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Après une épiphanie, le photographe et artiste numérique Gustavo Hannecke vit avec passion, ouverture et authenticité.

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par Jennifer McPhee

Les photos de l’artiste d’origine argentine Gustavo Hannecke immortalisent souvent des moments tendres et heureux et la beauté de la nature. Ses œuvres numériques sont plus introspectives et représentent des récits plus compliqués, ayant souvent trait à son parcours en tant qu’homme gai séropositif. Bien que contradictoire en apparence, ce ne l’est en fait pas du tout. « Mon âme cherche à s’imprégner dans chaque photo ou œuvre d’art que je produis, dit Gustavo. Elle est remplie de bonheur et de beauté, mais aussi de souffrance et de récits sur la complexité des émotions humaines, que j’accueille plutôt que d’éviter, afin de les exprimer dans mon art. »

Opening Skies (Éclaircie),
province de Salta, Argentina, 2004

Gustavo est né à Salta, en Argentine, dans une maison construite par son grand-père et comportant une chambre noire. La photographie lui est venue tout naturellement, sa famille comptant quatre générations de photographes du côté de son père, et une longue lignée d’artistes des côtés tant maternel que paternel. Ayant baigné dans l’art depuis son enfance et grandi avec sa famille élargie, avec qui il faisait des excursions vers la magnifique campagne environnante, Gustavo a commencé à photographier les gens, les animaux domestiques et la nature qui l’entouraient dès son jeune âge.

La nourriture était aussi un élément important de la vie familiale, et il a appris l’art culinaire de sa mère, sa grand-mère et son arrière-grand-mère.

Photo de famillle, 1984
Cinq générations de la famille Hannecke chez son arrière-grand-mère dans la forêt tropicale. De gauche à droite : Gustavo avec son fils aîné dans les bras, la mère de Gustavo, sa femme, son arrière-grand-mère et sa grand-mère.

Pendant la plus grande partie de ses premières années, Gustavo tentait de se conformer aux valeurs religieuses de sa famille. Son père était un pasteur baptiste, et les valeurs véhiculées par l’Église baptiste ont amené Gustavo à croire qu’être gai était un péché. « Je me souviens que ma mère disait des choses comme “J’aimerais mieux mourir que d’avoir un fils gai’’ », dit-il. Pendant la période couvrant la fin de l’adolescence de Gustavo et le début de sa vingtaine, la dictature militaire de droite au pouvoir en Argentine kidnappait et tuait des dizaines de milliers d’étudiants, de dirigeants syndicaux et d’intellectuels, en plus de toute personne soupçonnée d’entretenir des opinions progressistes. Durant ces années, les personnes gaies étaient également emprisonnées et tuées.

Autoportrait, 1982

Même dans cette atmosphère d’oppression, Gustavo a commencé à explorer sa sexualité en secret, avec la photographie comme moyen d’expression. Il a pris cet autoportrait alors qu’il avait 22 ans. Après avoir terminé un baccalauréat en mathématiques et en physique à l’Université nationale de Salta, à l’aube d’une carrière prometteuse en enseignement et en science, il a commencé à affirmer son identité en tant que personne indépendante. « J’ai commencé à découvrir mon propre corps comme une source non de culpabilité, mais de beauté, dit-il. J’aime cette photo, pas tant parce que c’est une photo de moi, mais en raison de sa composition et de l’âme qui en émerge. »

À la même époque, Gustavo continuait de se débattre avec les attentes de la religion et de la société. Tout en poursuivant ses études avec un programme en physique appliquée (spécialisé en énergie solaire), il travaillait comme professeur adjoint de physique, ce qui lui a donné la possibilité de voyager partout en Argentine et au Chili, en Bolivie et au Pérou.

