À l'époque qui a précédé l'avènement des traitements combinés puissants contre le VIH (couramment appelés multithérapies ou TAR), la démence figurait parmi les conséquences les plus redoutées de cette infection. Souvent, les personnes touchées par la démence liée au sida perdaient graduellement la maîtrise de leurs muscles et de leur mémoire, avaient de la difficulté à penser clairement et subissaient des changements de personnalité très importants.
De nos jours, cependant, la démence liée au sida est relativement rare au Canada et dans d'autres pays à revenu élevé grâce à la grande accessibilité de la multithérapie. Il n'empêche que des études récentes ont permis de constater de subtils déficits cognitifs et de mémoire chez des personnes recevant un traitement anti-VIH. Les raisons pour ces anomalies généralement légères ne sont pas claires mais pourraient se rapporter aux facteurs suivants :
- vieillissement des personnes vivant avec une infection virale chronique
- effets secondaires potentiels de la multithérapie ou d'autres médicaments
- inflammation persistante causée par l'infection au VIH chronique
- faible pénétration de certains médicaments anti-VIH dans le cerveau
- présence d'autres problèmes de santé (comorbidités)
À l'intérieur du cerveau
Les cellules cérébrales sont très actives et requièrent un apport constant de sang riche en oxygène et en nutriments, particulièrement une quantité stable de glucose, qui est utilisé comme source d'énergie. Chez les personnes séronégatives, le déclin neurocognitif — problèmes de cognition (aptitude à penser clairement) et de mémoire — a dans certains cas été associé aux comorbidités suivantes :
- diabète
- taux anormaux de cholestérol dans le sang
- hypertension artérielle
- rétrécissement des artères (causé par la formation de plaque)
- problèmes cardiaques
Des chercheurs en Italie ont effectué une évaluation cognitive de 245 personnes séropositives, notamment dans le but de détecter la présence d'affections susceptibles de nuire aux fonctions importantes du cerveau. L'équipe italienne a constaté que des comorbidités comme le diabète et d'autres facteurs de risque d'ordre cardiovasculaire affaiblissaient les capacités neurocognitives des participants. Il est possible que ces problèmes métaboliques intensifient les effets subtils qu'exerce le VIH sur le cerveau. Les chercheurs laissent donc entendre que les médecins pourraient réussir à atténuer les déficiences neurocognitives légères liées au VIH en accordant de l'importance au diagnostic et au traitement des comorbidités chez les personnes séropositives.
Détails de l'étude
Des chercheurs des villes italiennes de Rome et de Galatina ont évalué 245 participants séropositifs entre juillet et octobre 2010. Tous les participants ont subi une série exhaustive de tests neurocognitifs, ainsi que des échographies des artères du cou. Celles-ci, soit les artères carotides, approvisionnent le cerveau en sang nouveau riche en oxygène. De plus, les participants ont consenti à des analyses de sang et à des interviews menées par l'équipe de recherche.
Les participants avaient le profil moyen suivant lors de leur admission à l'étude :
- 76 % d'hommes, 24 % de femmes
- âge – 46 ans
- co-infection au VHC – 58 %
- durée de l'infection au VIH – 11 ans
- compte de CD4+ le plus faible depuis toujours (nadir) – 230 cellules
- compte de CD4+ actuel – 527 cellules
- proportion ayant une charge virale en VIH inférieure à 50 copies/ml – 84 %
Les participants présentaient les facteurs de risque cardiovasculaires suivants dans les proportions indiquées :
- taux de cholestérol anormaux dans le sang – 61 %
- tabagisme – 54 %
- hypertension artérielle – 15 %
- antécédents familiaux de maladies cardiovasculaires prématurées – 13 %
- obésité – 6 %
- diabète – 5 %
Résultats
En moyenne, les participants présentaient deux facteurs de risque de crise cardiaque ou d'AVC.
Les chercheurs ont détecté un rétrécissement des artères carotides chez environ 31 % des participants.
Fonction neurocognitive
On a détecté une légère atteinte neurocognitive chez un total de 53 % des participants (à noter que des tests ont été nécessaires pour reconnaître les problèmes en question). Comme aucun participant n’avait de problème cognitif plus grave que cela, personne n'a vu sa capacité d'accomplir ses tâches quotidiennes ou de travailler diminuer.
Chose intéressante, les atteintes neurocognitives étaient les plus courantes (61%) chez les participants présentant deux facteurs de risque ou plus de maladies cardiovasculaires.
Compte tenu de plusieurs facteurs, les chercheurs ont constaté que le rétrécissement des artères était lié à un léger déclin neurocognitif. Parmi les personnes ayant le diabète, on a reconnu une tendance statistique indiquant un mauvais fonctionnement neurologique.
