enfants
- Créer des espaces sécuritaires pour les travailleuses du sexe, offrir des condoms, créer et actualiser une liste de mauvais clients18
- Assister les femmes qui désirent avoir accès à un traitement de substitution aux opiacés et à la PrEP19
- Offrir aux couples la possibilité de se faire dépister pour le VIH et l’hépatite C et de recevoir le counseling ensemble
Pour plus d’information sur le dépistage du VIH et le counseling en couple, consultez :
Dépistage du VIH et counseling en couple
Points de vue des premières lignes : Dépistage du VIH et counseling en couple
Remerciements : Nos remerciements tout particuliers à Sheryl Jarvis et à Kate Kenny pour leurs commentaires et suggestions inestimables concernant une version provisoire de cet article.
Références
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À propos de l’auteur
Scott Anderson fait partie de l’équipe de CATIE à titre de recherchiste/rédacteur sur l’hépatite C. Il travaillait auparavant comme coordonnateur de recherche au Centre de toxicomanie et de santé mentale de Toronto, où il a mené des études sur l’accès aux soins de santé pour les groupes marginalisés.