Le virus CMV (cytomégalovirus) est présent chez de nombreux adultes. En général, le virus ne cause pas de maladie grave, sauf en présence d'un affaiblissement immunitaire important, comme dans les cas de greffe d'organe, de cancer ou de sida.
À l'époque précédant l'arrivée des combinaisons de médicaments puissants contre le VIH (couramment appelées multithérapies ou TAR), le CMV causait souvent des dommages au tube digestif et à d'autres systèmes organiques. Ce virus avait aussi pour complication redoutable l'inflammation de la rétine, soit la région de l'œil qui est sensible à la lumière. Appelée rétinite à CMV, cette complication touchait le plus souvent les personnes séropositives au système immunitaire gravement affaibli (celles dont le compte de CD4+ était tombé sous la barre des 50 cellules). La rétinite à CMV peut causer la cécité.
De nos jours, la multithérapie est largement disponible au Canada et dans les autres pays à revenu élevé. Grâce aux énormes effets bénéfiques qu'elle exerce sur le système immunitaire, les nouveaux cas de rétinite à CMV sont maintenant rares.
Problèmes oculaires à l 'époque moderne
Depuis une décennie aux États-Unis, on entend parler de plus en plus de problèmes visuels inattendus et subtils chez des personnes séropositives ayant déjà souffert d'infections liées au sida ou dont le compte de CD4+ se situe à moins de 200 cellules. Des analyses exhaustives et complexes effectuées par différentes équipes d'ophtalmologues ont donné les résultats suivants, entre autres :
- réduction de la sensibilité visuelle à la couleur
- réduction de la perception des contrastes
- défauts visuels subtils
Ces changements ont été liés à l'amincissement de la rétine chez certaines personnes séropositives et sont désignés par le terme de trouble neurorétinien lié au VIH (TNR-VIH).
Le TNR-VIH n'est pas associé à la diminution de l'acuité visuelle.
Nous explorons les causes possibles du TNR-VIH plus loin dans ce bulletin de Nouvelles CATIE.
Conséquences du TNR-VIH
Les conséquences du TNR-VIH ne sont pas encore claires. Les résultats d'études menées auprès de personnes séronégatives soulèvent la possibilité, entre autres, que les changements subtils associés au TNR-VIH rendent la lecture plus difficile et plus lente à faire. Il faut toutefois que cette hypothèse soit confirmée par une étude d'envergure rigoureusement conçue.
Lors d'une étude de faible envergure, les personnes séropositives munies d'un permis de conduire étaient plus susceptibles d'avoir des accidents lorsqu'elles utilisaient des simulateurs de la conduite. L'étude en question avait cependant plusieurs limitations importantes — les participants étaient peu nombreux, et aucun dépistage de dysfonction neurocognitive liée au VIH n'avait été fait. Dans le vrai monde (en dehors d'un essai clinique), on n'a pas fait état d'une augmentation du nombre d'accidents parmi les chauffeurs séropositifs, particulièrement à l'époque actuelle où la multithérapie est largement disponible.
La rétine vue de près
La rétine se compose de plusieurs couches de nerfs. Les neurologues décrivent cette région de l'œil comme « une extension du système nerveux central [SNC] » (rappelons que les composantes du SNC sont le cerveau et la moelle épinière). La rétine réagit à la présence de lumière et transmet des données concernant les images au cerveau par un faisceau de nerfs (nerf optique).
Les cellules de la rétine et les fibres nerveuses apparentées sont très occupées et requièrent beaucoup d'énergie. Ces cellules abondent en centrales énergétiques cellulaires appelées mitochondries.
Comme la découverte confirmant l'amincissement de la rétine de certaines personnes séropositives est relativement récente, les ophtalmologues chercheurs ne sont pas certains de sa cause précise. Jusqu'à présent, cependant, ils ont été en mesure d'écarter la possibilité de lésions rétiniennes causées par l'exposition aux médicaments suivants :
- ddC (zalcitabine, Hivid)
- ddI (didanosine, Videx)
- d4T (stavudine, Zerit)
Ce point est important, car ces produits (surnommés les médicaments « d ») ont acquis une malheureuse notoriété pour avoir causé des dommages aux mitochondries des nerfs situés à l'extérieur du cerveau et de la moelle épinière. Notons toutefois que ces médicaments sont vieux et ne sont guère utilisés de nos jours dans les pays à revenu élevé à cause de leurs nombreuses toxicités.
Des données indirectes soulèvent la possibilité que l'infection chronique au VIH joue un rôle dans le TNR-VIH en causant une inflammation de faible grade dans l'œil et peut-être dans la rétine elle-même. Sur une période de plusieurs années, il est possible que l'inflammation de faible grade provoque très lentement des lésions rétiniennes subtiles.
