Les antiviraux à action directe (AAD) permettent de guérir l’hépatite C, mais il est possible de contracter à nouveau l’hépatite C en cas d’exposition ultérieure au virus : c’est ce qu’on appelle une réinfection. Les réinfections sont une réalité dans le contexte des soins de l’hépatite C. CATIE s’est entretenu avec trois spécialistes de la réinfection par le virus de l’hépatite C (VHC) et les a invité·e·s à nous faire part de leurs perspectives et de leur expérience concernant le travail auprès des personnes réinfectées par le VHC, les raisons pour lesquelles il est important de revoir notre réflexion sur les réinfections et les considérations en matière de politique.
- Le professeur Gregory Dore dirige le programme de recherche clinique sur les hépatites virales au Kirby Institute de l’University of New South Wales (UNSW) de Sydney, en Australie.
- Bernadette Lettner est infirmière spécialisée dans le traitement de l’hépatite C au Toronto Community Hep C Program.
- Sofia Bartlett est scientifique principale dans le domaine des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) au BC Centre for Disease Control, et professeure auxiliaire à la School of Population and Public Health de l’Université de la Colombie-Britannique.
Pour en savoir plus, lisez l’article suivant : Réinfection par le virus de l’hépatite C : risques, réalités et interventions
Professeur Gregory Dore, directeur du programme de recherche clinique sur les hépatites virales, Kirby Institute, UNSW, Sydney
Quelles perspectives concernant la réinfection par le virus de l’hépatite C avez-vous rencontrées ces dernières années, et comment les points de vue ont-ils évolué au fil du temps face au nombre croissant de données sur la réinfection à l’ère des traitements AAD de l’hépatite C?
Pour de nombreux clinicien·ne·s, la réinfection par le virus de l’hépatite C, ou plus précisément la possibilité d’une réinfection, était auparavant un motif de refus de traiter les personnes qui s’injectent des drogues. Cet état d’esprit était courant à l’époque du traitement de l’hépatite C par l’interféron, et persiste actuellement à l’ère des AAD, notamment en raison du prix élevé de ces agents dans de nombreux contextes.
Les perceptions à l’égard du risque de réinfection en tant que motif de restriction du traitement de l’hépatite C a certainement changé ces dernières années, ce qui s’explique probablement par plusieurs raisons. Tout d’abord, les efforts nationaux et internationaux axés sur l’élimination de l’hépatite C ont mis en évidence l’importance de l’accès au traitement pour les personnes qui s’injectent des drogues et d’autres populations prioritaires. Deuxièmement, les analyses du rapport coût-efficacité ont clairement montré que le traitement des personnes qui s’injectent des drogues est très rentable même en cas de réinfection. Troisièmement, les représentant·e·s des milieux universitaires, cliniques et communautaires se sont fortement mobilisé·e·s pour promouvoir le droit fondamental des personnes qui s’injectent des drogues en matière d’accès au traitement de l’hépatite C, ce qui comprend le retraitement en cas de réinfection. Enfin, certains grands pays ont fourni de solides données probantes montrant les retombées de l’accès équitable au traitement de l’hépatite C et d’une prise en charge de qualité élevée pour les personnes qui s’injectent des drogues. Par exemple, depuis le début du programme de traitement de l’hépatite C financé par le gouvernement australien en 2016, l’accès au traitement n’a pas fait l’objet de restrictions selon le statut de l’utilisation de drogues, et aucune limite n’a été imposée quant au nombre de traitements qu’une personne pouvait recevoir. En Australie, cette politique a permis de réduire de plus de 50 % en 2015 et jusqu’à 17 % en 2020-2021 la prévalence de l’hépatite C chez les personnes qui s’injectent des drogues.
Quelles leçons tirer des taux de réinfection par le virus de l’hépatite C relativement aux efforts d’élimination et aux services de lutte contre l’hépatite C?
La réinfection par le virus de l’hépatite C n’est pas le signe d’efforts d’élimination insuffisants, mais plutôt l’inverse. Au début de l’ère des traitements de l’hépatite C par les AAD, les cas de réinfection étaient plus nombreux là où un plus grand nombre de personnes qui s’injectaient des drogues pouvaient généralement être traitées. Ainsi, les cas de réinfection par le virus de l’hépatite C concernaient des personnes qui s’injectaient des drogues et qui avaient eu accès au traitement. La réinfection peut donc être considérée comme un baromètre de l’accès au traitement de l’hépatite C.
