- Les injections de lénacapavir se sont montrées très efficaces pour prévenir le VIH chez les femmes cisgenres
- Un nouvel essai clinique a été mené auprès d’HARSAH, de femmes trans et de personnes non binaires
- On a constaté moins d’infections chez les personnes recevant des injections que chez celles sous PrEP orale
Le médicament lénacapavir est à l’étude pour déterminer sa capacité de réduire le risque d’infection par le VIH chez différentes populations. Ce traitement préventif s’est déjà révélé très efficace lors d’un essai clinique mené auprès d’adolescentes et de femmes cisgenres.
Une équipe de recherche a récemment publié les détails d’un essai clinique randomisé à double insu et contrôlé contre placebo du lénacapavir mené auprès de 3 271 personnes. La vaste majorité de celles-ci étaient des hommes cisgenres s’identifiant comme gais, bisexuels ou d’autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (hommes gbHARSAH). L’équipe a comparé les effets d’injections de lénacapavir effectuées tous les six mois à ceux de la PrEP orale quotidienne par Truvada. L’usage du lénacapavir a été associé à une réduction statistiquement significative du risque d’infection par le VIH.
Détails de l’étude
L’étude a eu lieu dans les pays suivants :
- Afrique du Sud
- Argentine
- Brésil
- Mexique
- Pérou
- Thaïlande
L’équipe de recherche a fait passer un dépistage du VIH aux participant·e·s en utilisant diverses analyses (tests de dépistage de l’antigène et des anticorps anti-VIH et, advenant un résultat positif, un test de recherche de l’ARN VIH). Tous les tests ont donné des résultats négatifs avant le début de l’étude. Les participant·e·s ont également passé des tests de dépistage du VIH à intervalles réguliers au cours de l’étude.
L’équipe de recherche a ensuite réparti les participant·e·s dans un rapport de 2 à 1 pour recevoir soit le lénacapavir par injection tous les six mois, soit Truvada par voie orale tous les jours; ce dernier est un comprimé contenant à la fois les médicaments FTC et TDF (ténofovir DF). Comme cet essai a été conçu de manière complexe, les participant·e·s ont également reçu des doses de médicaments factices (placebos).
Voici la répartition des participant·e·s en fonction des médicaments donnés :
Lénacapavir
- 2 183 personnes ont reçu deux injections sous-cutanées (juste en dessous de la peau) dans l’abdomen le premier jour de l’étude; les jours 1 et 2, elles ont également reçu deux comprimés de 300 mg de lénacapavir par voie orale. Aucune autre dose orale de ce dernier n’a été nécessaire par la suite, à moins que les participant·e·s aient manqué des rendez-vous pour se faire injecter tous les six mois. Il a été nécessaire d’associer les versions injectable et orale du lénacapavir pour faire augmenter rapidement la dose du médicament jusqu’à un niveau élevé et protecteur.
Les participant·e·s recevant le lénacapavir ont également reçu des comprimés conçus pour ressembler à Truvada. Notons cependant qu’il s’agissait de placebos, c’est-à-dire des comprimés ne contenant aucun médicament actif.
Truvada
- 1 088 personnes ont reçu Truvada par voie orale tous les jours; ce dernier s’était révélé très efficace dans le cadre d’essais cliniques antérieurs lorsqu’il était utilisé comme il se devait. Les participant·e·s ont pris deux comprimés de Truvada le jour 1, puis un seul comprimé chaque jour par la suite.
Les participant·e·s qui recevaient Truvada ont également reçu des injections de lénacapavir factice, ainsi que deux comprimés de faux lénacapavir, soit des placebos.
Tou·te·s les participant·e·s ont été testé·e·s régulièrement pour le VIH et des infections transmissibles sexuellement courantes. Des échantillons de liquides biologiques (sang et urine) ont également été analysés pour déterminer les concentrations des médicaments et détecter d’éventuels effets toxiques.
La phase contrôlée contre placebo de l’étude a duré un an. Ensuite, le double insu a été levé, et l’équipe de recherche a dévoilé aux participant·e·s quel médicament leur avait été donné jusque-là. Tous les participant·e·s séronégatif·ve·s avaient alors le droit de recevoir le lénacapavir à titre préventif.
