La résistance aux antibiotiques utilisés pour le traitement de la tuberculose suscite de plus en plus de préoccupations partout dans le monde. L'Organisation mondiale de la santé estime que quelque 650 000 personnes contractent chaque année une souche de tuberculose qui est résistante à au moins deux antibiotiques importants, soit l'isoniazide et la pyrazinamide. Dans ce genre de cas, on parle de tuberculose multirésistante (TB-MR). Dans les pays à faible et à moyen revenu, les cas de TB-MR sont particulièrement problématiques pour les raisons suivantes, entre autres :
- Il est possible que les médicaments soient prescrits incorrectement (il s'agit spécifiquement de prescrire un nombre insuffisant d'antibiotiques actifs pour un régime donné);
- Les doses d'antibiotiques risquent d'être trop faibles;
- L'approvisionnement d'antibiotiques dans une région risque d'être interrompu, insuffisant ou trop onéreux pour les patients;
- Certains patients ont peut-être de la difficulté à prendre les antibiotiques tous les jours, en suivant les prescriptions à la lettre;
- Les médicaments antituberculeux risquent de ne pas être bien absorbés par les intestins.
Dans les pays et régions à revenu élevé comme le Canada, l'Australie, les États-Unis et le nord de l'Europe, la tuberculose, y compris la TB-MR, est généralement moins courante qu'ailleurs, mais on en observe des cas au sein de certaines populations, dont les suivantes :
- les sans-abris
- les personnes vivant dans des logements surpeuplés ou insalubres
- les personnes souffrant de dépendances
- les immigrants récents originaires de régions où la tuberculose est relativement courante
Au Canada, certains peuples autochtones sont plus à risque de développer la tuberculose. Ce sujet fera l'objet d'un prochain bulletin de Nouvelles CATIE.
La prise en charge des cas de tuberculose peut coûter cher aux hôpitaux et aux cliniques, et le traitement est souvent désagréable pour les personnes touchées pour les raisons suivantes, entre autres :
- Le traitement nécessaire dure longtemps;
- On a recours à des antibiotiques injectables dans certains cas;
- Un séjour à l'hôpital peut s'avérer nécessaire.
Aux États-Unis
Des chercheurs américains ont récemment évalué des cas de transmission de la TB-MR dans ce pays. L'équipe en question a constaté que « de nombreuses personnes contractent la TB-MR avant d'arriver aux États-Unis ».
Au Canada
Même si un pays à revenu élevé comme le Canada porte un fardeau relativement léger en ce qui a trait à la tuberculose, des éclosions de TB-MR pourraient se produire à l'avenir à cause du nombre de voyageurs et d'immigrants faisant l'aller-retour entre le Canada et les régions où la tuberculose est courante.
Des chercheurs à l'Université de l'Alberta ont passé en revue les données de santé se rapportant aux cas de TB-MR recensés entre 1981 et 2011 parmi les résidents canadiens nés à l'étranger. L'équipe s'est concentrée sur les cas de tuberculose qui avaient été confirmés par des tests de laboratoire (il s'agit des cas de tuberculose dits « positifs par culture »), soit un total de 2 234 personnes.
Résultats
La répartition des cas de TB-MR selon la période était la suivante :
- 1982 à 1991 – 0,65 % de cas de TB-MR
- 1992 à 2001 – 0,56 % de cas de TB-MR
- 2002 à 2011 – 2,11 % de cas de TB-MR
La hausse du pourcentage de cas de TB-MR à l'époque récente est significative du point de vue statistique.
Au total, les chercheurs ont constaté que 27 cas (1,2 %) constituaient des cas de TB-MR.
Dans l'ensemble, 82 % des cas de TB-MR concernaient des personnes nées dans des pays affligés par un lourd fardeau de tuberculose.
Comparativement aux personnes diagnostiquées durant les deux premières décennies (1982 à 2001), celles diagnostiquées comme atteintes de tuberculose multirésistante au cours de la dernière décennie (2002 à 2011) étaient plus susceptibles d'afficher le profil suivant :
- âge inférieur à 35 ans
- nouveau cas de tuberculose active, plutôt qu'une rechute
- diagnostic de tuberculose touchant des parties du corps autres que les poumons (on parle alors de tuberculose extrapulmonaire)
En moyenne, les cas de TB-MR diagnostiqués au cours des deux premières décennies étaient résistants à trois sur cinq des antibiotiques couramment utilisés contre la tuberculose. Toutefois, pendant la décennie récente, les cas de TB-MR étaient plus susceptibles de résister à quatre antibiotiques sur cinq. Les cinq médicaments ayant figuré à cette étude étaient les suivants :
- éthambutol
- isoniazide
- pyrazinamide
- rifampine
- streptomycine
Aucun cas de TB-MR n'a été recensé parmi les personnes co-infectées par le VIH.
La vaste majorité des cas de TB-MR diagnostiqués en Alberta comportaient des caractéristiques que les chercheurs qualifiaient d'« empreintes digitales génétiques uniques ». Cette trouvaille a permis aux chercheurs de comparer les souches de tuberculose en question à celles couramment observées au Canada. Ils ont conclu que la transmission des cas de TB-MR s'était produite à l'étranger et non dans ce pays. Ils ont en outre affirmé que « la transmission locale ne semble pas être à l'origine des quatre cas de TB-MR recensés au cours des 30 années de l'étude parmi des personnes nées au Canada ».
