La prophylaxie pré-exposition (PrEP) est une méthode très efficace de prévention de l’infection par le VIH chez les personnes de tous genres. Malgré son efficacité avérée, la PrEP est très peu utilisée au Canada par les femmes, qu’elles soient cisgenres (cis) ou transgenres (trans)*. Si toutes les femmes ne sont pas à risque, celles qui sont très vulnérables à l’infection par le VIH gagneraient à recourir à cette méthode de prévention. Le faible taux d’utilisation de la PrEP chez les femmes fait ressortir le besoin urgent de mieux la faire connaître aux femmes susceptibles de contracter le VIH, d’éliminer les obstacles à l’accès à la PrEP et d’adapter les programmes de prévention de manière à mieux répondre aux besoins variés de toutes les femmes, et d’assurer un accès équitable à la PrEP.
* Remarque sur les termes relatifs au genre : Les femmes trans sont des personnes qui ont reçu le sexe masculin à la naissance et dont l’identité de genre ou l’expression de genre est féminine. Les femmes cis sont des personnes qui ont reçu le sexe féminin à la naissance et qui s’identifient comme femmes. Les études et les statistiques de santé publique ne précisent pas toujours si elles concernent ou non les femmes trans. Dans le présent article, nous reprenons les termes employés dans les documents sources. Lorsque le mot « femmes » est employé, nous présumons que la majorité d’entre elles sont des femmes cisgenres.
La PrEP est une méthode très efficace de prévention de la transmission du VIH chez les femmes
Lorsqu’elle est prise de manière systématique conformément aux indications, la PrEP est une méthode très efficace de prévention de la transmission du VIH, que ce soit par voie sexuelle ou par l’utilisation de drogues injectables1. Deux formes de PrEP ont fait l’objet d’études auprès de femmes cis : un comprimé à prise quotidienne et une injection à longue durée d’action. Plusieurs études ont permis d’établir que la PrEP orale quotidienne à base de fumarate de ténofovir disoproxil et d’emtricitabine (TDF + FTC), également connue sous la marque Truvada, est un moyen efficace de prévenir la transmission du VIH chez les femmes cis qui observent scrupuleusement le traitement2. Même si certaines des premières études n’ont pas permis d’établir que la PrEP était efficace chez les femmes, des analyses ultérieures ont montré que ces résultats étaient imputables à une faible observance, et que la PrEP orale était tout aussi efficace chez les femmes cis que chez les hommes cis lorsqu’elle était prise quotidiennement2-4. Plus récemment, la PrEP injectable à base de cabotégravir (également connue sous le nom commercial Apretude) s’est également avérée très efficace dans la prévention de la transmission du VIH chez les femmes cis5.
Les données attestant l’efficacité de la PrEP chez les femmes trans proviennent essentiellement de grandes études menées auprès d’hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (hommes gbHARSAH), qui portaient également sur des femmes trans6-8. Dans le cadre de ces études, la PrEP quotidienne à l’aide de l’association TDF + FTC (c.-à-d. Truvada) s’est avérée très efficace pour ce qui était de prévenir la transmission du VIH, lorsqu’elle a été prise de la manière prescrite6. En outre, d’autres formes de PrEP, notamment la PrEP quotidienne à base de ténofovir alafénamide et d’emtricitabine (TAF + FTC) (Descovy)7 et la PrEP injectable à base de cabotégravir (Apretude)8, se sont également avérées efficaces dans le cadre d’études menées auprès d’hommes gbHARSAH et de femmes trans.
Y a-t-il un besoin en matière de PrEP chez les femmes au Canada?
Les femmes représentent une grande proportion des nouveaux cas d’infection par le VIH au Canada et gagneraient donc à recourir à la PrEP à titre de stratégie de prévention de cette maladie. Selon les estimations pancanadiennes, les femmes représentent une proportion croissante des nouveaux cas d’infection par le VIH, soit près d’un tiers des nouvelles infections en 20209. Les femmes trans ne sont pas représentées dans les estimations nationales des cas ou des diagnostics d’infection. Toutefois, d’autres études font état de taux d’infection à VIH disproportionnés chez les femmes trans au Canada10.
