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La réduction des méfaits est un aspect essentiel du soutien des droits et de la santé des personnes qui utilisent des drogues. Depuis des décennies, le mouvement de réduction des méfaits élabore, met en œuvre et défend des programmes qui répondent aux besoins en constante évolution des personnes qui utilisent des drogues. Cet article présente un survol des approches émergentes et des programmes éprouvés qui permettent de prévenir les décès et de réduire les méfaits chez les personnes qui utilisent des drogues. Il décrit brièvement ces approches, discute des données probantes qui les étayent et fournit un portrait de leur statut actuel au Canada.

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Quels méfaits veut-on réduire?

Les gens utilisent des drogues pour de nombreuses raisons, entre autres pour se sentir bien, se détendre, faire des expériences, prendre leur santé en charge, composer avec le stress ou un traumatisme et éviter les symptômes de sevrage. La vaste majorité des personnes qui utilisent des drogues n’ont aucun problème relié à leur consommation1,2. Cependant, l’usage de drogues peut parfois entraîner des problèmes de santé, souvent appelés « méfaits des drogues ». Il peut s’agir de décès dus à une intoxication aux drogues, d’infections transmises par le sang, comme l’hépatite C et le VIH, d’infections bactériennes et des tissus mous, et d’autres méfaits. Il convient de noter que nombre de ces méfaits ne sont pas nécessairement causés par la simple consommation de drogues ou par les drogues elles-mêmes. Ils sont plutôt provoqués par les systèmes sociaux, les lois et les politiques qui marginalisent les personnes qui utilisent des drogues et façonnent les contextes dans lesquels elles le font3.

La réduction des méfaits est un mouvement, une philosophie et un ensemble de principes qui orientent les politiques, les programmes et les pratiques. Elle fait la promotion des droits des personnes qui utilisent des drogues et vise à réduire les méfaits associés à l’utilisation de substances, aux politiques et aux lois en la matière4. Il s’agit d’une approche pouvant être adaptée pour répondre aux besoins des communautés et des personnes. Les personnes qui utilisent des drogues ont toujours été des leaders du mouvement de réduction des méfaits, qui vise à s’attaquer aux causes fondamentales des méfaits5,6. L’objectif du mouvement comprend la remise en question des systèmes sociaux, des lois, des politiques et des pratiques qui entraînent des méfaits liés aux drogues, comme la criminalisation et la marginalisation des personnes qui utilisent des drogues. Cependant, il s’est avéré difficile de changer les systèmes qui causent des méfaits. Le mouvement de réduction des méfaits a souvent dû travailler à la fois au sein de ces systèmes et contre eux pour promouvoir les droits et la santé des personnes qui utilisent des drogues. Les approches de réduction des méfaits visent à aider les personnes qui utilisent des drogues à rester en vie, à protéger leur santé et à faire les changements qu’elles souhaitent dans leur existence. Chaque programme de réduction des méfaits offre la possibilité de créer des liens avec des personnes qui ont été marginalisées, d’établir des relations de confiance avec elles, de leur fournir de l’information et de les orienter vers d’autres services sociaux et de santé.

Le Canada est en proie à une crise de plus en plus grave de contamination des drogues. Depuis 2016, plus de 24 626 personnes sont décédées en raison de la toxicité des opioïdes7. Cette crise est alimentée par la prohibition des drogues8, qui a mené à une offre de drogues non réglementée, toxique et imprévisible. Dans ce contexte de crise, l’action militante continue des personnes qui utilisent des drogues et des gens qui les appuient a joué un rôle crucial dans l’élaboration et la mise en œuvre de nouvelles interventions visant à réduire les méfaits pour ces personnes.

Approches émergentes en matière de réduction des méfaits

Depuis des décennies, le mouvement de réduction des méfaits plaide en faveur de plusieurs des approches suivantes. En raison de la gravité de la crise de contamination des drogues et des efforts incessants des défenseurs de la cause de la réduction des méfaits, les approches décrites ci-dessous ont fait l’objet de plus en plus de discussions et ont été mises en œuvre au Canada. Cela signifie que les données qui étayent leurs effets sont en évolution et que la portée de ces données peut être contestée.

