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CATIE
  • Des chercheurs ont mené une étude randomisée sur la kétamine et la pleine conscience
  • Certaines personnes ont réussi à arrêter de consommer de la cocaïne
  • La recherche continue pour découvrir le potentiel de la kétamine contre la dépendance

Des recherches menées dans le passé ont révélé des liens entre la consommation de cocaïne et un risque accru de se faire infecter par le VIH ou l’hépatite C. Les stratégies de réduction des méfaits aident à réduire ce risque, et nombre de chercheurs ont évalué des moyens de venir en aide aux personnes qui souhaitent réduire ou cesser leur consommation de cocaïne. Il n’existe aucun traitement approuvé de la dépendance à la cocaïne, mais l’anesthésique kétamine s’est montré prometteur lors d’essais cliniques préliminaires.

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À propos de la kétamine

Depuis 20 ans, on accumule des données de recherche indiquant que le médicament kétamine peut soulager les sentiments de dépression chez certaines personnes. Une formulation intraveineuse de la kétamine est utilisée au Canada et dans d’autres pays à revenu élevé depuis de nombreuses années, d’abord comme anesthésique vétérinaire et ensuite chez les humains. Bien que cette utilisation du médicament n’ait pas été approuvée par les agences de réglementation, certains psychiatres ont traité avec succès des personnes souffrant de dépression à l’aide de la kétamine intraveineuse. La kétamine sous forme de poudre est utilisée par de nombreuses personnes comme drogue récréative (on l’appelle couramment « K » ou « Special K » dans ce contexte). Cette utilisation de la kétamine peut créer une dépendance chez certaines personnes.

En mars 2019, la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis a approuvé un produit étroitement lié à la kétamine qui porte le nom d’eskétamine. Ce produit est offert sous forme de vaporisateur nasal. Le vaporisateur est censé être utilisé dans le cadre d’un traitement d’association contre la dépression lorsque celle-ci résiste au traitement standard.

Des chercheurs aux États-Unis sont maintenant d’avis que la kétamine intraveineuse a le potentiel de traiter efficacement la dépendance à la cocaïne chez certaines personnes.

Lors d’un essai clinique randomisé mené auprès de 55 participants, les chercheurs ont trouvé que la combinaison d’une seule perfusion de kétamine et d’exercices fondés sur la pleine conscience a aidé à réduire significativement la dépendance à la cocaïne chez plusieurs personnes.

Ces résultats devraient être considérés comme très prometteurs, mais préliminaires. Il faut que la recherche se poursuive dans le cadre d’essais cliniques de plus grande envergure et de plus longue durée qui soient conçus différemment de celui dont nous parlons ici. Plus loin dans ce bulletin de Nouvelles CATIE, nous expliquerons certains des enjeux que les essais cliniques futurs de la kétamine pourraient explorer.

Détails de l’étude

Les chercheurs ont inscrit des personnes qui voulaient cesser de consommer de la cocaïne, mais qui n’y arrivaient pas à cause d’une dépendance. Les participants ont passé cinq jours consécutifs dans l’unité de recherche d’un hôpital psychiatrique. Le premier jour, ils ont commencé un programme de prévention de la rechute fondé sur la pleine conscience (nous en parlons davantage plus loin) qu’ils ont poursuivi pendant cinq jours consécutifs. Le deuxième jour, les participants ont été répartis au hasard pour recevoir un des traitements suivants administrés par voie intraveineuse sur une période de 40 minutes :

  • kétamine à raison de 0,5 mg/kg
  • le sédatif midazolam à raison de 0,025 mg/kg

Avant d’effectuer la perfusion, afin de cacher aux participants quel médicament serait utilisé, les chercheurs leur ont dit qu’ils recevraient un des médicaments ou substances suivants :

  • amantadine
  • buspirone
  • D-cyclosérine
  • kétamine
  • mémantine
  • midazolam
  • saline

Une autre raison pour dissimuler quel médicament serait utilisé consistait à atténuer ce que les chercheurs appelaient les « effets de prévision ».

À la fin de la cinquième semaine, les chercheurs ont dirigé les participants vers des médecins spécialisés en médecine de la toxicomanie. Enfin, six mois après le début de l’étude, le personnel de celle-ci a appelé les participants pour faire des entrevues.

