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Zachery Longboy nous parle de créations nouvelles et d’acceptation.

L’œuvre de Zachery Longboy présente des histoires personnelles. C’est un aspect que j’apprécie et auquel j’ai appris à m’attendre. Son talent pour tisser la poésie, la performance et des images surréalistes, afin d’exprimer des émotions profondes, est la pierre angulaire de son art en constante évolution. Originaire de Churchill, au Manitoba, et de la Première Nation des Sayisi Dene, Longboy a amorcé sa carrière d’artiste en 1989. Il est un pionnier de la performance et de la vidéo autochtone queer, et un conteur connu et respecté. L’œuvre de Longboy a ouvert la voie à la vulnérabilité créatrice pour des artistes comme moi. En 1993, il a créé un message d’intérêt public de 30 secondes intitulé The Living Tree, avec le collectif Second Decade. L’objectif était d’explorer la capacité des médias à promouvoir la sensibilisation autour du sida, en invitant dix artistes d’expérience vécue à réaliser une série de capsules télé d’actualité et intelligentes, pour communiquer des messages capables de sauver des vies. Aujourd’hui, 30 ans plus tard, il a créé de nouvelles œuvres qui feront partie de Viral Interventions. Ce programme invite des artistes à créer un film original de 10 minutes sur la vie avec le VIH à notre époque en explorant les réalités du VIH dans leur monde et dans leur corps. J’ai rencontré Zachery Longboy pour discuter de ses nouvelles œuvres cinématographiques et de l’acceptation de choses que nous ne pouvons pas changer dans notre corps.

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JD : Salut Zachery! Merci de me recevoir pour cette entrevue. 

ZL : C’est toujours un plaisir de collaborer avec toi. Merci à toi également.

JD : En commençant, j’aimerais que tu me parles de ta ou tes plus récentes réalisations cinématographiques pour Viral Interventions!

ZL : La première s’intitule Guardian of Sleep (Gardien·ne du sommeil). Elle vient d’un rêve que j’ai eu — mais aussi de mon enfance, à Merritt, où j’avais l’habitude de jouer avec un bâton de majorette derrière la grange. J’ai toujours eu la vision que l’histoire se déroulerait lors d’un défilé. Lorsque l’idée du tournage m’est venue, je souhaitais que ce soit au défilé de la Fierté, ici, à Vancouver. Tu sais, me faufiler et saisir les images. Mais ça n’a pas été possible. Puis on m’a proposé de prendre part à Viral Interventions et je me suis dit que c’était l’occasion de le faire — car j’y avais participé pour un message d’intérêt public intitulé The Living Tree (L’arbre vivant), il y a près de 20 ans. J’adore créer en groupe ou en cohorte. J’ai donc plongé dans ce rêve et je voulais que le défilé de la Fierté sorte de la forêt et que ces deux images se rejoignent.

Guardian of Sleep image
Image tirée du film Guardian of Sleep (Gardien·ne du sommeil)
de Zachery Longboy

JD : Connaissant ton travail, et la façon dont tu puises dans ton expérience vécue et passes certains messages par l’utilisation d’images particulières, je suis intrigué par les images de Guardian of Sleep : y a-t-il une pensée ou un sentiment plus profond derrière ce qui est présenté?

ZL : J’ai l’impression que le thème a toujours été le désir de faire partie de quelque chose. Je m’étais toujours senti exclu, ou comme si je ne faisais partie de rien, alors je me suis vraiment efforcé de me mettre au centre, au cœur de l’attention. J’ai essayé d’être la vedette de l’œuvre. Il s’agissait bien sûr aussi de la communauté, de l’aspect défilé, du rassemble­ment. La volonté de bâtir une communauté au moyen d’une performance a toujours été présente dans mon approche : il y a toujours plusieurs personnes qui en font partie. C’est un peu comme si je construisais ma propre tribu; je fais cela depuis mes débuts.

JD : L’idée de bâtir une communauté tout en fai­sant un travail qui semble si individuel et personnel, tiré de notre vécu, me semble présente même dans nos œuvres collaboratives. Comment trouves-tu un équilibre dans tout ça?

ZL : À mes yeux, toutes mes œuvres parlent de moi, sont personnelles, chacune à sa manière. Je n’ai jamais pu m’en empêcher. Cela semble peut-être un peu égocentrique, mais tout ce que je peux vraiment raconter, c’est mon histoire. Je n’ai pas hérité de récits traditionnels ou familiaux de ma tribu. Dans mon cas, ça n’existe pas. Je n’ai pas la possibilité d’effectuer des recherches ou de les découvrir, à moins d’aller à Churchill et cela me paraît impossible. Ma vie est ici. J’ai été emporté par la rafle des années 60 — ce que j’ignorais encore il y a quelques années. Je l’avais toujours supposé, mais sans vouloir me l’admettre. C’était difficile pour moi.

