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L’allaitement, c’est ce qu’il y a de mieux. À moins que vous ne viviez avec le VIH, n’est-ce pas? Pas forcément. Au Canada, on recommande de recourir à des préparations pour nourrissons. Or, une recommandation n’est pas une règle. Dans la communauté du VIH, on a beaucoup discuté de la possibilité d’allaiter pour les mères vivant avec le VIH. Dans un pays où des programmes distribuent gratuitement de la préparation pour nourrissons aux mères séropositives afin de réduire le coût, il peut sembler qu’une mère n’a pas à réfléchir longtemps à la possibilité d’allaiter. Toutefois, l’Organisation mondiale de la Santé suggère désormais aux mères vivant avec le VIH qui suivent leur traitement antirétroviral d’allaiter. Alors, allaiter ou ne pas allaiter?

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« Cela peut être une conversation très compliquée. Pendant de nombreuses années, nous disions : “Si vous êtes séropositive, n’allaitez pas”. Point final. C’était toute l’étendue de la conversation », explique le Dr Mark Yudin, médecin au département d’obstétrique et de gynécologie de l’Hôpital St. Michael de Toronto. « Nous savons maintenant qu’indétectable égale intransmissible (I=I), et nous pouvons donc affirmer avec une très grande conviction que le taux de transmission sexuelle est nul si votre charge virale est indétectable. Nous ne pouvons cependant pas dire la même chose avec autant de conviction pour ce qui concerne le taux de transmission par l’allaitement. Si l’on examine les principales études réalisées à ce sujet, le taux de transmission était inférieur à 1 % dans la plupart des cas, mais il n’était pas nul. »

Nous avons parlé à une mère séropositive de sa décision d’allaiter ses deux filles. Nous lui avons demandé si elle avait des craintes ou de l’anxiété en sachant qu’il y avait toujours un petit risque de transmission du VIH. « La peur a toujours été présente. De l’accouchement aux derniers tests sanguins, je croisais les doigts et priais silencieusement, en espérant avoir fait le bon choix. En tant que nouvelle maman, vous êtes déjà très épuisée, surtout si vous avez d’autres enfants et d’autres responsabilités. Se souvenir de manger, de prendre des médicaments et d’administrer les siens au bébé peut être une source de stress supplémentaire. Je crois que c’était ma plus grande inquiétude, mais j’ai réussi à m’y retrouver. C’était en fait le "bon choix" puisque mes deux bébés sont séronégatifs et en très bonne santé. Mon conseil à toute femme séropositive qui est enceinte ou qui prévoit d’avoir un enfant est de chercher du soutien et de l’information à propos de votre choix, quel qu’il soit. Faites vos recherches, posez toutes les questions et assurez-vous d’y trouver réponse afin de prendre votre décision en toute confiance. »

Le Dr Yudin et son équipe encouragent les discussions dès les premiers stades de la grossesse afin de soutenir les mères vivant avec le VIH dans leur projet parental, qu’il s’agisse d’allaitement ou de préparation pour nourrissons. « Notre travail consiste à nous assurer que la mère comprend toutes les ramifications de tous les choix, et à l’aider à faire le meilleur choix pour elle-même et pour son bébé », explique-t-il. « Nous avons des conversations tout au long de la grossesse. Nous avons des conversations dans notre clinique avec l’équipe prénatale. De plus, nous dirigeons vers deux rendez-vous en pédiatrie toutes les personnes qui viennent nous voir pour une grossesse. Lorsque le travail commence, elles savent ce qu’elles veulent faire. Ce n’est pas une décision de dernière minute. Elles y ont réfléchi pendant des semaines, voire des mois. Toute l’équipe les soutient, quelle que soit leur décision. »

Dans une approche de réduction des méfaits, l’équipe de l’Hôpital St. Michael soutient les mères dans leur décision d’allaiter ou non. On ne les dissuade pas de le faire et on ne les contraint pas. On les guide simplement pour les aider à allaiter de la manière la plus saine possible, sans transmettre le virus à leur bébé. Pour une mère séropositive qui choisit d’allaiter, il y aura quelques différences par rapport aux autres. Ceci inclut un plus grand nombre de rendez-vous médicaux et de tests sanguins pour bébé et maman – et la plus grande différence est que bébé recevra un traitement anti-VIH pendant un certain nombre de semaines. 

Nous avons discuté avec le Dr Douglas Campbell, chef du département de pédiatrie de l’Hôpital St. Michael, des soins à apporter à un enfant né d’une mère qui vit avec le VIH. « Pour une femme qui choisit d’utiliser son lait maternel, qui se trouve dans une situation sécuritaire, qui a une charge virale faible et est fidèle à son traitement, nous recommandons encore trois traitements antirétroviraux pour le bébé. Cela continue jusqu’à un mois après avoir cessé d’utiliser le lait maternel. Cela pourrait donc durer un mois, ou huit mois, ou plus, selon la durée de l’allaitement déterminée par la femme. Cette information souvent méconnue des femmes est un autre facteur déterminant dans leur décision. Certaines familles acceptent ce plan. D’autres ne veulent pas que leur bébé soit exposé à trois médicaments pendant des mois et des mois. » Certains parents s’inquiètent des effets secondaires, mais « tout médicament peut avoir des effets secondaires. Tylenol a des effets secondaires ». Une crainte répandue dans la communauté est celle qu’un·e prestataire de soins de santé fasse intervenir les services de l’enfance et de la famille, ce que le Dr Campbell déconseille fortement. « Il n’est aucunement nécessaire d’informer les services de protection de l’enfance. Il n’y a que très peu de cas où l’on devrait dénoncer une mère à ces services — peut-être pour des raisons de santé mentale, mais aucune circonstance ne le justifie dans le cadre des soins liés au VIH. » 

Malheureusement, la stigmatisation persiste. Le Dr Campbell souligne que les femmes vivant avec le VIH qui allaitent leur bébé peuvent rencontrer de la stigmatisation, mais que certaines femmes qui n’allaitent pas en sont aussi la cible. « Des femmes nous ont dit qu’elles ne sont pas considérées de la même façon si elles nourrissent leur bébé au biberon. Elles sont mal vues dans leur propre communauté. Je n’en avais aucune idée. Nous devons comprendre ce qui motive les choix liés à l’alimentation, les réalités de la vie des femmes, et non prétendre qu’une façon de faire est meilleure pour bébé et que le reste ne vaut rien. C’est injuste. Cela désavantagerait beaucoup de bébés. »

Le concept de l’allaitement par des mères séropositives peut sembler révolutionnaire. Pourtant, la société considère les mères comme des personnes qui veulent le meilleur pour leur enfant. N’oublions pas que c’est aussi le cas des mères vivant avec le VIH. Le Dr Yudin insiste : « Nous devons nous rappeler que la mère est la personne qui se soucie le plus de son bébé. Oui — plus que les médecins, plus que les infirmier·ère·s. C’est son enfant. Elle veut l’aimer et le protéger. C’est elle qui en prend soin. Elle ne va donc pas prendre des décisions qui ne seraient pas dans l’intérêt de son bébé. »