À propos de la pleine conscience en général

Selon le psychologue canadien Scott Bishop, Ph. D., la thérapie par la pleine conscience a été « adaptée des pratiques de méditation de pleine conscience traditionnelles » provenant du bouddhisme. À l’origine, elle a été créée pour réduire la détresse psychologique et pour prévenir ainsi les rechutes chez les personnes ayant guéri de la dépression.

Dans la thérapie par la pleine conscience, explique le Dr Bishop, le thérapeute apprend aux participants à prendre davantage conscience de leurs « pensées et sentiments et à changer leurs rapports avec ceux-ci. La pleine conscience aide les participants à prendre du recul par rapport à leurs pensées et à leurs sentiments à l’occasion de situations stressantes, au lieu de se livrer à une inquiétude anxieuse ou à d’autres habitudes en matière de pensées négatives qui pourraient faire escalader un cycle de réactivité au stress et contribuer à une détresse émotionnelle amplifiée ».

Dans le cadre de la thérapie par la pleine conscience, les participants apprennent une variété de pratiques de méditation, y compris les méditations assise et marchée, le balayage corporel en position allongée et le yoga. De nombreuses pratiques commencent par la focalisation de l’attention sur la respiration. Lorsque l’attention des participants commence à vagabonder, ils sont encouragés à accepter et à reconnaître leurs pensées et sentiments et à rediriger leur attention vers leur respiration. À mesure que le cours progresse, les participants entament une exploration plus directe de leurs sensations, sentiments et pensées pénibles.

La thérapie par la pleine conscience consiste typiquement en huit à 10 séances hebdomadaires durant lesquelles les participants adoptent un exercice de méditation guidée. Les participants apprennent les effets que le stress et les émotions exercent sur leur esprit et leur corps et les façons de gérer les situations stressantes en utilisant la pleine conscience. Ils s’exercent également à méditer tous les jours chez eux à l’aide d’enregistrements leur servant de guide. Le programme inclut plus d’une heure de pratique et de devoirs tous les jours.

Selon le Dr Bishop, la thérapie par la pleine conscience « comprend une approche réflective, chaleureuse, réceptive et contemplative des situations, une ouverture d’esprit et une tendance à l’introspection curieuse ».

Pleine conscience et autres enjeux dans la présente étude

Les chercheurs responsables de cette étude ont adapté des techniques de pleine conscience traditionnelles développées pour réduire le risque de rechute chez les personnes qui ont tenté antérieurement de rompre leur dépendance aux substances. Cette forme adaptée de la thérapie par la pleine conscience s’appelle la prévention de la rechute basée sur la pleine conscience (Mindfulness-based Relapse Prevention [MBRP]). Utilisée seule, la MBRP a fait preuve d’une « efficacité modeste » chez les personnes aux prises avec un trouble de consommation d’alcool ou de drogues, selon les chercheurs. Quatre séances de MBRP ont été données durant l’étude, soit le deuxième et le cinquième jour.

Les participants retournaient au site de l’étude deux fois par semaine pour recevoir des séances additionnelles de MBRP (données une fois par semaine), fournir des échantillons de sang et d’urine et se faire évaluer par les médecins affiliés à l’étude.

Au début de l’étude, les participants avaient le profil de base moyen suivant :

  • âge : 47 ans
  • 74 % d’hommes, 26 % de femmes
  • modes d’administration de la cocaïne : fumée (freebase) – 64 %; inhalée sous forme de poudre – 24 %; les deux façons – 13 % (les chiffres ne s’additionnent pas à 100 % parce qu’ils ont été arrondis)
  • problèmes coexistants : trouble de stress post-traumatique – 14 %; trouble d’utilisation de l’alcool – 22 %
  • la plupart des participants semblaient souffrir d’une maladie dépressive de degré modéré

Même si les chercheurs ne l’ont pas mentionné, il est peu probable que les participants souffraient d’une infection virale chronique comme l’hépatite C ou le VIH.

Résultats

Les participants qui ont reçu de la kétamine (désignés dorénavant comme le groupe kétamine) étaient moins susceptibles de consommer subséquemment de la cocaïne. De plus, durant les deux dernières semaines de l’étude, les échantillons d’urine prélevés par les techniciens ont révélé que 48 % des personnes du groupe kétamine n’avaient pas consommé de cocaïne, comparativement à 11 % dans le groupe midazolam.

Les chercheurs ont trouvé que les membres du groupe kétamine ont connu une réduction de 53 % de leur risque de rechute (abandon de l’étude ou consommation de cocaïne) et une réduction de 58 % de leur envie de consommer de la cocaïne, comparativement aux membres du groupe midazolam. De plus, la réduction de l’envie de cocaïne (évaluée par questionnaire validé) semblait se maintenir chez certaines personnes dans le groupe kétamine.

