Au Canada et dans les autres pays à revenu élevé, la grande accessibilité des combinaisons de médicaments anti-VIH puissants (couramment appelées thérapies antirétrovirales ou TAR) a eu un énorme impact sur la santé des personnes séropositives. Depuis 1996, la mortalité due aux infections liées au sida a chuté de façon spectaculaire. En outre, les chercheurs s’attendent de plus en plus à ce que certaines personnes séropositives suivant une TAR vivent jusqu’à l’âge de 80 ans ou plus. Comme le reste de la population, les personnes séropositives pourraient avoir besoin de subir des chirurgies à mesure qu’elles vieillissent.
Accent sur la chirurgie
Avant l’arrivée de la TAR, les rapports existants portaient à croire que les personnes séropositives connaissaient généralement de mauvais résultats après la chirurgie. Spécifiquement, cette population était plus sujette aux infections graves et courait un risque de décès plus élevé que les personnes séronégatives qui subissaient aussi des chirurgies.
Dans de nombreux pays à revenu élevé, l’infection au VIH est relativement rare, touchant moins de 1 % de la population. Par conséquent, il est difficile de suivre ce qu’une équipe de chercheurs de l’Université Yale appelle les « tendances changeantes des résultats chirurgicaux » chez cette population dans un hôpital particulier ou même une région particulière.
Pour relever ce défi, une équipe de chercheurs de l’Université Yale et d’ailleurs aux États-Unis a examiné des informations sauvegardées dans des bases de données administrées par la Veterans Health Administration. L’équipe a restreint son analyse aux données recueillies entre 1996 et 2010. Les chercheurs ont comparé les taux de mortalité post-chirurgicale des personnes séropositives et des personnes séronégatives, se concentrant en particulier sur les 30 jours suivant la chirurgie. Notons qu’il s’agit d’une période cruciale après n’importe quelle chirurgie.
Les chercheurs ont constaté que les personnes séropositives affichaient des « taux [de mortalité] relativement faibles » dans les 30 jours suivant la chirurgie. Le compte de CD4+ des personnes séropositives était un facteur important quant à la survie, un compte élevé avant la chirurgie étant associé à un risque de décès plus faible. Les chercheurs ont également constaté que d’autres facteurs, dont la quantité de protéine dans le sang et l’âge, avaient un grand impact sur la survie post-chirurgicale. Tenant compte de toutes leurs données, les chercheurs ont réussi à proposer plusieurs scénarios afin d’expliquer les risques auxquels les patients séropositifs pourraient faire face à la suite d’une chirurgie à l’avenir. Ces informations seront utiles autant aux chirurgiens qu’aux patients.
Détails de l’étude
Les chercheurs ont évalué des bases de données contenant de l’information sur 132 540 personnes, dont 44 180 personnes séropositives. Ils ont choisi au hasard des participants qui avaient subi des interventions chirurgicales courantes, en jumelant chaque personne séropositive à deux personnes séronégatives d’âge, de race et de sexe semblables. Les participants ont été répartis dans les deux groupes suivants :
- 1 641 personnes séropositives suivant une TAR
- 3 282 personnes séronégatives
Le profil moyen des participants était le suivant :
- âge : 54 ans
- 99 % d’hommes, 1 % de femmes
- principaux groupes ethnoraciaux : 44 % de race blanche, 46 % de race noire
- affections co-existantes : tension artérielle supérieure à la normale, co-infection au virus de l’hépatite C, diabète de type 2, coronaropathie et cancer
Résultats : chirurgies courantes
La liste suivante inclut des chirurgies relativement courantes subies par les participants à l’étude :
- ablation de la vésicule biliaire
- arthroplastie de la hanche
- chirurgie de la colonne vertébrale
- réparation d’une hernie
- pontage coronarien
- ablation d’un segment du côlon ou du rectum
- amputation des jambes, des pieds ou des orteils
Résultats : survie
En général, les chercheurs ont découvert que plus le compte de CD4+ des personnes séropositives était faible avant la chirurgie, plus le risque de décès augmentait. Le risque de mortalité parmi les personnes séropositives était le suivant, comparativement aux personnes séronégatives :
- compte de CD4+ supérieur à 200 cellules/mm3 : près de deux fois plus de risques de mourir
- compte de CD4+ de 50 à 199 cellules/mm3 : près de trois fois plus de risques de mourir
- compte de CD4+ inférieur à 50 cellules/mm3 : six fois plus de risques de mourir
Protéine
L’albumine est une protéine qui se trouve dans le sang. Un taux d’albumine inférieur à la normale peut s’observer en présence d’affections médicales graves, dont la malnutrition, les problèmes intestinaux, les lésions rénales, les lésions hépatiques, etc. Les chercheurs ont constaté que 28 % de tous les participants (sans égard au statut VIH) avaient un taux d’albumine faible avant la chirurgie. On appelle cette affection l’hypoalbuminémie. Selon les chercheurs, un faible taux d’albumine avait un plus grand impact sur la survie post-chirurgicale que « n’importe quel compte de CD4+, sauf le plus faible qui se situait à moins de 50 cellules/mm3 ». En d’autres mots, un faible taux d’albumine avait un impact négatif sur la survie.