Décriminalisation des drogues

La décriminalisation des drogues consiste à supprimer les sanctions pénales liées à la possession de substances pour usage personnel et au trafic de nécessité (c.-à-d. le partage ou la vente de drogues pour couvrir les coûts de la consommation personnelle ou pour assurer un approvisionnement sûr)9,10. Il existe plusieurs façons de supprimer les sanctions pénales. De manière générale, il s’agit de modifier la manière dont les lois existantes sur les drogues sont appliquées afin d’en réduire l’impact (c.-à-d. la dépénalisation), de modifier les lois elles-mêmes (c.-à-d. la décriminalisation) ou de diriger les personnes vers d’autres services, tels que l’éducation ou le traitement (c.-à-d. la déjudiciarisation), plutôt que de porter des accusations criminelles10. Lorsque les sanctions pénales sont supprimées, d’autres peines et sanctions sont parfois introduites (p. ex. sanctions administratives, amendes, traitement obligatoire)11. La décriminalisation totale, qui consiste à modifier les lois elles-mêmes sans instaurer de nouvelles peines ou sanctions, constitue la norme d’excellence préconisée par de nombreuses personnes qui utilisent des drogues12. Les efforts de décriminalisation des drogues s’inscrivent dans le cadre d’un mouvement en faveur des droits des personnes qui utilisent des substances et de la reconnaissance du fait que la criminalisation a nui de façon disproportionnée aux communautés marginalisées13.

La décriminalisation des drogues présente de nombreux avantages potentiels sur les plans social et sociétal et de la santé 11. Par exemple, le Portugal a modifié ses lois pour décriminaliser toutes les drogues en 2001 et a investi des ressources dans l’éducation, le traitement et la réduction des méfaits. Le cas de ce pays a fait l’objet d’études pendant de nombreuses années, et la combinaison de ces approches a été associée à une réduction des taux de transmission du VIH, des taux de décès liés aux drogues et des taux d’incarcération, et à une augmentation de l’accès au traitement11,14. Cependant, même dans les endroits où la possession de drogue n’est plus considérée comme une infraction pénale, les personnes qui utilisent des drogues déclarent toujours subir des réprobations, une stigmatisation, une surveillance et d’autres méfaits15. Cela s’explique par le fait que de nombreux facteurs influent sur l’impact des changements visant à décriminaliser les drogues15. Il s’agit notamment de la manière dont les sanctions pénales sont supprimées, des mesures prises lorsqu’une personne est trouvée en possession de drogues, de la quantité de drogues considérée comme une possession personnelle et de nombreux autres facteurs12.

Les efforts visant à décriminaliser les drogues pourraient gagner du terrain au pays. Un récent sondage suggère que 59 % des Canadiens sont favorables à la décriminalisation de toutes les drogues16. Le groupe d’expert·e·s sur la consommation de substances de Santé Canada a recommandé de mettre fin aux sanctions pénales et à toutes les mesures coercitives (p. ex. le traitement forcé) liées à la possession de drogues17. Récemment, les avocats du gouvernement fédéral ont reçu l’ordre d’éviter, dans la mesure du possible, d’intenter des poursuites pour de simples accusations de possession de drogue18. Cependant, les effets de cette mesure pourraient être limités, car le fait de modifier la façon dont les lois sont appliquées permet une certaine discrétion pouvant mener à une application incohérente et inéquitable19 (p. ex. en raison du racisme systémique, les personnes racisées pourraient être plus susceptibles d’être accusées).

Pour que la décriminalisation totale se produise partout au Canada, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances aurait besoin d’être changée. La Canadian Association of People Who Use Drugs a intenté une action en justice contre le gouvernement fédéral pour demander l’annulation des lois qui criminalisent l’usage de drogues20. En l’absence de modifications à la loi fédérale, certaines juridictions (les gouvernements municipaux de Vancouver et de Toronto et le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique) ont demandé des exemptions à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances pour décriminaliser les drogues sur leur territoire21.