Sur les quatre cas en question, les chercheurs ont constaté que deux personnes s'étaient fait infecter « lors d'un voyage à l'étranger ». Dans les deux autres cas, les patients ont commencé un traitement contre une souche de tuberculose qui répondait d'abord à la médication, mais les souches en question sont devenues résistantes au cours du traitement.
Implications
Les résultats de l'étude albertaine ont le potentiel d'intensifier le défi qui consiste « à soupçonner et à diagnostiquer la TB-MR chez des patients tuberculeux nés à l'étranger », ont affirmé les chercheurs. « Et cela en raison de la découverte d'une proportion faible, mais croissante de nouveaux cas de TB-MR actifs [plutôt que des rechutes] chez des personnes plus jeunes au cours des dernières années ».
Ce profil de « nouveaux cas actifs de TB-MR chez des patients plus jeunes » contraste avec ce que les chercheurs albertains décrivent comme les indicateurs habituels de la TB-MR, à savoir :
- échec thérapeutique lors d'une thérapie standard combinant quatre antibiotiques
- traitement antituberculeux antérieur, surtout si le patient ne réussissait pas à prendre les médicaments conformément aux prescriptions
- prise en charge inadéquate des patients dans le cadre d'un programme de lutte contre la tuberculose
- traitement antérieur d'une tuberculose résistante à l'isoniazide
- exposition à une personne dont « on savait qu'elle était porteuse d'une TB-MR infectieuse »
Dans les cas les plus récents de TB-MR décrits dans cette étude, l'infection avait tendance à s'attaquer à des tissus situés à l'extérieur des poumons. Pour poser un diagnostic fiable de tuberculose dans les cas de ce genre, il faut prélever un échantillon de liquide dans la région du corps touchée afin de le mettre en culture et de l'analyser. Si aucun échantillon n'est disponible, l'observation des symptômes peut inciter les médecins à supposer que le patient est atteint de tuberculose et à lui prescrire un traitement. Toutefois, dans les cas de diagnostics présumés, les médecins risquent de ne pas reconnaître la présence de TB-MR et de ne pas prescrire la combinaison de médicaments indiquée.
Dépistage de la résistance aux antibiotiques
Idéalement, avant de prescrire des antibiotiques pour la tuberculose, les médecins devraient être en mesure de demander des analyses de laboratoire d'un échantillon de liquide prélevé dans le tissu touché. Ce genre d'analyse permet de rechercher la présence de souches de tuberculose résistantes aux médicaments.
Pour détecter la résistance, on peut avoir recours à des tests phénotypiques; cela consiste à cultiver des bactéries dans le laboratoire et à les exposer à différents antibiotiques afin de déterminer le degré de résistance des bactéries.
Une autre méthode d'évaluation de la résistance repose sur les tests génotypiques. Il s'agit dans ce cas de rechercher la présence de gènes qui confèrent à la tuberculose une résistance à l'antibiotique rifampine.
Selon les chercheurs albertains, la détection d'une tuberculose résistante à la rifampine chez un patient au Canada fait soupçonner fortement la présence de TB-MR (vu les données d'autres études ayant suggéré que la résistance à la rifampine était couramment associée à la résistance à un antibiotique, soit l'isoniazide).
Que faire?
Le travail accompli par l'équipe albertaine souligne l'importance d'effectuer des tests de résistance avant de prescrire un traitement contre la tuberculose. Les chercheurs mentionnent aussi le choix limité qu'ont les médecins, les infirmiers et les infirmières dans l'exercice quotidien de leur travail lorsqu'ils font face à des patients potentiellement atteints de TB-MR. L'équipe suggère que les choix suivants soient envisagés :
- Traitement quotidien jusqu'à l'obtention des résultats des tests phénotypiques. Les chercheurs soulignent toutefois que cette option est inacceptable si « le patient est malade ou très infectieux »;
- « Dans la mesure du possible », s'assurer que le traitement prescrit est suffisant pour traiter la TB-MR;
- Avoir recours aux tests génotypiques disponibles.
Comme traiter les cas de TB-MR est complexe, l'équipe albertaine laisse entendre qu'« il vaut mieux que les décisions concernant chacune de ces options soient prises par des médecins ayant de l'expérience quant à la prise en charge de la tuberculose multirésistante ».
Ressources
La tuberculose — les CDC encouragent les médecins à administrer des tests de résistance aux antibiotiques – Nouvelles CATIE
La tuberculose et le VIH — une vue d'ensemble – Nouvelles CATIE
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCES :
- Moonan PK, Teeter LD, Salcedo K, et al. Transmission of multidrug-resistant tuberculosis in the USA: a cross-sectional study. Lancet Infectious Diseases. 2013 Sep;13(9):777-84.
- Long R, Langlois-Klassen D. Increase in multidrug-resistant tuberculosis (MDR-TB) in Alberta among foreign-born persons: implications for tuberculosis management. Canadian Journal of Public Health. 2013 Jan 8;104(1):e22-7.