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CATIE
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Ces dernières années, plusieurs flambées de syphilis ont été observées parmi les femmes et les hommes hétérosexuels, ce qui a contribué à l’augmentation des cas de syphilis congénitale. De nombreux cas de syphilis congénitale surviennent chez les bébés nés de femmes n’ayant pas d’accès suffisant à des soins prénataux adéquats, ce qui inclut le dépistage de la syphilis (et le traitement, le cas échéant). CATIE a demandé à deux prestataires de services d’expliquer en quoi leurs programmes permettent aux femmes de bénéficier de soins prénataux et de favoriser la prévention, le dépistage et le traitement de la syphilis.

  • Catherine Astin est infirmière à Sheway. Sheway est un programme de halte-accueil destiné aux femmes enceintes ou aux mères de jeunes enfants aux prises avec des problèmes d’utilisation de substances, qui résident à Vancouver, en Colombie-Britannique. Sheway offre des soins complets dans un cadre bienveillant où les traumatismes sont pris en compte, ainsi que des services de santé et de soutien social aux femmes et aux enfants bénéficiaires du programme.
  • Kelti Gore est travailleuse sociale et supervise le programme pour femmes enceintes H.E.R. et l’équipe multidisciplinaire de lutte contre les infections transmissibles sexuellement (ITS) des Boyle Street Community Services d’Edmonton, en Alberta. Le programme H.E.R. propose des soins de santé et des services sociaux aux femmes de la rue.

Pour en savoir plus, lisez l’article suivant : Lutter contre l’augmentation des cas de syphilis congénitale : comment les prestataires de services peuvent soutenir la prévention, le dépistage et le traitement

Catherine Astin, infirmière, Sheway

Quels sont les obstacles qui empêchent les personnes auprès desquelles vous intervenez d’accéder aux soins de santé en général et aux soins liés à la grossesse en particulier?

Les femmes qui ont recours au programme Sheway sont vulnérables et marginalisées et sont victimes de stigmatisation. La situation d’urgence sanitaire liée aux intoxications et aux surdoses dus au fentanyl en Colombie-Britannique au cours des six dernières années a eu pour effet de marginaliser encore davantage les femmes. La majorité des femmes enceintes que nous recevons vivent dans des logements insalubres ou sont sans abri. Elles vivent souvent dans la rue ou dans ce qu’on appelle les villages de tentes. Pour survivre à l’extrême pauvreté, elles ont souvent recours à la prostitution* ou sont victimes de bandes criminelles ou de proxénètes qui les exploitent à des fins lucratives. Environ 70 % des femmes prises en charge par Sheway s’identifient comme Autochtones. Nombre d’entre elles souffrent d’un syndrome de stress post-traumatique ou d’autres problèmes de santé mentale et ont subi des traumatismes, des deuils et des pertes depuis leur plus jeune âge. L’utilisation de substances est considérée par beaucoup comme un moyen de soulager leur douleur et d’y faire face.

En tant qu’infirmière intervenant auprès de cette population vulnérable, je constate que nos clientes se heurtent à de nombreux obstacles en matière de soins de santé et de grossesse :