Approvisionnement sécuritaire

L’approvisionnement sécuritaire fait référence à « un approvisionnement légal et réglementé de drogues dotées de propriétés psychotropes et ayant des effets physiques qui, traditionnellement, n’étaient accessibles que sur le marché illicite » 22. L’approvisionnement sécuritaire vise à fournir aux personnes qui utilisent des drogues des substances légales et réglementées dont la teneur et la puissance sont connues. Ainsi, ces personnes n’auraient pas à utiliser des versions toxiques provenant de marchés non réglementés, ce qui permettrait au bout du compte de sauver des vies. L’approvisionnement sécuritaire englobe une gamme de drogues et divers modèles de distribution. Il vise à réduire les obstacles à l’accès, et il est souvent envisagé que les drogues puissent être utilisées sans supervision clinique23. Les programmes d’approvisionnement sécuritaire incluent fréquemment des services de soutien permettant d’accéder à d’autres services de santé.

Les preuves à l’appui de l’approvisionnement sécuritaire commencent à être révélées. Des projets de recherche et des évaluations préliminaires ont démontré que l’approvisionnement sécuritaire est efficace pour réduire la nécessité d’avoir recours au marché illicite pour se procurer des drogues24 et prévenir les décès chez les personnes à qui l’on a prescrit un approvisionnement sécuritaire24,25. Les opioïdes prescrits dans le cadre d’un approvisionnement sécuritaire peuvent inclure des comprimés d’hydromorphone à libération immédiate (Dilaudid), de la diacétylmorphine (héroïne) et du fentanyl sous forme de comprimés, de timbres ou de liquide25,26. De nombreuses autres drogues peuvent être prescrites à titre d’approvisionnement sécuritaire, notamment la dextroamphétamine (un stimulant) et le diazépam (une benzodiazépine)26. Les programmes d’approvisionnement sécuritaire ont également été associés à d’autres issues positives en matière de santé, notamment l’amélioration de l’état de santé et du bien-être, le recours aux soins primaires, la participation au dépistage et au traitement du VIH et de l’hépatite C, la réduction de l’itinérance, la réduction du travail sexuel de survie, l’amélioration de la prise en charge de la douleur et la baisse des sommes consacrées aux drogues, ce qui laisse plus d’argent pour répondre à d’autres besoins essentiels24,27.

L’approvisionnement sécuritaire est une approche de réduction des méfaits qui prend de l’ampleur au pays. La plupart des programmes d’approvisionnement sécuritaire fonctionnent selon des modèles médicaux faisant appel à des professionnel·le·s de la santé (p. ex. médecins, personnel infirmier) pour rédiger des ordonnances. Cependant, ces modèles reposent sur la disponibilité des professionnel·le·s de la santé et sur leur volonté (et celle des organismes de réglementation) de fournir un approvisionnement sécuritaire aux personnes qui utilisent des drogues. Les programmes reposant sur des modèles médicaux suscitent également des préoccupations, car leurs exigences peuvent être strictes et leurs capacités cliniques, limitées. Il se peut aussi qu’ils ne proposent pas d’options appropriées en matière de drogues (p. ex. doses suffisamment fortes, préparations injectables, stimulants). Outre les modèles médicaux, des approches consistant à élargir l’accès à un approvisionnement sécuritaire facilement accessibles ont été proposées ou ont fait l’objet de projets pilotes. Il s’agit notamment de modèles de distribution reposant sur la santé publique (p. ex. machines distributrices de doses)28, de clubs de compassion dirigés par la communauté29, et de la légalisation et de la réglementation des drogues afin qu’elles puissent être achetées sans ordonnance dans des lieux officiels contrôlés30.

