- Certaines personnes prennent des médicaments pour prévenir ou traiter des maladies comme le diabète et les cardiopathies
- Une étude a révélé que la prise de nombreux médicaments (polypharmacie) est liée à un risque accru de chutes
- L’équipe souhaite que l’on cerne et prenne en charge les cas de polypharmacie parmi les personnes séropositives
Les traitements modernes contre le VIH (traitements antirétroviraux ou TAR) sont très efficaces et généralement sans danger. Lorsqu’il est utilisé comme il se doit, le TAR réduit tellement la quantité de VIH dans le sang (charge virale) qu’elle atteint un niveau très faible que l’on qualifie couramment d’« indétectable ». L’inhibition du VIH permet au système immunitaire de réparer une bonne quantité des dommages causés par le virus. Le TAR est tellement puissant que les scientifiques prévoient de plus en plus une espérance de vie quasi normale pour de nombreuses personnes sous traitement. De plus, des études rigoureusement conçues menées depuis une décennie ont révélé que les personnes dont la charge virale est indétectable (grâce à l’usage continu du TAR) ne transmettent pas le virus à leurs partenaires lors des relations sexuelles.
Malgré ses nombreux bienfaits, le TAR ne peut résoudre tous les problèmes liés au VIH. Entre autres, il reste des quantités résiduelles de virus enfouies profondément dans certaines régions de l’organisme, dont le cerveau, la rate et les ganglions lymphatiques. Il est possible que ce VIH résiduel soit partiellement responsable d’une inflammation excessive et de la suractivation du système immunitaire.
Des études menées auprès de personnes séronégatives laissent croire que l’inflammation excessive et prolongée contribue à un risque accru des problèmes de santé suivants :
- cancer
- maladies cardiovasculaires
- dépression
- maladies dégénératives du cerveau
- accumulation de graisses dans et autour du foie
- taux élevés de cholestérol
- amincissement des os
- lésions rénales
- perte graduelle de tissu musculaire
- maladies pulmonaires
- vieillissement prématuré du système immunitaire
Grâce à la prise d’un TAR et à l’inhibition du VIH, les niveaux d’inflammation et d’activation immunitaire diminuent considérablement. Ils continuent cependant d’être plus élevés que chez les personnes séronégatives en bonne santé. Il est donc possible que l’inflammation excessive chronique fasse augmenter le risque des problèmes ci-dessus chez des personnes sous TAR.
Vieillissement
Un grand nombre des maladies figurant dans la liste ci-dessus sont également associées au vieillissement. À mesure que les gens prennent de l’âge, le risque de présenter ces maladies augmente. Pour aider à maintenir ou à améliorer la santé et la qualité de vie des personnes vieillissantes, les médecins prescrivent des médicaments qui aident à maîtriser de nombreuses maladies chroniques, et le nombre de médicaments que prennent les gens augmente en conséquence.
Lorsque de nombreux médicaments sont utilisés en même temps, on parle de « polypharmacie ».
Vieillissement, VIH et polypharmacie
Quand une personne séropositive vit avec une autre affection médicale, on appelle celle-ci une « comorbidité ». Selon nombre d’études, à mesure qu’elles vieillissent, les personnes séropositives ont tendance à présenter davantage de comorbidités liées à l’âge que les personnes séronégatives. Par conséquent, les personnes âgées vivant avec le VIH ont tendance à prendre plus de médicaments (outre leur TAR) pour des maladies chroniques que les personnes séronégatives d’âge semblable ou encore les personnes séropositives plus jeunes.
Risques liés à la polypharmacie
En ce qui concerne les personnes séropositives, des études ont associé la polypharmacie à des risques accrus d’effets secondaires, de chutes et de problèmes de cognition et de mémoire. Lors d’au moins une étude particulière, la polypharmacie a été associée à un risque accru d’hospitalisation chez cette population. Des études menées auprès de personnes séropositives ont révélé que la polypharmacie était associée à une baisse du fonctionnement physique, notamment à un ralentissement de la vitesse de marche.
Étude récente
Une étude d’envergure menée récemment par l’AIDS Clinical Trials Group des États-Unis (ACTG) a évalué les effets de la polypharmacie (définie comme la prise simultanée de nombreux médicaments outre le TAR) et de l’« hyperpolypharmacie » (prise simultanée de 10 médicaments sur ordonnance ou plus outre le TAR). L’équipe de recherche s’est concentrée sur l’impact de divers degrés de polypharmacie sur la vitesse de marche et les chutes.
