- Le risque de cancer demeure plus élevé chez certaines personnes séropositives même si leur VIH est traité efficacement
- Une étude ontarienne menée sur 23 ans auprès de 4 771 personnes séropositives a révélé un risque accru de certains cancers
- Maintes mesures pourraient réduire le risque de cancer chez les personnes séropositives, notamment le dépistage précoce
Lorsqu’ils sont commencés en temps opportun et utilisés comme il se doit, les traitements contre le VIH (traitements antirétroviraux ou TAR) réduisent grandement la quantité de VIH dans le sang de la plupart des personnes dans les trois à six mois suivant le début du traitement. L’utilisation continue du TAR aide à maintenir l’inhibition du VIH, de sorte que cette faible quantité de virus est couramment qualifiée d’« indétectable ». L’inhibition du VIH permet au système immunitaire de réparer la plupart des dommages causés par le virus. Le TAR est tellement efficace que le risque d’infections et de cancers liés au sida diminue énormément. Et les scientifiques prévoient de plus en plus que de nombreuses personnes sous TAR connaîtront une espérance de vie quasi normale.
Le TAR ne peut toutefois résoudre tous les problèmes liés au VIH. Notons, à titre d’exemple, que l’infection chronique par le VIH est associée à des niveaux élevés et persistants d’inflammation et d’activation immunitaire. En réduisant la quantité de VIH, le TAR aide à réduire l’inflammation et l’activation immunitaire, mais est incapable de les normaliser.
Risques liés à l’inflammation
Des études menées auprès de personnes séronégatives laissent croire que l’inflammation chronique fait augmenter le risque des problèmes de santé suivants :
- maladies cardiovasculaires
- cancer
- diabète de type 2
- maladies dégénératives du cerveau
- accumulation de graisses dans le foie
- amincissement des os
- perte de tissu musculaire
- taux de cholestérol élevés
- vieillissement prématuré du système immunitaire
Il est donc possible que l’inflammation chronique liée au VIH fasse augmenter le risque de ces mêmes problèmes chez les personnes séropositives.
Il est possible que les causes de l’inflammation et de l’activation immunitaire excessives et persistantes chez les personnes séropositives soient liées aux trois facteurs suivants, entre autres :
- infection chronique de faible intensité par le cytomégalovirus (CMV), membre de la famille des virus de l’herpès
- passage de protéines bactériennes et fongiques du tube digestif dans le sang
- production de faibles quantités de protéines du VIH dans les régions profondes du système immunitaire et du cerveau
Les autres facteurs responsables de la hausse du risque de cancer chez les personnes séropositives incluent les suivants :
- co-infection par une variété de virus, dont le virus Epstein Barr (EBV), le virus du sarcome de Kaposi, le virus de l’hépatite B (VHB), le virus de l’hépatite C (VHC) et le virus du papillome humain (VPH)
- tabagisme, utilisation excessive d’alcool et de drogues
Détails de l’étude
Une équipe de scientifiques de plusieurs universités ontariennes et de l’Ontario HIV Treatment Network (OHTN) ont élaboré une étude pour analyser les risques de cancer. L’équipe s’est concentrée sur des personnes séropositives qui avaient reçu un nouveau diagnostic de cancer entre 1997 et 2020. Elle a pris en compte la santé générale du système immunitaire des participant·e·s lors de son analyse, notamment en déterminant le compte de cellules T (cellules CD4+ et CD8+).
L’équipe de recherche a réparti les cancers dont les gens étaient atteints dans les deux groupes suivants :
- cancers attribuables à des infections virales ou bactériennes : sarcome de Kaposi; lymphome; cancers de l’anus, des organes génitaux, de la tête et du cou; cancers touchant le foie, le nez et l’estomac
- cancers d’origine non infectieuse : cancers de la vessie, du cerveau, du sein, du sang, du côlon/rectum, de la gorge, du poumon, de la peau (mélanome), de l’ovaire, du pancréas, de la prostate, des testicules, de la thyroïde et de l’utérus
L’équipe de recherche a analysé des données se rapportant à la santé de 4 771 personnes vivant avec le VIH chez lesquelles 549 cas de cancer avaient été diagnostiqués.