Analyse de substances

L’analyse de substances fait référence aux services qui fournissent aux gens davantage d’informations sur la composition des drogues qu’ils utilisent, et qui leur permettent de prendre des décisions éclairées sur leur consommation. Les services d’analyse peuvent également être utilisés pour surveiller le marché non réglementé et orienter des politiques et des programmes plus vastes, notamment les alertes liées à la santé publique, les interventions de réduction des méfaits et l’action en faveur d’un approvisionnement sécuritaire31. La surveillance de l’offre de drogues comprend l’identification des substances attendues et inattendues, la détection de nouvelles substances et la détection des drogues suscitant des inquiétudes32. Certaines approches courantes en matière d’analyse de substances consistent à fournir aux gens des bandelettes réactives pour vérifier la présence de substances spécifiques dans leurs drogues (p. ex. fentanyl, benzodiazépines) ou à utiliser des technologies avancées pour analyser la composition chimique complète d’échantillons de drogues33.

La plupart des projets de recherche existants sur l’analyse de substances se sont concentrés sur les raves et les partys, mais des études plus récentes ont présenté des données probantes obtenues dans des milieux communautaires. Une revue systématique a révélé que les services d’analyse de substances peuvent influer sur les intentions et les actions des personnes grâce à l’analyse de leurs échantillons de substances32. Cette influence semble varier en fonction du milieu et de la population32. À titre d’exemple, on a constaté que les informations fournies par l’analyse de substances (p. ex. détection du fentanyl) modifient le comportement des personnes qui utilisent des opioïdes de manière à ce qu’elles diminuent leur risque de surdose (p. ex. faire une piqûre d’essai, réduire la dose, ne pas consommer seul·e)32. Les services d’analyse de substances sont utilisés par les personnes qui utilisent ou vendent des drogues, ainsi que par d’autres personnes en leur nom (p. ex. ami·e·s, membres de la famille, intervenant·e·s en réduction des méfaits)34,35. Selon les usager·ère·s de services, pour que les programmes d’analyse de substances soient efficaces, ils doivent être gratuits, anonymes et rapides, et offerts sans jugement. Les programmes doivent aussi mobiliser les personnes qui utilisent des drogues. De plus, ils doivent fournir des connaissances pouvant réduire les méfaits qui découlent de la consommation ou de la vente de drogues36.

Les services d’analyse de substances, qui existent au Canada depuis des décennies, sont souvent proposés dans les bars, les festivals et d’autres événements. En raison de la crise de la contamination des drogues et des intoxications qui en résultent, l’analyse de substances a pris de l’ampleur ces dernières années. Il existe maintenant des programmes autonomes et des services intégrés dans les sites de consommation supervisée (SCS) et les sites de prévention des surdoses (SPS), et l’accès aux bandelettes réactives au fentanyl s’est élargi dans certaines régions37,38. Toutefois, l’accès aux services d’analyse de substances qui font appel à des technologies de pointe demeure très limité partout au pays.

Observation

L’observation (ou « spotting ») est une pratique informelle chez les personnes qui utilisent des drogues. Elle consiste à « être témoin », c’est-à-dire à observer quelqu’un qui consomme des substances, en sa présence ou à distance (par le biais du téléphone, du clavardage vidéo ou d’une application), pour lui fournir de l’aide en cas de surdose. Les personnes qui utilisent des drogues entrent généralement en contact avec des membres de leur famille et des ami·e·s en qui elles ont confiance pour l’observation en personne ou à distance (p. ex. par téléphone ou texto)39.

Des projets de recherche sur l’observation à distance sont en cours. Selon les personnes qui utilisent des drogues, l’observation à distance leur permet de bénéficier d’une intervention en cas de surdose au moment et à l’endroit où elles en ont besoin. Certaines personnes se sentent plus à l’aise en utilisant l’observation que les services conventionnels39. L’observation peut se faire à toute heure, notamment lorsque les autres services sont fermés. Elle permet aussi aux personnes qui n’ont pas accès à un SCS ou à un SPS (p. ex. personnes qui fument des drogues ou qui vivent dans des zones dépourvues de ces sites) de bénéficier d’une consommation supervisée39. Les obstacles à l’observation incluent la possibilité qu’une intervention soit tardive en cas de surdose, les préoccupations liées à la présence de la police sur les lieux d’une surdose et l’accès irrégulier à un téléphone cellulaire39,40.

