Vous vous interrogez à propos du chercheur qui vous a récemment téléphoné pour vous proposer un partenariat de recherche? Pour que leurs programmes et services demeurent pertinents et efficaces, les organismes desservant les personnes vivant avec le VIH et l’hépatite C et celles à risque de la contracter doivent en démontrer les avantages tout en restant à l’affût des besoins changeants de leurs clients. Les partenariats de recherche nécessitent cependant des discussions poussées et une excellente planification pour combler les besoins de tout le monde. Comment déciderez-vous si un partenariat en vaut la peine? Voici huit questions à poser lorsque les chercheurs viennent cogner à votre porte.
1. Quelle est la question de recherche proposée?
Demandez au chercheur ce qu’il veut examiner et quelles questions il poserait; est-ce que les mêmes questions vous intéressent? Est-ce que les réponses à ces questions seraitent bénéfiques à votre organisme? Les questions de recherche peuvent souvent être négociées et adaptées afin de combler les différents besoins et intérêts. Certains projets de recherche vous aideront et aideront votre organisme à planifier ou à évaluer vos programmes et à comprendre tout changement au sein de votre communauté. D’autres projets pourraient fournir des données probantes pour des changements de politiques qui avantageraient vos clients. Comprendre ce que le chercheur désire étudier et ce que cela signifie pour votre organisme vous aidera à prendre votre décision.
Comment prévoyez-vous approcher la recherche?
Demandez au chercheur de vous parler du modèle de recherche qu’il prévoit utiliser. Plus vous en savez sur la façon dont il prévoit approcher celle-ci, c'est-à-dire la méthodologie et les mesures qu’il prendra pour s’assurer de la mener de façon éthique, plus votre décision sera éclairée.
Les méthodologies de recherche ne se ressemblent pas toutes. Certaines reposent sur un modèle traditionnel, à l’initiative des chercheurs, et d’autres reposent plutôt sur une approche communautaire tandis que d’autres se classent quelque part entre les deux. Le modèle traditionnel à l’initiative des chercheurs implique généralement que le chercheur détermine l’objet de l’enquête et la façon dont il approchera l’étude. Dans ce cas, le rôle de votre organisme pourrait tout simplement consister de permettre aux chercheurs d’avoir accès à l’organisme et aux clients à des fins de recherche. En revanche, la recherche communautaire implique que les membres de la communauté travailleront en étroite collaboration avec les chercheurs sur tous les aspects du projet, soit fixer des objectifs, élaborer des questions de recherche et étudier la conception, recueillir et analyser les données et disséminer les conclusions. Pour certains organismes communautaires, un partenariat de ce genre avec un chercheur peut être une excellente occasion de développer les capacités de leur personnel et de leurs clients tout en permettant à ceux-ci d’être entendus. Pour d’autres, il se peut que ce niveau de participation ne soit pas possible ou désirable compte tenu des autres priorités.
Le fait de décider du genre de recherche que vous désirez appuyer vous aidera à déterminer si vous voulez vous associer au chercheur. N’oubliez toutefois pas de vous demander si les besoins et les ressources de votre organisme correspondent à ceux du projet de recherche.
Il serait également bon de discuter des mesures qui seront prises afin de s’assurer que le travail est effectué de façon éthique. Quels principes éthiques guideront ce projet? De quelle façon les avantages seront-ils optimisés et de quelles façons les méfaits possibles seront-ils réduits? Comment la vie privée et la confidentialité des participants seront-elles préservées? De quelle façon vous assurerez-vous que les clients qui ne veulent pas participer soient à l’aise de refuser de le faire et que les services dont ils bénéficient ne seront pas touchés par leur décision?
Il serait également judicieux de vous familiariser avec quelques cadres éthiques proposés par les communautés avec lesquelles vous travaillerez, tels que :
- Participation accrue des personnes vivant avec le VIH/sida (GIPA) – un principe reconnu à l’échelle internationale qui fait la promotion de la participation des personnes vivant avec le VIH et de celles qui en sont touchées dans la recherche, l’élaboration et l’évaluation de programmes.
- PCAP (propriété, contrôle, accès et possession) – une série de principes faisant la promotion du leadership et de l’autodétermination des communautés autochtones dans la recherche ainsi que dans la propriété collective de l’information.
- « Rien à notre sujet sans nous » – l'implication accrue et significative des personnes qui utilisent des drogues de la rue dans la réaction du Canada au VIH/sida, à l’hépatite C et à l’injection de drogue.
3. Quel processus de décision sera employé lors de ce projet?
La recherche implique de nombreuses décisions, allant de la question de recherche jusqu’à choisir à qui présentera les conclusions et de quelle façon. Discutez avec le chercheur des personnes qui prendront des décisions et du modèle de prise de décision qu’il veut utiliser pour son projet : le consensus (tout le monde s’entend sur la décision) ou la règle de la majorité (on procède avec le choix le plus populaire). Assurez-vous d’être à l’aise dès le début avec le modèle de prise de décision.