Il ne s’agit pas de minimiser l’importance de l’accès à la prévention primaire par la distribution à grande échelle d’aiguilles et de seringues et de l’accessibilité immédiate du traitement par agonistes opioïdes (TAO). Cependant, même dans les contextes où les mesures de réduction des méfaits sont très répandues, les cas de réinfection par le virus de l’hépatite C sont nombreux. Les interventions en matière de réinfection par le virus de l’hépatite C passent par l’optimisation des aspects suivants : l’accès individuel aux mesures de réduction des méfaits; le suivi permettant de détecter toute réinfection par le dépistage périodique de nouvelles infections; le diagnostic précoce; l’accès au retraitement.
Le nombre élevé de cas de réinfection par le virus de l’hépatite C est inévitable dans les premières phases des efforts d’élimination à grande échelle, durant lesquelles le risque d’exposition persiste chez une vaste population. Au fur et à mesure que les efforts d’élimination progressent et que la prévalence de l’infection par l’hépatite C diminue au sein des populations qui s’injectent des drogues, le nombre de cas de réinfection devrait également diminuer. C’est ce que nous constatons déjà en Australie, où l’on s’attend à de nouvelles baisses des taux de réinfection dans les années à venir. La prudence reste toutefois de mise dans la mesure où le nombre de cas de réinfection reste élevé dans les pénitenciers australiens en raison de l’accès aux mesures de réduction des méfaits qui est plus limité dans ce milieu que dans la communauté. Il s’agit notamment d’un accès plus limité aux TAO, même si la situation s’améliore, et de l’absence totale de programmes d’accès à des seringues et aiguilles neuves. Les efforts d’élimination de l’hépatite C seraient clairement supérieurs si des mesures étaient prises de manière à ce que le milieu carcéral bénéficie des mêmes normes de prévention primaire que la communauté, y compris l’accès à grande échelle au TAO et l’accès à des seringues et aiguilles neuves.
Il ne fait aucun doute que les efforts d’élimination de l’hépatite C seraient consolidés si l’accès au traitement de l’hépatite C et à la prévention primaire était équitable, conformément aux principes clés de la santé et des droits de la personne.
Bernadette Lettner, infirmière spécialisée en traitement de l’hépatite C, Toronto Community Hep C Program
En tant qu’infirmière spécialisée en traitement de l’hépatite C, quelle a été votre expérience des réinfections par le virus de l’hépatite C dans votre pratique clinique?
Comme avec tout virus très contagieux, les infections – et les réinfections – sont inévitables. Je suis toujours très contente lorsqu’une personne m’aborde pour me faire part d’un risque possible de réexposition et me demander un test de charge virale du VHC. Cela témoigne de son niveau élevé de connaissances, d’investissement personnel dans la santé et de confiance à l’égard du traitement de l’hépatite C.
Lorsque vous soignez une personne vivant avec une réinfection par le virus de l’hépatite C, procédez-vous différemment que lorsque vous soignez une personne présentant une infection primaire par le VHC?
Sur le plan clinique, notre tâche est facilitée par le fait que le retraitement de l’hépatite C est exactement le même que celui de l’infection primaire. Les traitements de première intention servent à traiter toute infection par le virus de l’hépatite C (infection primaire et réinfection) jamais traitée auparavant. Ces traitements de première intention sont utilisés dans le cas d’une réinfection, car les personnes réinfectées les avaient reçus pour traiter un virus différent, de sorte que le virus de la réinfection n’a jamais été traité.
On confond parfois le traitement de la réinfection et le retraitement des personnes dont le premier traitement a échoué. Dans le cas du retraitement, qui est rarement nécessaire étant donné les taux de guérison élevés, le virus a déjà été exposé à un cycle de traitement qui n’a toutefois pas entraîné de guérison. Dans ce cas, d’autres facteurs doivent être pris en compte pour déterminer le traitement à utiliser afin d’augmenter la probabilité de guérison après un deuxième cycle de traitement. Il s’agit parfois d’utiliser une association différente de médicaments, parfois appelée traitement de secours.