Il existe des programmes officiels qui pratiquent l’observation à l’aide de lignes téléphoniques gratuites et d’applis mobiles. Certains de ces programmes ont été mis en place pendant la pandémie de COVID-19, dans le but d’aider les personnes qui utilisent des drogues à rester en sécurité tout en pratiquant la distanciation physique. Le National Overdose Response Service (NORS) a commencé à fournir un service de surveillance à distance à la population canadienne, et une évaluation est en cours41.

Programmes de réduction des méfaits ayant fait leurs preuves

Les programmes éprouvés sont ceux qui existent dans certaines régions du Canada depuis de nombreuses années; de ce fait, il existe souvent des preuves solides de leur efficacité. Il est à noter que bon nombre de ces approches ont été élaborées par des personnes qui utilisent des drogues. Les personnes qui utilisent des substances et celles qui les soutiennent continuent d’être à l’origine d’innovations qui réduisent les obstacles à l’accès.

Sites de consommation supervisée (SCS) et sites de prévention des surdoses (SPS)

Les SCS et les SPS sont similaires : tous deux fournissent aux personnes qui utilisent des drogues du nouveau matériel de réduction des méfaits et un espace sûr et supervisé pour utiliser leurs drogues. Les usager·ère·s de ces services sont surveillés par du personnel ayant reçu une formation pour détecter les signes de surdose et y répondre, et réagir aussi aux autres effets indésirables. De plus, le personnel fournit aux gens de l’information sur la consommation à moindres risques, les aide à répondre à d’autres besoins fondamentaux et les oriente vers d’autres services. Les SCS et les SPS ont tous deux débuté à titre d’approches non approuvées, gérées par la communauté. Aujourd’hui, les SCS sont des services de santé permanents qui nécessitent l’approbation du gouvernement fédéral. Les SPS (parfois appelés « sites répondant aux besoins urgents en santé publique ») sont des lieux temporaires pouvant être approuvés par les gouvernements provinciaux ou territoriaux42,43, et peuvent être mis en place rapidement pour aider à sauver des vies dans une région spécifique.

Il a été prouvé que les SCS réduisent bon nombre de méfaits chez les personnes qui utilisent des drogues. Il s’agit notamment de diminuer le nombre de décès par surdose44,45 sur chaque site et dans les environs46, de diminuer les pratiques dangereuses de consommation de substances44,45 et d’améliorer l’accès aux services sociaux et de santé45. Les SPS sont associés à de nombreux avantages pour la santé47. On a observé qu’ils permettent de prévenir le nombre de décès par surdose et de traumatismes connexes, de réduire la honte et la stigmatisation liées à la consommation de drogues et d’accroître la confiance et les relations entre le personnel et les usager·ère·s des services48.

L’accès aux SCS et aux SPS a connu une expansion ces dernières années en raison de la crise de la contamination des drogues, mais il demeure limité partout au pays49. Dans bon nombre de villes et de localités, les gens n’ont pas accès à un endroit sûr pour consommer. De nombreux SCS et SPS permettent maintenant aux gens de s’injecter, de sniffer (inhaler) ou d’ingérer leurs drogues, mais bien peu de sites les autorisent à fumer des substances. Il est important de mettre en place des sites où les gens peuvent fumer leurs drogues afin de réduire les obstacles aux services50 et de s’attaquer au fait que fumer des drogues est devenu la principale méthode de consommation entraînant des surdoses dans certaines régions51,52. En effet, de plus en plus de gens fument des drogues en raison de la perception erronée et répandue selon laquelle le risque de surdose est moindre que lorsqu’ils s’injectent, et de l’offre de drogues toujours plus puissantes, dont l’effet est de plus en plus imprévisible53. Dans les SCS et les SPS, les prestataires de services ont récemment été autorisés à permettre l’injection assistée par les pairs, ainsi que le fractionnement et le partage des drogues54,55. Le fait d’autoriser l’injection assistée par les pairs dans les SCS et les SPS permet aux personnes qui utilisent des substances de préparer et d’administrer des injections à d’autres usager·ère·s des services. Ce changement offre aux personnes qui ont besoin d’aide pour s’injecter la possibilité d’accéder à la consommation supervisée. L’autorisation de fractionner et de partager les drogues fait en sorte que les personnes divisent ou échangent leurs drogues dans les SCS et les SPS, plutôt qu’à l’extérieur. Ces changements peuvent contribuer à réduire les obstacles et les méfaits pour les personnes marginalisées qui utilisent des drogues56,57.