Le recours croissant à la PrEP chez les femmes présentant un risque élevé d’infection par le VIH pourrait contribuer à réduire le nombre de nouvelles infections chez les femmes en général. Certains groupes de femmes présentent des taux d’infection à VIH disproportionnés, notamment les femmes trans, les femmes noires, les femmes autochtones et les femmes qui utilisent des drogues11,12. Cette inégalité est due à des facteurs structurels tels que la transphobie, le racisme, le colonialisme et la criminalisation de la consommation de drogues, qui entraînent la stigmatisation, la discrimination, la violence, la précarité du logement, le chômage, un accès inéquitable aux soins de santé et bien d’autres problèmes13. Les initiatives visant à accroître le recours à la PrEP chez les femmes seraient peut-être plus efficaces auprès de celles qui sont les plus vulnérables si elles prennent en compte les facteurs systémiques en plus des facteurs de risque individuels.
Que savons-nous de la connaissance et de l’utilisation de la PrEP chez les femmes?
Des études ont permis de constater que la connaissance de la PrEP est assez faible chez les femmes13–15. Un sondage réalisé auprès de 175 femmes (cis et trans) en Ontario a révélé que 51 % d’entre elles connaissaient la PrEP, alors que la moitié des femmes qui composaient cet échantillon étaient considérées comme présentant un risque élevé d’infection par le VIH. La plupart des femmes interrogées (71 %) estimaient qu’elles couraient un risque faible ou très faible de contracter le VIH, et la plupart (93 %) ne s’étaient jamais vu proposer de PrEP15. Il ressort de certaines études que la connaissance de la PrEP est plus répandue chez les femmes trans que chez les femmes cis16,17. Malgré ce faible niveau de connaissance, les résultats de certaines études indiquent que de nombreuses femmes sont disposées à prendre une PrEP si on les renseigne à ce sujet13,14.
Bien que la PrEP soit très efficace et qu’elle soit nécessaire pour les femmes présentant un risque élevé d’infection par le VIH, très peu de femmes y ont recours. En 2022, seulement 2 % des personnes ayant eu recours à la PrEP au Canada étaient des femmes, selon les données fournies par les pharmacies de quartier de neuf provinces18. Cette analyse ne contenait pas de données sur les personnes trans, mais nous savons d’après d’autres sources que le recours à la PrEP est aussi peu répandu chez les femmes trans17. Un sondage pancanadien, intitulé Trans PULSE Canada, a été mené en 2019 auprès de 485 femmes trans séronégatives ou ne connaissant pas leur état sérologique quant au VIH17, dont 5 seulement avaient déjà utilisé la PrEP et 2 seulement étaient en train de l’utiliser.
Quels sont les facteurs qui entravent ou facilitent le recours à la PrEP chez les femmes?
Pour renforcer l’utilisation de la PrEP chez les femmes, il est important de comprendre les obstacles particuliers signalés par les femmes et les facteurs pouvant faciliter l’accès à la PrEP. Voici les obstacles au recours à la PrEP couramment signalés par les femmes13,14,16,19.20 :
- Ignorance de l’existence de la PrEP
- Impression de faible risque d’infection par le VIH, y compris chez les femmes qui déclarent avoir des comportements révélateurs d’un risque d’infection par le VIH par voie sexuelle ou du fait de l’usage de drogues
- Inquiétudes concernant l’innocuité et les effets secondaires de la PrEP
- Inquiétudes concernant les interactions médicamenteuses, notamment avec des drogues illicites ou des médicaments délivrés sur ordonnance
- Stigmatisation associée à la prise de PrEP (p. ex., de la part des ami·e·s, de la famille ou des partenaires)
- Préoccupations concernant le paiement de la PrEP
- Méfiance à l’égard du système médical ou mauvaises expériences passées auprès des prestataires de soins de santé
- Obstacles structurels tels que le racisme systémique et la pauvreté
Les femmes trans se heurtent également à des obstacles particuliers en matière de recours à la PrEP16. L’un des obstacles les plus fréquemment signalés est la crainte d’éventuelles interactions entre les médicaments d’une hormonothérapie et la PrEP. Les études montrent que la PrEP ne perturbe pas l’hormonothérapie et qu’inversement, l’hormonothérapie ne diminue pas l’efficacité de la PrEP16. Par ailleurs, certaines personnes trans déclarent avoir l’impression que la PrEP est réservée aux hommes gbHARSAH cis et que les prestataires de la PrEP ignorent souvent les besoins et inquiétudes spécifiques des femmes trans16.
