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  • Des scientifiques ont étudié les effets de médicaments particuliers sur la fonction cérébrale de personnes séropositives
  • L’équipe a associé des problèmes cognitifs à des médicaments non liés au VIH, tels des sédatifs et des anticholinergiques
  • Des personnes séropositives prennent plusieurs médicaments pour des maladies non liées au VIH, ce qui amplifie les effets sur le cerveau

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Les traitements contre le VIH (traitements antirétroviraux ou TAR) sont très efficaces lorsqu’ils sont utilisés comme il se doit. De plus en plus, des études donnent à penser que de nombreuses personnes sous TAR ont une espérance de vie quasi normale. Il n’empêche que des problèmes liés à d’autres maladies deviennent plus courants à mesure que les gens vieillissent. Ces maladies peuvent inclure le diabète, l’hypercholestérolémie, l’hypertension, l’insuffisance rénale, l’amincissement osseux, l’anxiété, les problèmes de sommeil et la dépression. Outre le TAR, les médecins prescrivent des médicaments dont les personnes séropositives ont besoin pour traiter leurs problèmes de santé non liés au VIH. 

Le fait d’utiliser de nombreux médicaments sur ordonnance en même temps s’appelle la polypharmacie. Pour de nombreuses personnes atteintes du VIH, ces médicaments additionnels sont nécessaires sur le plan médical. Nombre de scientifiques ont cependant des préoccupations concernant le risque que des médicaments prescrits pour des maladies autres que le VIH exercent des effets défavorables sur la santé de certaines personnes séropositives.

Étude montréalaise

Une équipe de recherche de l’Université McGill à Montréal a effectué des analyses statistiques complexes fondées sur des données se rapportant à la santé de 824 personnes âgées vivant avec le VIH, en se concentrant particulièrement sur les médicaments non liés au VIH qu’elles prenaient. L’équipe a constaté que les participant·e·s utilisaient deux classes de médicaments potentiellement problématiques, soit les sédatifs et un groupe d’agents agissant sur l’acétylcholine (messager chimique ou neurotransmetteur utilisé par les cellules cérébrales et les nerfs). Les médicaments qui interfèrent avec ce neurotransmetteur s’appellent des anticholinergiques. 

Selon l’équipe de recherche, il est possible que les sédatifs et les anticholinergiques nuisent à la mémoire ou à la capacité de penser clairement, donnant ainsi l’impression d’une déficience cognitive chez la personne touchée. Cette découverte que les traitements contre les comorbidités sont susceptibles de nuire au cerveau revêt une importance liée à l’histoire du VIH.

Histoire du VIH en bref

Les premiers cas de sida ont été reconnus en 1981. Ensuite, en 1983, Françoise Barré-Sinoussi, Luc Montagnier et d’autres scientifiques à l’Institut Pasteur de Paris ont réussi à isoler le virus qui causait le sida, soit le VIH. Peu de temps après, des médecins ont commencé à s’apercevoir que certaines personnes séropositives présentaient des déficiences cognitives, observation qui les laissait perplexes initialement. Or, des scientifiques ont subséquemment découvert que l’infection par le VIH non traitée pouvait causer une détérioration du cerveau et une baisse de la fonction cognitive. Dans les cas extrêmes, la démence suivait. Il était donc normal que les personnes séropositives et leurs médecins soupçonnent d’abord le VIH d’être à l’origine de tout problème cognitif qui surgissait.

De nos jours, heureusement, la grande accessibilité des traitements contre le VIH au Canada et dans d’autres pays à revenu élevé a fait en sorte que la démence est extrêmement rare chez les personnes qui suivent leur TAR comme il se doit, qui maintiennent une charge virale indétectable et qui continuent de consulter régulièrement leurs prestataires de soins pour rester à l’affût de tout nouveau problème de santé. 

Quoi qu’il en soit, étant donné l’histoire du virus, lorsque des médecins remarquent une baisse de la cognition chez leurs patient·e·s séropositif·ve·s, il est normal qu’un lien avec le VIH soit soupçonné. Selon l’équipe de McGill, lorsque des patient·e·s perçoivent un déclin de leurs fonctions cognitives, une première étape utile peut consister à examiner leurs antécédents médicamenteux pour déterminer les effets éventuels de sédatifs et d’agents exerçant des effets anticholinergiques. Si de tels médicaments sont utilisés, l’équipe de recherche affirme que « la réduction de l’usage d’anticholinergiques et de sédatifs pourrait aider à prévenir et à atténuer les déficiences cognitives chez les personnes âgées vivant avec le VIH ».

Détails de l’étude

L’équipe de recherche a recueilli des données de santé provenant de cliniques situées à Vancouver, à Montréal, à Hamilton et à Toronto. L’analyse de la polypharmacie a porté sur des données recueillies auprès de 824 personnes. Elles avaient le profil moyen suivant lors de leur première consultation dans les cliniques figurant dans l’étude : 

  • âge : 53 ans
  • 85 % d’hommes, 15 % de femmes
  • période écoulée depuis le diagnostic de VIH : 17 ans
  • compte de CD4+ le plus faible depuis toujours : 215 cellules/mm3
  • compte de CD4+ actuel : 610 cellules/mm3
  • charge virale indétectable : 8 %
  • présence de polypharmacie (définie par l’équipe comme la prise de cinq médicaments non liés au VIH ou davantage) : 20 %
  • 12 % utilisaient le médicament anti-VIH éfavirenz (ingrédient d’Atripla et de Sustiva); dans certains cas, ce médicament peut provoquer des effets sur le cerveau, causant somnolence et d’autres problèmes 
  • 17 % étaient obèses
  • 41 % prenaient un médicament aux effets anticholinergiques; selon l’équipe, la charge anticholinergique était élevée chez 13 % de ces personnes
  • 38 % prenaient un sédatif; selon l’équipe, la charge sédative était élevée chez 12 % de ces personnes 

L’équipe de recherche a pris en considération d’autres informations aux fins de leur analyse statistique.