Information sur les surdoses et distribution de naloxone

Les programmes d’information sur les surdoses et de distribution de naloxone, également appelés « naloxone à emporter », consistent à distribuer des trousses de naloxone et à former les gens quant à leur utilisation. La naloxone (marque de commerce : Narcan) est un antagoniste des opioïdes, qui bloque temporairement les effets des opioïdes. Elle est utilisée pour contrecarrer les surdoses d’opioïdes et prévenir les décès. La naloxone est offerte sous forme injectable ou en vaporisateur nasal. Elle n’a aucun effet sur les substances autres que les opioïdes.

Les programmes d’information sur les surdoses et de distribution de naloxone sont efficaces pour prévenir les décès par surdose d’opioïdes. Des revues systématiques de ces programmes ont révélé qu’ils améliorent les connaissances sur les surdoses d’opioïdes à long terme et qu’ils réduisent la mortalité liée aux opioïdes. D’ailleurs, il existe une forte corrélation entre la distribution de naloxone et la survie aux surdoses58,59. La naloxone nasale à forte dose s’est avérée aussi efficace que la naloxone injectable, mais l’efficacité de la naloxone nasale à faible dose est moindre59.

Depuis quelques années, la distribution de naloxone s’est accrue en raison de la crise des intoxications aux drogues. Chaque province et chaque territoire dispose d’un programme public qui distribue gratuitement de la naloxone sous forme injectable, et certaines régions l’offrent également en vaporisateur nasal60. Les provinces et les territoires offrent de la naloxone par l’intermédiaire de différentes organisations. Les organisations qui distribuent de la naloxone comprennent les pharmacies, les centres de santé, les programmes de réduction des méfaits, les centres de traitement et d’autres services60. Cependant, l’accès varie considérablement d’une province et d’un territoire à l’autre60. Chaque province et chaque territoire a ses propres critères pour établir qui est admissible à recevoir une trousse de naloxone gratuite et qui peut distribuer les trousses60. Le transport et la distribution de la naloxone dans les régions rurales et éloignées posent également des problèmes, et la stigmatisation continue de limiter l’accès dans certaines régions60.

Traitement par agoniste opioïde et traitement par agoniste opioïde injectable

Le traitement par agoniste opioïde (TAO) et le traitement par agoniste opioïde injectable (TAOi) sont des approches thérapeutiques destinées aux personnes ayant reçu un diagnostic de trouble lié à l’utilisation d’opioïdes. Toutes deux reposent sur la prescription de médicaments qui servent de substituts aux opioïdes illicites.

Les médicaments utilisés pour le TAO sont des opioïdes à action prolongée qui aident à prévenir les symptômes de sevrage sans exercer d’effets psychoactifs. Au Canada, les formes les plus courantes de TAO sont la méthadone et la buprénorphine61. Dans certains cas, la morphine orale à libération lente (Kadian) peut également être prescrite comme TAO61. Les médicaments pour le TAO sont prescrits par des professionnel·le·s de la santé. La plupart de ces médicaments sont pris quotidiennement par voie orale. La buprénorphine à action prolongée, un médicament pour le TAO, peut être injectée par voie sous-cutanée par les professionnel·le·s de la santé toutes les deux semaines ou tous les mois.

Les médicaments utilisés pour le TAO injectable (TAOi) comportent la diacétylmorphine (héroïne) et l’hydromorphone injectables. Ils peuvent être prescrits par un·e médecin à une personne pour laquelle le TAO standard n’a pas fonctionné62. Les personnes sous TAOi s’injectent les médicaments elles-mêmes jusqu’à trois fois par jour, sous supervision clinique.