Des études de recherche ont également permis de déterminer quelques facteurs susceptibles de faciliter l’accès des femmes à la PrEP13,14,16,19.20. Citons notamment :
- L’information et le soutien centrés sur les femmes
- L’incitation à prendre la PrEP par un·e prestataire de soins de santé
- Des liens sociaux solides avec d’autres femmes qui parlent ouvertement du VIH
- Un accès facile et commode à la PrEP
- L’intégration de la PrEP à des services auxquels les femmes susceptibles de contracter le VIH ont déjà recours (programmes d’accès à des seringues neuves, milieux de soins où sont prodigués des soins respectueux de l’expression de genre)
L’un des principaux avantages de la PrEP, fréquemment relevé lors des études menées auprès de femmes, est la plus grande autonomie décisionnelle en matière de prévention de la transmission du VIH, puisqu’une femme peut prendre la PrEP sans avoir à négocier avec un·e partenaire sexuel·le ou une personne avec laquelle elle utilise des drogues13,16. Il s’agit d’un avantage distinctif de la PrEP, en particulier pour les femmes marginalisées pour qui il est difficile de négocier l’utilisation du condom ou le refus du partage du matériel d’injection, comme les travailleuses du sexe, les femmes qui utilisent des drogues et les femmes victimes de violence de la part de leur partenaire intime.
L’intégration de la PrEP dans des milieux de soins de santé est un moyen de lever les obstacles et de joindre les femmes à risque
Les prestataires de soins de santé œuvrant dans des domaines très variés peuvent jouer un rôle important en informant les femmes au sujet de la PrEP et en en facilitant l’accès à celles qui veulent y recourir. Intégrer l’information, l’évaluation d’admissibilité et la prestation en matière de PrEP à des services que les femmes utilisent déjà est un moyen de faciliter l’accès à la PrEP. Par exemple, les services liés à la PrEP peuvent être intégrés dans des centres de soins de santé sexuelle et reproductive21,22,23, des services de réduction des méfaits24,25 et des services de soins de santé destinés aux femmes trans26. L’intégration de la PrEP dans ces milieux de pratique peut contribuer à lever certains obstacles à l’utilisation de la PrEP couramment signalés par les femmes.
L’intégration de l’information concernant la PrEP dans ces milieux peut contribuer à mieux faire connaître la PrEP aux femmes susceptibles de contracter le VIH. Aborder régulièrement la question de la PrEP avec les femmes peut également contribuer à atténuer la stigmatisation qui y est associée et donner aux intéressées l’occasion d’évaluer le risque d’infection par le VIH auquel elles sont exposées, et d’envisager un recours à la PrEP22.
L’évaluation de l’admissibilité à la PrEP consiste souvent à poser des questions sur les comportements sexuels et la consommation de drogues en vue de déterminer le risque lié au VIH. Cependant, d’après certains avis, cette évaluation se concentre souvent trop exclusivement sur les comportements individuels autodéclarés11,13,27,28. La mise en place d’un mécanisme d’évaluation qui tienne compte des comportements individuels mais aussi d’autres facteurs tels que l’appartenance à une communauté touchée de manière disproportionnée par le VIH, serait un moyen de joindre les femmes qui tireraient le plus de profit de la PrEP23.
Les femmes ayant décidé de recourir à la PrEP peuvent se sentir plus à l’aise de s’adresser à un·e prestataire de soins qu’elles connaissent déjà, avec qui elles ont établi une relation de confiance et qui est spécialisé·e dans la prestation de soins aux communautés touchées de manière disproportionnée par le VIH. Par exemple, les femmes trans sont plus susceptibles d’accéder à la PrEP si elles peuvent l’obtenir auprès d’un·e prestataire habitué·e à prodiguer des soins aux personnes trans20. De même, l’intégration de la PrEP dans les programmes de réduction des méfaits peut contribuer à inciter les femmes qui utilisent des drogues à y recourir23. Une initiative menée à Ottawa, qui consistait à évaluer les personnes admissibles à la PrEP et à la leur proposer activement, a permis d’inciter les femmes à recourir à la PrEP dans le cadre d’un programme d’approvisionnement plus sécuritaire23.