En 1983, il a commencé à fréquenter celle qui allait devenir son épouse et la mère de ses trois enfants. « J’étais gai, mais je l’aimais et elle m’aimait, et j’essayais de respecter les enseignements religieux, affirme Gustavo. À cette époque, la société me disait qu’être gai était une tare, et que je devais en guérir et faire ce qu’il fallait faire. Je l’ai fait de bon cœur et avec de bonnes intentions. Ma femme et moi avons vécu plusieurs belles années ensemble. » Leur deuxième enfant, une fille, est née en 1986 et est décédée après sa naissance en raison d’une déficience génétique. « J’étais convaincu que c’était une punition que Dieu m’infligeait parce que j’avais des rapports sexuels en secret avec d’autres hommes. »

Balancing Act, Life and Death (En quête d’équilibre, Entre vie et mort), 2014

Cette composition représente le conflit intérieur de Gustavo et sa quête d’équilibre. Il tend le bras vers un couteau tranchant un oignon, représentant la famille, parce que, comme le dit Gustavo, les aliments et la cuisine sont synonymes de famille en Amérique latine. Mais aussi, les oignons font pleurer. « Ma famille est la source de qui je suis, mais c’est aussi la source de larmes et de souffrance, et elle m’a presque détruit avec ses valeurs qui viennent à l’encontre de ma sexualité », explique-t-il. Dans cette image, il est nu, exposé, sur la pointe des pieds juste au-dessus de l’eau, tentant d’éviter la noyade. En même temps, il se tient debout et arrive à survivre. « Ça, c’était ma vie pendant longtemps, et je voulais exprimer les sentiments que je ressentais. »

En 1992, après la naissance de leur troisième enfant, Gustavo et sa femme ont immigré au Canada pour offrir une meilleure vie à leurs enfants et se sont installés à Ottawa. À la même époque, il avait des rapports sexuels extra-conjugaux avec des hommes. Soupçonnant avoir contracté le VIH (soupçon qui a été confirmé par un diagnostic en 1999), Gustavo s’efforçait de gagner le plus d’argent possible pour ne pas laisser ses enfants dans le besoin, s’il venait à mourir jeune. À un moment donné, il gagnait 400 000 $ par année grâce à un emploi dans le secteur de la haute technologie et des télécommunications, emploi qui exigeait beaucoup de déplacements et de longues heures de travail.

Même si cet emploi donnait à Gustavo l’occasion de voyager à travers l’Amérique du Nord et de séjourner dans des hôtels de luxe, les déplacements en avion après le 11 septembre sont devenus « une horreur » en raison des longs délais occasionnés par le durcissement des mesures de sécurité. Voyager constamment dans ces conditions avait des répercussions sur la santé de Gustavo. Il se souvient s’être étendu sur le plancher à l’aéroport international Logan de Boston au cœur des attaques à l’anthrax qui ont suivi le 11 septembre, avec l’impression qu’il était sur le point de mourir. Peu après, il a décidé de prendre une pause professionnelle et d’éviter les voyages pour se donner une chance de récupérer.

Mais lorsqu’il s’est senti prêt à retourner au travail en 2002, l’industrie des technologies était durement touchée et il n’arrivait pas à trouver un emploi. Plus son chômage s’étirait, et plus il lui était difficile de joindre les deux bouts. Il a fini par emménager avec son partenaire de l’époque, sa première relation sérieuse avec un homme (son mariage avait pris fin quelques années plus tôt). Il a graduellement sombré dans une profonde dépression, et cela a créé des tensions dans sa relation, qui a commencé à tourner au vinaigre. Peu après, en décembre 2003, sa sœur est décédée de complications du diabète. Le jour suivant, son père a fait une crise cardiaque. Gustavo est rentré en Argentine pour aider à gérer la crise familiale.

Comme il habitait encore avec son partenaire à Ottawa, il a décidé d’annoncer à sa famille qu’il était gai. « Une chose totalement inacceptable pour eux. Ils m’ont renié. C’est la dernière fois que je les ai vus ou que je leur ai parlé. Ce fut la période la plus sombre de ma vie, avoue-t-il. Pour couronner le tout, il prenait Sustiva, un médicament anti-VIH qui a parfois pour effet secondaire une dépression grave et des pensées suicidaires. Le 10 mai 2004, Gustavo a tenté de mettre fin à ses jours.

