- Des chercheurs américains ont examiné les dossiers médicaux de 196 personnes séropositives traitées pour un cancer
- La chimiothérapie et la radiothérapie ont été associées au déclin des cellules immunitaires CD4+
- Les chercheurs suggèrent que l’amorce plus précoce de l’immunothérapie pourrait aider les personnes séropositives atteintes de cancer
Grâce aux combinaisons de traitements anti-VIH puissantes (TAR), les chercheurs s’attendent à voir de nombreuses personnes séropositives vivre longtemps en bonne santé. Une espérance de vie plus longue peut toutefois s’accompagner de problèmes de santé liés au vieillissement, telle une augmentation des risques de maladies cardiovasculaires et d’amincissement osseux et des difficultés à maintenir une glycémie normale.
Quel que soit le statut VIH d’une personne, son système immunitaire s’affaiblit quelque peu à mesure qu’elle vieillit, et son risque global de cancer augmente. Pour cette raison, des cancers non liés au VIH sont devenus une cause importante de maladie et de décès chez les personnes séropositives à l’époque actuelle.
Une équipe de chercheurs de l’Université Johns Hopkins à Baltimore, au Maryland, ont analysé des données se rapportant à la santé de plusieurs milliers de personnes séropositives suivies depuis la fin des années 1990. Les chercheurs se sont concentrés sur les cas de près de 200 personnes traitées pour un cancer. Les participants en question avaient suivi une chimiothérapie et/ou une radiothérapie ou avaient été opérés.
L’équipe a trouvé qu’« à la suite du traitement initial du cancer, chaque baisse de 100 cellules CD4+ donnait lieu à une augmentation de 27 % [du risque de décès] ». Ce genre de déclin s’est produit chez les personnes traitées par chimiothérapie et/ou radiothérapie, mais non chez les personnes ayant subi une chirurgie seulement. Ce risque existait, peu importe la charge virale.
Nous tenons à avertir nos lecteurs que, même si les résultats de cette étude sont intéressants, ils ne sont pas définitifs. Comme nous l’expliquons plus loin dans ce bulletin, les chercheurs n’ont pas été en mesure de recueillir certaines données importantes. De plus, 37 % des participants avaient une charge virale détectable quand ils ont reçu leur diagnostic de cancer. Il est possible que ce manque de suppression virale ait joué un rôle dans le déclin subséquent du compte de CD4+ et l’augmentation du risque de décès.
D’autres chercheurs qui ont examiné les résultats de l’équipe de Johns Hopkins souhaitent la tenue d’autres recherches pour explorer les effets des immunothérapies contre le cancer chez les personnes séropositives. Rappelons que les thérapies de ce genre renforcent la capacité du système immunitaire à détecter et à combattre les tumeurs.
Détails de l’étude
L’Université Johns Hopkins suit l’état de santé de plusieurs milliers de personnes séropositives depuis des décennies. Les chercheurs responsables de cette étude sur le cancer ont analysé ces données en mettant l’accent sur les cancers diagnostiqués chez des personnes séropositives entre le 1er janvier 1997 et le 30 septembre 2014. Après le diagnostic de cancer, les participants ont été suivis pendant jusqu’à cinq ans ou encore jusqu’au 1er mars 2016.
L’équipe a analysé des données portant sur 196 personnes séropositives atteintes de cancer. Elles avaient le profil moyen suivant au moment de leur admission à l’étude :
- âge : 50 ans
- 69 % d’hommes, 31 % de femmes
- compte de cellules CD4+ : 300 cellules/mm3
- charge virale en VIH : la plupart des participants (63 %) avaient une charge virale supprimée, mais 37 % d’entre eux (72 personnes) n’avaient pas connu de suppression virale; sur ces 72 personnes, 23 n’avaient jamais pris de TAR
Les chercheurs ont réparti les participants dans les deux sous-groupes suivants :
- ceux qui avaient reçu une chimiothérapie et/ou une radiothérapie (61 % des participants)
- ceux qui avaient subi une chirurgie (39 % des participants)
Résultats
Les cancers diagnostiqués les plus courants étaient les suivants :
- lymphome : 17 %
- cancer du poumon : 12 %
- cancer anal : 7 %
- cancer du sein : 6 %
Survie
Chez les 196 participants, les chercheurs ont constaté que chaque baisse de 100 cellules CD4+ qui se produisait après l’amorce d’une chimiothérapie et/ou d’une radiothérapie correspondait à une augmentation de 27 % du risque de décès. Ce risque augmentait, peu importe la charge virale de la personne, le genre de cancer en question ou la gravité de ce dernier.
Parmi les participants qui avaient commencé l’étude avec un compte de CD4+ relativement élevé et qui ont survécu, le compte de CD4+ est revenu à son niveau d’avant le traitement du cancer environ 18 mois après le début de ce dernier.