L’une des forces de l’étude menée par l’ACTG réside dans le fait que tou·te·s les participant·e·s avaient une charge virale inhibée. Ce point est important parce la non-inhibition du VIH est associée à des taux élevés d’inflammation et d’activation immunitaire chez les personnes séropositives. Ces conséquences du non-traitement du VIH peuvent causer une détérioration de la santé des personnes séropositives et un risque accru de divers problèmes à long terme, dont la fragilité.
Détails de l’étude
L’équipe de recherche a inscrit 977 personnes séropositives dont le profil moyen ressemblait à ceci lors de leur admission à l’étude :
- âge : la plupart (84 %) avaient entre 40 et 59 ans
- 81 % étaient des hommes et 19 % des femmes (sexe assigné à la naissance)
- principaux groupes ethnoraciaux : Blanc·he·s – 65 %; personnes de couleur : 35 %
- compte de CD4+ actuel : 630 cellules/mm3
- compte de CD4+ le plus faible jamais noté : 197 cellules/mm3
- principales maladies concomitantes : neuropathie périphérique – 40 %; diabète – 12 %; insuffisance rénale – 10 %; maladie cardiovasculaire – 6 %
- tabagisme actif : 26 %
- utilisation active de substances (outre le tabac) : 21 %
Les participant·e·s étaient évalué·e·s tous les six mois.
Résultats
L’équipe de recherche a constaté les taux suivants de polypharmacie et d’hyperpolypharmacie :
- polypharmacie : 24 % des participant·e·s se faisaient prescrire cinq médicaments ou davantage en plus de leur TAR
- hyperpolypharmacie : 4 % of participant·e·s se faisaient prescrire 10 médicaments ou davantage en plus de leur TAR
Chose peu surprenante, l’équipe de recherche a observé que le taux de polypharmacie augmentait avec l’âge. À titre d’exemple, notons que les personnes âgées de 60 ans ou plus se faisaient prescrire cinq médicaments ou davantage (outre leur TAR) dans une proportion de 35 %. Parmi les personnes de moins de 60 ans, ce taux était de 22 %.
Même si le nombre de maladies concomitantes était semblable chez les hommes et les femmes, l’équipe de recherche a constaté que les femmes étaient plus sujettes à la polypharmacie.
Après avoir évalué des classes de médicaments spécifiques, l’équipe de recherche a affirmé que « les femmes faisaient état d’une utilisation plus fréquente d’opioïdes sur ordonnance (16 %) que les hommes (8 %) ». Une plus grande proportion de femmes que d’hommes se faisaient prescrire des hormones aussi, vraisemblablement à cause de la ménopause.
Médicaments potentiellement inappropriés
Selon les estimations de l’équipe de recherche, environ 81 % des participant·e·s de 65 ans ou plus prenaient, en dehors de leur TAR, au moins un médicament qui ne convenait pas. Or, ce constat doit être vérifié auprès des équipes médicales des patient·e·s.
Polypharmacie et vitesse de marche
Selon l’équipe de recherche, « 40 % des participant·e·s avaient une vitesse [de marche] lente ». Les personnes qui marchaient lentement étaient plus susceptibles d’appartenir aux catégories suivantes :
- Hispaniques
- personnes couvertes par une assurance maladie publique
- femmes
- personnes âgées de 55 ans ou plus
Lorsque l’équipe a pris en compte de nombreux facteurs (âge, sexe, race/ethnie, niveau de scolarité, compte de CD4+ et d’autres), elle a constaté un lien significatif entre la polypharmacie et un risque accru de présenter une vitesse de marche lente.
Une analyse poussée des données se rapportant au nombre de médicaments figurant dans le TAR a révélé que l’hyperpolypharmacie augmentait le risque d’avoir une vitesse de marche lente.
Chutes
Durant l’étude, 12 % des participant·e·s ont affirmé être tombé·e·s au moins une fois, et 5 % ont fait état de deux chutes ou plus.
Environ 4 % des participant·e·s qui ont fait une chute se sont cassé des os.
Les chutes étaient plus susceptibles de survenir chez les personnes appartenant aux groupes suivants :
- personnes âgées de 55 ou plus
- femmes
- Hispaniques
- personnes couvertes par une assurance maladie publique
L’équipe de recherche a constaté que la polypharmacie faisait doubler le risque de chutes récurrentes, et l’hyperpolypharmacie l’augmentait de presque cinq fois.
Lorsque l’équipe a inclus les médicaments du TAR dans son analyse des chutes, les effets de la polypharmacie et de l’hyperpolypharmacie sont restés les mêmes (que ci-dessus).
