La prophylaxie pré-exposition (PrEP) est un moyen très efficace de prévenir le VIH, mais elle ne prévient pas les autres infections transmissibles sexuellement (ITS). Certains craignent que les utilisateurs de la PrEP aient davantage de relations sexuelles sans condom et que cela fasse augmenter les taux d’ITS. Cet enjeu a suscité un débat sur la possibilité que l’usage de la PrEP contribue à alimenter l’épidémie d’ITS parmi les hommes gais, bisexuels et hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (hommes gbHARSAH).
Nous avons demandé à quatre fournisseurs de services s'ils croyaient que la PrEP pourrait augmenter les risques d'ITS parmi les hommes gbHARSAH qui l'utilisent au Canada.
- Dr Mark Hull (St. Paul’s Hospital), Vancouver, C.-B.
- Mark McAllister (président, Edmonton Men’s Health Collective) & Thomas Trombetta (conseil d'administration, Edmonton Men’s Health Collective & éducateur communautaire auprès des hommes gbHARSAH, HIV Edmonton), Edmonton, Alberta
- Dr Michael Fanous (pharmacien, medsEXPERT Pharmacy), Toronto, Ontario
Dr Mark Hull
Quand la PrEP a été introduite comme outil de prévention du VIH, elle était très stigmatisée à cause de l’association avec les relations sexuelles sans condom et les comportements « irresponsables », surtout parmi les hommes gbHARSAH. Pensez-vous que les hommes gbHARSAH qui utilisent la PrEP soient encore stigmatisés? Veuillez expliquer. Avez-vous l’impression que cela change à mesure que l’utilisation de la PrEP se répand?
En premier lieu, je ne suis pas sûr que je sois d’accord avec la prémisse de votre mise en contexte. Nous devons reconnaître que de très nombreux hommes gbHARSAH n’utilisaient pas de condoms avant l’arrivée de la PrEP (comme l’indiquent les données d’études de cohorte canadiennes comme Engage et Momentum), et nous avons besoin de célébrer la montée de l’utilisation de la PrEP. L’usage plus répandu de la PrEP va prévenir l’infection par le VIH chez les hommes gbHARSAH, qui affichent le plus haut taux de nouveaux diagnostics au pays. Nous devons continuer de soutenir l’expansion significative des programmes de PrEP partout au Canada, et je ne crois pas que les préoccupations concernant la montée du sexe sans condom devraient nous empêcher de viser cet objectif.
Pour répondre à votre question, oui, je crois que la stigmatisation était certainement une préoccupation pour les premiers utilisateurs de la PrEP, et ils faisaient face à beaucoup d’idées préconçues selon lesquelles les utilisateurs de la PrEP étaient en quelque sorte différents des autres hommes gbHARSAH en termes de comportements sexuels – ils avaient plus de partenaires ou voulaient simplement laisser tomber le condom, etc. Maintenant que la PrEP est en train de devenir normale, c’est-à-dire une chose que n’importe quel homme gbHARSAH sexuellement actif pourrait envisager, j’ai bon espoir que la stigmatisation associée à son usage diminuera et que les gens se rendront compte qu’il s’agit simplement d’une autre option pour prévenir le VIH. Les gens devraient se soutenir et se permettre d’avoir le genre de relations sexuelles qu’ils veulent sans porter de jugement.
Selon votre expérience, dans quelle mesure les hommes gbHARSAH qui prennent la PrEP sont-ils préoccupés par les ITS? Pensez-vous que les hommes qui utilisent la PrEP prennent les risques d’ITS en considération lorsqu’ils ont des relations sexuelles; est-ce qu’ils comprennent l’importance des dépistages d’ITS de routine?
Je crois que les hommes gbHARSAH sont bien au courant des ITS, et on doit se rappeler que les taux d’ITS étaient encore plus élevés avant la PrEP. Si nous examinons les données américaines, les taux d’ITS n’ont jamais été aussi élevés dans la population générale, et cela n’a aucun rapport avec la PrEP. Je voudrais aussi souligner qu’une portion de l’augmentation des taux pourrait en fait être attribuable à l’amélioration du dépistage des ITS qui se produit lorsque les hommes gbHARSAH commencent des programmes de PrEP qui incorporent des dépistages réguliers.
