Souhaitez-vous recevoir nos publications directement dans votre boîte de réception?

CATIE
Image
  • Une équipe de Toronto s’est intéressée aux différences dans le traitement de l’hépatite C liées à l’usage de drogues
  • Des personnes qui utilisaient des drogues ont signalé la stigmatisation comme un obstacle à l’accès au traitement
  • Ces personnes ont également reçu des renseignements trompeurs concernant l’admissibilité au traitement

L’hépatite C continue d’être une importante menace pour la santé publique et figure parmi les maladies infectieuses les plus problématiques au Canada. Il est toutefois possible de guérir l’hépatite C à l’aide d’un traitement antiviral à action directe (AAD) hautement efficace. En plus d’améliorer la qualité de vie et la santé à long terme, la guérison de l’hépatite C empêche la transmission du virus entre les personnes.

Au Canada, les personnes qui s’injectent des drogues sont touchées de façon disproportionnée par l’hépatite C. Cela est attribuable à des facteurs sociaux qui créent des inégalités sur le plan de la santé, tels que la criminalisation de l’usage de drogues, la pauvreté, l’insécurité en matière de logement et la stigmatisation omniprésente. Les lignes directrices canadiennes recommandent que toutes les personnes atteintes d’hépatite C chronique soient envisagées comme candidat·e·s au traitement, y compris les personnes qui utilisent des drogues. Nombre d’études ont toutefois permis de constater un taux d’adoption plus faible du traitement dans cette population, comparativement aux personnes qui ne s’injectent pas de drogues. Les études conçues pour évaluer les expériences vécues par les personnes qui s’injectent des drogues en matière de traitement de l’hépatite C peuvent nous aider à faire la lumière sur les obstacles à l’accès ainsi que sur les facteurs susceptibles de le faciliter. Cela est nécessaire pour adapter la planification et la prestation de services de traitement destinés aux personnes qui s’injectent des drogues et pour accroître le nombre de personnes ayant recours au traitement.

Détails de l’étude

Des scientifiques de Toronto souhaitaient mieux comprendre les obstacles à l’accès au traitement de l’hépatite C. L’équipe a recruté des personnes qui s’injectaient des drogues et des personnes qui ne s’en injectaient pas afin de comparer leurs expériences et leurs perceptions à l’égard du traitement par AAD. L’équipe a reçu de l’aide au recrutement de la part d’une clinique hospitalière d’hépatologie et de trois cliniques communautaires offrant le traitement de l’hépatite C à des personnes qui utilisaient des drogues ou de l’alcool dans le centre-ville de Toronto.

L’équipe de recherche a tenu quatre groupes de discussion auprès de 23 adultes qui avaient suivi un traitement contre l’hépatite C ou qui étaient sur le point d’en commencer un. Deux groupes incluaient seulement des personnes qui s’injectaient encore des drogues ou qui s’en étaient injecté dans le passé; les deux autres groupes se composaient de personnes qui ne s’étaient jamais injecté de drogues. L’équipe a interrogé les participant·e·s sur leurs expériences se rapportant au diagnostic de l’hépatite C et à l’obtention de l’accès au traitement. L’équipe s’est servie de méthodes qualitatives pour analyser et interpréter les réponses des participant·e·s.

Résultats

En écoutant les participant·e·s décrire leurs expériences se rapportant à l’obtention d’un traitement contre l’hépatite C, l’équipe a cerné les cinq thèmes principaux suivants :

  • se sentir « digne » de guérir
  • milieux stigmatisants
  • importance de services polyvalents et du soutien par les pairs
  • perceptions persistantes à l’égard de la contagiosité
  • contrer la stigmatisation par le dépistage à l’échelle de la population

Ces thèmes révèlent le rôle que joue la stigmatisation dans la création d’obstacles au traitement pour les personnes qui s’injectent des drogues.

Se sentir « digne » de guérir

Après le diagnostic, les personnes qui ne s’injectaient pas de drogues étaient immédiatement dirigées vers un service de traitement de l’hépatite C et encouragées à établir un contact. Selon ces personnes, le personnel médical leur faisait se sentir soutenues et à l’aise durant le processus conduisant à l’obtention d’un traitement.

En revanche, les participant·e·s qui utilisaient des drogues affirmaient ne pas avoir été renseigné·e·s ou dirigé·e·s immédiatement vers un service de traitement par le personnel médical. Plusieurs de ces participant·e·s ont appris l’existence d’un traitement auprès d’autres personnes qui utilisaient des drogues. Dans certains cas, les participant·e·s se faisaient dire qu’il fallait s’abstenir d’utiliser des drogues ou de l’alcool pour avoir droit au traitement. Ces personnes sentaient qu’elles devaient prouver qu’elles étaient dignes d’être guéries. Ces expériences ont renforcé la stigmatisation intériorisée, laquelle est devenue un obstacle au traitement pour les personnes qui utilisaient des drogues.

Milieux stigmatisants

Les personnes qui ne s’injectaient pas de drogues obtenaient des soins pour l’hépatite C dans des milieux qui n’avaient pas l’apparence d’endroits offrant le traitement de l’hépatite C. En revanche, les participant·e·s qui s’injectaient des drogues obtenaient souvent le traitement dans des endroits reconnus comme étant destinés spécifiquement à des personnes qui utilisent des drogues ou à des personnes atteintes d’hépatite C. Pour avoir recours à de tels services, les participant·e·s devaient divulguer leur statut à l’égard de l’hépatite C et leur utilisation de drogues, ce qui pouvait les dissuader d’obtenir le traitement dans ces endroits.

