Dans les pays et régions à revenu élevé comme le Canada, l'Australie, les États-Unis et l'Europe occidentale, la grande accessibilité des combinaisons de médicaments puissants contre le VIH (couramment appelées multithérapies ou TAR) a considérablement réduit la mortalité liée aux infections caractéristiques du sida. De plus, certains chercheurs prévoient que les jeunes adultes séropositifs qui commencent la multithérapie dès aujourd'hui et qui ne présentent pas de comorbidité importante — tels le tabagisme, la co-infection par un virus de l'hépatite, des problèmes de santé mentale, la consommation de drogues/alcool — peuvent s'attendre à vivre plusieurs décennies, voire à connaître une espérance de vie quasi normale dans certains cas.
Point de mire sur les reins
Les chercheurs qui mènent des expériences de laboratoire ont observé que le VIH infectait certaines cellules du rein. De plus, des études menées chez des personnes séropositives indiquent que celles-ci sont plus à risque de subir des dommages aux reins au fil du temps, dommages qui compromettent le bon fonctionnement de ces organes vitaux dans certains cas. Rappelons que les reins accomplissent de nombreuses fonctions importantes, dont le filtrage des déchets présents dans le sang et la production d'urine, la régulation de la tension artérielle et du taux d'oxygène dans le sang et la conversion de la vitamine D en sa forme active.
Le rôle du traitement
Dans les cas où l'infection au VIH non traitée cause la dysfonction rénale, l'introduction d'une multithérapie réussit habituellement à améliorer la santé globale de la personne touchée et sa santé rénale en particulier.
Dans le passé, on a signalé un risque accru de dommages rénaux et de dysfonction rénale chez certaines personnes séropositives recevant le « vieux » médicament anti-VIH indinavir (Crixivan). Notons toutefois que ce médicament n'est guère utilisé de nos jours dans les pays à revenu élevé. Des cas de dommages rénaux ont également été signalés parmi certains patients recevant des médicaments anti-VIH plus récents, à savoir l'atazanavir (Reyataz) et le ténofovir (Viread et aussi dans le Truvada, l'Atripla, le Complera et le Stribild). De plus amples renseignements concernant ce problème apparaissent plus loin dans ce bulletin, ainsi que dans la liste de ressources.
Nouvelle recherche
Des chercheurs au Danemark ont suivi l'état de santé de plus de 5 000 personnes séropositives pendant une période allant jusqu'à 15 ans. Ils ont comparé les données recueillies auprès de ces personnes séropositives à celles se rapportant à plus de 50 000 personnes séronégatives du même âge et du même sexe. Au cours des 15 années de l'étude, les chercheurs ont constaté un risque accru (près de cinq fois) de dommages rénaux graves parmi les personnes séropositives, c'est-à-dire des dommages susceptibles de nécessiter une hémodialyse temporaire ou permanente.
D'autres résultats de l'étude en question, ainsi qu'une description des facteurs de risque de lésions rénales graves et de l'impact possible du traitement anti-VIH sur la santé des reins, sont présentés plus tard dans ce bulletin de Nouvelles CATIE.
Détails de l 'étude
Les chercheurs danois travaillent depuis longtemps à la création d'une base de données de grande qualité qui contient des informations se rapportant à la santé de personnes séropositives et de personnes séronégatives. Ce travail permet aux chercheurs d'analyser les données et de rechercher des tendances en ce qui concerne la santé des sujets.
Dans la présente analyse, les données collectées auprès de 5 300 personnes séropositives ont été comparées à celles se rapportant à 53 000 personnes séronégatives. Spécifiquement, les données de chaque personne séropositive ont été comparées à celles recueillies auprès de 10 personnes séronégatives du même âge et du même sexe.
Le profil moyen des participants séropositifs était le suivant au début de l'étude :
- sexe – 76 % d'hommes, 24 % de femmes
- âge – 37 ans
- race : blanche 79 %; noire 13 %; autre race ou race inconnue 7 % (la somme des chiffres n'est pas 100 parce qu'ils sont arrondis)
- compte de CD4+ – 290 cellules
On a constaté la présence de co-morbidités susceptibles de nuire à la santé rénale dans les proportions suivantes :
- diabète – 2 %
- tension artérielle supérieure à la normale – 4 %
- présence de l'infection au virus de l'hépatite C (VHC) chez des personnes n'utilisant pas de drogues injectables – 7 %
- personnes utilisant des drogues injectables – 11 % (la majorité était vraisemblablement porteuse du VHC)
Dysfonction rénale
Ce qui suit est la répartition des TFGe (taux de filtration glomérulaire estimés — méthode d'évaluation de la santé des reins). Notons qu'un TFGe supérieur à 90 est considéré comme signe de bonne santé rénale, alors qu'un TFGe de moins de 60 est considéré comme sérieusement anormal :
- TFGe supérieur à 90 – 34 %
- TFGe entre 60 et 90 – 22 %
- TFGe inférieur à 60 – 1 %
Notons que le TFGe de 43 % des participants n'était pas connu au début de l'étude.