Changements dans la charge virale
En général, chez les personnes qui avaient commencé l’étude avec une charge virale supprimée, la chimiothérapie et/ou la radiothérapie n’ont pas eu d’impact significatif sur la charge virale. Cependant, parmi les participants dont la charge virale était détectable au début de l’étude, celle-ci a baissé considérablement après l’amorce du traitement. Les chercheurs ont avancé l’explication suivante de ce déclin de la charge virale :
« Le suivi et l’implication dans les soins de santé qui accompagnent une chimiothérapie et/ou une radiothérapie de longue durée pourraient améliorer l’adoption ou l’observance du TAR et permettent de rejeter la crainte que les régimes de traitement anticancéreux plus intensifs nuisent à l’observance du TAR ».
À retenir
Les chercheurs ont affirmé ceci : « Nous croyons que l’association entre un compte de CD4+ plus faible après un traitement du cancer et une mortalité plus élevée appuie l’hypothèse voulant que l’état immunitaire des personnes séropositives ait une incidence sur la mortalité après un diagnostic de cancer ».
« Les résultats de cette étude de cohorte portent à croire que le maintien d’un compte de cellules CD4+ élevé après un diagnostic de cancer a des implications cliniquement significatives pour la survie », ont-ils ajouté.
Commentaires à propos de cette étude
Cette étude comporte plusieurs imperfections, dont les suivantes :
- Les chercheurs ont parlé d’une variété de cancers et de leur traitement. Il aurait été préférable qu’ils aient inscrit à l’étude plus de participants et qu’ils aient comparé les régimes anticancéreux spécifiques utilisés (p. ex., les posologies) et leurs effets chez les participants atteints de cancer.
- Une forte proportion de participants, soit 37 %, avaient une charge virale détectable lorsqu’ils ont commencé l’étude; un sous-groupe de ces participants n’avait pas commencé de TAR avant d’être admis à l’étude. Il est plausible que l’absence de suppression virale et l’amorce tardive du TAR aient contribué au déclin du compte de CD4+ des participants et de la survie durant l’étude.
- Les chercheurs n’ont pas précisé quels régimes de TAR étaient utilisés par les participants. Il aurait été intéressant de découvrir s’il y avait des différences entre les comptes de CD4+ et la survie selon le régime de TAR utilisé.
- Les causes de décès n’ont pas été précisées, ce qui est regrettable. Si les causes de décès étaient connues, cette information pourrait aider d’autres personnes séropositives qui seront atteintes par un cancer à l’avenir. Par exemple, si de nombreux participants étaient morts de causes infectieuses, il aurait peut-être été possible de réduire le risque de décès futurs en prescrivant des antibiotiques, des antifongiques ou d’autres médicaments durant la période où le compte de CD4+ était faible.
- Nous parlons ici d’une étude par observation. De telles études sont utiles pour trouver des associations entre une chose et une autre, comme celle entre le déclin du compte de CD4+ qui se produisait après l’amorce du traitement contre le cancer et l’augmentation du risque de décès que l’on a constatée dans cette étude. Soulignons toutefois que les études par observation ne peuvent pas prouver les liens de « cause à effet ».
Malgré ces bémols, les résultats de cette étude sont importants et soulignent la nécessité de mener des études de plus grande envergure et plus détaillées auprès de personnes séropositives souffrant de cancer.
Perspective externe : immunothérapies
Une équipe indépendante de spécialistes du VIH et du traitement du cancer a fait publier des commentaires au sujet de cette étude dans la revue JAMA Oncology. Selon ce groupe, l’association entre le déclin du compte de CD4+ et l’augmentation subséquente du risque de décès « donne à penser que l’introduction plus précoce d’immunothérapies dans la prise en charge du cancer pourrait limiter l’immunosuppression additionnelle et être particulièrement bénéfique contre les cancers liés au VIH ». Les spécialistes ont développé ce point comme suit :
« La recherche clinique porte de plus en plus sur l’utilisation appropriée des inhibiteurs de points de contrôle et d’autres agents immunothérapeutiques chez les personnes atteintes du VIH et de cancer, y compris plusieurs études récentes et en cours sur les anticorps monoclonaux [qui ciblent des protéines appelées points de contrôle se trouvant à la surface des cellules du système immunitaire] ».
Voici quelques exemples de points de contrôle se trouvant dans le système immunitaire :
- PD-1 (mort cellulaire programmée 1)
- PD-L1 (ligand de mort cellulaire programmée 1)
- CTLA-4 (antigène 4 des lymphocytes T cytotoxiques)
Pour expliquer simplement le mode d’action de ces protéines, on peut dire qu’elles affaiblissent la capacité du système immunitaire de combattre les microbes et/ou les cancers. Depuis plusieurs années, des thérapies qui servent à désactiver ces points de contrôle ont été approuvées pour le traitement de certains cancers au Canada et dans d’autres pays à revenu élevé.
