Un nombre grandissant d’études révèlent un lien entre l’exposition des jeunes à la violence et leur vulnérabilité au VIH.1 Établir des rapprochements peut nous aider à mieux comprendre les différentes façons dont la violence et la stigmatisation sont liées aux risques associés au VIH dans la vie des jeunes. Cela peut aussi nous aider à comprendre en quoi les politiques et programmes qui se penchent sur cette violence constituent des stratégies essentielles de prévention.
Un monstre à plusieurs têtes
Les jeunes peuvent faire face à différentes formes de violence, allant de l’agression physique manifeste à des formes plus subtiles, de l’exclusion systémique à la violence interpersonnelle. Ces formes de violence incluent :
- La violence familiale – la maltraitance physique, sexuelle et émotionnelle, ainsi que la négligence et le rejet vécus lorsqu’un jeune est chassé de sa famille ou de sa maison;
- La violence par les pairs – les gestes méchants que l’on porte à l’égard des autres, tels que l’intimidation verbale et physique ainsi que le fait de fuir, d’humilier ou d’exclure une personne de façon délibérée;
- La violence sexuelle – le harcèlement sexuel, l’agression, la maltraitance et l’exploitation, qui peuvent directement exposer les jeunes au VIH;2
- Les crimes haineux – incluant la violence verbale ou physique de type homophobe, misogyne et raciste;
- La violence institutionnelle – la discrimination ainsi que l’usage d’un pouvoir social ou d’un contrôle sur des groupes pour limiter leurs perspectives d’avenir. Par exemple, l’héritage des pensionnats autochtones ou la façon dont l’hétérosexisme peut exclure les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres et queer (LGBTQ) de certains types d’emploi. La violence institutionnelle peut aussi limiter les réponses officielles à l’intimidation et aux crimes haineux;
- Guerres et autres formes de conflits armés – allant des guerres entre pays aux réponses violentes des gouvernements contre leurs propres citoyens, ou même aux guerres des gangs dans les villes.
Toutes les formes de violence se manifestent dans le cadre de structures de société qui justifient indirectement l’oppression des groupes moins puissants et qui ignorent parfois les actes de violence directe à leur égard.3
Les conséquences de la violence : stress et traumatisme
Être victime de n’importe quelle forme de violence crée des stress et traumatismes physiques, psychologiques et sociaux. Un traumatisme profond ou répété peut activer les réponses du système nerveux central au stress chronique et engendrer des états sévères d’anxiété, d’insomnie, de stress post-traumatique ou de dépression.4 L’impact émotionnel d’un traumatisme — incluant des sentiments de peur, de honte et de rage — peut aussi altérer la façon dont une personne se perçoit et perçoit les autres.5 Par exemple, une personne ayant vécu un traumatisme peut sentir qu’elle n’a pas de valeur et penser « je m’attends à ceci, et je le mérite ». Elle peut se retirer de relations interpersonnelles et s’isoler, trouvant difficile de faire confiance aux autres et de s’intéresser à eux. Cette personne peut alors perdre ses réseaux de soutien et avoir l’impression qu’elle est seule et ne peut compter sur quiconque. Ceci peut être aggravé par le fait que les gens évitent parfois les jeunes ayant vécu de la violence de peur d’être eux-mêmes stigmatisés.
De quelles façons les jeunes gèrent-ils les traumatismes et l’isolement social que peut causer la violence? Malheureusement, certaines stratégies d’adaptation peuvent augmenter le risque de contracter le VIH. Les jeunes peuvent rechercher l’amour et le soutien par des rapports sexuels ou utiliser des drogues et de l’alcool pour tenter de gérer leur douleur et leur détresse.6 Les jeunes peuvent être plus susceptibles d’avoir des relations sexuelles non protégées parce que la faible estime de soi et le sentiment d’impuissance, que peut causer une expérience traumatisante, peuvent diminuer leur habileté à négocier le sécurisexe2,7,8 ou à prendre des mesures pour se protéger.5 L’utilisation de drogues ou d’alcool comme stratégie d’adaptation peut altérer la réflexion et le jugement d’une personne, ce qui peut être à l’origine de relations sexuelles non protégées ou d’échange de sexe contre de la drogue.9 Ces activités peuvent toutes augmenter le risque de contacter le VIH.
