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Vancouver
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Le programme SAFER (Safer Alternatives for Emergency Response, solutions de rechange à moindres risques aux interventions d’urgence) est un programme d’approvisionnement plus sécuritaire qui consiste à prescrire un éventail de produits de qualité pharmaceutique dont la composition, la quantité, la qualité et la puissance sont connues (p. ex. hydromorphone à courte durée d’action, timbres de fentanyl) en remplacement des drogues contaminées issues du marché illicite. Les résultats d’une étude qualitative récente menée auprès de personnes ayant utilisé des timbres de fentanyl prescrits dans le cadre de ce programme montrent que ces dernières se sont trouvées moins exposées aux drogues contaminées issues du marché illicite, ce qui a pour effet de réduire le risque de surdose ainsi que les méfaits liés à l’utilisation de drogues. Il en ressort qu’il serait judicieux d’intégrer l’approvisionnement plus sécuritaire en timbres de fentanyl dans l’éventail des services liés à l’utilisation de substances1.

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Description du programme1,2

SAFER est un programme d’approvisionnement plus sécuritaire sur ordonnance basé dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver, en Colombie-Britannique, mis en œuvre par la PHS Community Services Society en partenariat avec Vancouver Coastal Health. L’objectif principal du programme est de réduire le risque de surdose et les méfaits liés à l’utilisation de drogues en diminuant la dépendance des personnes concernées à l’égard de l’approvisionnement illicite, mais également de servir de point d’accès, ayant peu d’exigences, à des services de santé et d’aide sociale intégrés. Le programme cherche à respecter l’autonomie des participant·e·s et à faciliter l’accès à un ensemble efficace de services liés à l’utilisation de substances, en accord avec les objectifs définis par les participant·e·s.

Le programme SAFER est administré par une équipe interdisciplinaire de médecins, d’infirmier·ère·s, de pharmacien·ne·s, de travailleur·se·s sociaux·ales et de personnes ayant une expérience concrète de l’utilisation de substances. En équipe et de manière concertée, ils prodiguent aux participant·e·s du programme des services intégrés de réduction des méfaits, de santé publique, de traitement de l’utilisation de substances et d’aide sociale. Le programme est incorporé à des services sociaux et de santé, ce qui permet aux participant·e·s de recevoir sur place des soins primaires dispensés par un personnel formé en soins médicaux et à la prise en charge de l’usage de substances. Un site de prévention des surdoses aisément accessible se trouve également sur les lieux; les participant·e·s peuvent y obtenir du matériel destiné à la réduction des méfaits (p. ex. seringues, cups, pipes), des trousses de naloxone à emporter, et des services d’analyse des drogues.

Le programme SAFER est destiné aux participant·e·s qui ont reçu un diagnostic de trouble lié à l’utilisation d’opioïdes (TUO), qui utilisent des drogues toxiques issues du marché illicite et qui présentent un risque très élevé de surdose ou de survenue d’autres méfaits liés à l’utilisation de drogues. L’admissibilité au programme SAFER dépend du niveau d’utilisation de substances en cours des participant·e·s et de leur vulnérabilité aux méfaits liés à l’utilisation de drogues. Pour pouvoir obtenir un timbre de fentanyl, les participant·e·s doivent avoir reçu un diagnostic de TUO et avoir déjà essayé au moins deux interventions de traitement du trouble lié à l’utilisation de substances (p. ex. traitement par agoniste opioïde [TAO] à prise orale ou injectable, autres produits pharmaceutiques à des fins d’approvisionnement plus sécuritaire), mais sans que leur état ne se stabilise parce que ces méthodes ne répondaient pas adéquatement à leurs besoins.

Le processus d’admission consiste à évaluer les participant·e·s pour déterminer les options pharmaceutiques et les doses adéquates, cerner les autres facteurs qui accentuent la précarité de leurs conditions de vie (p. ex. grossesse, jeune âge) et leur vulnérabilité aux surdoses, aux infections et aux autres méfaits liés à l’utilisation de drogues, et vérifier s’ils et elles utilisent plusieurs substances (p. ex. alcool, stimulants) et si du soutien et un accompagnement supplémentaires sont nécessaires. Si une personne est admissible, le programme SAFER lui fournit gratuitement des timbres transdermiques adhésifs de fentanyl, qui peuvent être utilisés en même temps que les TAO et d’autres produits de substitution plus sécuritaires (p. ex. méthadone, morphine à libération lente par voie orale, comprimés d’hydromorphone) ou en lieu et place de ceux-ci. Pour réduire autant que possible le risque de mélange et d’interactions dangereuses avec d’autres opioïdes à longue durée d’action, on réduit progressivement les doses de TAO par voie orale, en vue de prescrire le timbre de fentanyl seul si c’est cliniquement indiqué pour la personne concernée.