Même si les médicaments et la réponse au traitement d’une réinfection sont cliniquement les mêmes que ceux d’une infection primaire, j’ai constaté d’autres différences dans le contexte du traitement des réinfections par le virus de l’hépatite C. En effet, contrairement aux médicaments utilisés pour le traitement d’une infection primaire, ceux utilisés pour le traitement des réinfections sont moins couverts par les régimes d’assurance privés et publics. À cela s’ajoutent les préjugés et la stigmatisation touchant davantage les cas de réinfection. Je trouve qu’on a tendance à blâmer ou à incriminer les personnes réinfectées lorsque nous examinons les circonstances de la réexposition et de la réinfection par le virus de l’hépatite C, sans tenir compte des facteurs systémiques. Si quelqu’un n’a pas accès à du matériel de réduction des méfaits parce que les centres des programmes ne sont ouverts que de 9 h à 17 h, du lundi au vendredi, il s’agit d’une défaillance du système. La consommation de drogues n’a pas d’heures d’ouverture. Si une personne a accès au traitement de l’hépatite C, mais que son ou sa partenaire n’y a pas accès, il s’agit d’une défaillance du système. En tant que clinicienne auprès de personnes vivant avec l’hépatite C, et d’après mon expérience dans ce domaine, je crois sincèrement qu’il est de mon devoir de veiller à ce que ces inégalités systémiques et ces facteurs aggravants de l’infection soient atténués, et à ce que les médicaments indiqués pour traiter l’infection soient accessibles.
La couverture universelle du traitement de l’hépatite C pour tous les patients du Canada est une nécessité, ce qui doit comprendre la couverture du retraitement en cas de réinfection. L’accès universel signifie également un accès ininterrompu au traitement et aux soins de l’hépatite C pour toutes les personnes sans emploi, les personnes nouvellement arrivées au Canada et les personnes détenues.
Lorsqu’une personne est disposée à discuter avec moi, il nous arrive de parler des modes de réexposition et de réinfection. C’est une occasion pour moi de m’informer et je suis toujours reconnaissante lorsqu’une personne accepte de me confier les détails intimes de sa consommation de drogues. Cela me permet d’étoffer l’information sur la réduction des méfaits que je peux ensuite transmettre à d’autres personnes, et à combler les lacunes du système. Les drogues, comme la manière de les utiliser, changent. Les personnes qui utilisent des drogues sont des expert·e·s pouvant nous faire part de précieux renseignements qui, si nous y prêtons attention, nous permettront d’améliorer notre façon de traiter et de prévenir l’hépatite C.
Sofia Bartlett, scientifique principale, ITSS, BC Centre for Disease Control, et professeure auxiliaire, School of Population and Public Health, Université de la Colombie-Britannique
Que pouvez-vous nous dire sur les politiques actuelles de remboursement des régimes publics du Canada pour le traitement des réinfections par le virus de l’hépatite C?
Tous les régimes publics d’assurance-médicaments du Canada incluent les AAD sur leur liste de médicaments pour le traitement de l’hépatite C chronique. Bien que certains régimes exigent une multitude de documents à l’appui des demandes de remboursement des AAD, aucun d’entre eux n’impose de restrictions quant à l’admissibilité au traitement à condition que les patient·e·s remplissent les critères généraux de couverture par le régime. Les lignes directrices cliniques des États-Unis, d’Australie et d’Europe recommandent toutes aux personnes réinfectées par le virus de l’hépatite C d’instaurer sans tarder un traitement AAD, car cette démarche est rentable et réduit également le risque de transmission de l’hépatite C à d’autres personnes. Malgré cela, la majorité des régimes publics d’assurance-médicaments du Canada ne garantissent pas le remboursement des AAD en cas de réinfection par le virus de l’hépatite C. D’après une étude récente, 6 % (1/16) des régimes publics d’assurance-médicaments du Canada ne remboursent pas les AAD en cas de réinfection par le virus de l’hépatite C, et 50 % d’entre eux n’envisagent ce remboursement qu’au cas par cas sans publier de critère expliquant les motifs éventuels de refus d’une demande de remboursement d’un AAD. Seuls 44 % des régimes publics d’assurance-médicaments du Canada ont confirmé qu’ils remboursent certainement les AAD en cas de réinfection par le virus de l’hépatite C. Alors que 60 % des Canadien·ne·s bénéficient d’une assurance médicale privée qui couvre les médicaments, généralement dans le cadre d’avantages reliés à l’emploi, les personnes vivant avec l’hépatite C sont beaucoup moins susceptibles de bénéficier d’un régime d’assurance privée. Par conséquent, les politiques et les critères de remboursement des AAD par les régimes publics d’assurance-médicaments sont déterminants pour la création ou l’élimination des obstacles à l’accès au traitement de l’hépatite C au Canada. Si les personnes réinfectées par le VHC se voient refuser le remboursement des AAD par les régimes publics d’assurance-médicaments, elles risquent de ne pas avoir accès du tout à ce traitement susceptible de leur sauver la vie.
