En 2021, CATIE a organisé une campagne numérique visant à sensibiliser le grand public à la prévention du VIH. Sans peur face au VIH était alors un nouveau type de projet pour l’organisme, car, pour la première fois, il collaborait avec des influenceur·euse·s des médias sociaux afin qu’ils ou elles livrent de l’information positive et inspirante concernant la prévention du VIH sur leurs plateformes respectives.
Par Jordan Coulombe
Les influenceur·euse·s sont un type relativement nouveau de personnalité publique. Il peut s’agir de n’importe qui ayant un public dans les médias sociaux — d’acteur·trice·s ou de chanteur·euse·s célèbres, en passant par un cuistot amateur ou un·e photographe. L’impact du contenu qu’une personne affiche dans les médias sociaux et son influence sur ce que pense le grand public et sur le comportement de ce dernier définissent l’influenceur·euse. Bien que certaines entreprises fassent appel aux influenceur·euse·s pour vendre leurs produits, CATIE les a engagé·e·s pour dialoguer avec ses auditoires à propos des nouveaux outils de prévention du VIH. La campagne était axée sur le message selon lequel le traitement du VIH et la prophylaxie pré-exposition (PrEP) sont si efficaces pour prévenir la transmission que chacun·e, quel que soit son statut, peut maintenant vivre sans peur face au VIH.
CATIE a collaboré avec Clark Influence, une agence de marketing d’influence basée à Montréal, dans le choix de 10 influenceur·euse·s pour sa campagne. Chacun·e d’entre eux/elles a été sélectionné·e parce que ses auditoires comprenaient les personnes les plus touchées par le VIH au Canada. Ils et elles ont diffusé des images, des vidéos et des textes originaux sur leurs comptes Instagram et ont ajouté des fonctionnalités interactives telles que des sondages et des questionnaires. Cela a permis d’entamer des conversations sur la santé sexuelle qui visaient à réduire l’anxiété et la stigmatisation entourant le VIH.
« Je suis d’avis que plus vous disposez d’information, moins vous avez peur », a expliqué Jade Hassouné, l’un des influenceur·euse·s choisi·e·s par CATIE. Prêter sa voix à la campagne lui a permis de participer à l’évolution des attitudes à l’égard du VIH et de parvenir à atténuer la peur encore associée au virus. Pour aider les participant·e·s avec leur contenu, CATIE leur a fourni des éléments d’uniformisation, comme du maquillage bleu, une boucle d’oreille s’inspirant du ruban rouge et le mot-clic #SansPeurFaceAuVIH. Chaque influenceur·euse a ensuite utilisé ces éléments pour créer des publications Instagram et raconter des histoires agrémentées d’une touche unique. Les expert·e·s en VIH de CATIE étaient également à disposition pour s’assurer de l’exactitude et de la pertinence de leurs messages, mais aussi pour s’assurer qu’ils insufflaient un sentiment d’optimisme et d’espoir.
Jade indique avoir reçu des réponses inattendues de la part de ses abonné·e·s; en effet, certain·e·s ne comprenaient pas pourquoi il affirmait qu’il ne faut pas craindre le VIH. Une autre influenceuse, Nadine Thornhill, a quant à elle expliqué que « certaines personnes pourraient croire que la peur est une bonne chose et que si vous avez peur, vous aurez plus tendance à avoir des relations sexuelles plus sécuritaires. Vivre dans la peur peut nous faire du tort à long terme, explique-t-elle. Quand on a peur d’avoir des conversations et peur de ce que pourrait faire le VIH à notre corps, d’aucuns feront tout simplement semblant que le virus n’existe pas. Ces personnes vont en quelque sorte fermer les yeux, croiser les doigts et espérer que tout ira bien ». Nadine reconnaît que la peur et la stigmatisation peuvent empêcher les gens de se faire dépister ou d’obtenir les soins de santé nécessaires. Pour elle, la campagne était une opportunité d’aborder les angoisses et d’entamer des dialogues francs et dénués de jugement avec ses abonné·e·s. En fin de compte, elle voulait leur dire « Pas besoin de voir le VIH comme une menace imminente ».
Avec l’arrivée de la PrEP et le fait de savoir qu’une charge virale indétectable rend le VIH non transmissible par voie sexuelle (I=I), des pas de géant ont été faits dans le domaine de la prévention du VIH au cours de la dernière décennie. Au cours de cette même période, les médias sociaux ont transformé notre manière de communiquer les un·e·s avec les autres. Le nombre de personnes qui utilisent les réseaux sociaux et le temps qu’elles y consacrent ont explosé au cours des dernières années, ce qui rend ces plateformes idéales pour diffuser de nouveaux messages de prévention. C’est une tâche urgente : même si la PrEP et I=I ont transformé la prévention du VIH, de nombreuses personnes n’en ont pas encore entendu parler. Grâce à ces nouvelles plateformes, des campagnes comme Sans peur face au VIH peuvent toucher directement les communautés les plus affectées par le VIH au Canada.