La dose de fentanyl en timbre est progressivement ajustée en fonction de l’utilisation antérieure par les participant·e·s de fentanyl issu du marché illicite. L’ajustement graduel de la dose est un processus consistant à incorporer (ou à soustraire) lentement et intentionnellement une substance dont la concentration est connue (agent « titrant ») dans l’organisme. Dans le cours de l’ajustement de la dose, certain·e·s participant·e·s doivent prendre des opioïdes à courte durée d’action (p. ex. hydromorphone en comprimés, poudre de fentanyl) pour atténuer le malaise, les fortes envies et les symptômes de sevrage. En règle générale, les timbres cutanés adhésifs sont appliqués et changés par un·e infirmier·ère ou un·e pharmacien·ne tous les trois jours (p. ex. lundi, mercredi et vendredi), mais il est possible de faire changer un timbre le dimanche ou tous les deux jours à la demande. Le personnel vérifie l’état des timbres, qui doivent être remis à chaque changement de dose, pour s’assurer qu’ils n’ont pas été endommagés ou altérés.

Résultats1

L’étude s’inscrit dans le cadre d’une évaluation en cours de plus grande envergure du programme SAFER. Entre février 2022 et mai 2023, des entretiens qualitatifs ont eu lieu avec 17 participant·e·s au programme SAFER qui utilisaient actuellement ou avaient précédemment utilisé le timbre de fentanyl prescrit, sans égard à la durée du traitement.

Les participant·e·s étaient âgé·e·s de 35 à 65 ans, la moyenne d’âge étant de 47 ans. Douze participant·e·s se sont identifié·e·s comme blanc·he·s, quatre se sont identifié·e·s comme autochtones et deux se sont identifié·e·s d’une autre manière (les participant·e·s pouvaient choisir plus d’une réponse). Sur les 17 participant·e·s, 10 se sont identifié·e·s comme hommes, cinq comme femmes et deux comme appartenant à un autre genre. Dans le cours de l’étude, neuf personnes (53 %) se faisaient prescrire des timbres de fentanyl. Huit personnes (47 %) avaient interrompu leur traitement par le fentanyl et avaient opté pour des produits de substitution ou des analogues du fentanyl, notamment la poudre de fentanyl (six personnes), le sufentanil (une personne) et le fentanyl sous forme de comprimés (une personne). Suivant les critères d’admissibilité, tou·te·s les participant·e·s avaient reçu un diagnostic de TUO et avaient essayé au moins deux autres interventions de traitement de l’utilisation d’une substance (p. ex. TAO, autres produits pharmaceutiques à des fins d’approvisionnement plus sécuritaire) au cours des trois dernières années.

L’analyse thématique qualitative a permis de dégager trois grands thèmes.

1. Accessibilité et flexibilité du programme

Les participant·e·s ont déclaré que le programme SAFER était plus flexible et moins contraignant que le TAO et d’autres programmes d’approvisionnement plus sécuritaire. Le programme SAFER de délivrance de timbres de fentanyl exigeait moins de visites en clinique en vue de la prise de doses devant témoin (doses observées). De plus, il a été rapporté que les protocoles flexibles concernant l’omission de doses de timbres de fentanyl facilitaient grandement la participation et la rétention au sein du programme SAFER (p. ex. jusqu’à 16 jours pouvaient s’écouler avant qu’il ne soit nécessaire de recommencer le processus d’ajustement de la dose). Les participant·e·s ont déclaré que cette flexibilité et cette commodité plus grandes leur permettaient de suivre plus facilement le programme, ce qui favorisait le maintien de la participation et l’autonomie.

2. Amélioration de la situation, de la santé et du bien-être

En disposant d’un accès fiable à un produit de remplacement du fentanyl de qualité pharmaceutique et plus sécuritaire, les participant·e·s se sont trouvé·e·s moins dépendant·e·s du marché illicite de drogues contaminées et moins exposé·e·s au risque de surdose. Les participant·e·s ont indiqué que, dans le cadre du programme, les symptômes de manque et les envies irrésistibles ont été considérablement atténués et qu’ils ou elles se sont senti·e·s plus en sécurité et plus à même de contrôler leur utilisation de drogues. Les participant·e·s ont également indiqué que l’accès à des produits prescrits et plus sécuritaires leur a permis d’être moins exposé·e·s à des contaminants et à d’autres substances présentes dans l’approvisionnement illicite en drogues (p. ex. les benzodiazépines). 

« Et dans ce programme, au moins je sais que je prends du fentanyl et pas du benzo-fentanyl, tu vois ce que je veux dire? Et je sais que ce que je prends ne va pas me tuer, ou m’embobiner et me dire, genre, tu vois, comme de la benzo, et me rendre accro à ça aussi, tu vois? … C’est une bonne sensation quand tu peux contrôler ce qui se passe dans ton corps. »

Ayant un accès assuré à un produit de substitution prescrit, efficace et gratuit, les participant·e·s ont pu déclarer qu’ils ou elles s’adonnaient moins à des activités criminalisées et qu’ils ou elles avaient moins besoin d’acheter des drogues illicites, ce qui leur permettait de consacrer leur argent à d’autres dépenses (p. ex., logement, nourriture, factures, dettes). Plusieurs participant·e·s ont fait état de changements positifs dans leur situation d’emploi (p. ex. plus de stabilité au travail) et d’autres ont indiqué qu’ils étaient mieux à même de prendre en charge leur santé et leur bien-être (p. ex. prise de rendez-vous médicaux et y assister, sommeil plus réparateur, peau et veines plus saines, maîtrise efficace de la douleur).