À retenir
Comme cette équipe de recherche a été en mesure de tenir compte de l’âge et des différents problèmes de santé des participant·e·s, entre autres facteurs, elle a pu se concentrer sur l’incidence probable des médicaments (autres que le TAR) sur la vitesse de marche et les chutes.
L’équipe de recherche encourage les clinicien·ne·s à déterminer et à réduire le risque de polypharmacie.
Selon l’équipe de recherche, d’autres études avaient trouvé un lien entre la polypharmacie, un faible statut socioéconomique et un faible niveau de scolarité. Il est possible que ce lien soit attribuable à une « mauvaise coordination des soins des populations au statut socioéconomique faible », a précisé l’équipe. Même si l’équipe ne disposait pas de données se rapportant au revenu, il est possible que le fait de dépendre de l’assurance maladie publique reflète un statut socioéconomique plus faible chez les participant·e·s à cette étude.
L’équipe de recherche ne disposait pas de données se rapportant à la santé mentale des participant·e·s. Une étude future devra explorer les raisons pour lesquelles les femmes (du moins celles inscrites à cette étude) se faisaient prescrire davantage de médicaments que les hommes en plus de leur TAR. L’équipe de recherche se doute que des problèmes de santé mentale ont contribué à la nécessité de la polypharmacie chez certaines femmes.
Dans l’ensemble, ces résultats « laissent croire à la nécessité d’une gestion plus attentive de la médication des personnes vivant avec le VIH, et plus particulièrement celle des femmes et des personnes âgées. Cela pourrait inclure des efforts pour réduire la polypharmacie et l’usage de médicaments qui ne conviennent pas, ainsi qu’une surveillance plus étroite des interactions médicamenteuses », a souligné l’équipe.
L’équipe de recherche a également affirmé que « la découverte d’un lien entre la polypharmacie et un risque accru d’une [vitesse de marche] lente porte à croire que la polypharmacie pourrait nuire au fonctionnement physique de certaines personnes séropositives ».
Un mot à propos des origines éventuelles de la polypharmacie
Certaines personnes atteintes de maladies complexes, notamment celles ayant survécu aux complications d’une crise cardiaque ou d’un AVC et celles ayant subi une greffe d’organe, ont besoin de prendre de nombreux médicaments pour rester en vie et en bonne santé à long terme. Dans de tels cas, la polypharmacie est une nécessité médicale. Il n’empêche qu’il est toujours utile de se renseigner périodiquement auprès de son équipe médicale pour vérifier que tous les médicaments ne figurant pas dans son TAR sont adéquats et déterminer si des modifications sont nécessaires.
Il arrive que le TAR de certaines personnes séropositives doive contenir une association complexe de médicaments parce que le VIH de celles-ci a acquis une résistance partielle ou totale aux traitements. Cela peut nécessiter la prise de beaucoup de comprimés. Même si des schémas thérapeutiques simplifiés, mais puissants ont été approuvés, ces traitements ne conviennent pas nécessairement à toutes les personnes présentant de nombreuses résistances médicamenteuses. Des exemples de schémas thérapeutiques simplifiés contre le VIH incluent Dovato (traitement oral associant dolutégravir + 3TC) et Cabenuva (traitement injectable associant cabotégravir + rilpivirine).
Une association expérimentale de deux autres médicaments appelés lénacapavir et bictégravir fait actuellement l’objet d’essais cliniques.
Comme on peut le constater, il est possible que la polypharmacie soit nécessaire aux personnes présentant des comorbidités multiples ou un profil de résistance médicamenteuse complexe. Une bonne surveillance reste néanmoins de rigueur pour s’assurer que la polypharmacie ne contribue pas au risque de problèmes futurs.
À l’avenir
L’équipe de recherche encourage l’élaboration et l’évaluation d’interventions « visant la réduction de la polypharmacie et de l’usage de médicaments inappropriés ».
—Sean R. Hosein
RESSOURCES :
Étude canadienne sur les effets du vieillissement chez les personnes séropositives – Nouvelles CATIE
Étude française sur la fragilité chez des personnes âgées vivant avec le VIH – Nouvelles CATIE
Une équipe de scientifiques américaine étudie le lien entre les comorbidités et la fragilité chez les personnes séropositives – Nouvelles CATIE
Mise au jour de problèmes de santé liés à l’âge chez des personnes séropositives – Nouvelles CATIE
Une étude d’envergure confirme l’espérance de vie quasi normale de nombreuses personnes séropositives sous TAR – TraitementActualités 249
RÉFÉRENCES :
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