  • Les femmes peuvent avoir eu de mauvaises expériences au sein du système de santé dans le passé parce qu’elles ont été jugées et traitées de manière irrespectueuse lorsqu’elles ont cherché à obtenir des soins de santé.
  • Les établissements de soins de santé négligent la démarche de soins tenant compte des traumatismes.
  • De nombreux établissements ne proposent que des services sur rendez-vous; très peu de centres situés en dehors du Downtown Eastside disposent de services de halte-accueil, généralement mieux adaptés aux besoins de cette population.
  • Dans la plupart des cliniques de soins primaires, les listes d’attente sont longues, même dans le Downtown Eastside.
  • Il existe peu de services centrés sur les femmes qui puissent leur donner le sentiment que l’accès aux soins est plus sécuritaire.
  • De nombreuses femmes ont grandi dans des familles d’accueil et se méfient fortement des systèmes en place. Elles craignent à juste titre que leur bébé leur soit retiré si elles ont recours à des soins de santé pendant leur grossesse.
  • La pauvreté oblige les femmes à faire des choix de vie qui ne permettent pas toujours de faire des soins de santé une question prioritaire ou même envisageable. Elles n’ont pas accès à un téléphone et sont parfois difficiles à localiser.
  • L’itinérance accroît les risques de détérioration de l’état de santé et fait qu’il est difficile pour les femmes d’accéder aux services, de manger sainement et de se présenter aux rendez-vous et aux services de soins de santé.
  • Elles ne sont pas toujours en mesure de se déplacer vers les centres de services de santé.
  • Les membres de leur famille ou leurs conjoint·e·s ne sont pas toujours disposé·e·s à les aider à recourir aux soins de santé et à les accompagner aux consultations médicales.
  • Il arrive aussi qu’elles n’aient pas de pièces d’identité.
  • Elles ne bénéficient pas toujours d’une protection d’assurance maladie si elles viennent d’une autre province ou d’un autre pays.
  • Un·e conjoint·e dominateur·trice et violent·e peut restreindre la capacité d’une femme à recourir à des soins de santé.

* CATIE privilégie habituellement l’expression « travail du sexe », mais Catherine Astin emploie le terme de « prostitution » pour décrire l’expérience des clientes de Sheway.

Dans le cadre de votre travail, comment contribuez-vous à faciliter la prévention, le dépistage et le traitement de la syphilis chez les femmes?

Sheway est dirigé par une équipe interdisciplinaire. Nous améliorons l’accès à la prévention, au dépistage et au traitement de la syphilis par les moyens suivants :

  • Nous établissons une relation thérapeutique de confiance avec les femmes, ce qui facilite l’accès aux soins.
  • Nous déterminons le meilleur moyen de contacter les femmes, par exemple par téléphone ou par courriel, ou nous nous renseignons sur les lieux qu’elles fréquentent.
  • Nous facilitons l’accès aux moyens de contraception, ce qui permet de prévenir les grossesses non désirées (et de prévenir une éventuelle transmission verticale de la syphilis) chez les femmes vulnérables et marginalisées. Nous leur proposons également toutes les options en matière de grossesse, y compris l’avortement.
  • Nous administrons une clinique médicale sans rendez-vous où sont dispensés des tests, des traitements, un suivi et des conseils en matière de syphilis et d’autres ITS.
  • Nous effectuons des analyses de sang pour le dépistage systématique de la syphilis lorsque les femmes se présentent à la clinique.
  • Lorsqu’elles ne sont pas en mesure de venir à la clinique, nous leur proposons des services de dépistage et de traitement de la syphilis où qu’elles se trouvent. Des intervenant·e·s qui ne sont pas des professionnel·le·s de la santé vont également à la rencontre des femmes et les conduisent à Sheway en vue d’un dépistage et d’un traitement.
  • Nous apportons un soutien aux femmes qui reçoivent un diagnostic de syphilis, une expérience qui peut être effrayante et bouleversante.
  • Nous autorisons les conjoint·e·s à se présenter à la clinique avec les femmes qui ont reçu un diagnostic de syphilis, afin qu’ils ou elles puissent passer un test de dépistage et être traité·e·s en même temps.
  • Nous procédons à la recherche des contacts avec tact, de manière à ce que la femme concernée ne s’expose pas à d’autres risques. Par exemple, si elle a subi des violences de la part de son ou sa conjoint·e et qu’elle ne se sent pas en sécurité, Sheway pourra demander au Centre de contrôle des maladies de la Colombie-Britannique de contacter le/la conjoint·e pour qu’il ou elle passe un test de dépistage et soit traité·e.
  • Nous assurons le suivi des bébés qui peuvent avoir été exposés à la syphilis in utero afin qu’ils reçoivent les soins appropriés. Si l’enfant a été placé·e, nous veillons à ce que le/la travailleur·euse social·e ou la famille d’accueil soient informé·e·s de la nécessité d’effectuer des analyses de sang ou un suivi médical et sachent où ils/elles peuvent obtenir ces services.
  • Nous assurons la liaison avec d’autres services de santé afin de garantir la continuité des soins et la poursuite du traitement. Par exemple, si la bénéficiaire est hospitalisée pendant qu’elle est traitée contre la syphilis, l’hôpital en sera informé afin que le traitement soit poursuivi et mené à son terme.

