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Quand il s’agit des droits des transgenres on a parcouru du chemin au Canada, les personnes trans continuent tout de même de vivre une stigmatisation que ce soit en matière d’accès à un logement, à un emploi et aux soins de santé. Les choses s’améliorent-elles? Deux femmes trans vivant avec le VIH, Cassidy Quinn et Isabella Gamk, parlent de leur expérience distincte.

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par Deidre Olsen

À l’occasion de la Journée mondiale du sida en 2017, Cassidy Quinn, 26 ans, une artiste trans de divertissement pour adultes, a dévoilé publiquement sur Twitter avoir reçu un diagnostic d’infection au VIH. Les gens lui ont en grande partie démontré leur soutien, par contre Cassidy a attiré l’atten­tion de tabloïds pornos, y compris du célèbre site Web de commérages TheRealPornWikiLeaks.com. Malgré cela, elle a continué à travailler dans le domaine du porno, suscitant ainsi une conversation grandement nécessaire sur la prévention et la stigmatisation du VIH.

Lorsque Cassidy a appris qu’elle était séropositive, elle était au sommet de sa carrière. Elle venait de subir une augmentation mammaire, travaillait régulièrement et allait bientôt apprendre qu’elle avait été sélectionnée pour plusieurs prix décernés par son industrie. Alors qu’elle était en train de se faire un nom dans le porno, cette annonce foudroyante à propos de sa santé l’a totalement bouleversée.

Cassidy a grandi à Saskatoon, en Saskatchewan. Elle y a été capitaine de son équipe de football à l’école secondaire et prenait part à tous les sports inimaginables. Adolescente, elle se décrit comme ayant été une athlète émotionnelle aux cheveux noirs et blonds, couverte de perçages et à la virilité toxique afin de se fondre dans la masse. En 2011, elle a déménagé à Vancouver, afin de suivre un programme d’arts culinaires à l’Art Institute of Vancouver. Elle s’est retrouvée à travailler comme chef au restaurant Le Crocodile, un établissement de prestige qui sert une cuisine française raffinée. Ce n’est qu’en 2014, à l’âge de 22 ans, qu’elle a compris qu’elle était trans. « Un jour, ça a été comme une évidence. J’étais assise sur mon porche en train de lire et tout est soudainement devenu évident », dit-elle.

Cassidy s’est tournée vers des personnes de la communauté queer qui lui ont alors dit quoi faire et où aller. Elle s’est retrouvée au Three Bridges Community Health Centre dont elle est toujours cliente. En matière d’accès à des soins d’affirmation de genre, son expérience a été vraiment simple. « En Colombie-Britannique, on ne peut pas dire qu’il y ait d’obstacles. Tout se fait sur la base du consentement, dit Cassidy. Parfois, ça prend vraiment du temps. Ils font des évaluations, un bilan et plein de tests. » Par contre, elle a pu avoir accès à la thérapie hormonale au bout de cinq mois. « Je vais à la même clinique depuis cinq ans et je vois toujours le même médecin. C’est aussi là que je vois mon conseiller et que je passais mes tests d’ITS lorsque je travaillais régulièrement [avec d’autres artistes] », dit-elle.

Cassidy a décidé de quitter sa carrière culinaire, terrifiée du jugement qui suivrait sa transition. « J’ai quitté le domaine de la restauration parce que j’avais peur que personne ne m’accepte, surtout en cuisine. C’est un milieu fortement dominé par les hommes et peuplé d’individus à la Gordon Ramsay qui crient sur tout le monde. » Après avoir démissionné, elle a vécu de ses économies et a commencé à travailler comme hôtesse de rencontres occasionnelles.

En 2013, des chercheurs de la City University of New York ont examiné la discrimination systémique qu’éprouvent les femmes trans qui envisagent le travail du sexe comme leur « seule option de carrière viable ». Ils ont remarqué qu’il est souvent impossible pour ces femmes de garder un emploi en raison de pratiques d’embauche discriminatoires, de harcèlement sur le lieu de travail et de l’absence d’un système de soutien. Il en résulte des niveaux élevés de pauvreté et de sans-abrisme, ce qui pousse les femmes trans à entrer dans le monde du travail du sexe comme « moyen de survie ». Le travail du sexe peut exposer les femmes trans à un risque accru de violence et d’incarcération. Cependant, les chercheurs ont fait un constat positif : « Certaines femmes trans ont souvent le sentiment d’être considérées comme étant de vraies femmes par leurs clients. » Ce sentiment était souvent absent de leur vie de tous les jours. 