Le rôle d 'autres microbes — virus de l 'hépatite C (VHC)
Des chercheurs à New York et à Baltimore ont récemment commencé à étudier le TNR-VIH. Ils affirment que des lésions neurocognitives subtiles liées au VIH ont été détectées dans le cerveau de certains patients sous multithérapie. Ils soulignent aussi que l'infection au VHC peut nuire au cerveau — on y associe une augmentation de l'inflammation et une diminution de la mémoire, soit seule (mono-infection au VHC), soit en combinaison avec le VIH (co-infection VIH-VHC). Pour cette raison, les chercheurs ont tenté de découvrir un lien entre le TNR-VIH et la co-infection VIH-VHC. Pour ce faire, ils ont analysé des données de santé recueillies lors d'une étude qui se poursuit auprès de 1 576 personnes séropositives. L'étude en question a été spécifiquement conçue pour évaluer les changements dans la santé visuelle.
Tous les participants avaient déjà fait l'objet d'un diagnostic de sida (soit à cause de l'apparition d'une infection potentiellement mortelle, soit à cause d'un compte de CD4+ ayant chuté sous le seuil des 200 cellules). Aucun des participants n'avait d'infection liée au sida affectant leur vision lorsqu'ils se sont inscrits à l'étude. Sur les 1 576 participants, 290 étaient atteints d’hépatite C chronique et 74 avaient guéri d'une infection au VHC antérieure. Les chercheurs ont exclu de leur analyse les participants ayant eu des infections oculaires graves dans le passé (telle la rétinite à CMV) ou des problèmes visuels graves, car les données les concernant auraient pu compromettre les résultats. Le suivi des participants a duré près de neuf ans dans certains cas. Le recrutement a commencé en août 1999, et l'analyse des données dont nous rendons compte ici s'est poursuivie jusqu'au 31 décembre 2011.
Cas initiaux de TNR-VIH
Les chercheurs ont recensé 244 cas diagnostiqués de TNR-VIH au moment de l'admission des participants à l'étude. Les facteurs suivants étaient associés au diagnostic de TNR-VIH au début de l'étude :
- infection chronique au VIH
- sexe féminin
- personne de couleur
Au cours de l'étude, on a détecté 263 autres cas de TNR-VIH. Les facteurs associés à cette apparition subséquente du trouble étaient les suivants :
- infection chronique au VHC
- âge de 43 ans ou plus
- sexe féminin
- charge virale en VIH supérieure à 10 000 copies/ml
La moelle osseuse et le foie
L'équipe de l'étude a analysé un sous-groupe de 342 participants pour déterminer si des lésions hépatiques avaient joué un rôle quelconque dans l'apparition du TNR-VIH. Ayant évalué de nombreux facteurs, les chercheurs ont mis le doigt sur les plaquettes, soit de petites cellules présentes dans le sang qui jouent de nombreux rôles dans l'organisme. On estimait autrefois que le seul rôle des plaquettes consistait à assurer la coagulation sanguine. Des recherches émergentes laissent toutefois croire que ces cellules jouent un rôle dans l'immunité contre les infections, ainsi que dans l'inflammation. Les plaquettes, tout comme les globules blancs et rouges, viennent au monde dans la moelle osseuse.
Selon les chercheurs, « un facteur quelconque associé à l'insuffisance hépatique avancée, telle l'inflammation, ou encore un facteur associé au VIH-sida, telles [des lésions graves de la moelle osseuse] augmente le risque de TNR-VIH ».
Signaux chimiques
Les cellules produisent des signaux chimiques appelés cytokines. Les exemples incluent l'interféron-alpha, l'interleukine-2 (IL-2) et d'autres. Pour bien fonctionner, les cytokines doivent s'attacher à un récepteur particulier à la surface des cellules. Dans le cas de l'IL-2, il s'agit du récepteur IL-2. Si elles n'avaient pas ce récepteur spécialisé, les cellules seraient incapables de répondre à l'IL-2.
Réduire l 'inflammation
L'une des cytokines qui joue un rôle dans la réduction de l'inflammation s'appelle l'IL-10 (interleukine-10). Les chercheurs ont analysé le sang d'un sous-groupe d'environ 870 participants afin de détecter un gène associé à la présence d'anomalies dans le récepteur de l'IL-10. De telles anomalies dans le récepteur auraient probablement pour effet d'affaiblir ou d'annuler sa sensibilité à l'IL-10 et sa capacité d'y répondre. Les chercheurs ont constaté que les participants co-infectés par le VIH et le VHC étaient plus susceptibles d'avoir un gène associé à des anomalies du récepteur de l'IL-10. Soulignons toutefois que le TRN-VIH n'a pas été lié à la présence d'un tel gène dans la présente étude.