JD : Quelque chose de nos œuvres respectives nous relie, toi et moi : l’idée que nos identités en tant qu’Autochtones queers — déplacés pour diverses raisons, souvent vers des centres urbains — sont tout aussi traditionnelles ou font tout autant partie du tissu de l’« expérience autochtone ». Je te suis vraiment reconnaissant de tout ce que tu as fait pour ouvrir un espace où nous pouvons montrer ces œuvres et partager ces sentiments. Cela a vraiment validé une grande partie de ce que j’ai ressenti quand je me suis enfui à Vancouver. Jamais je ne comparerais mon expérience de déracinement colonial à ce que tu as vécu, mais il y a quelque chose dans ton travail qui me semble essentiellement traditionnel, parce qu’il valide ce sentiment d’aliénation. Parle-moi de l’autre film que tu as créé.

ZL : Il s’intitule Host. Il est profondément personnel. En fin de compte, il parle de toutes les choses qui ne vont pas chez moi, physiquement. La maladie de Parkinson, les problèmes de colonne vertébrale et l’arthrite dont je souffre. Il s’agit de mon corps, qui est l’hôte de toutes ces choses qui se sont produites. Ce que j’ai appris, c’est que je dois les accueillir, être un bon hôte pour elles. Je dois les reconnaître, les entourer de mes bras et cheminer avec elles — ce qui peut être très difficile. Je me concentre sur elles, cependant, parce que je dois m’en soucier. À vrai dire, je voudrais les éliminer, mais je sais que je ne peux pas faire cela. Parfois, la façon dont elles me font reculer, ou m’épuisent, me donne l’impression qu’elles sont honteuses. C’est un sentiment que je n’avais pas ressenti à propos de ma santé depuis très, très longtemps, car je n’ai plus honte en ce qui concerne mon VIH. J’ai l’impression d’avoir appris à être un bon hôte. Ce film visait donc à appliquer ce sentiment à ces autres choses. 

Host image 1
Host image 2
Images tirées du film Host (Hôte) de Zachery Longboy

JD : Lorsque j’ai vu ton travail pour la première fois, j’ai trouvé si forte cette sorte d’acceptation radicale de ton diagnostic de VIH, car ce n’était pas toujours le cas dans les œuvres d’art du début des années 1990 sur les intersections entre le VIH/sida et les populations autochtones. Cette expérience t’a-t-elle aidé à réaliser ce nouveau travail qui traite de ton corps et de ta santé de manières différentes?

ZL : Cela a certainement facilité les choses. À certains moments lorsque je travaillais à créer Host, j’enregistrais des choses pour la première fois et sans en avoir honte. Je me suis rendu compte que j’arrivais à parler plus ouvertement de quelque chose dont j’avais eu honte, probablement parce que je le faisais à travers un objectif créatif, comme je l’ai fait dans les années 1990 alors que je développais ma compréhension du VIH. Arriver à accepter les choses m’a vraiment fait du bien — ressentir un sentiment d’acceptation à l’égard de mes pro­blèmes physiques. J’en partage parfois mes expériences dans mes créations, pour dire aux gens ce que je vis, mais pas de manière négative. J’ai l’impression que mon acceptation des faits et mon sentiment de joie, dans mon œuvre, se transmettent à d’autres personnes.

Artwork hanging in Zachery's home studio, May 2024
Œuvres d’art accrochées dans le studio de Zachery Longboy, mai 2024

JD : Je me souviens qu’une des premières fois où nous avons collaboré, je faisais des recherches et j’ai rencontré des gens qui écrivaient sur ton œuvre ou en parlaient avec un sentiment de tristesse ou de pitié. Lorsque je t’ai interrogé à ce sujet, j’ai été complètement séduit par ton refus complet de toute interprétation qui ne corres­pondait pas à ton émotion au moment de la création. Je pense que j’étais à un moment de ma vie d’artiste où je me préoccupais tellement de ce que les gens pensaient de moi ou ressentaient à propos de mon parcours et de ce que j’avais fait. Nous avons beaucoup parlé des attentes présentes dans la création d’une œuvre. Ces sentiments concernant l’anticipation de ce qu’une autre personne pourrait ressentir ont-ils changé?

ZL : Pas vraiment. Je trouve que je ne réfléchis pas trop à ce que je fais avant de commencer une création. Dans les deux cas [Guardian of Sleep et Host], j’avais une idée générale de ce que je voulais dire, mais j’aime avoir la possibilité de changer les choses et d’en trouver de nouvelles pendant mon processus. Je crois que penser à la façon dont quelqu’un pourrait recevoir mon œuvre réduit ma liberté à ce niveau.

JD : À mes yeux, il y a beaucoup de pouvoir dans le fait de présenter aux gens la vérité sans filtre. C’est en quelque sorte le seul moyen d’amener quelqu’un à comprendre ou à éprouver de l’empathie pour une expérience qui n’est pas la sienne.

ZL : Tout à fait. Je pense qu’en fin de compte, je cherche simplement à trouver un sens à tout cela. À ma vie. Peut-être qu’en partie il s’agit de la révéler à d’autres personnes pour qu’elles puissent aussi y découvrir un sens.