3. Difficultés et lacunes du programme

Irritation cutanée et problèmes d’adhérence du timbre : Tou·te·s les participant·e·s qui ont abandonné le programme de timbres de fentanyl ont invoqué l’irritation cutanée et les problèmes d’adhérence du timbre comme l’une des principales raisons de leur désistement. Les participant·e·s ont fait état de problèmes de peau humide, de zones jaunes et rouges, d’éruptions cutanées et de sensation d’« enfermement » de la peau qui ne pouvait pas « respirer ». Les problèmes d’adhérence causés par la transpiration, en particulier pendant les mois les plus chauds, ont parfois entraîné le décollement des timbres, ce qui a considérablement amoindri leurs effets. Cette situation a parfois donné lieu à des accusations de détournement des timbres de la part du personnel du programme.

Calcul de la bonne dose : Les participant·e·s ont signalé qu’il était difficile de trouver la bonne dose bénéfique lorsque la période d’ajustement graduelle de la dose était longue. Certain·e·s participant·e·s ont expliqué qu’ils et elles avaient dû passer par une période d’ajustement graduelle de la dose de cinq à huit mois avant d’atteindre la bonne dose pendant l’utilisation du timbre, ce qui est beaucoup plus long que dans le cas des autres produits pharmaceutiques plus sécuritaires qu’ils avaient essayés. Pour la plupart des participant·e·s, trouver la bonne dose consistait à équilibrer les effets euphorisants en prenant en charge efficacement la douleur, les symptômes de sevrage et les fortes envies.

« Mon utilisation de drogues de rue a beaucoup diminué, et ouais, donc voilà, c’est bien… Avant [le timbre], tous les jours de la semaine, je prenais… un million de tonnes de drogues en une seule journée et ça partait dans tous les sens. Alors que là, tu vois – régulier et stable ».

Problèmes de fonctionnement du programme : Le principal problème relevé par les participant·e·s était le délai d’attente de trois jours avant le remplacement du timbre, entre le vendredi et le lundi. Certain·e·s participant·e·s ont signalé que les timbres commençaient à perdre de leur efficacité le dimanche, ce qui les amenait parfois à augmenter leur utilisation de drogues illicites pour faire face au malaise et aux symptômes de sevrage. Certain·e·s participant·e·s ont pu demander un remplacement additionnel des timbres le dimanche ou passer à un schéma de remplacement tous les deux jours, ce qui a permis de remédier à ce désagrément.

Qu’est-ce que cela signifie pour les prestataires de services1?

Dans le souci de mieux répondre aux besoins des participant·e·s et de favoriser la rétention, les chercheur·euse·s recommandent aux prestataires du service d’envisager les mesures suivantes :

  • prolonger les heures d’ouverture du programme afin de faciliter l’accès des participant·e·s, d’éviter l’omission de doses et d’élargir l’accès aux services intégrés de santé et d’aide sociale;
  • encourager la communication entre les participant·e·s et les prestataires au sujet des problèmes liés à l’administration et à l’ajustement de la dose;
  • réfléchir aux moyens de mettre au point et de fournir des timbres de fentanyl à forte concentration qui provoquent moins d’inconfort cutané et de désagréments liés à la diminution des effets pendant les intervalles de trois jours entre chaque remplacement;
  • établir des calendriers posologiques flexibles pour chaque participant·e et favoriser la communication rapide et suivie entre le personnel et les participant·e·s;
  • essayer et évaluer d’autres options d’approvisionnement plus sécuritaire (p. ex. poudre de fentanyl) susceptibles de mieux répondre aux besoins et aux préférences des participant·e·s en matière de mode d’utilisation de drogues (p. ex. inhalation, injection, ingestion), afin d’accroître l’efficacité de ces programmes;
  • prendre en compte l’importance du plaisir et de l’euphorie dans la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des programmes afin de favoriser la rétention.

Ressources connexes

Déclaration de CATIE sur l’approvisionnement plus sécuritaire – Déclaration de CATIE

Programme SAFER de Victoria – Étude de cas 

Approvisionnement plus sécuritaire : perspectives et données actuelles – Webinaire 

Prescribed Safer Supply Protocols: Fentanyl Patch — British Columbia Centre on Substance Use (BCCSU) — en anglais seulement

Références

  1. Norton A, Ivsins A, Holliday E et al. A qualitative evaluation of a fentanyl patch safer supply program in Vancouver, Canada. International Journal of Drug Policy. 2024;131:104547. https://doi.org/10.1016/j.drugpo.2024.104547
  2. Klaire S, Sutherland C, Kerr T et al. A low-barrier, flexible safe supply program to prevent deaths from overdose. Journal de l’Association médicale canadienne. 2022;194(19):E674-E676. https://doi.org/10.1503/cmaj.211515