Quelques études de petite envergure ont porté spécifiquement sur les effets de ces thérapies chez des personnes séropositives atteintes de cancer, et les résultats préliminaires sont prometteurs. Au printemps prochain, les résultats plus détaillés d’expériences sur l’utilisation d’inhibiteurs de points de contrôle chez les personnes séropositives apparaîtront dans le site Web de CATIE.
Points de contrôle immunitaires et VIH
Si elle n’est pas traitée, l’infection au VIH provoque une dysfonction immunologique considérable, et les personnes atteintes finissent à la longue par développer le sida. Il existe un virus étroitement apparenté appelé VIS (virus de l’immunodéficience simienne) qui cause une maladie semblable au sida chez les singes vulnérables. Le VIH et le VIS peuvent faire en sorte que les cellules du système immunitaire deviennent ce que les chercheurs décrivent comme « épuisées ». Autrement dit, ces cellules ne sont plus capables de combattre les infections et les cancers chez leur hôte. En particulier, les chercheurs ont constaté que les cellules CD4+ et CD8+ immunologiquement épuisées des personnes séropositives avaient tendance à exprimer un nombre relativement élevé de points de contrôle à leur surface. Cela laisse penser que le VIH cause partiellement la dysfonction immunologique en augmentant l’expression de points de contrôle par le système immunitaire.
Il existe de nombreux points de contrôle dans le système immunitaire, et des médicaments ont été approuvés pour contrecarrer l’activité d’au moins trois d’entre eux qui sont associés à certains cancers. On peut s’attendre à beaucoup de recherche sur le système immunitaire et les inhibiteurs de points de contrôle à l’avenir.
Réduire le risque de cancer
Jusqu’en 1996, l’infection au VIH était considérée comme fatale. Grâce à l’arrivée du TAR, les personnes séropositives peuvent maintenant s’attendre à connaître une espérance de vie quasi normale. Cela veut dire cependant qu’il faudra peut-être en faire plus pour aider cette population à réduire ses risques de cancer. Les mesures efficaces incluent les suivantes :
- parler à un médecin afin de se faire vacciner contre le virus de l’hépatite B et le VPH (virus du papillome humain)
- obtenir de l’aide auprès d’un médecin, d’une infirmière ou d’un pharmacien pour faciliter la cessation du tabagisme
- réduire sa consommation d’alcool
- personnes qui s’injectent ou inhalent des drogues : obtenir de l’aide auprès d’un organisme de réduction des méfaits pour minimiser les risques d’infection par des virus causant le cancer
- se faire tester, et si nécessaire se faire traiter, pour l’infection à l’hépatite B ou C
- obtenir des conseils sur les saines habitudes alimentaires
- apprendre des techniques de maîtrise du stress
- obtenir des conseils sur les façons de gérer l’anxiété, la dépression et d’autres problèmes de santé mentale
- participer régulièrement à des activités physiques approuvées par un médecin
Ressources
Une grande étude trouve que les cancers de stade avancé sont plus courants parmi les personnes séropositives – Nouvelles CATIE
Retards dans le dépistage du cancer du col utérin chez des femmes séropositives au Canada – Nouvelles CATIE
L’arrêt du tabagisme : l’impact sur le risque de cancer – TraitementActualités 230
Probiotiques et la réponse à l’immunothérapie pour le cancer – TraitementActualités 226
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCES :
- Calkins KL, Chander G, Joshu CE, et al. Immune status and associated mortality after cancer treatment among individuals with HIV in the antiretroviral therapy era. JAMA Oncology. 2020; en voie d’impression.
- Bender Ignacio R, Ddungu H, Uldrick TS. Untangling the effects of chemotherapy and HIV on CD4 counts—implications for immunotherapy in HIV and cancer. JAMA Oncology. 2020; en voie d’impression.
- Puronen CE, Ford ES, Uldrick TS. Immunotherapy in people with HIV and cancer. Frontiers in Immunology. 2019 Aug 28;10:2060.
- Althoff KN, Gebo KA, Moore RD, et al. Contributions of traditional and HIV-related risk factors on non-AIDS-defining cancer, myocardial infarction, and end-stage liver and renal diseases in adults with HIV in the USA and Canada: a collaboration of cohort studies. Lancet HIV. 2019 Feb;6(2):e93-e104.
- Bally APR, Neeld DK, Lu P, et al. PD-1 expression during acute Infection Is repressed through an LSD1-blimp-1 axis. Journal of Immunology. 2020; en voie d’impression.