Recommandations à l’intention des prestataires de services
Les prestataires de soins de santé et de services non cliniques peuvent contribuer à accroître le recours à la PrEP chez les femmes.
Remarques concernant l’information et le soutien destinés aux femmes :
- Faites savoir aux femmes que la PrEP est une option de prévention très efficace du VIH. Lorsque vous discutez avec des femmes au sein de votre organisme ou dans le cadre d’activités de sensibilisation, abordez le sujet de la PrEP et demandez-leur si elles sont prêtres à l’envisager. L’information fournie aux femmes doit porter sur toutes les méthodes de prévention très efficaces de la transmission du VIH, afin qu’elles puissent déterminer celle qui leur convient le mieux.
- Envisagez d’autres moyens de sensibiliser les femmes à la PrEP que les conversations individuelles (p. ex., en posant des affiches ou en distribuant des documents informatifs). Ces mesures peuvent être plus efficaces si l’information est adaptée aux besoins des femmes.
- Dans la mesure du possible, fournissez un soutien concernant les problèmes plus généraux de la vie qui ont une incidence négative sur le bien-être des personnes et qui peuvent contribuer au risque d’infection par le VIH (p. ex., soutien aux personnes victimes de violence de la part de leur partenaire intime, ou en situation de logement précaire).
- Soyez prêt·e à aborder les inquiétudes particulières que les femmes peuvent avoir au sujet de la PrEP, comme les effets secondaires et les interactions possibles avec d’autres médicaments (y compris les drogues illicites et les médicaments sur ordonnance).
- Sachez que les femmes faisant partie des communautés les plus touchées par le VIH se heurtent à des obstacles quant à l’accès aux soins de santé en général, et notamment à la PrEP. Les femmes doivent pouvoir bénéficier de soins de santé culturellement sûrs, qui ne stigmatisent pas l’usage de drogues et qui tiennent compte des besoins spécifiques des femmes trans. Les femmes doivent être orientées vers des prestataires de soins de santé qui font preuve de ces compétences.
Remarques concernant les prescripteur·rice·s de PrEP :
- Les prescripteur·rice·s de PrEP gagneraient à suivre une formation afin d’accroître leurs compétences et de se sentir plus sûr·e·s d’eux lorsqu’ils·elles prescrivent la PrEP aux femmes. Ceux et celles qui souhaitent prescrire la PrEP aux femmes trans doivent s’assurer qu’ils ou elles sont en mesure de tempérer les inquiétudes particulières de ces femmes, par exemple en ce qui concerne les éventuelles interactions entre la PrEP et l’hormonothérapie.
- Les prestataires de soins de santé qui interviennent auprès des femmes peuvent envisager de les renseigner préventivement au sujet de la PrEP, de mettre en œuvre des pratiques d’évaluation permettant de reconnaître un plus grand nombre de femmes susceptibles de bénéficier de la PrEP et d’offrir une voie d’accès pratique.
- Sachant que bon nombre des femmes les plus susceptibles de contracter le VIH au Canada sont marginalisées sur le plan des soins de santé, les initiatives visant à accroître l’accès à la PrEP chez les femmes doivent viser à lever les obstacles particuliers auxquels ces communautés sont confrontées en matière d’accès aux soins de santé en général, et notamment à la PrEP.
- Il faut rendre la PrEP plus accessible dans divers milieux de pratique. Le fait de proposer la PrEP dans des milieux déjà fréquentés par les femmes susceptibles de contracter le VIH peut contribuer à élargir le recours à la PrEP et son utilisation durable parmi elles.
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Révision externe des textes en anglais effectuée par : Lauren Orser, Omar Ramcharran et Jaymie Sampa
À propos de l'autrice
Mallory Harrigan est spécialiste en connaissances, Dépistage du VIH chez CATIE. Elle détient une maîtrise en psychologie communautaire.