Je ne suis pas certain que beaucoup de gens, gais ou straight, formulent consciemment des pensées à propos des ITS au moment de leurs relations sexuelles. Le sexe est censé être divertissant et agréable et pas juste une raison de s’inquiéter des infections! Je crois que des préoccupations surgissent évidemment après, et les gens arrivent souvent dans notre clinique pour se faire tester immédiatement ou parler des infections, alors le counseling sur les ITS en général est important. Je crois que la plupart des hommes gbHARSAH savent que la PrEP ne les protège pas contre les ITS et, dans la plupart des cliniques centrées sur la PrEP, l’information sur la nécessité des dépistages de routine des ITS est soulignée dès la première visite (mais il est possible qu’on ne mette pas l’accent là-dessus dans les contextes où les gens connaissent moins bien les lignes directrices sur la PrEP).
Des études américaines ont révélé que certains médecins n’effectuent pas tous les tests de dépistage des ITS recommandés pour les utilisateurs de la PrEP. D’après vous, les médecins au Canada sont-ils au courant de ce qui est approprié comme tests de dépistage des ITS pour leurs patients gbHARSAH sous PrEP?
D’après moi, il existe probablement un lien avec l’expérience qu’ont les médecins de la prescription de la PrEP. Dans les cliniques centrées sur la prescription de la PrEP, je crois que la majorité des patients se font offrir des tests de dépistage des ITS tous les trois mois. Nous croyons que le dépistage des ITS est une composante essentielle des programmes de PrEP, et nos lignes directrices canadiennes recommandent très clairement le dépistage de routine des ITS à plusieurs sites du corps lors de chaque consultation trimestrielle, même chez les personnes asymptomatiques. Il existe des données solides d’études américaines indiquant que cette pratique améliore le diagnostic des ITS chez les clients sous PrEP.
Mark McAllister & Thomas Trombetta
Quand la PrEP a été introduite comme outil de prévention du VIH, elle était très stigmatisée à cause de l’association avec les relations sexuelles sans condom et les comportements « irresponsables », surtout parmi les hommes gbHARSAH. Pensez-vous que les hommes gbHARSAH qui utilisent la PrEP soient encore stigmatisés? Veuillez expliquer. Avez-vous l’impression que cela change à mesure que l’utilisation de la PrEP se répand?
Nous croyons que l’usage de la PrEP par les hommes gbHARSAH est encore stigmatisé. Même si notre communauté a fait beaucoup de chemin depuis les jours où l’on traitait les gars de « sluts ou de salopes » seulement parce qu’ils prenaient la décision d’utiliser la PrEP, les gens continuent de porter beaucoup de jugements lorsqu’ils apprennent que quelqu’un prend la PrEP. Nous entendons le plus souvent des suppositions non fondées se rapportant à la promiscuité sexuelle ou au manque de considération pour la santé publique – essentiellement, on accuse les utilisateurs de la PrEP d’alimenter l’épidémie d’ITS. Nous croyons cependant que ces points de vue dépassés et ces accusations mal fondées sont en train de devenir moins courants à mesure que l’adoption de la PrEP continue d’augmenter. De plus en plus de gens sont informés à ce propos, et une grande partie de la stigmatisation commence à s’estomper à mesure que les impacts positifs de la PrEP sont constatés. Comme nous nous trouvons aux premières lignes de la défense de la PrEP ici à Edmonton, nous avons vu les connaissances en matière de PrEP monter en flèche depuis deux ou trois ans, et cela est attribuable en grande partie à l’information fournie par les organismes communautaires. Mais il importe également de souligner que les utilisateurs de la PrEP deviennent eux-mêmes des défenseurs de la santé et des éducateurs qui travaillent pour dissiper les attitudes négatives à l’égard de la PrEP.
Cela ne veut pas dire que la stigmatisation de l’usage de la PrEP est en train de disparaître complètement parce que les utilisateurs font face à d’autres sortes de stigmatisation aussi. Ce que nous entendons le plus se rapporte à la stigmatisation commise par différents professionnels de la santé. Des personnes LGBTQ2S+ qui souhaitent obtenir la PrEP disent vivre des d’expériences négatives lorsqu’elles parlent de leur santé sexuelle avec leur médecin. De nombreuses personnes font état d’une désinformation déplorable de la part des professionnels, alors que d’autres se font traiter de salopes et se heurtent au refus des médecins de parler de la santé sexuelle selon une perspective positive fondée sur des données probantes.
Selon votre expérience, dans quelle mesure les hommes gbHARSAH qui prennent la PrEP sont-ils préoccupés par les ITS? Pensez-vous que les hommes qui utilisent la PrEP prennent les risques d’ITS en considération lorsqu’ils ont des relations sexuelles; est-ce qu’ils comprennent l’importance des dépistages d’ITS de routine?