Vulnérabilités inégales à la violence et au VIH
Les jeunes qui font partie de groupes stigmatisés — incluant les jeunes Autochtones,10,11 ceux qui s’identifient comme lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres ou queer (LGBTQ)12,13 et les jeunes sans-abri ou de la rue8 — sont plus susceptibles d’être les cibles de violence et sont également plus vulnérables au VIH.2,14 Considérez les éléments suivants :
- Les jeunes Autochtones dont les communautés possèdent un héritage de traumatismes (tel que la violence institutionnelle vécue par les parents et les grands-parents dans les pensionnats autochtones) sont plus exposés aux risques de sévices sexuels ou plus susceptibles d’utiliser des drogues et de l’alcool.15 Parmi les étudiants autochtones de la Colombie-Britannique, ces risques sont aussi associés à des taux plus élevés d’infections transmissibles sexuellement.10
- Les jeunes lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres et queer (LGBTQ) sont plus susceptibles d’être exposés au VIH à la suite de violence. Ils sont trois fois plus susceptibles que les jeunes hétérosexuels d’avoir vécu de sévices sexuels pendant l’enfance. Ils sont aussi plus susceptibles de rapporter des sévices de la part d’un parent.12 Cet historique de sévices sexuels (et non d’orientation sexuelle) explique pourquoi les étudiants lesbiennes, gais et bisexuels rapportent des niveaux plus élevés de comportements à risque élevé lors de leurs études secondaires que les étudiants hétérosexuels.13 Lorsque comparés aux autres jeunes lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres et queer (LGBTQ), ceux qui ont vécu des niveaux élevés d’intimidation à l’école sont plus susceptibles de rapporter des comportements à risque en tant que jeunes adultes.16
- Les jeunes de la rue et les jeunes sans-abri sont également plus susceptibles d’être victimes de violence. Par ailleurs, un historique de sévices sexuels ou de négligence pendant l’enfance ou l’adolescence peut mener les jeunes à s’enfuir ou à être chassés de chez eux.17 Être sans-abri ou vivre dans la rue est associé au troc de faveurs sexuelles, aux relations sexuelles non protégées et à l’utilisation de drogues injectables, tous des comportements qui augmentent la vulnérabilité au VIH. Les jeunes maltraités peuvent ensuite vivre plus de violence physique et sexuelle dans la rue,8 y compris de l’exploitation sexuelle.14
Coexistence de différentes vulnérabilités
Les jeunes ayant vécu de l’agression ou de l’exploitation sexuelle — souvent de jeunes Autochtones, de jeunes lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres et queer (LGBTQ) ou des jeunes de la rue — sont particulièrement vulnérables au VIH.2,14 La coexistence de ces différentes vulnérabilités crée des risques plus élevés pour la santé des jeunes puisqu’ils font alors partie de plusieurs groupes stigmatisés et sont plus susceptibles de vivre de multiples formes de violence. Par exemple, les jeunes qui ont vécu de sévices sexuels sont plus susceptibles de subir d’autres formes de mauvais traitement et d’être témoins de plus de violence, ce qui augmente leurs chances de prendre des décisions sexuelles qui les rendent vulnérables au VIH.7 Ceci est vrai pour les filles et les garçons : les garçons ayant vécu la maltraitance sexuelle sont beaucoup plus susceptibles que les autres garçons d’avoir des relations sexuelles sans condom, d’avoir des partenaires sexuels multiples et d’être impliqués dans des cas de grossesse à l’adolescence.17,18
Facteurs de protection dans la vie des jeunes
Tous les jeunes qui ont vécu de la violence ne contractent pas nécessairement le VIH. Certains survivent et se portent très bien, et ce, grâce à diverses influences positives dans leurs vies. L’une des influences les plus positives est le fait de se sentir connecté aux autres : se sentir aimé par ses amis, sa famille, ses professeurs et les autres adultes membres de sa communauté. Le soutien apporté par les membres de la famille et par d’autres adultes peut aider les jeunes ayant vécu de la violence à se sentir connectés aux autres et à développer des stratégies d’adaptation positives.10,18
La satisfaction des besoins fondamentaux d’une personne — incluant la nourriture, un logement stable et des perspectives d’éducation et d’emploi — peut également contribuer à réduire la vulnérabilité au VIH en diminuant les incitations à échanger des faveurs sexuelles pour ces besoins fondamentaux.
Il est aussi important pour les jeunes d’avoir des façons saines d’évacuer le stress, ce qui inclut les activités physiques (telles que les sports) et créatives (telles que le théâtre, les arts visuels et la musique).18 Ces activités peuvent aider les jeunes à gérer leurs émotions difficiles et à développer leur estime de soi.