Le manque de transparence quant aux critères de non-remboursement des AAD aux personnes présentant une réinfection par le virus de l’hépatite C pourrait donner l’impression aux prescripteurs que les personnes vivant avec l’hépatite C n’ont qu’une seule chance de se faire rembourser les AAD par les régimes publics d’assurance-médicaments du Canada. Cette situation peut susciter des retards dans le traitement initial par des AAD, en particulier dans les groupes considérés comme présentant un risque élevé de réinfection par le virus de l’hépatite C, tels que les personnes qui s’injectent des drogues. Or le fait de retarder le traitement initial de l’hépatite C ou de refuser le remboursement de ce traitement aux personnes réinfectées par le VHC pourrait avoir d’énormes répercussions néfastes, tant au niveau individuel que de la population. Il s’agit notamment de cas évitables de morbidité et de mortalité causées par les maladies du foie, et de manifestations extrahépatiques de l’infection chronique par l’hépatite C, sans oublier la transmission ultérieure de l’hépatite C, qui sapent les efforts d’élimination de cette infection au Canada.
Quels types de politiques publiques de remboursement pour la réinfection par le virus de l’hépatite C souhaiteriez-vous voir mises en œuvre dans tout le Canada?
Les politiques actuelles des régimes publics d’assurance-médicaments du Canada placent le fardeau de la responsabilité sur les individus pour se protéger des cas de réinfection par le virus de l’hépatite C. Ces politiques ne tiennent pas compte du fait que l’accès aux mesures de protection contre la réinfection par le virus de l’hépatite C est inéquitable au Canada; parmi ces mesures, notons les initiatives de réduction des méfaits, l’accès au logement, des niveaux de revenus adéquats et les soins de santé. Pour remédier à ces inégalités, les régimes publics d’assurance-médicaments du Canada devraient appliquer les mêmes critères d’admissibilité au remboursement initial des AAD aux demandes ultérieures de remboursement des traitements d’une réinfection par le virus de l’hépatite C. Il ne devrait pas y avoir de différence dans la façon dont les régimes publics d’assurance-médicaments traitent les demandes de remboursement des AAD entre les personnes présentant une infection primaire par le VHC et celles qui présentent des infections subséquentes par ce virus.
La réinfection par le virus de l’hépatite C est un problème de santé publique qui exige des interventions axées sur des politiques et des interventions fondées sur des données probantes. Celles-ci peuvent inclure l’orientation vers des programmes de réduction des méfaits ou des soins intégrés venant combler d’autres besoins insatisfaits tels que l’aide à l’accès au logement, l’aide au revenu ou les soins de santé mentale. Il est compréhensible que les régimes publics d’assurance-médicaments se soucient des coûts associés à la nécessité éventuelle de couvrir plusieurs traitements AAD en cas de réinfections par le virus de l’hépatite C. Or ce problème ne peut commencer à se régler en limitant l’accessibilité des traitements susceptibles de sauver la vie des patient·e·s. Il exige une collaboration entre les intervenant·e·s du système de santé et de la communauté de manière à favoriser l’accès équitable, dans tout le Canada, à l’ensemble optimal de programmes et de services qui permettront aux individus de se prémunir contre l’hépatite C.