Résultats

L’analyse statistique a incité l’équipe de recherche à conclure que « les comorbidités donnent lieu à une augmentation de la polypharmacie, laquelle amplifie à son tour les effets indésirables anticholinergiques et des sédatifs. Ces facteurs nuisent collectivement aux capacités cognitives et à la perception des difficultés cognitives et exacerbent la fragilité physique ».

L’équipe a en outre affirmé que ses résultats « soulignent la nature interconnectée de ces facteurs de santé chez les personnes vivant avec le VIH, ce qui met en évidence la nécessité de stratégies de soins de santé intégrées pour relever efficacement ces problèmes multidimensionnels ».

À propos de la polypharmacie

L’équipe de recherche a affirmé que « la polypharmacie, quoique souvent nécessaire pour prendre en charge les comorbidités nombreuses, exerce des effets significatifs sur les capacités cognitives et la fragilité physique ».

Selon l’équipe de recherche, le nombre de médicaments (non liés au VIH) est statistiquement associé à un risque accru de fragilité physique. Elle a ainsi souligné « la nécessité, en matière de polypharmacie, de choisir des classes de médicaments spécifiques en fonction des besoins de l’individu et des interactions potentielles, afin d’atténuer les effets indésirables sur la fragilité et le déclin cognitif ». 

Incidence sur la dépression et l’anxiété

Selon l’équipe de recherche, les participant·e·s qui souffraient de dépression ou d’anxiété étaient plus susceptibles de percevoir des problèmes cognitifs (notons que ceux-ci sont parfois causés par la dépression ou l’anxiété) et d’éprouver un sentiment de fragilité que les personnes ne souffrant pas de dépression ou d’anxiété. L’équipe de recherche a affirmé que ses résultats se rapportant à ce lien soulignent la nécessité de « tenir compte de la santé mentale dans les stratégies de soins [liées le VIH] afin d’améliorer les résultats concernant spécifiquement la fragilité et la fonction cognitive ».

Effets secondaires des médicaments

On a souvent recours à des sédatifs pour le traitement à court terme des problèmes de sommeil. Certaines personnes éprouvant ce genre de problèmes chroniques s’en servent cependant pour des périodes prolongées. La somnolence induite par ces médicaments peut être exacerbée par d’autres médicaments.

Les médicaments utilisés contre certaines maladies, telle la dysfonction vésicale, agissent en exerçant des effets anticholinergiques. D’autres agents sont principalement utilisés pour leurs effets sur des neurotransmetteurs autres que l’acétylcholine, mais ils peuvent causer des effets anticholinergiques. Voilà pourquoi il est important de consulter un·e pharmacien·ne et un·e médecin pour comprendre les effets secondaires potentiels. 

À retenir

Cette étude menée à l’Université McGill a porté sur des données recueillies à un seul moment dans le temps. Les études de ce genre sont utiles pour capter une image de ce que vivent les gens à un moment particulier. Certains problèmes mettent toutefois plus de temps à se déclarer et évoluent de manière fluctuante au fil du temps. Le financement d’une étude conçue pour suivre les participant·e·s à long terme serait utile. Une telle étude permettrait d’évaluer les changements dans la qualité de vie que connaissent les personnes séropositives atteintes de comorbidités. Elle aiderait aussi à élucider la manière dont des interventions conçues pour atténuer ces comorbidités contribueraient à améliorer la qualité de vie.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Michael HU, Brouillette MJ, Tamblyn R et al. Disentangling the effects of comorbidity and polypharmacy on cognitive function and physical frailty in individuals with HIV. JAIDS. 2024 Dec 15;97(5):497-505. 
  2. Centers for Disease Control (CDC). Pneumocystis pneumonia – Los Angeles. MMWR - Morbidity and Mortality Weekly Report. 1981 Jun 5;30(21):250-2. PMID: 6265753.
  3. Centers for Disease Control (CDC). Kaposi’s sarcoma and pneumocystis pneumonia among homosexual men – New York City and California. MMWR - Morbidity and Mortality Weekly Report. 1981 Jul 3;30(25):305-8. PMID: 6789108.
  4. Barré-Sinoussi F, Chermann JC, Rey F et al. Isolation of a T-lymphotropic retrovirus from a patient at risk for acquired immune deficiency syndrome (AIDS). Science. 1983 May 20;220(4599):868-71. 
  5. Snider WD, Simpson DM, Nielsen S et al. Neurological complications of acquired immune deficiency syndrome: analysis of 50 patients. Annals of Neurology. 1983 Oct;14(4):403-18.  
  6. Levy JA, Shimabukuro J, Hollander H et al. Isolation of AIDS-associated retroviruses from cerebrospinal fluid and brain of patients with neurological symptoms. Lancet. 1985 Sep 14;2(8455):586-8. 
  7. Ho DD, Rota TR, Schooley RT et al. Isolation of HTLV-III from cerebrospinal fluid and neural tissues of patients with neurologic syndromes related to the acquired immunodeficiency syndrome. New England Journal of Medicine. 1985 Dec 12;313(24):1493-7.