Le profil moyen de la cohorte était le suivant au début de l’étude :
- âge : 28 ans (plage d’âge de 17 à 74 ans; près du tiers avaient entre 16 et 25 ans)
- identités de genre : hommes cisgenres – 78 %; femmes trans – 14 %; personnes de genre non binaire – 6 %; hommes trans – 1 %
- orientation sexuelle : homosexuel·le/bisexuel·le – 90 %; hétérosexuel·le – 7 %; autre – 3 %
- principaux groupes ethnoraciaux : Noir·e·s – 37 %; Blanc·he·s – 33 %; Autochtones – 16 %; Asiatiques – 12 %
- 27 % des participant·e·s avaient passé un test de dépistage du VIH avant l’étude chez les personnes précédemment testées pour le VIH, le test le plus récent remontait en moyenne à sept mois avant le début de l’étude
- près du quart des participant·e·s avaient suivi auparavant une prophylaxie pré-exposition au VIH (PrEP)
- chez les personnes ayant suivi une PrEP, la dose la plus récente remontait à environ un an avant l’étude
- 12 % des participant·e·s utilisaient des hormones d’affirmation de genre
Résultats
Onze nouvelles infections par le VIH se sont produites durant l’étude, comme suit :
- lénacapavir : deux personnes
- Truvada : neuf personnes
Cette différence est significative du point de vue statistique, c’est-à-dire non attribuable au seul hasard.
Accent sur le VIH et le lénacapavir
L’équipe de recherche a analysé des échantillons de sang prélevés chez les participant·e·s qui ont contracté le VIH durant l’étude. Chez les deux personnes recevant le lénacapavir, les technicien·ne·s ont constaté que la concentration de ce dernier se trouvait dans la fourchette de valeurs attendue.
L’une de ces participant·e·s était une femme trans qui a reçu un diagnostic de séropositivité à la 13e semaine de l’étude. Sa charge virale se situait à plus de 900 000 copies/ml. Le second participant était un homme gai cisgenre dont le diagnostic a été posé à la 26e semaine de l’étude. Sa charge virale était légèrement supérieure à 14 000 copies/ml.
Ces deux personnes n’ont pas signalé de symptômes de l’infection par le VIH. Cette dernière a été découverte par un test de dépistage, ce qui souligne l’importance qu’auront les dépistages réguliers du VIH lorsque le lénacapavir sera approuvé pour la prévention et qu’il sera utilisé dans la communauté.
Notons que le VIH de ces deux participant·e·s avait acquis une résistance au lénacapavir.
Accent sur le VIH et Truvada
Selon l’équipe de recherche, « les neuf participant·e·s [du groupe Truvada] qui ont reçu un diagnostic d’infection par le VIH présentaient des indices d’une faible observance thérapeutique, voire aucune, ou avaient cessé de prendre [Truvada] plus de 10 jours avant leur diagnostic ».
L’équipe de recherche a été en mesure d’analyser les taux de ténofovir (TDF, ingrédient de Truvada) afin de déduire le taux d’observance thérapeutique atteint par huit personnes devenues séropositives. Deux personnes sur huit avaient un faible taux de ténofovir, et les six autres ne présentaient aucune trace du médicament. Chez une personne, le VIH avait acquis une résistance au FTC, l’autre ingrédient de Truvada.
Innocuité globale
En général, les médicaments figurant dans cette étude ont été bien tolérés. Les taux d’effets indésirables couramment signalés lors des essais cliniques des médicaments contre le VIH, soit la diarrhée, les maux de tête et les nausées, étaient relativement faibles et se répartissaient comme suit :
Diarrhée
- lénacapavir : 7 %
- Truvada : 7 %
Maux de tête
- lénacapavir : 6 %
- Truvada : 7 %
Nausées
- lénacapavir : 4 %
- Truvada : 6 %
Ces effets secondaires étaient légers ou modérés et se sont généralement révélés temporaires.
Une très faible proportion de participant·e·s ont quitté prématurément l’étude à cause d’effets indésirables graves, comme suit :
- lénacapavir : 0,3 %
- Truvada : 0,6 %
Réactions aux sites d’injection
Les réactions aux sites d’injection ont été l’effet secondaire le plus courant et se sont produites dans les proportions suivantes :
- lénacapavir : 83 %
- Truvada : 70 %
La plupart des réactions aux sites d’injection, soit rougeurs, douleurs et enflures temporaires, ont été légères ou modérées. Les proportions de participant·e·s qui ont éprouvé de la douleur aux sites d’injection étaient semblables dans les groupes recevant les injections du lénacapavir véritable ou du placebo.