« Je n’avais plus idée de ce que je faisais et ma sécurité était constamment menacée », explique Cassidy. Elle s’est mise à fréquenter une autre femme trans qui faisait du porno, ce qui lui a montré une façon différente et plus sécuritaire de se livrer au travail du sexe. Bien que toutes les formes de travail du sexe comportent des risques, le fait de travailler dans un environnement structuré et au sein d’une compagnie réputée a conduit à ce que Cassidy se sente moins vulnérable à la maltraitance. Un an plus tard, elle est partie jouer dans des films aux États-Unis pour plusieurs grandes maisons de production de films pour adultes. À partir de là, sa carrière a vraiment décollé, nous raconte-t-elle. « Ils ont commencé à mettre ma photo sur le devant de la pochette des DVD [et] au dos de cartes à jouer et de calendriers. »

À l’été 2017, à la suite de son augmentation mammaire, Cassidy a passé deux mois à Long Beach, en Californie. Elle est ensuite retournée à Vancouver, où elle vivait avec sa partenaire de deux ans, et avec qui elle était dans une relation polyamoureuse. Cassidy dit que pendant sa période de rétablissement, elle n’a ni travaillé ni eu de relations sexuelles, mais alors qu’elle se sentait de mieux en mieux, elle a ressenti le désir de coucher avec un homme cis — une chose qu’elle ne faisait que de temps en temps, car elle était principalement attirée par les femmes.

Après être allée un soir sur Grindr, elle a rencontré un homme et a passé une nuit bien plaisante avec lui. Pourtant, malgré avoir pris ses précautions, Cassidy a commencé à ressentir des symptômes de la grippe au bout d’une semaine (expérience courante chez les personnes qui viennent de contracter le VIH). Elle était censée partir à Los Angeles, mais son agence l’a encouragée à se faire tester avant son départ. Et c’est là qu’elle a appris qu’elle était séropositive.

« J’ai passé le test trois fois et annulé mon voyage à L.A. Mes partenaires m’ont bien entourée pendant tout ce temps-là », elle se souvient. « Ma clinique a été vraiment super. Mon conseiller, les médecins et les infirmières m’ont tous fait l’honneur de leur présence et me consolaient. Ils me connaissaient bien, alors c’était vraiment dur pour eux aussi. »

Cassidy a expliqué que les autres centres de dépistage qu’elle a fréquentés n’ont pas fait preuve d’autant de gentillesse ni de compassion. « Je ne m’y attendais pas du tout en tant que travailleuse du sexe et personne trans. Et pourtant, tout le personnel [de ma clinique] a vraiment été là pour moi », dit Cassidy. Elle est allée passer un test de charge virale à l’hôpital et on lui a trouvé 1 million de copies par ml. Dès l’amorce d’un traitement antirétroviral, sa charge virale a été rapidement supprimée.

Lorsqu’une personne vivant avec le VIH a une charge virale indétectable, il y a zéro transmission sexuelle du virus. Du moment que quelqu’un comme Cassidy continue de prendre ses médicaments antirétroviraux et que sa charge virale demeure indétectable, elle peut avoir des relations sexuelles sans condom, sans transmettre le VIH. Pour tout artiste séropositif à la charge virale indétectable et travaillant dans le domaine du divertissement pour adultes, cela signifie qu’ils peuvent théoriquement continuer de travailler dans l’industrie du porno sans transmettre le virus. Mais, dans le coin « hétéro » de la profession, les protocoles de l’industrie sont à la traîne dans le domaine de la science. Depuis qu’elle a dévoilé son statut VIH, Cassidy tourne des scènes en solo. Même si ce n’est pas une façon équitable de traiter les gens; elle est encore avec son agence et continue de travailler pour eux. D’après elle, c’est un signe de progrès.

Après plusieurs cas de transmission du VIH sur des plateaux de tournage pendant l’épidémie de sida à la fin des années 1980 et au début des années 1990, la Adult Industry Medical Health Care Foundation (AIM, Fondation de soins de santé médicaux pour l’industrie de divertissement pour adultes) a été créée afin d’offrir un dépistage mensuel des ITS aux artistes des États-Unis. Cependant, en 2011, AIM a mis la clé sous la porte à la suite d’une fuite importante des renseignements médicaux des artistes de divertissement pour adultes.