Mise en contexte
1. Il est important de noter que toutes les personnes inscrites à la présente étude avaient déjà fait l'objet d'un diagnostic de sida — à cause de la présence d'une infection potentiellement mortelle ou d'un compte de CD4+ inférieur à la barre des 200 cellules. Il n'est pas clair si les résultats de l'étude sont assez solides pour s'appliquer à d'autres personnes ayant reçu un diagnostic antérieur de sida, mais qui profitent maintenant d'une survie prolongée grâce à la multithérapie. L’incertitude persiste également quant à la pertinence des résultats pour la personne séropositive moyenne suivant une multithérapie et n'ayant jamais reçu de diagnostic de sida.
2. D'autres recherches sont nécessaires pour déterminer les conséquences à long terme du TNR-VIH.
3. La présente étude est une étude par observation. Cela veut dire que ses résultats ne sont pas définitifs; autrement dit, elle ne peut pas prouver que la présence de la co-infection VIH-VHC augmente le risque de TNR-VIH. Il n'empêche qu'elle signale la possibilité que la co-infection soit un facteur dans les cas de TNR-VIH. Un autre défaut potentiel de l'étude réside dans l'absence de randomisation. Rappelons que l'étude a été conçue initialement pour explorer les tendances relatives à la santé visuelle. Il est donc possible que les chercheurs aient compromis le recrutement en privilégiant des volontaires atteints de problèmes visuels ou prédisposés à ce genre de problèmes.
4. Le TNR-VIH semble particulièrement courant dans la présente étude. Il faut que d'autres études soient menées dans d'autres régions du monde pour évaluer l'état de santé de la rétine des personnes séropositives. Pendant qu'ils s'efforcent de mieux comprendre les causes potentielles du TNR-VIH, les chercheurs devront aborder plusieurs questions de recherche additionnelles, y compris les suivantes :
- Évaluation de l'inflammation – Si l'inflammation joue bel et bien un rôle dans la dégradation graduelle de la rétine, les agents anti-inflammatoires pourront-ils contrer ce problème?
- Impact potentiel des maladies cardiovasculaires sur la rétine – Au moins une étude a révélé que les vaisseaux minuscules qui approvisionnent la rétine en sang ne sont pas toujours en très bonne santé chez les personnes atteintes du sida, d'où l'importance d'évaluer l'impact de la santé cardiovasculaire;
- Autres problèmes de santé – Des études menées chez des personnes séronégatives portent à croire que des affections comme le diabète de type 2, les lésions rénales et l'hypertension nuisent à la santé des vaisseaux sanguins de la rétine. Il est donc important que l'impact de ces co-morbidités soit exploré chez les personnes atteints du VIH qui souffrent potentiellement de TNR-VIH;
- Impact potentiel d'autres co-infections, comme la syphilis, sur la rétine – Les taux de syphilis sont élevés parmi certains HARSAH, surtout ceux vivant avec le VIH. Entre autres effets, la syphilis peut causer des lésions en déclenchant de l'inflammation dans les organes et tissus touchés. Il existe des rapports faisant état de dommages oculaires causés par la syphilis chez des personnes séropositives. De plus, la neurosyphilis évoluerait rapidement au sein de cette population, selon des rapports;
- Rôle du sexe dans l'apparition du TNR-VIH – Dans la présente étude, il est possible que les femmes étaient plus nombreuses à s'injecter des drogues que les hommes; il se peut donc que le sexe ne soit pas un facteur en soi, mais simplement un masque statistique qui cache un comportement comme la consommation de drogues injectables. Ce genre de comportement peut exposer les gens à davantage de microbes, y compris le VHC. Toutefois, il reste possible que le sexe joue un rôle important parce que les femmes sont généralement plus sujettes que les hommes à certains troubles inflammatoires associés à la dysfonction immunitaire.
Points à retenir
Les résultats de cette étude sont intéressants — la rétine de certaines personnes qui survivent longtemps après un diagnostic de sida pourrait s'amincir graduellement (on parle de trouble neurorétinien lié au VIH). Comme aucun des participants touchés n'a subi de perte d'acuité visuelle, il n'est pas clair si le TNR-VIH a de graves conséquences.
Les chercheurs ne peuvent préciser les causes de l'amincissement rétinien qui se produit chez certaines personnes séropositives, et il faudra plusieurs années de recherche intensive pour les découvrir. Ce qui est certain c’est que l'introduction relativement précoce de la multithérapie et une très bonne observance thérapeutique peuvent empêcher les maladies liées au sida d'apparaître. Les chercheurs devront évaluer des patients sous multithérapie qui n'ont jamais eu le sida pour déterminer si l'amincissement rétinien est un problème de santé émergent pour eux.
—Sean R. Hosein
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