Notons que de petites bosses appelées nodules sont apparues juste en dessous de la peau près des sites d’injection chez davantage de personnes sous lénacapavir (63 %) que sous Truvada (39 %). Selon l’équipe de recherche, ces nodules contenaient du lénacapavir et se résorbaient graduellement au fur et à mesure que le médicament en était libéré pour entrer dans la circulation sanguine. Les nodules causés par les injections de lénacapavir ont duré six mois en moyenne, et leurs dimensions ont varié. Les nodules les plus grands faisaient en moyenne trois centimètres de diamètre. Lors d’autres essais cliniques où des personnes séropositives avaient reçu le lénacapavir dans le cadre d’un traitement d’association, les équipes de recherche ont rapporté que les nodules contenaient une accumulation de cellules immunitaires dans certains cas. Or, cela n’a pas été signalé lors du présent essai clinique auquel ont participé des personnes séronégatives.
Parmi les personnes qui recevaient Truvada et des injections du placebo, 39 % ont présenté des nodules. Ces derniers sont restés un peu plus de deux mois en moyenne. Les nodules les plus grands avaient tendance à mesurer deux centimètres de diamètre.
L’équipe de recherche n’a pas observé la formation de cicatrices chez les personnes présentant des nodules, et ce, qu’elles aient reçu des injections de lénacapavir ou du placebo.
Au fil du temps, les réactions aux sites d’injection (y compris la douleur et la formation de nodules) sont devenues moins courantes et moins graves, que les participant·e·s aient reçu des injections de lénacapavir ou du placebo.
Quelques personnes ont présenté des ulcères juste en dessous de la peau à l’endroit où les injections avaient été effectuées. Il est probable que le liquide n’avait pas été injecté assez profondément dans la peau dans ces cas.
Voici la répartition des départs de participant·e·s attribuables à des réactions incommodantes aux sites d’injection :
- lénacapavir : 1,2 %
- Truvada : 0,3 %
L’équipe de recherche a avancé les hypothèses suivantes pour expliquer la baisse des réactions aux sites d’injection au cours de l’étude :
- L’habileté du personnel infirmier à injecter le lénacapavir (et le placebo) s’est améliorée au fil du temps, et les participant·e·s ont reçu un counseling préinjection pour les y préparer;
- Au cours de l’étude, on a introduit l’application de glace ou de compresses froides sur les sites d’injection avant et après l’administration du médicament;
- « Il se peut que les participant·e·s se soient mieux habitué·e·s à l’expérience des injections et aient signalé moins de préoccupations lors des injections subséquentes ».
Résultats des tests de laboratoire
Au cours de l’étude, environ 85 % des participant·e·s ont reçu un résultat de laboratoire anormal (suite à l’analyse d’un échantillon de sang ou d’urine), peu importe le médicament utilisé. Selon l’équipe de recherche, « la plupart » de ces résultats de laboratoire n’étaient que légèrement ou modérément anormaux.
Des anomalies de laboratoire graves ou très graves ont toutefois été obtenues chez 11 % des personnes sous lénacapavir et chez 14 % des personnes sous Truvada. Notons cependant que ces anomalies n’ont pas été associées à de mauvaises conséquences subséquentes.
La fonction rénale a baissé quelque peu chez des personnes recevant Truvada. Cet effet connu du TDF a été signalé lors de nombreux essais cliniques antérieurs. À titre de comparaison, notons que la fonction rénale est restée stable ou s’est légèrement améliorée chez des personnes recevant le lénacapavir.
Infections transmissibles sexuellement
Les taux d’infections transmissibles sexuellement courantes étaient largement similaires chez l’ensemble des participant·e·s, quelle que soit la prophylaxie utilisée.
Décès
De temps en temps, il arrive malheureusement que des gens décèdent pendant un essai clinique. Dans celui-ci, six personnes sous lénacapavir et deux personnes sous Truvada sont mortes. Une investigation a révélé qu’aucun de ces décès n’était attribuable aux médicaments figurant dans l’étude.
À retenir
Cette étude a permis de constater que les injections de lénacapavir effectuées deux fois par an avaient une grande efficacité à réduire le risque de contracter le VIH pour les participant·e·s en question. Qui plus est, le lénacapavir s’est révélé plus efficace que Truvada à cette fin, sans doute en raison de l’allègement de la contrainte de l’observance thérapeutique. Lors d’une étude antérieure, le lénacapavir s’était montré très efficace pour réduire le risque de VIH chez des femmes et des adolescentes.