Les résultats obtenus auprès d'un sous-groupe de participants (206 personnes) ayant une charge virale inférieure à 50 copies/ml se comparaient à ceux se rapportant à l'ensemble du groupe.
L'équipe de recherche a aussi évalué les effets de différents médicaments anti-VIH sur les capacités neurocognitives, ce qui leur a permis de constater que les participants recevant de l'abacavir (Ziagen et dans le Kivexa et le Trizivir) semblaient avoir une meilleure fonction neurocognitive.
On n'a pas trouvé de lien entre la performance des participants lors des tests neurocognitifs et des facteurs comme le nadir du compte de CD4+, le compte de CD4+ actuel ou la durée de l'infection au VIH.
Petite parenthèse : même si notre rapport met surtout l'accent sur l'effet des comorbidités sur la fonction neurocognitive, il est à noter que d'autres chercheurs ont trouvé que, en général, plus le niveau de scolarité était élevé, plus le déclin de la fonction neurocognitive était retardée. Une étude menée aux États-Unis a en effet révélé qu'un niveau de scolarité élevé était susceptible de retarder la perte de fonction neurocognitive chez les personnes séropositives.
Chose peu surprenante, lors de la présente étude, les chercheurs ont découvert que les participants possédant plus de 11 années de scolarité réussissaient mieux aux tests neurocognitifs.
Points à retenir
Il s'agit dans ce rapport d'une étude transversale, qui est analogue à une photo captée à un moment dans le temps. Elle ne peut fournir qu'un aperçu de l'état de santé des participants, car l'étude italienne ne comportait aucun groupe témoin ou de comparaison. Les résultats des études transversales ne sont pas définitifs.
Pour rendre cette étude plus utile, les chercheurs auraient recruté un nombre plus élevé de participants, tant séropositifs que séronégatifs, afin de les suivre et de leur faire passer des tests à répétition sur une période de plusieurs années. Une étude conçue de cette manière différente aurait appartenu à une catégorie dite études longitudinales. Toutefois, les études longitudinales coûtent cher, et le recrutement et la rétention des participants peuvent s'avérer difficiles. Pour leur part, les études transversales, malgré leurs limitations, donnent des résultats qui peuvent servir d'argument pour justifier le financement d'études longitudinales.
Le résultat le plus important de cette étude italienne est peut-être le suivant : les facteurs de risque cardiovasculaires peuvent nuire aux rouages du cerveau, particulièrement les éléments associés à la mémoire et à la cognition chez les personnes séropositives. On a en fait observé un effet semblable chez les personnes séronégatives. Comme la multithérapie permet aux personnes séropositives de connaître une espérance de vie quasi-normale, il se peut que la priorité des soins doive être accordée à la détection et au traitement des maladies du vieillissement.
D'autres études ont également permis de constater des risques accrus de maladies cardiovasculaires parmi les personnes séropositives. Cela est peut-être attribuable en partie aux conséquences de l'infection au VIH et de l'inflammation persistante qu'elle déclenche. Lors d'expériences sur des singes infectés par le virus de l'immunodéficience simienne (VIS, virus pouvant causer une maladie comme le sida chez les singes vulnérables), des chercheurs ont détecté des signes de maladies cardiovasculaires prématurées. De plus, lors d'une autre étude menée par une équipe ayant fait des travaux sur le VIH et le cerveau, des IRM ont permis de constater un lien entre les problèmes de contrôle de la glycémie et la présence de dommages dans des structures profondes du cerveau.
Toute cette recherche souligne le besoin d'études longitudinales pour évaluer les risques cardiovasculaires chez les personnes séropositives. Elle met également en évidence la nécessité d'intervenir auprès des personnes courant ce genre de risques, notamment par l’entremise de traitements combinés (exercice, médicaments, modifications alimentaires, aide au sevrage tabagique, maîtrise du stress, etc.) visant le maintien et l'amélioration de la santé. Enfin, selon l'équipe de recherche, en cherchant à prévenir et à traiter les comorbidités, les médecins pourront théoriquement renverser les atteintes neurocognitives légères qui semblent être relativement courantes lors des études menées à l'époque actuelle auprès des personnes vivant avec le VIH.
Ressources :
- Témoignage d'une tête forte – comprendre le VIH et apprendre à vivre avec les problèmes neurocognitifs
-
Le VIH et la maladie cardiovasculaire – Feuillet d'information de CATIE : conseils pour avoir un cœur en santé
—Sean R. Hosein
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