Importance de services polyvalents et du soutien par les pairs

Même si le fait d’avoir recours à des services destinés aux personnes qui utilisent des drogues était parfois considéré comme stigmatisant, les soutiens fournis aidaient les participant·e·s qui s’injectaient des drogues à surmonter des obstacles qui leur rendaient l’accès aux soins plus difficile. Selon ces personnes, l’offre de services de réduction des méfaits, de remboursement des frais de transport, de soutien contre l’insécurité alimentaire et d'aide au logement pourrait rendre le traitement de l’hépatite C plus accessible.

Selon les personnes qui s’injectaient des drogues, le fait d’impliquer des pairs ayant une expérience concrète de l’hépatite C et de l’utilisation de drogues dans la conception et la prestation des services de traitement les aidait à faire confiance et à se sentir en sécurité lorsqu’elles obtenaient des soins. Les participant·e·s ont recommandé l’implication des pairs dans l’accompagnement des patient·e·s (pour naviguer le système de santé), les groupes de soutien et les services polyvalents.

Perceptions persistantes à l’égard de la contagiosité

Les participant·e·s des deux groupes ont exprimé des préoccupations concernant leur diagnostic d’hépatite C. De nombreuses personnes ont décrit des sentiments de honte et d’inquiétude à l’idée de transmettre l’hépatite C à leurs proches ou de se faire ostraciser par leurs pairs.

Pour les personnes qui ne s’injectaient pas de drogues, se faire traiter pour l’hépatite C leur a permis de retrouver une vie normale car elles se sentaient guéries non seulement de l’hépatite C, mais aussi de la honte et de l’inquiétude que provoquait la possibilité d’être une source d’infection. Cependant, les personnes qui s’injectaient des drogues sentaient encore que l’hépatite C faisait partie de leur identité parce qu’elles éprouvaient souvent l’obligation de prouver qu’elles en étaient guéries. Dans les contextes de soins de santé et de leur entourage, certaines personnes qui s’injectaient des drogues avaient encore l’impression d’être traitées comme une source d’infection même après la guérison.

Contrer la stigmatisation par le dépistage à l’échelle de la population

Les participant·e·s des deux groupes ont signalé un manque de sensibilisation du public à l’égard de l’hépatite C et de l’existence de remèdes. Selon plusieurs, le lien que les gens faisaient couramment entre l’hépatite C et l’injection de drogues perpétuait la stigmatisation et augmentait le risque que des personnes ne présentant aucun facteur de risque connu ne soient pas diagnostiquées. Les participant·e·s ont réclamé que le dépistage de l’hépatite C se fasse à l’échelle de la population et que cela soit incorporé dans les soins de routine. Les gens croyaient que cela aiderait à réduire la stigmatisation tout en permettant d’atteindre des personnes non diagnostiquées.

Implications

Cette étude révèle des différences importantes entre les expériences que vivent les personnes qui s’injectent des drogues et les personnes qui ne s’en injectent pas en ce qui concerne le traitement de l’hépatite C. Elle jette une lumière sur plusieurs façons dont la stigmatisation crée des obstacles au traitement pour les personnes qui s’injectent des drogues.

Pour éliminer l’hépatite C comme menace pour la santé publique au Canada, il faut que le traitement soit accessible à tous et à toutes, y compris aux personnes qui s’injectent des drogues. Les programmes de traitement de l’hépatite C doivent viser à réduire les obstacles aux soins auxquels se heurtent couramment les personnes qui s’injectent des drogues (appelés parfois programmes à bas seuil ou facilement accessibles). Cette étude souligne l’importance de faciliter l’accès aux soins en luttant contre la stigmatisation dans les endroits où des services de traitement de l’hépatite C sont offerts et dans les méthodes employées. Les intervenant·e·s de première ligne peuvent favoriser l’équité de l’accès en offrant le traitement sans égard à l’usage de drogues, en contestant l’idée que les personnes qui s’injectent des drogues sont intrinsèquement contagieuses et en aidant les patient·e·s qui le désirent à obtenir le traitement de façon discrète. Lorsque cela est possible, les services de traitement devraient inclure des services de soutien polyvalents pour aider les personnes qui s’injectent des drogues à suivre le traitement jusqu’au bout, tels que services d’aiguillage, de réduction des méfaits, de soutien par les pairs et d’aide à l’obtention de nourriture.

RÉFÉRENCES :

  1. Lourenco L, Kelly M, Tarasuk J et al. L’épidémie de l’hépatite C au Canada : un aperçu des tendances récentes en matière de surveillance, de consommation de drogues injectables, de réduction des méfaits et de traitement. Relevé des maladies transmissibles au Canada. 2021;47(12):561-70. Disponible à l’adresse : https://www.canada.ca/content/dam/phac-aspc/documents/services/reports-publications/canada-communicable-disease-report-ccdr/monthly-issue/2021-47/issue-12-december-2021/ccdrv47i12a01f-fra.pdf
  2. Popovic N, Williams A, Périnet S et al. Estimations nationales de l’hépatite C : incidence, prévalence, proportion non diagnostiquée et traitement, Canada, 2019. Relevé des maladies transmissibles au Canada. 2022;48(11/12):540-9. Disponible à l’adresse : https://www.canada.ca/content/dam/phac-aspc/documents/services/reports-publications/canada-communicable-disease-report-ccdr/monthly-issue/2022-48/issue-11-12-november-december-2022/ccdrv48i1112a07f-fra.pdf
  3. Antoniou T, Pritlove C, Shearer D et al. Accessing hepatitis C direct acting antivirals among people living with hepatitis C: a qualitative study. International Journal for Equity in Health. 2023; 22(1):112.