La rédaction d’un « cadre de référence » ou d’un protocole d’entente (lien en anglais seulement) peut être utile pour déterminer les voies de communication et pour documenter la façon dont les décisions seront prises.
4. Quel niveau de participation prévoyez-vous obtenir des membres du personnel et des clients de notre organisme?
En précisant les attentes, les rôles et les responsabilités dès le début, vous vous assurerez d’un partenariat positif. Dans le but de tirer le maximum d’une collaboration éventuelle et d’éviter les problèmes qui pourraient survenir plus tard, demandez au chercheur quel niveau de participation il attend de vous, de vos collègues et de vos clients. Vous voudrez comprendre clairement comment vous gérerez vos engagements actuels en plus des nouveaux associés à ce projet. De plus, le chercheur aurait une indication claire de la charge de travail et du niveau éventuel d’engagement que vous et vos collègues pourrez offrir.
Il serait bon de poser certaines des questions suivantes afin de déterminer ce que l’on attend de votre organisme et quand :
- Nous demandera-t-on de contribuer à la conception du projet (notamment ses objectifs et ses méthodes) et/ou d’analyser et de disséminer ses conclusions?
- Est-ce que mes collègues et moi-même serons requis pour effectuer des tâches associées à la recherche et durant combien de temps? Serons-nous rémunérés? À qui rapporterons-nous? Est-ce que du personnel externe de recherche viendra travailler sur place? Si tel est le cas, à qui rapportera-t-il?
- Est-ce que nos clients seront recrutés et par qui? De quelle façon? Seront-ils rémunérés?
- Est-ce que le personnel et les clients auront l’occasion de développer leurs compétences de recherche?
Vous voudrez peut-être également vous faire une idée des autres engagements du chercheur. S’il travaille sur six autres études et enseigne quatre cours, aura-t-il un coordonnateur affecté au projet proposé? Si le projet est mené au sein de votre organisme et qu’un problème survient, sera-t-il disponible pour intervenir?
5. À quelles ressources vous attendez-vous à faire appel au sein de mon organisme?
La recherche nécessite des ressources : de l’argent, du personnel et de l’espace de travail. Les fonds de recherche (p. ex. des Instituts de recherche en santé du Canada) couvriront la plupart des coûts, mais il se peut qu’il y ait des dépenses supplémentaires qui ne sont pas prises en charge. Déterminez dès le début quelles ressources, le cas échéant, on s’attend à ce que votre organisme fournisse.
Certains fonds de recherche fournissent aux enquêteurs qui travaillent pour un organisme communautaire une rémunération en échange de leur temps. Si le fonds de recherche n’offre pas ce genre de financement, le personnel de votre organisme devra peut-être travailler sans rémunération afin de terminer le projet.
Les quelques questions suivantes pourraient vous aider à déterminer comment les fonds seront distribués et à qui :
- De quelles dépenses le bailleur de fonds tient-il compte dans le budget et qu’est-ce qui ne sera pas couvert? Qui pourrait couvrir ces dépenses?
- Quel montant est prévu pour les frais de déplacement/d’hébergement et qui y aura accès?
- Au besoin, est-ce que de l’équipement (comme des ordinateurs et des imprimantes) peut être acheté? À qui l’équipement appartiendra-t-il lorsque le projet sera achevé?
- Est-ce que des fonds peuvent être mis de côté pour appuyer les participants (par exemple, pour les repas, la rémunération et le transport)?
- Est-ce que des fonds peuvent être utilisés pour rembourser le personnel qui a travaillé sur le projet?
Les universités gèrent habituellement les fonds de recherche, mais de nombreux organismes se qualifient également à détenir des fonds. Demandez qui gèrera les fonds de recherche et si des sommes d’argent doivent être transférées à votre organisme. Si des fonds doivent être transférés, calculez ce que cela impliquerait pour votre organisme et les chercheurs qui transfèrent et/ou reçoivent les fonds. Vous voudrez éviter les situations où vous devrez couvrir vous-mêmes durant de longues périodes des dépenses qui n’auront pas été remboursées. Avant d’accepter le projet, assurez-vous d’être à l’aise avec ce que les sommes d’argent réservées à la recherche couvriront et avec la personne qui détiendra les fonds.