Le TAO et le TAOi sont tous deux efficaces pour réduire les multiples méfaits chez les personnes qui utilisent des opioïdes. Des études ont prouvé que ces traitements aident les personnes qui prennent des drogues à réduire leur besoin d’opioïdes illicites et abaissent la morbidité et la mortalité61,62. On a observé que l’OAT réduisait le risque de transmission du VIH et de l’hépatite C63,64, les décès par surdose et les décès toutes causes65. En outre, il est prouvé que le TAOi diminue les comportements pouvant mener à la transmission du VIH et de l’hépatite C66.

Cependant, la rétention à long terme dans le TAO constitue une difficulté : entre 46 et 65 % des personnes qui commencent le TAO par la méthadone abandonnent le traitement au cours de la première année, et seulement 30 à 60 % des personnes qui commencent le TAO par la buprénorphine restent en traitement après six mois67. La rétention dans le TAOi est plus élevée : entre 67 et 88 % des personnes qui commencent le TAOi par la diacétylmorphine sont toujours en traitement après 12 mois67. Le taux de rétention est semblable (77 %) pour le TAOi par l’hydromorphone injectable67.

La capacité à fournir le TAO au Canada a considérablement augmenté au cours des deux dernières décennies68. Toutefois, l’accès n’est pas universel, compte tenu des exigences et des capacités de programme en matière de TAO qui varient d’une province et d’un territoire à l’autre68,69. L’accès au TAO au Canada est très limité. En 2019, seulement cinq villes avaient des programmes de TAOi qui pouvaient aider un total de 420 personnes70. Les obstacles au TAOi de nature réglementaire ont été allégés71, mais d’autres changements sont nécessaires. Il s’agit notamment d’améliorer l’accès à la diacétylmorphine, de couvrir l’hydromorphone injectable à haute teneur dans le cadre des régimes d’assurance médicaments provinciaux et territoriaux et de fournir des fonds supplémentaires pour réduire les obstacles à l’accès et accroître la disponibilité70.

Distribution de matériel de réduction des méfaits

La distribution de matériel de réduction des méfaits dans le cadre de programmes d’aiguilles et de seringues consiste à fournir du matériel neuf pour rendre la consommation de substances plus sécuritaire, sans en limiter les quantités pour une personne. Les programmes d’aiguilles et de seringues recueillent également le matériel usagé pour l’éliminer en toute sécurité. Le matériel de réduction des méfaits peut être distribué de diverses manières72, notamment à partir de centres existants, de centres satellites, d’interventions de proximité, par courrier et par la distribution entre pairs (c.-à-d. secondaire).

Lorsque le matériel utilisé pour s’injecter, fumer ou sniffer (inhaler) des drogues est réutilisé par une autre personne, cela peut entraîner la transmission d’infections telles que l’hépatite C ou le VIH. La réutilisation du matériel ou l’utilisation de matériel artisanal peuvent également causer des méfaits, notamment des infections bactériennes, des lésions veineuses dues à l’injection, et des coupures et des brûlures dues à la fumée.

Il a été prouvé que la distribution de matériel de réduction des méfaits pour que les personnes s’injectent, fument ou sniffent (inhalent) des substances de façon plus sécuritaire est un moyen efficace de prévenir ou de réduire de nombreux méfaits potentiels, y compris les comportements pouvant entraîner la transmission du VIH et de l’hépatite C73–76. Les programmes de distribution de matériel de réduction des méfaits sont souvent un point de contact important avec le système de santé pour les personnes qui utilisent des drogues, et ils peuvent aider celles-ci à accéder à d’autres services. L’association de la distribution de matériel de réduction des méfaits et d’autres programmes peut accroître l’efficacité de ces programmes76.

Il existe des inégalités relatives à l’accès au matériel de réduction des méfaits au Canada. Chaque province et chaque territoire décide du matériel qui sera distribué et du financement qu’il accordera pour le matériel de réduction des méfaits. Cela signifie que les personnes qui utilisent des drogues peuvent avoir accès à du matériel dans certaines provinces et certains territoires, mais pas dans d’autres. Par exemple, toutes les provinces et la plupart des territoires distribuent du matériel d’injection plus sécuritaire, mais le matériel plus sécuritaire pour fumer et sniffer (inhaler) n’est pas aussi largement disponible, même si les drogues sont fumées plus souvent qu’elles ne sont injectées53.