Promouvoir les facteurs de protection
Il peut s’avérer nécessaire d’adapter aux différents groupes vulnérables les programmes et politiques qui visent à développer ces facteurs de protection dans la vie des jeunes. Par exemple, les jeunes lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres et queer (LGBTQ) qui vivent de la violence institutionnelle et de l’intimidation à l’école bénéficieront de l’existence de politiques contre l’intimidation qui encouragent les employés à intervenir lorsqu’ils sont témoins de violence homophobe. Ils bénéficieront également de l’inclusion des problématiques LGBTQ dans le cursus scolaire, de l’existence d’alliances gai-hétéro et de la mise en place d’espaces sécuritaires où les étudiants LGBTQ peuvent se soutenir mutuellement.16,19 De plus, l’éducation en matière de santé sexuelle, offerte dans les écoles ou ailleurs, doit respecter la diversité sexuelle et se pencher sur les besoins de santé sexuelle des jeunes queer.20
Les jeunes autochtones peuvent avoir besoin de différentes sortes de programmes encourageant la résilience. La connexion avec la famille et les occasions de s’impliquer de façon bénévole au sein de la culture traditionnelle et de la communauté sont particulièrement importantes pour les jeunes Autochtones.10 Les interventions qui leur sont destinées doivent donc être liées aux traditions et aux cérémonies culturelles. Les jeunes doivent aussi être impliqués dans le développement des programmes afin que ceux-ci répondent à leurs besoins.11 Les programmes peuvent être élaborés pour l’ensemble des jeunes Autochtones ou plus spécifiquement pour ceux qui ont vécu de la violence.
Les jeunes sans-abri ayant vécu de l’exploitation sexuelle sont exposés aux plus grands risques. Malgré cela, il a été démontré que les interventions qui favorisent le développement de facteurs de protection dans leur vie réussissent à réduire les traumatismes et les comportements sexuels à risques élevés.21
Il s’agit d’interventions permettant de rapprocher ces jeunes de l’école, de leur famille et d’adultes leur offrant du soutien. Bien que ces programmes ne soient pas répandus, il est encourageant de constater que l’appui offert aux jeunes permet même aux plus vulnérables d’entre eux de trouver des voies plus saines.
Prévenir la violence afin de combattre le VIH
Nous pouvons prendre différentes mesures pour prévenir la violence et ainsi contribuer à réduire les traumatismes qu’elle cause. Premièrement, nous devons conscientiser les communautés quant au lien entre la violence et la vulnérabilité des jeunes au VIH. Nous devons également engager les communautés à s’attaquer aux causes profondes de la violence afin de réduire cette vulnérabilité.10 Deuxièmement, les travailleurs de première ligne doivent être ouverts et disponibles pour parler avec les jeunes de la violence — particulièrement les sévices sexuels — qu’ils ont pu avoir vécu.17,18 Il est important de commencer par établir une relation de confiance et de respect, puisque plusieurs jeunes trouvent difficile de parler des épisodes de violence qu’ils ont vécus.22 S’attaquer à la violence et à ses conséquences le plus tôt possible est essentiel pour soigner et guérir les traumatismes et ainsi contribuer à prévenir le recours à des comportements à risque élevé comme stratégie d’adaptation.2,7,23 Finalement, les jeunes qui ont vécu de la stigmatisation et de la violence ont besoin d’interventions qui les connectent avec des adultes leur offrant du soutien, qui répondent à leurs besoins fondamentaux et qui les aident à développer de saines stratégies de gestion du stress et de la douleur.21,23 À moins que nous ne nous attaquions à la violence au sein de leur vie, les jeunes vulnérables continueront de faire face à des risques inacceptables et inégaux de contracter le VIH.
Ressource
Voir aussi l’article « Les jeunes de la rue au Canada » dans Point de mire sur la prévention (Printemps 2012, numéro 5).
Références
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À propos de l’auteur
Dre Elizabeth Saewyc (Ph. D., infirmière autorisée, FSAHM) est professeure en soins infirmiers et en médecine pour adolescents à l’Université de la Colombie-Britannique. Elle détient une chaire nationale en santé publique appliquée qui porte principalement sur la santé des jeunes. Elle dirige le centre sur la stigmatisation et la résilience chez les jeunes vulnérables à l’UBC et est la directrice de recherche du McCreary Centre Society, un organisme communautaire qui fait la promotion de la recherche et du leadership chez les jeunes qui désirent s’impliquer.
Au cours de ses 18 années de travail, Elizabeth a œuvré auprès de différents jeunes, incluant des jeunes ayant fugué et des jeunes de la rue, des adolescents ayant vécu de l’agression ou de l’exploitation sexuelle, des jeunes lesbiennes, gais, transgenres et bisexuels (LGTB), des jeunes en détention provisoire, des adolescents immigrants et réfugiés, des jeunes Autochtones, et ce, dans plusieurs pays.
Bonnie Bea Miller détient un B.A. (avec distinction) en psychologie et en sciences de la santé de l’Université Simon Fraser en Colombie-Britannique. Elle est coordonnatrice de recherche pour le centre sur la stigmatisation et la résilience chez les jeunes vulnérables à l’UBC et bénévole pour YouthCO AIDS Society. Sa thèse de spécialisation sur les lois relatives à l’âge de consentement a été publiée dans le Canadian Journal of Human Sexuality en novembre 2010.