Quelles approches se sont avérées efficaces pour ce qui est d’aider les femmes à recourir aux soins prénataux? Quels conseils donneriez-vous à d’autres prestataires de services qui œuvrent auprès de femmes enceintes ayant des difficultés à accéder aux soins prénataux?

Sheway est dirigé par une équipe interdisciplinaire dont tous les membres contribuent à inviter les femmes à recourir aux soins prénataux, sans porter de jugement. Il est difficile pour les femmes pauvres, qui ne mangent pas à leur faim et qui n’ont pas de logement d’accéder aux soins de santé. La prise en charge des déterminants sociaux de la santé permet aux femmes de disposer du temps et de l’espace nécessaires pour répondre à leurs besoins en matière de soins de santé.

Les membres de l’équipe Sheway assurent les services suivants :

  • Nous prodiguons des soins centrés sur les femmes et tenant compte des traumatismes.
  • Ces soins partent du principe que la santé des femmes et de leurs enfants est liée à leurs conditions de vie et à leur capacité d’influer sur ces conditions.
  • Nous tissons des liens en allant à la rencontre des femmes là où elles se trouvent.
  • Nous tendons toujours la main aux femmes de manière discrète, en sachant quand nous devons nous retirer et quand nous devons apporter notre soutien.
  • Nous fournissons des soins sans porter de jugement sur l’utilisation de substances, le mode de vie et d’autres aspects de la vie des femmes.
  • Les femmes peuvent contacter la clinique ou les travailleur·euse·s de Sheway par téléphone ou par texto et recevoir une réponse rapide.
  • Les soins sont dispensés selon le mode de la halte-accueil, c’est-à-dire sans rendez-vous.
  • Une prise en charge globale est assurée dans l’espace d’accueil; les femmes reçoivent une aide en matière d’orientation vers les services de logement, de demandes d’aide sociale, de demandes de prestations d’invalidité, d’obtention d’une pièce d’identité, etc.
  • Les femmes bénéficient d’un programme de nutrition, reçoivent un repas quotidien à midi et peuvent être accompagnées de la personne de leur choix, par exemple de tous leurs enfants. Nous fournissons des sacs de provisions hebdomadaires contenant des œufs, du lait, du fromage et des vitamines prénatales.
  • Dans le cadre des interventions de proximité, le personnel apporte de la nourriture, notamment des en-cas et des friandises, afin de susciter l’intérêt des femmes. Nous comprenons que les interactions peuvent être limitées tant qu’une relation de confiance n’a pas été établie. Cela peut demander du temps et de la patience.
  • Les femmes peuvent accéder aux services sans recommandation. Les femmes n’ont pas besoin d’être orientées par un autre organisme; elles peuvent se présenter à Sheway et demander des services.
  • Nous assurons le transport et l’accompagnement aux consultations médicales et à l’hôpital.
  • Nous témoignons aux femmes de la gentillesse et du respect.

Kelti Gore, travailleuse sociale et responsable du programme pour femmes enceintes H.E.R. et de l’équipe mobile de lutte contre les ITS des Boyle Street Community Services

Quels sont les obstacles qui empêchent les personnes auprès desquelles vous intervenez d’accéder aux soins de santé en général et aux soins liés à la grossesse en particulier?

Les soins de santé en général sont difficiles d’accès en raison de problèmes tels que le racisme, le classisme et le sexisme. Dans le cas des personnes qui utilisent des drogues, ces problèmes sont accentués par la crainte de subir une discrimination de la part des prestataires de services. Lorsqu’une personne déclare qu’elle consomme des drogues, les prestataires de services (en particulier dans le domaine de la santé) imputent le plus souvent les problèmes de santé mentale à l’utilisation de substances psychoactives. L’utilisation de substances est l’un des rares problèmes de santé en raison desquels les personnes peuvent se voir retirer leurs enfants si elles en informent les prestataires de soins de santé.