Conséquences pour la portée et la durabilité des politiques

Pour ce qui est de la portée, l’accès à certains programmes de réduction des méfaits s’est élargi ces dernières années, et certains obstacles à l’accès sont moins présents. Cependant, ces programmes ne sont pas dotés de ressources suffisantes ou mis en application de manière équitable dans tout le pays pour pouvoir faire face à l’ampleur des crises auxquelles les personnes qui utilisent des drogues sont confrontées. Cette iniquité est souvent exacerbée dans les communautés rurales et éloignées, où des lacunes importantes dans les services peuvent exister77. Il faut fournir aux communautés les ressources et la souplesse nécessaires pour mettre en œuvre des approches répondant à leurs besoins.

La durabilité de la réduction des méfaits au Canada demeure un enjeu49. La mise en place de nombreuses approches de réduction des méfaits requiert souvent l’association de financement et de l’approbation des gouvernements fédéral et régionaux. L’évolution des politiques et des priorités a eu une incidence sur l’accessibilité, la capacité et la durabilité de nombreux programmes de réduction des méfaits78. Une dépendance excessive à l’égard du financement de projets pilotes peut également nuire à la durabilité et à l’efficacité de nombreux programmes de réduction des méfaits. Il est urgent de mettre en œuvre des systèmes et des stratégies qui permettent aux projets pilotes efficaces de se poursuivre, de croître, de partager les connaissances acquises et d’être reproduits79.

Conséquences pour les prestataires de services

Le mouvement de réduction des méfaits s’adapte progressivement à l’augmentation des méfaits attribuable à la crise de la contamination des drogues. Les prestataires de services doivent être au fait des approches et des services pouvant aider à répondre adéquatement aux besoins des personnes qui utilisent des drogues. Tant les approches émergentes que les approches traditionnelles de réduction des méfaits jouent un rôle primordial dans la réduction des méfaits liés à la criminalisation, à la prohibition et aux autres systèmes sociaux marginalisant les personnes qui utilisent des substances. Chacune de ces approches donne aux prestataires de services la possibilité d’entrer en contact avec les personnes qui utilisent des drogues, d’établir des relations avec elles, et de permettre à ces personnes d’établir des relations entre elles. La réduction des méfaits repose souvent sur ces contacts et ces relations, qui peuvent favoriser un climat de confiance et de soutien entre les personnes marginalisées faisant l’objet de discrimination et les prestataires de services. Les prestataires de services doivent donner la priorité aux besoins et aux points de vue des personnes qui utilisent des drogues dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de toutes les approches visant à leur proposer des services.

Ressources

Recommandations de pratiques exemplaires pour les programmes canadiens de réduction des méfaits  

Réussir la décriminalisation : une voie vers des politiques sur les drogues basées sur les droits de la personne

Safe Supply: Concept Document (en anglais seulement)

Drug Resource and Education Project (Projet ressources et éducation sur les drogues, version en français à venir)

Comment Assister Une Personne Afin Qu’elle Ne Consomme Pas Seule

Crise des surdoses et de la toxicité des drogues au Canada : aperçu de la situation actuelle

Approvisionnement sécuritaire : De quoi s’agit-il et quel est l’état des choses au Canada?

Le traitement par agoniste opioïde peut-il aider à prévenir l’hépatite C et le VIH?

Références

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  3. Collins AB, Boyd J, Cooper HLF et al. The intersectional risk environment of people who use drugs. Social Science & Medicine. 2019;234:112384. Accessible à : https://doi.org/10.1016/j.socscimed.2019.112384
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À propos de l’auteur

Magnus Nowell est le spécialiste en connaissances sur la réduction des méfaits chez CATIE. Il a travaillé par le passé dans le domaine de la recherche sur la réduction des méfaits, le logement et l’organisation communautaire. Il détient une maîtrise en promotion de la santé.

Révision externe effectuée par : Dre Carol Strike et Jo Parker