Âge et compte de CD4+
L’âge des participants avait également un impact important sur la survie. Voici quelques exemples donnés par les chercheurs pour souligner l’effet de l’âge :
- Une personne séropositive ayant un compte de CD4+ supérieur à 200 cellules/mm3 courait le même risque de décès post-chirurgical qu’une personne séronégative de 16 ans son aînée.
- Une personne séropositive ayant un compte de CD4+ de 50 à 199 cellules/mm3 courait le même risque de décès post-chirurgical qu’une personne séronégative de 25 ans son aînée.
- Une personne séropositive ayant un compte de CD4+ de moins de 50 cellules/mm3 courait le même risque de décès post-chirurgical qu’une personne séronégative de 47 ans son aînée.
Ces exemples soulignent l’importance d’optimiser les soins et le traitement du VIH afin que le compte de CD4+ soit relativement élevé avant la chirurgie.
Maintenant et dans le passé
L’équipe de recherche a fait valoir que le taux de mortalité global parmi les personnes séropositives figurant dans cette étude était de 3,4 % (comparativement à 1,6 % chez les personnes séronégatives). Selon les chercheurs, il s’agit d’un taux « relativement faible » comparativement aux taux rapportés à l’époque d’avant l’introduction de la TAR.
Point à retenir
Nous parlons dans cet article d’une étude rétrospective, ce qui veut dire que l’équipe a revu des données que l’on avait recueillies dans le passé à une autre fin. Les études conçues de cette manière risquent par inadvertance de donner lieu à des conclusions faussées lors de l’interprétation des données. Précisons que tout à son honneur, cette équipe de recherche a au moins réussi à sélectionner au hasard des participants qui avaient subi des chirurgies semblables, ce qui devrait aider à réduire considérablement le risque d’interprétations faussées.
Un problème important associé à cette étude réside dans le fait que la vaste majorité des participants étaient des hommes.
Les chercheurs ont affirmé que, compte tenu de leurs résultats, « [les médecins] et les patients devraient considérer l’infection au VIH et le compte de cellules CD4+ comme deux facteurs parmi de nombreux autres associés aux résultats chirurgicaux que l’on devrait incorporer dans la prise de décisions concernant la chirurgie ».
Vers l’avenir
Cette étude établit de solides fondations pour des travaux futurs visant à comprendre l’impact de la chirurgie sur la santé des personnes séropositives. Selon les chercheurs, une étude future sur les complications post-opératoires, surtout si elle évaluait le risque de crise cardiaque et d’infections et la qualité de vie liée à la santé, saurait intéresser autant les chirurgiens que les patients.
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCE :
King JT Jr, Perkal MF, Rosenthal RA, et al. Thirty-day postoperative mortality among individuals with HIV infection receiving antiretroviral therapy and procedure-matched, uninfected comparators. JAMA Surgery. 2015; in press.