En ce qui concerne les soins liés à la grossesse, les personnes ont peur de révéler qu’elles sont sans logement ou qu’elles utilisent des substances, car elles craignent de ne pas obtenir de l’information exacte et un traitement équitable de la part des prestataires de services. Les déterminants de la santé tels que le racisme et les antécédents d’incarcération rendent l’accès aux soins prénataux difficile. En outre, le climat actuel d’inflation croissante contribue à l’itinérance en raison de l’augmentation des prix des produits de première nécessité tels que le loyer, la nourriture et le transport en commun.

Dans le cadre de votre travail, comment contribuez-vous à faciliter la prévention, le dépistage et le traitement de la syphilis chez les femmes?

Pour favoriser la prévention, le dépistage et le traitement de la syphilis, nous mettons les clientes en rapport avec des médecins et des infirmier·ère·s praticien·ne·s le plus tôt possible durant la période prénatale. Nous disposons également d’une équipe d’intervention de proximité de lutte contre les ITS composée d’une infirmière diplômée et d’une travailleuse de proximité ayant une expérience concrète des problèmes. Les travailleuses de proximité de l’équipe H.E.R. sont toutes des femmes autochtones ayant une expérience directe de l’utilisation de substances. Elles connaissent bien la population à laquelle nous nous adressons, ce qui nous permet d’établir des relations de confiance avec ces personnes et de les aider à accéder à un dépistage et à un traitement des ITS fiables et sûrs, en toute confiance. Nous offrons également des ordonnances de dépistage et de traitement des ITS dans nos locaux. Les femmes ayant obtenu un résultat positif au test de dépistage de la syphilis alors qu’elles sont enceintes de plus de 20 semaines sont trop avancées pour recevoir un traitement dans notre clinique. En pareil cas, nous les orientons vers l’hôpital Royal Alexandra, au centre-ville, avec lequel nous collaborons. Les clientes reçoivent un traitement contre la syphilis dans la salle de soins de l’hôpital réservée à la prise en charge des complications liées à la grossesse. En ce qui concerne les services de prévention des ITS et des grossesses non désirées, nous proposons des préservatifs, de l’information et un accès aux moyens de contraception ainsi qu’au contraceptif oral d’urgence (« pilule du lendemain »).

Quelles approches se sont avérées efficaces pour ce qui est d’aider les femmes à recourir aux soins prénataux? Quels conseils donneriez-vous à d’autres prestataires de services qui œuvrent auprès de femmes enceintes ayant des difficultés à accéder aux soins prénataux?

Il est très utile de pouvoir compter sur des agent·e·s de proximité ayant une expérience concrète des problèmes pour s’adresser aux clientes. Lorsque nous devons orienter des patientes vers d’autres services, les infirmier·ère·s praticien·ne·s et les médecins exerçant dans des cabinets auxquels nous faisons confiance facilitent la transition entre les services. Nous rencontrons les clientes là où elles se trouvent. Parfois, les bénéficiaires se concentrent sur des besoins fondamentaux tels que se nourrir ou se présenter à leur rendez-vous. Nous leur facilitons donc la vie en leur offrant des collations ou en les conduisant à leur rendez-vous. Répondre aux besoins immédiats des clientes (tels qu’ils sont formulés par elles) au lieu de traiter tous les sujets dont on voudrait s’occuper est un moyen d’instaurer un climat de confiance qui incitera les clientes à se présenter à nouveau. Par exemple, si une cliente se présente simplement en quête de nourriture, vous pouvez lui fournir ce dont elle a besoin, et elle reviendra très probablement parce qu’elle s’est sentie écoutée et soutenue. La collaboration d’infirmières habillées en tenue civile, qui sont accessibles, qui n’emploient pas de jargon et qui sont capables d’expliquer les choses dans un langage simple joue également en notre faveur.

Ressources connexes

Programme pour femmes enceintes H.E.R. – étude de cas