Résultats
Durant l'étude, 68 personnes séropositives ont eu besoin de dialyse, du moins temporairement. Chez les participants séronégatifs, ce chiffre se situait à 182 personnes. Cela laisse supposer que les personnes séropositives étaient au moins cinq fois plus à risque de subir des dommages graves au foie. Il s'agit d'une différence statistiquement significative.
Le besoin de dialyse était le plus important dans les 12 mois suivant le diagnostic de VIH.
Sur les 68 personnes séropositives qui ont eu besoin de dialyse au moins une fois, 28 % ont vu leur santé rénale se détériorer au fil du temps et avaient finalement besoin de subir des dialyses de façon régulière.
Résultats — facteurs de risque
Parmi les personnes séropositives, les facteurs de risque de dommages rénaux graves nécessitant une séance de dialyse étaient les suivants :
- injection de drogues
- tension artérielle supérieure à la normale
- présence d'une maladie liée au sida
- âge avancé
Les facteurs de risque associés au besoin chronique de dialyse étaient les suivants :
- tension artérielle supérieure à la normale
- TFGe de moins de 60
Multithérapie spécifique
Chez les participants utilisant le ténofovir, l'atazanavir ou les deux, on n'a pas constaté d'impact significatif sur la santé rénale. Cela est resté le cas même lorsque les chercheurs ont restreint leur analyse à la dernière décennie, période durant laquelle ces deux médicaments ont vu le jour.
Selon les chercheurs, les médecins qui soignaient les patients inscrits à cette étude étaient au courant des risques de dommages et de dysfonction rénaux associés aux médicaments comme l'atazanavir et le ténofovir. Il était alors improbable, soutiennent les chercheurs, que ces médecins aient prescrits de l'atazanavir ou du ténofovir (ou les deux) aux patients souffrant de dysfonction rénale. De plus, advenant toute dégradation de la fonction rénale, les médecins auraient mis fin au traitement par ces médicaments. Il se peut que de telles pratiques aient aidé à réduire le risque de dommages rénaux et le besoin de dialyse parmi les patients recevant ces médicaments.
La race, le VIH et les reins
Plusieurs autres études ont permis de constater un lien entre un risque accru de dommages rénaux liés au VIH et l'ascendance africaine. Ce risque accru a été associé au gène dénommé Apol1, qui se trouve plus fréquemment chez les personnes dont les ancêtres vivaient en Afrique occidentale ou centrale.
Dans le cadre de l'étude danoise, cependant, les ancêtres de la majorité (70 %) des participants noirs étaient originaires de l'Afrique orientale. Voilà une explication possible de l'absence de lien significatif entre la race noire des participants et la présence de lésions rénales graves dans le cadre de cette étude.
Maladies liées au sida
Il est possible que la baisse initiale de la fonction rénale observée durant la première année suivant le diagnostic de VIH était liée au mauvais état de santé des participants au moment où ils cherchaient des soins. Rappelons que l'infection au VIH cause de l'inflammation, ce qui peut perturber le fonctionnement les reins (et d'autres systèmes organiques). De plus, il se peut que les participants souffrant de maladies liées au sida étaient faibles, déshydratés et exposé à certains médicaments (antibiotiques, agents antifongiques, etc.) susceptibles de nuire aux reins. Il est probable que tous ces facteurs ont contribué au mauvais état de santé rénale et au besoin de dialyse temporaire (sinon permanente) de certains patients durant l'année suivant leur diagnostic de séropositivité. Après cette période, le risque de dommages nécessitant la dialyse diminuait, probablement grâce à l'amélioration de la santé globale et de la fonction rénale des personnes suivant une multithérapie.
À retenir
Bien qu'il s'agisse ici d'une étude de cohorte, certains des résultats obtenus par les chercheurs danois se reflètent dans les bases de données de plus grande envergure de l'Union européenne. De plus, le fait que les chercheurs danois aient réussi à comparer les données se rapportant à chaque personne séropositive à celles obtenues auprès de 10 personnes séronégatives du même âge et du même sexe figure parmi les forces de cette étude. Les résultats de l'étude danoise sont importants et mettent en évidence les facteurs que l'on peut aborder pour améliorer la santé des personnes séropositives et réduire le risque de dommages rénaux graves. Les facteurs en question comprennent les suivants :
- dépistages fréquents du VIH (et d'autres infections transmissibles sexuellement) chez les adultes sexuellement actifs afin que cette infection puisse être décelée et que le traitement puisse commencer avant que les organes subissent des dommages graves et que le système immunitaire s'affaiblisse
- dépistage de problèmes de santé mentale chez les personnes séropositives et mise en place de soutiens psychosociaux pour les aider à surmonter la dépression, l'anxiété et les autres problèmes susceptibles de mener à la consommation de drogues/alcool et aux dépendances
- dépistage et traitement de l'hypertension chez les personnes séropositives
Ressources
Facteurs de risque de dysfonction rénale – TraitementSida 195
Demandez aux experts : La santé des reins – Vision positive
Vivent les reins! – Vision positive
—Sean R. Hosein
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