Dans le sillage de cette fermeture, le système Performer Availability Screen­ing Services (PASS ou Services de dépistage de disponibilité des artistes) a été établi. Il fournit une base de données des services de dépistage des ITS pour les artistes de divertissement pour adultes. Si un artiste contracte le VIH, l’industrie au complet ferme temporairement afin de s’assurer qu’il n’y a pas de transmission ultérieure (c’était le cas lorsque Cassidy a reçu son diagnostic de séropositivité). Étant donné que les artistes séropositifs sont exclus du système PASS, de nombreuses compagnies de production gaie ne s’en servent pas. Elles se fient plutôt à leurs propres mesures pour assurer la sécurité sur place. Il peut s’agir de la PrEP, du traitement comme prévention ou de l’usage de condom.

Cassidy explique que la plupart des artistes séropositifs sont mis sur une liste noire et disparaissent à tout jamais de la scène hétéro. Les personnes vivant avec le VIH sont donc fortement stigmatisées dans l’industrie du porno, malgré les traitements modernes. En partageant publiquement sa séropositivité et en abordant le sujet de front, Cassidy espère faire avancer une conversation au sens plus large qui porte sur la façon dont sont traités les artistes de divertissement pour adultes, qui sont indétectables.

En l’espace de cinq ans, Cassidy a dévoilé le fait qu’elle était à la fois trans et séropositive, elle s’est jointe à l’industrie du porno, et a été sélectionnée pour des prix destinés aux artistes de divertissement pour adultes. Ce n’est vraiment pas une mince affaire pour quelqu’un qui vit en marge de la société, cela prouve que les temps changent.


Les choses ont été bien différentes pour Isabella Gamk, une militante en logement basée dans le quartier de Church-Wellesley à Toronto. Cette femme de 59 ans vit avec le VIH depuis plus de 30 ans. En 1992, alors qu’elle travaillait à Vancouver, Isabella a reçu un diagnostic formel de VIH et on lui a révélé qu’elle vivait avec le virus depuis déjà cinq à 10 ans. En 2016, Isabella s’est affirmée comme trans, après avoir passé sa vie à se savoir femme.

Isabella a grandi dans la pauvreté, et venait d’une famille de sept enfants; elle a été élevée par une mère célibataire à Havelock, en Ontario. Dès son plus jeune âge, elle a aidé sa famille en travaillant dans des fermes de la région. Plus tard, elle a passé son temps entre la C.-B. et l’Ontario à la recherche d’emplois dans des métiers spécialisés. Au milieu des années 1980, Isabella et sa partenaire du moment ont perdu leur nouveau-né qui n’a vécu que quelques minutes. Les choses ne se sont pas améliorées lorsque, quelques années plus tard, son père qu’elle ne voyait plus est décédé d’un cancer.

Au début des années 1990, alors qu’elle vivait à Vancouver, Isabella a développé une éruption cutanée sur les épaules et le dos, et n’arrivait pas à s’en débarrasser. Au départ, les médecins ont pensé qu’elle avait des morpions, puis l’impétigo. Mais Isabella était convaincue qu’elle se mourait du cancer, tout comme son père. Elle a fini par passer des tests pour savoir si elle avait le cancer ou le VIH. Les résultats ont, à son grand soulagement, révélé qu’elle avait contracté le VIH. Ses médecins traitants ont été surpris du calme avec lequel elle a pris la nouvelle. « Je pensais que j’étais en train de mourir du cancer. Je ne vois pas la différence. » À l’époque, elle a vu son diagnostic de séropositivité comme une condamnation à mort. Trente ans plus tard, elle est toujours en vie.

On a prescrit à Isabella de l’AZT et on lui a conseillé d’éviter les cliniques, car son système immunitaire était fragile. À l’époque, Isabella ne se sentait pas concernée par l’épidémie de sida qui ravageait la communauté gaie et trans. Les années qui ont suivi l’ont vue passer par la maladie, la consommation de substances, le sans-abrisme et des intentions suicidaires.

Lorsqu’Isabella est retournée vivre en Ontario en 1994, sa mère lui a trouvé un logement. Il s’agissait du 127, rue Isabella, l’adresse d’une résidence pour personnes vivant avec le VIH (anciennement associée à la Casey House, le premier et unique hôpital indépendant canadien pour les personnes séropositives).

Isabella raconte que le fait de dévoiler son statut VIH est ce qui la protège du danger depuis des années. En effet, c’est dans les cas où elle n’a pas dévoilé son statut et que les gens l’ont appris par hasard que ceux-ci ont réagi avec colère et qu’elle s’est alors retrouvée en danger. Elle conseille aux jeunes, même ceux qui sont indétectables, d’être ouverts au sujet de leur statut VIH et de le faire là où ils sont en sécurité et au moment opportun. Pour des femmes comme Isabella et Cassidy, la double stigmatisation d’être trans et séropositive les rend particulièrement vulnérables à la maltraitance.