Nous dirions que la plupart des hommes gbHARSAH qui prennent la PrEP possèdent beaucoup de connaissances en matière d’ITS et sont conscients des risques inhérents associés à l’activité sexuelle. Nous ne croyons pas que les préoccupations concernant les ITS aient été complètement abandonnées, mais elles ont entamé une transition. Alors qu’il s’agissait autrefois d’une situation dont il fallait s’alarmer sérieusement, les ITS sont devenues des choses que l’on peut régler aussitôt que possible une fois détectées. Cela est en grande partie attribuable au dépistage et au suivi continus, ainsi qu’à l’information apprise lors des recherches personnelles effectuées par de nombreuses personnes s’intéressant à la PrEP. Bien que certains hommes gbHARSAH fassent de la compensation du risque après avoir commencé la PrEP, nos efforts de sensibilisation et d’information nous révèlent que cette population est en général très réceptive à l’information sur la santé sexuelle et à l’utilisation de cette information pour négocier les relations sexuelles et la prévention de façons nouvelles. Cela s’est manifesté sous une variété de formes, notamment la réinvention de la négociation du condom et la tenue de plus de conversations fondées sur les données probantes, contrairement à la simple répétition des messages traditionnels potentiellement désuets. Ainsi, même si certains gars ont plus de relations sexuelles sans condom depuis qu’ils ont commencé la PrEP, ce n’est pas le résultat de l’ignorance ou d’un manque de considération pour la santé publique. Ils font cela plutôt avec beaucoup de connaissances et l’indépendance nécessaire pour déterminer leur propre santé sexuelle, ce qui marque un changement rafraîchissant.
Des études américaines ont révélé que certains médecins n’effectuent pas tous les tests de dépistage des ITS recommandés pour les utilisateurs de la PrEP. D’après vous, les médecins au Canada sont-ils au courant de ce qui est approprié comme tests de dépistage des ITS pour leurs patients gbHARSAH sous PrEP?
Avant l’introduction du financement public de la PrEP en Alberta, la plupart des médecins étaient pas mal au courant des dépistages d’ITS nécessaires aux patients gbHARSAH sous PrEP et les effectuaient de façon fiable aux intervalles appropriés. Dans la plupart des cas, la compétence de ces médecins en matière de PrEP était facilitée par une familiarité et une expérience professionnelle antérieures dans le domaine de la prévention du VIH et des ITS. Ils avaient donc un intérêt direct à connaître les exigences spécifiques de la prescription de la PrEP. Toutefois, il est certain qu’il y a eu des cas où des prescripteurs ont donné de fausses informations à leurs clients ou omis des tests de base ou de suivi. Nous connaissons un cas où le prescripteur n’a même pas fait de test de dépistage du VIH de base avant que le patient ait reçu sa prescription. Si ce dernier avait été séropositif à son insu, cette erreur aurait pu causer un résultat bien plus grave. Cependant, comme les prescripteurs doivent maintenant suivre une formation pour prescrire la PrEP gratuite en Alberta, on peut espérer que les cas de ce genre ne se produiront plus à l’avenir.
Dr Michael Fanous
Quand la PrEP a été introduite comme outil de prévention du VIH, elle était très stigmatisée à cause de l’association avec les relations sexuelles sans condom et les comportements « irresponsables », surtout parmi les hommes gbHARSAH. Pensez-vous que les hommes gbHARSAH qui utilisent la PrEP soient encore stigmatisés? Veuillez expliquer. Avez-vous l’impression que cela change à mesure que l’utilisation de la PrEP se répand?
Lorsque la PrEP a été approuvée aux États-Unis en 2012, elle a provoqué une réaction mitigée dans la communauté LBGTQ+, y compris chez les hommes gbHARSAH, qui allaient bénéficier le plus de la réduction du risque de VIH. De nombreuses personnes comprenaient l’importance plus profonde que la réduction des nouvelles infections par le VIH avait pour la communauté, mais elles ne connaissaient pas encore leur risque personnel. Face aux expériences des premiers utilisateurs et à la résistance que la PrEP rencontrait dans la communauté gbHARSAH, il était clair que nous aurions un rude combat à mener pour sensibiliser les gens aux risques de VIH et à la prévention, réduire la stigmatisation du sexe sans condom et convaincre les fournisseurs de services, les autorités de la santé publique et les gouvernements des bienfaits de la PrEP. Un bel exemple de la stigmatisation des utilisateurs de la PrEP réside dans le terme Truvada Whore (pute à Truvada) que certains membres de la communauté utilisaient initialement pour décrire les personnes sous PrEP; certaines de ces critiques venaient de militants du VIH de longue date qui étaient résistants aux nouvelles formes de prévention qui minaient le « code du condom ». Le terme a subséquemment été récupéré par les défenseurs de la PrEP, et des conversations ont été déclenchées partout dans le monde au sujet de l’extension de cette nouvelle stratégie de prévention puissante.