Toutes ces différences entre le groupe kétamine et le groupe midazolam sont significatives du point de vue statistique, c’est-à-dire non attribuables au seul hasard.

Innocuité

Selon les chercheurs, les deux médicaments figurant dans l’étude ont été bien tolérés. La kétamine était associée à des effets secondaires bien connus, notamment la confusion et les hallucinations auditives et visuelles. Les chercheurs ont toutefois souligné que ces effets se sont résolus « dans les 30 minutes suivant la perfusion ». La tension artérielle systolique a augmenté de 20 points après la perfusion de kétamine, mais cet effet s’est également résolu subséquemment.

Selon les chercheurs, le midazolam a provoqué « un léger effet sédatif qui a duré moins de 12 heures ». Aucun des deux médicaments n’a été associé aux effets suivants : « perturbations psychiatriques persistantes, aggravation clinique, augmentation de la consommation de drogues ou émergence d’une nouvelle utilisation abusive de drogues (kétamine, opioïdes ou benzodiazépines), comme l’ont attesté l’autodéclaration, la toxicologie urinaire et l’évaluation psychiatrique ».

Entrevues téléphoniques

Six mois après le début de l’étude, les participants ont dévoilé ceci : 44 % des membres du groupe kétamine et aucun membre du groupe midazolam avaient cessé de consommer de la cocaïne. Contrairement aux cinq premières semaines de l’étude, aucune analyse d’urine n’a été effectuée pour confirmer la non-utilisation de la cocaïne.

À retenir

Dans le cadre de cette étude exploratoire bien conçue, les chercheurs ont trouvé que l’association d’une seule perfusion de kétamine et d’un programme de MBRP a donné lieu à l’arrêt de la consommation de cocaïne chez une proportion significative des participants. Il est toutefois important de souligner que cette intervention n’a pas aidé tout le monde.

Étant donné la façon dont cette étude était conçue (il n’y avait pas de groupe témoin qui n’a pas suivi de programme de MBRP), il n’est pas évident que la MBRP est nécessaire pour aider les gens à cesser de consommer de la cocaïne. Il est possible que la kétamine seule ou en combinaison avec une autre approche psychologique soit tout autant efficace.

Cette étude n’était pas parfaite : elle comptait relativement peu de participants, la plupart de ceux-ci étaient des hommes et tout le monde faisait l’objet d’une surveillance médicale rigoureuse durant les cinq premiers jours. De plus, les participants ne souffraient d’aucune maladie mentale importante comme la dépression grave, le trouble bipolaire ou la schizophrénie. Il est cependant probable que les chercheurs et les personnes aux prises avec une dépendance à des substances s’intéresseront à d’éventuelles recherches futures sur la kétamine. Cet intérêt donnera peut-être lieu au développement d’un programme de recherche pour étudier la kétamine.

À l’avenir

Les études futures sur la kétamine comme moyen de contrer la dépendance aux substances devraient se fixer les objectifs suivants, entre autres :

  • recruter un grand nombre de personnes
  • suivre les participants pendant plusieurs années afin d’en savoir plus sur l’efficacité et l’innocuité à long terme de la kétamine utilisée à titre de traitement de la dépendance
  • recruter obligatoirement des personnes dans les populations suivantes : femmes, personnes atteintes d’infections virales chroniques comme l’hépatite B ou C et/ou le VIH, personnes souffrant de maladies mentales graves
  • établir des sites de recherche communautaires, en plus des sites hospitaliers
  • comparer les effets de différentes formulations, doses et posologies de la kétamine
  • explorer le potentiel de la kétamine dans les cas de dépendance à des substances autres que la cocaïne

Les chercheurs ont encore beaucoup de travail à faire s’ils souhaitent en apprendre davantage sur le potentiel de la kétamine pour la médecine de la toxicomanie. Ils devront concevoir des essais cliniques, rédiger des demandes de subvention volumineuses et rivaliser avec d’autres chercheurs pour obtenir les fonds limités alloués à la recherche. Même si l’argent est octroyé, les chercheurs devront engager du personnel et évaluer des centaines sinon des milliers de volontaires potentiels pour les études futures. Tous ces efforts feront en sorte que le vrai potentiel de la kétamine ne sera pas connu avant de nombreuses années.

—Sean R. Hosein

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