Même si deux infections par le VIH se sont produites parmi les personnes recevant le lénacapavir, il importe de noter que plus de 99 % des participant·e·s ayant reçu ce dernier ont été protégé·e·s contre l’infection. L’équipe de recherche a souligné que ce niveau de protection globale élevé a été obtenu malgré « des taux élevés d’expositions [au VIH], d’usage conjoint de drogues durant les relations sexuelles (chemsex) et d’infections transmissibles sexuellement ».
Avançons vers l’accès
En ce qui concerne la prévention du VIH, il est probable que la posologie du lénacapavir, soit deux injections par an, facilite l’observance thérapeutique; si le médicament était largement accessible, il aiderait aussi à réduire la propagation du VIH. Il est probable que l’usage du lénacapavir à titre préventif contre le VIH sera approuvé au Canada et dans l’Union européenne en 2026. L’approbation aura probablement lieu aux États-Unis en 2025. Une fois qu’il sera approuvé au Canada, le lénacapavir mettra plusieurs mois à être ajouté aux listes des médicaments couverts par les compagnies d’assurance privées. Lorsque le lénacapavir sera approuvé pour la prévention du VIH, son fabricant, Gilead Sciences, entamera des négociations avec les ministères de la Santé provinciaux et territoriaux dans le but de fixer, espérons-le, un prix abordable que ces ministères pourront subventionner afin de rendre le médicament accessible.
À l’avenir
Dans ce bulletin de Nouvelles CATIE, nous avons rendu compte d’un essai clinique où le lénacapavir injectable était administré deux fois par an. En 2025, Gilead commencera à tester une seule injection annuelle du lénacapavir pour déterminer si elle aura également une grande efficacité à réduire le risque d’infection par le VIH. Si l’essai de Gilead est concluant, cela marquera un autre jalon dans l’histoire de la pandémie de VIH, car une seule dose annuelle simplifiera énormément l’observance thérapeutique et incitera sans doute beaucoup de gens à vouloir utiliser et suivre fidèlement la PrEP.
Si nous souhaitons toutefois que le lénacapavir réalise son plein potentiel quant à l’altération de la trajectoire de la pandémie de VIH, de nombreuses mesures additionnelles seront nécessaires au Canada (et sans doute dans d’autres pays), y compris les suivantes :
- fixation de prix responsable de la part du fabricant
- subvention du coût du lénacapavir par les ministères provinciaux et territoriaux
- accès plus large aux prestataires de soins de santé : À l’heure actuelle, ce sont surtout les généralistes, les spécialistes en maladies infectieuses et certain·e·s infirmier·ère·s praticien·ne·s qui prescrivent et administrent la PrEP et font le suivi de laboratoire connexe. Au Canada, des scientifiques estiment que des dizaines de milliers de personnes à risque de contracter le VIH ne suivent pas de PrEP, en partie parce qu’elles n’ont pas de médecin de soins primaires. (Notons qu’à l’heure actuelle, des millions de Canadien·ne·s n’ont pas accès à un·e prestataire de soins de santé primaires.) À l’avenir, si l’on souhaite que l’accès au lénacapavir devienne réalité pour une grande portion de populations vulnérables, les systèmes de santé devront envisager d’habiliter une variété de prestataires de soins à administrer le médicament, y compris les pharmacien·ne·s et le personnel infirmier des cliniques de santé sexuelle et de santé publique. D’autres spécialistes, dont les obstétricien·ne·s, les gynécologues et les expert·e·s en médecine des dépendances, pourraient être aussi envisagé·e·s pour prescrire le lénacapavir.
- campagne pancanadienne de déstigmatisation du VIH en général et du dépistage et de la prévention en particulier; cela sera nécessaire pour assurer l’utilisation à plus grande échelle du lénacapavir (et d’autres formes de PrEP) afin que le dépistage et la prévention du VIH (ainsi que le traitement, le cas échéant) soient perçus comme routiniers et une partie normale d’une vie vécue en bonne santé.
Tous ces efforts devront être déployés à long terme et nécessiteront des fonds additionnels.
Le lénacapavir et d’autres formes de PrEP ont le potentiel de mettre fin au VIH en tant que menace pour la santé publique. Cependant, tant que la volonté politique et les détenteur·trice·s de l’argent ne seront pas fermement engagé·e·s à faire disparaître la pandémie de VIH, ce potentiel ne sera pas réalisé.
—Sean R. Hosein
Ressource
Le lénacapavir très efficace pour la prévention du VIH chez les femmes – TraitementActualités 254
RÉFÉRENCES :
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- Editorial. Lenacapavir licenses will not deliver on all opportunities. Lancet HIV. 2024 Nov;11(11):e717.