Mon propre travail comme défenseur des droits et éducateur dans la communauté a subi l’impact négatif des accusations non fondées selon lesquelles la PrEP causerait une augmentation des relations sexuelles sans condom et par conséquent d’autres ITS. Cette attitude reflète des tendances de stigmatisation et de jugement plus larges dans la communauté que les hommes gbHARSAH doivent affronter à chaque étape du processus menant à l’obtention de la PrEP. Cela va des opinions mal informées de leurs pairs, de leurs partenaires sexuels et de leurs amis jusqu’à la stigmatisation dont ils font l’objet auprès des professionnels de la santé. Malheureusement, à cause de cela, de nombreux hommes gbHARSAH ne cherchent pas à obtenir les soins dont ils ont besoin ou n’utilisent pas les méthodes de prévention efficaces. Mais les choses ont changé depuis deux ans : suite à l’approbation de la PrEP par Santé Canada en 2016, à la publication des lignes directrices pour les professionnels de la santé dans l’Association médicale canadienne en 2017 et à mon travail avec medsEXPERT dans le village gai de Toronto, le soutien à la PrEP dans le système de santé canadien s’est accru.
Selon votre expérience, dans quelle mesure les hommes gbHARSAH qui prennent la PrEP sont-ils préoccupés par les ITS? Pensez-vous que les hommes qui utilisent la PrEP prennent les risques d’ITS en considération lorsqu’ils ont des relations sexuelles; est-ce qu’ils comprennent l’importance des dépistages d’ITS de routine?
Les clients s’intéressant à la PrEP prennent rendez-vous pour une consultation privée avec moi chez medsEXPERT afin que nous puissions revoir les risques de VIH, l’efficacité de la PrEP, les effets secondaires potentiels et les tests de surveillance de routine qu’ils devront passer pour détecter le VIH et les ITS pendant le traitement, le cas échéant. Lorsque j’évalue les risques de VIH, je renseigne les clients sur les ITS et comment celles-ci influencent leur propre risque de contracter le VIH en utilisant la calculatrice des risques de VIH. À la fin de la consultation, les clients peuvent voir de leurs propres yeux comment leur risque de contracter le VIH augmenterait considérablement s’ils étaient co-infectés par des ITS. Je les rassure cependant en soulignant que les ITS sont un risque normal associé à toute activité sexuelle et que la PrEP peut réduire beaucoup plus leur risque de VIH que les condoms seulement. Grâce à un counseling exhaustif sur la santé sexuelle, les clients acquièrent une connaissance précieuse de leurs risques et se sentent à l’aise de prendre des décisions éclairées concernant leur santé sexuelle et les endroits où ils pourront se faire tester pour le VIH et les ITS. Tous les clients sous PrEP passent des tests de suivi tous les trois mois afin que l’on puisse détecter le VIH, les ITS et tout effet indésirable touchant le foie et les reins. Ce suivi de routine est très réconfortant pour eux parce qu’ils se savent entre les mains d’un professionnel d’expérience en matière de santé des hommes gbHARSAH.
Des études américaines ont révélé que certains médecins n’effectuent pas tous les tests de dépistage des ITS recommandés pour les utilisateurs de la PrEP. D’après vous, les médecins au Canada sont-ils au courant de ce qui est approprié comme tests de dépistage des ITS pour leurs patients gbHARSAH sous PrEP?
À mon avis, un trop grand nombre de professionnels ne sont pas au courant des protocoles appropriés concernant le dépistage, la prescription et le suivi des patients sous PrEP. C’est pour cette raison que j’ai créé des occasions d’apprentissage à l’intention des médecins et pharmaciens qui souhaitent prescrire la PrEP afin qu’ils puissent revoir, comprendre et discuter des stratégies de prévention du VIH. Malheureusement, de nombreux professionnels ont exprimé une réticence à prescrire la PrEP malgré son approbation par Santé Canada et l’abondance de la littérature démontrant son efficacité chez les hommes gbHARSAH. À mon avis, le manque de compréhension de la nouvelle science étayant les stratégies de prévention du VIH ne devrait jamais être une raison de refuser à une personne les soins dont elle a besoin et auxquels elle s’attend de la part des médecins. La PrEP donne aux professionnels de la santé une excellente occasion de discuter des ITS avec leurs patients, et nous espérons que ces discussions deviendront plus fréquentes au cours des mois et des années à venir.