Voici un bref profil moyen des participant·e·s lors de leur admission à l’étude :
- âge : 41 ans
- la plupart étaient des hommes (84 %) et des Blanc·he·s (68 %)
- 84 % habitaient depuis longtemps au Canada
- 67 % avaient une charge virale inhibée (définie comme moins de 50 copies/ml de sang)
Résultats
Les cancers ont été diagnostiqués lorsque les personnes atteintes avaient en moyenne 52 ans. Voici la répartition des deux catégories de cancers :
- origine infectieuse : 266 cas
- origine non infectieuse : 283 cas
Les hommes ont fait l’objet de 487 diagnostics de cancer, dont les suivants furent les plus courants :
- lymphome non hodgkinien : 16 %
- cancer anal : 11 %
- cancer de la prostate : 11 %
- cancer du poumon : 9 %
- sarcome de Kaposi : 8 %
- cancers de la langue et de la gorge : 7 %
- cancer du foie : 6 %
Les femmes ont fait l’objet de 62 diagnostics de cancer, dont les suivants furent les plus courants :
- lymphome non hodgkinien : 21 %
- cancer du sein : 16 %
- cancer du poumon : 10 %
Système immunitaire et risque de cancer d’origine infectieuse
Le système immunitaire aide à détecter et à détruire les virus, les cellules infectées par des virus et les cellules cancéreuses. Il n’est donc pas surprenant que le risque de cancers d’origine infectieuse soit plus élevé chez les personnes présentant les caractéristiques suivantes :
- faible compte de CD4+ (moins de 200 cellules/mm3) lors de l’admission à l’étude : deux fois plus de risques
- compte de CD4+ qui est passé sous le seuil des 200 cellules/mm3 à tout moment durant l’étude : deux fois plus de risques
- compte de CD4+ récent inférieur à 200 cellules/mm3 : 3,5 fois plus de risques
- faible rapport CD4+/CD8+ (défini comme moins de 0,4; un rapport normal se situe généralement près de 1,0 ou plus)
L’équipe de recherche n’a constaté aucune association entre les cancers d’origine non infectieuse et les mesures de laboratoire de l’état du système immunitaire.
Que faut-il faire?
En général, les résultats de cette étude ontarienne font écho à des études menées en Europe et aux États-Unis. De plus, l’équipe ontarienne a affirmé que « dans l’ensemble, indépendamment des facteurs sociodémographiques et comportementaux [et de l’année], tous les indices d’immunosuppression reflétés dans les comptes de CD4 étaient associés à un [risque] accru de cancers d’origine infectieuse […] ».
Pour réduire le risque de cancer chez les personnes séropositives, l’équipe de recherche a encouragé l’amorce précoce du TAR, soit avant que le compte de CD4+ n’atteigne un niveau faible.
On pourrait également prendre les mesures suivantes :
- dépistage du tabagisme et offre de soutien et d’options pour arrêter de fumer
- intégration de personnes séropositives dans des programmes de dépistage des cancers du sein, du côlon/rectum, du col utérin et du poumon
- vaccination contre le VHB
- dépistage et traitement du VHC
- augmentation des subventions facilitant la vaccination contre le VPH
Le TAR a procuré d’énormes bienfaits à nombre de personnes vivant avec le VIH. Celles-ci devront néanmoins avoir accès à des programmes de dépistage du cancer et autres pour aider à réduire leurs risques de cancer et s’assurer une espérance de vie égale à celle des personnes séronégatives.
—Sean R. Hosein
Ressources
Une étude canado-américaine examine l’âge auquel le cancer se déclare chez les séropositifs – Nouvelles CATIE
Une équipe de recherche française étudie les deuxièmes cancers touchant des personnes séropositives ayant survécu à un premier – Nouvelles CATIE
Un faible rapport CD4/CD8 peut aider à prévoir le risque de cancer chez les personnes séropositives, selon une étude nord-américaine – Nouvelles CATIE
Usage du létermovir pour atténuer l’inflammation et d’autres problèmes chez les personnes séropositives – Nouvelles CATIE
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