« Je ne ressentais pas une grande tristesse, raconte-t-il. Je me sentais vide. La vie avait perdu tout son sens. »

Pendant son séjour à l’unité psychiatrique de l’hôpital Civic d’Ottawa, sous surveillance policière, Gustavo a eu une épiphanie : « J’ai décidé d’abandonner mon ancienne vie où je tentais de répondre à des attentes sociales — les valeurs religieuses, le "succès" professionnel et l’argent. À partir de là, j’allais être la personne que je rêvais d’être lorsque j’avais 22 ans — une bonne personne, un artiste, un père, un partenaire. Quelque chose s’est transformé en moi. Je me suis dit "Au diable, tout ça! Dorénavant, je serai moi." »

Gustavo décrit son diagnostic de VIH et sa tentative de suicide comme un véritable salut, parce que c’est là qu’il a finalement obtenu l’aide dont il avait besoin pour se reconnecter avec lui-même. Le processus de guérison s’est poursuivi avec la rencontre d’autres personnes vivant avec le VIH à qui il a offert son soutien dans son nouvel emploi de préposé au soutien par les pairs et d’enseignant de thérapie par l’art auprès du Comité du sida d’Ottawa.

Après le coming out de Gustavo auprès de sa famille, sa mère l’a officiellement renié dans un courriel dans lequel elle le comparait à des prostitués et des voleurs. Chose ironique, dans son nouvel emploi, il rencontrait des prostitués et des gens qui avaient commis des crimes. « Mais plutôt que de la haine, c’est de l’amour que je ressentais pour mes pairs, nous dit-il. Nous sommes tous dans le même bateau. Nous sommes tous égaux, et nous méritons tous le même respect et le même amour. »

Pendant qu’il travaillait pour le Comité du sida d’Ottawa, Gustavo a monté Our Way Through, un livret contenant des portraits et courts récits personnels réconfortants visant à lutter contre la stigmatisation par la présentation de ses clients comme des êtres humains réels avec leur propre beauté. Les organisateurs de la Conférence internationale sur le sida ont remarqué le livret et lui ont demandé de participer à une exposition de portraits en 2006 à la conférence de Toronto.

Gustavo a accepté à une condition : qu’ils paient les frais d’inscription à cet événement d’une semaine pour tous les participants au livret. « Et ils ont accepté de le faire », dit-il.


La lipodystrophie dont Gustavo est atteint, qui est un effet secondaire des médicaments anti-VIH qu’il prenait, l’a laissé avec une musculature bien définie, vu que ses tissus adipeux ont fondu. Il est flexible comme tout adepte du yoga et doté d’une créativité artistique. « Tout ça fait de moi le meilleur modèle vivant à dessiner en ville (humilité à part), dit-il en riant. Qui aurait cru qu’à la cinquantaine, j’aurais un tel corps de rêve alors que j’étais censé mourir il y a 10 ans? »

Gustavo a quitté le Comité du sida d’Ottawa en 2007. Dans une certaine mesure, il poursuit son travail lié au VIH (c’est sa maquette qui a été retenue en 2016 pour le monument commémoratif du sida qui sera construit à Ottawa) et il fait du bénévolat à l’Hôpital général d’Ottawa avec les nouveaux patients d’origine hispanique. Mais de nos jours, il gagne sa vie comme modèle, principalement pour les étudiants en art du Collège Algonquin et de l’École d’art d’Ottawa, et la photographie constitue sa principale activité artistique. La famille et les amis sont également importants pour lui, et il est en bons termes avec ses deux fils — qu’il décrit comme étant des « Canadiens, avec une saveur latine » — et avec ses belles-filles et ses petits-enfants.


A-t-il eu une vie intéressante? « C’est sûr que j’ai traversé bien des choses — des bons et des mauvais moments. J’ai appris qu’il ne sert à rien de s’accrocher trop longtemps au chagrin et à la rancune, parce que je peux plutôt utiliser mon temps pour profiter de la vie. Jusqu’à présent, mon parcours m’a amené à m’épanouir. Ce fut gratifiant, c’est certain, mais je ne recommande pas d’essayer ça à la maison sans supervision. »

Pour voir d’autres photographies et œuvres de Gustavo Hannecke, visitez http://gustavo1960.ca.

Jennifer McPhee est une auteure de Toronto qui contribue régulièrement à Vision positive.