Bien que sa charge virale soit indétectable, Isabella n’avait pas eu de relations sexuelles depuis plus de 10 ans. Lorsque l’occasion s’est présentée il y a quelques années, l’homme à qui elle venait de dévoiler son statut s’est rhabillé et est parti aussitôt. Mais, selon Isabella, il vaut mieux ça que de risquer une altercation si jamais elle gardait sa séropositivité secrète. Elle continuera de dévoiler son statut à tout partenaire sexuel potentiel — et ce, même s’il y a zéro transmission du virus — en raison de la stigmatisation qui perdure.

En plus des difficultés associées au fait de vivre avec le VIH, Isabella a fait face à de l’adversité dans sa transition. « J’étais aux prises avec des pensées suicidaires et ai fait cinq tentatives. La dernière fois, c’était il y a environ 10 ans. Si je n’avais pas commencé à prendre des hormones, j’aurais peut-être refait une tentative ces dernières années », explique-t-elle. Selon le Centre de prévention du suicide, plus de 10 % de toutes les personnes trans ont tenté de mettre fin à leur vie au cours de la dernière année, et de 22 % à 43 % de toutes les personnes trans ont essayé de se suicider au moins une fois dans leur vie.

Au début des années 2000, Isabella s’est rendue au Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) en espérant pouvoir y commencer une thérapie hormonale. Son expérience s’est révélée désastreuse et a vraiment retardé sa transition. « Je voulais commencer à prendre des hormones il y a environ 15 ans de cela, mais ils m’en ont refusé le droit », se remémore Isabella. « Ils m’ont dit que je n’avais pas les moyens d’en couvrir le coût, que ce n’était pas une bonne idée pour moi et que je devais vivre en tant que femme pendant au moins deux ans avant qu’ils envisagent même de me donner des hormones. » L’expérience d’Isabella diffère sensiblement de celle de Cassidy. En effet, en matière d’accès au traitement, les règles régissant les périodes d’attente sont maintenant beaucoup plus souples.

Un rapport d’ONUSIDA de 2014 a montré que 19 % des femmes trans du monde entier vivent avec le VIH. De plus, les femmes trans courent 49 fois plus de risque de contracter le virus que tous les autres adultes confondus. Ceci est conforté par de la recherche menée au Canada : en Ontario, le projet de recherche communautaire Trans PULSE a révélé que les femmes trans sont affectées par le VIH de manière disproportionnée. Dans le cadre de cette étude, des entrevues ont été réalisées à la fois auprès de femmes trans séropositives et de fournisseurs de services afin de mieux cerner leur relation. L’étude a révélé que les femmes trans se heurtent à des obstacles en matière de soins, notamment « des interactions négatives avec des fournisseurs de soins de santé, un manque de connaissances des fournisseurs, des programmes distincts pour les deux sexes et une caractérisation pathologique fréquente des identités trans. » De tels obstacles entraînent des milieux de santé hostiles ce qui dissuade les femmes trans d’accéder à d’importants services.

C’est en raison de ces interactions négatives avec des professionnels de la santé qu’Isabella n’a pas entamé le processus de transition avant 2016. « Il y a trois ans et demi, je dépérissais, je ne pesais plus que 58 kilos, alors que je mesure près de deux mètres. J’ai entendu quelqu’un raconter avoir pris du poids depuis sa prise d’hormones. Je me suis tournée vers le médecin et je lui ai dit “Vous savez, j’ai toujours voulu être une fille. Je veux prendre des hormones”. » C’est finalement une fois qu’elle a pu avoir accès à la thérapie hormonale qu’Isabella a non seulement pris du poids, mais a aussi pu réaliser son rêve de faire sa transition.

Passons maintenant à 2019. Isabella vient de subir une vaginoplastie avec succès — c’est-à-dire une opération chirurgicale qui consiste à créer un vagin en se servant du tissu pénien — dans une clinique privée de Montréal, opération couverte par le régime d’assurance-santé provincial de l’Ontario. Précédemment les seules options disponibles pour les femmes trans canadiennes qui souhaitaient subir une chirurgie du bas étaient de se rendre à cette clinique ou de se déplacer à l’étranger. Les choses ont toutefois récemment commencé à changer : en 2018, le Women’s College Hospital de Toronto a mis en place son Programme de chirurgie liée à la transition et, dans le cadre de celui-ci, a effectué sa première vaginoplastie en Ontario en vingt ans.

RESSOURCES

Deidre Olsen est une auteure et rédactrice établie à Toronto.

Photographies par Kamil Bialous et Carlos Osorio.