Des données sur la campagne illustrent son succès. Au total, les influenceur·euse·s ont touché plus de 600 000 personnes et le taux d’engagement était deux fois supérieur à la moyenne des organismes sans but lucratif. Cela signifie que deux fois plus de personnes que d’habitude ont cliqué sur le contenu ou y ont répondu. Cet engouement montre que le public accueille positivement les messages de prévention du VIH. Gabrielle Marion est une femme trans de Montréal qui compte 52 000 abonné·e·s Instagram. « J’ai l’impression qu’il y a encore trop de discrimination », confie-t-elle. Elle a choisi de s’impliquer « parce qu’il n’y a aucune crainte à avoir face au VIH. Les personnes vivant avec le VIH ont des médicaments qui le rendent intransmissible par voie sexuelle et les gens peuvent prendre la PrEP pour le prévenir. »
Le partage simultané d’information concernant la PrEP et I=I signifie que la campagne s’applique à tous et à toutes, quel que soit leur statut VIH. C’est ce qu’on appelle une approche neutre. Cette tactique vise à estomper la stigmatisation en montrant comment chacun·e joue un rôle pour prévenir le VIH. L’approche indique que les options pour les personnes séropositives et séronégatives sont très efficaces. L’un de ses avantages est qu’elle donne aux gens de l’information qu’ils peuvent échanger avec leurs partenaires : par exemple, I=I est bon à savoir pour le couple ayant une relation sérodifférente; une personne ayant une charge virale détectable pourrait autrement partager des renseignements sur la PrEP avec ses partenaires séronégatif·ve·s. L’approche neutre reconnaît également que chacun·e peut utiliser les services de lutte contre le VIH, qu’il s’agisse de prévention, de dépistage ou de traitement. Elle affirme que chaque personne a le droit d’être traitée avec compassion. En fin de compte, explique Jade, « Nous sommes tou·te·s des êtres humains et nous pouvons tou·te·s être aimé·e·s de manière égale ».
En examinant ses campagnes passées, CATIE a constaté qu’elles étaient plus efficaces lorsqu’elles étaient à l’image des personnes qu’elles voulaient toucher. Le choix de la langue est un moyen essentiel pour aider les gens à se sentir inclus dans une campagne : c’est pourquoi CATIE a approché des influenceur·euse·s anglophones et francophones ayant des publics répartis partout au pays. CATIE a également choisi des influenceur·euse·s issu·e·s de groupes confrontés à des obstacles plus importants dans l’accès à l’information sur le VIH, comme les communautés noires, autochtones et les autres communautés racisées. Ces groupes étaient plus susceptibles d’être réceptifs aux messages de la campagne parce que les influenceur·euse·s avaient établi des relations avec leurs auditoires et que celles-ci se basaient sur la confiance. Gabrielle, par exemple, s’est fait connaître pour son expertise en matière de soins de santé trans en expliquant sa transition en ligne. Lorsqu’il s’agit de messages sur le VIH, ses publics sont prêts à l’écouter. « J’ai l’impression d’avoir la crédibilité nécessaire pour transmettre ce type d’information, explique-t-elle, parce que toute ma carrière est fondée sur la transmission de renseignements relatifs à ma transition, ma chirurgie et mes hormones. »
Sans peur face au VIH : des personnes vivant avec le VIH et des personnes séronégatives travaillent main dans la main pour lutter contre la stigmatisation liée au virus. Cette approche neutre peut outiller les gens pour qu’ils puissent faire attention à leur santé, mais aussi (et c’est le plus important) profiter de leurs relations sexuelles. S’il ne faut pas craindre le VIH, alors la vie sexuelle de chacun·e s’améliore, que l’on vive avec le VIH ou que l’on fasse partie d’une communauté à risque. « J’espère que ces renseignements outillent mieux les gens pour qu’ils puissent s’occuper de leur santé sexuelle, mais aussi pour qu’ils puissent profiter de leur sexualité et de leurs relations sexuelles, explique Nadine. Si je peux aider à déstigmatiser et à diffuser de l’information qui inhibe la peur des rapprochements et la peur du VIH, alors je suis heureuse de le faire. »
Jordan Coulombe est formateur en santé chez CATIE.