6. Combien de temps sera-t-il nécessaire pour achever le projet?
Bien que certains projets de recherche soient des entreprises à court terme, on a généralement besoin de beaucoup de temps pour terminer la recherche. Demandez-vous (et demandez au chercheur) si vous voulez et si vous pouvez participer à un projet à court ou à long terme. Il sera probablement utile d’avoir une idée des détails, par exemple combien de temps le chercheur aura-t-il besoin d’un bureau sur place pour mener des entrevues, combien de temps les membres du personnel de votre organisme devront-ils recruter des participants, ou durant combien de temps devrez-vous participer à des réunions de groupe consultatif.
Le projet durera probablement plus longtemps que toute prédiction parce que la recherche est souvent influencée par des facteurs indépendants du bon vouloir de l’équipe — par exemple, les demandes multiples de financement, les demandes d’éthique qui doivent être révisées, les modalités d’approbation (de votre organisme et de l’établissement de recherche) et un délai plus long que prévu pour le recrutement des participants. Vous pourriez être surpris du nombre d’exigences administratives pouvant faire partie du processus de recherche. Le facteur le plus important est cependant l’évaluation éthique, que la plupart des bailleurs de fonds exigent avant que la recherche ne puisse commencer. Les comités d'éthique de la recherche (CÉR) posent de nombreuses questions à l’équipe de recherche afin de s’assurer que le projet répond à des normes élevées en matière d’éthique et que la recherche n’aura pas de répercussions négatives sur les participants.
Plusieurs de ces facteurs, voire tous, peuvent contribuer à prolonger considérablement la durée d’un projet. Ce qui devait être un projet de six mois peut facilement se transformer en un projet d’un an, ce qui peut amener certaines personnes à se demander pourquoi cela prend autant de temps. Les recherches bénéfiques prennent du temps.
7. De quelle façon les conclusions de l’étude seront-elles partagées et avec qui?
Si vous prévoyez vouloir utiliser les conclusions de l’étude, demandez si vous y aurez accès, de quelle façon et quand. Par exemple, si vous voulez des statistiques au sujet de vos clients pour faire une demande de financement dans le but de développer un programme, vous voudrez savoir quand vous pourrez avoir accès à ces données. Selon les modalités de confidentialité, il se pourrait que vous n’ayez pas accès à certaines données ou que vous deviez les modifier pour protéger la vie privée des participants.
Dans l’effervescence de la rédaction des conclusions de recherche, il arrive souvent que les personnes qui ont participé soient oubliées. Elles ont le droit, conformément à l’éthique, de savoir à quelles fins les conclusions seront utilisées. Elles ne devraient pas avoir à l’apprendre aux nouvelles. Demandez au chercheur et demandez-vous vous-mêmes de quels plans et de quelles ressources vous aurez besoin pour vous assurer que les conclusions sont disséminées de manière respectueuse envers les communautés qui ont participé à la recherche.
8. Est-ce que mon organisme sera identifié dans les conclusions?
Il est important de demander de quelle façon votre organisme sera représenté dans la recherche : indiquera-t-on qu'il était un partenaire de recherche ou indiquera-t-on que les membres du personnel étaient des co-enquêteurs? Les noms demeureront-ils anonymes?
Pourquoi est-ce important? Il se peut que certaines recherches enquêtent sur des pratiques sensibles et controversées qui pourraient ultérieurement attirer l’attention — par exemple, des médias ou lors d’une conférence. La façon dont votre organisme est représenté pourrait influencer sa réputation, son financement et les dons qu’il reçoit de manière favorable ou possiblement défavorable.
Quelques mots pour terminer
Le fait d’avoir à poser autant de questions et puis d’avoir à examiner les réponses peut vous sembler comme une tâche imposante. Prenez cependant le temps de le faire avant d’accepter un partenariat de recherche, car cela pourrait vous faire gagner du temps et prévenir les problèmes et les déceptions au bout du compte. Le moment n’est pas toujours opportun pour s’engager dans un projet de recherche mais, si c’est le bon moment, la recherche peut être passionnante, présenter de nouvelles opportunités pour vous et votre organisme et générer de nouvelles connaissances qui vous aideront dans l’élaboration de vos programmes.
À propos de l’auteur
Carol Strike, Ph. D., est professeure agrégée à l'École de santé publique Dalla Lana de la faculté de médecine de l'Université de Toronto et possède 15 ans d’expérience en recherche traitant de la réduction des méfaits, du traitement des dépendances et des services de santé.
Adrian Guta est en voie de terminer des études de troisième cycle à l'École de santé publique Dalla Lana et au Centre conjoint de bioéthique de l'Université de Toronto. Sa thèse explore le mouvement de recherche communautaire sur le VIH au Canada et les dimensions éthiques des pratiques de recherche collaboratives. M. Guta a participé à de nombreux projets de recherche communautaire sur le VIH et a également collaboré à la rédaction de nombreux articles sur les problèmes éthiques et méthodologiques de la recherche communautaire.