Les personnes vivant avec le VIH sont plus à risque de présenter certains cancers. Ce risque accru est attribuable à plusieurs facteurs, notamment la co-infection par d’autres virus ayant le potentiel de causer le cancer, une forte consommation de tabac et d’alcool et l’exposition à des protéines produites par le VIH. La prise de médicaments anti-VIH (couramment appelée thérapie antirétrovirale ou TAR), l’obtention et le maintien d’une charge virale indétectable et l’augmentation du compte de CD4+ qui s’ensuit contribuent énormément à réduire le risque de cancer.
Malgré l’utilisation de la TAR, cependant, le VIH réside encore dans une portion des cellules du système immunitaire situées dans les ganglions et tissus lymphatiques. Ces cellules infectées produisent des protéines virales et semblent jouer un rôle dans l’inflammation et l’activation du système immunitaire. Il est possible que ces effets résiduels exercés par les cellules infectées par le VIH jouent un rôle dans l’augmentation du risque de cancer. Comme les personnes atteintes du VIH vivent plus longtemps de nos jours grâce à la TAR, des recherches sont nécessaires pour évaluer les risques de cancer qu’elles courent.
Une équipe de scientifiques affiliés à la grande base de données EuroSIDA a recueilli des informations relatives à la santé des personnes séropositives soignées dans de nombreuses cliniques. L’analyse la plus récente de l’équipe a porté spécifiquement sur près de 16 000 personnes suivies entre 2001 et 2012, dont 610 (environ 4 %) ont été atteintes par au moins un cancer. Au fil du temps, la proportion de cancers liés à des causes infectieuses a diminué, alors que le nombre de cancers non attribuables à des infections a augmenté. À mesure que les personnes séropositives vivent plus longtemps, l’équipe EuroSIDA s’attend à voir davantage de cancers non liés à des causes infectieuses dans les années à venir.
Détails de l’étude
L’équipe EuroSIDA analyse des données provenant de 108 cliniques dans 33 pays européens, ainsi que de cliniques situées en Argentine et en Israël. Lors de l’analyse récente, les chercheurs se sont concentrés sur les personnes dont les données ont été recueillies entre janvier 2001 et juin 2012.
Les chercheurs ont réparti les cancers dans les deux groupes suivants :
- cancers liés à des infections
- cancers non liés à des infections
Les chercheurs ont dressé la liste suivante de cancers liés à des infections :
- sarcome de Kaposi (SK) : causé par l’herpès-virus humain 8
- lymphome non hodgkinien et lymphome hodgkinien : causés par le virus Epstein Barr
- cancer du col utérin envahissant et cancers de l’anus, de la vulve, du vagin, du pénis, de la base de la langue, de la gorge et des amygdales : tous causés par le virus du papillome humain
- cancer du foie : causé par le virus de l’hépatite B (VHB) ou le virus de l’hépatite C (VHC)
- cancer de l’estomac : causé par la bactérie H. pylori
Les chercheurs considéraient tous les autres cancers comme non liés à des infections.
Bien que la base de données EuroSIDA contienne des informations portant sur quelque 18 000 personnes, aux fins de son étude sur le cancer, l’équipe s’est concentrée sur 15 648 participants au sujet desquels elle disposait de données détaillées. Le profil moyen des participants figurant dans l’analyse récente était le suivant au début de l’étude :
- 16 % avaient 51 ans ou plus
- 73 % d’hommes, 27 % de femmes
- 33 % fumaient du tabac
- compte de CD4+ : 410 cellules CD4+/mm3
- charge virale en VIH : 123 copies/ml
- 24 % avaient survécu à une infection liée au sida
- 23 % avaient la co-infection au VHC
- 6 % avaient la co-infection au VHB
Résultats : répartition des cancers
Au total, 610 personnes (4 %) ont présenté 643 nouveaux cas de cancer au cours de la période à l’étude. En voici la répartition :
- cancers liés à des infections : 60 %
- cancers non liés à des infections : 40 %
Selon les chercheurs, les cancers liés à des infections « les plus courants » étaient les suivants :
- lymphome non hodgkinien : 116 cas
- cancer anal : 85 cas
- SK : 62 cas
- lymphome hodgkinien : 43 cas
Selon les chercheurs, les cancers non liés à des infections « courants » incluaient les suivants :
- cancer du poumon : 55 cas
- cancer de la prostate : 28 cas
- cancer colorectal : 23 cas
- cancer du sein : 22 cas
L’équipe de recherche a constaté que les personnes atteintes de cancers non liés à des infections avaient tendance à être plus âgées (moyenne d’âge de 54 ans). Elles avaient aussi un compte de CD4+ plus élevé et une charge virale plus faible que les personnes atteintes de cancers liés à des infections.
Âge et cancers liés à des infections
Compte tenu de plusieurs facteurs, les chercheurs ont constaté que, dans l’ensemble, les personnes de 51 ans et plus ont présenté 12 % plus de cancers liés à des infections que les personnes âgées de 36 à 40 ans. On a constaté une association forte entre ce risque accru et les facteurs suivants :
- Charge virale de plus de 400 copies/ml : Si la charge virale était inférieure à 400 copies/ml, le risque de cancers liés à des infections diminuait considérablement. Cependant, une charge virale de plus de 400 copies se révélait un facteur de risque important, causant une augmentation de 19 % du risque de cancers liés à des infections chez les personnes âgées de 51 ans ou plus. Il est peu probable que des cancers de ce genre se seraient produits si la charge virale avait été inférieure à 400 copies/ml.
- Faible compte de CD4+. Les personnes ayant moins de 500 cellules CD4+ couraient un risque accru de présenter des cancers liés à des infections (peu importe leur âge). À titre d’exemple, notons que les personnes ayant moins de 200 cellules/mm3 ont présenté 21 % des cancers liés à des infections signalés par l’équipe EuroSIDA. Pour leur part, les personnes qui avaient entre 200 et 349 cellules/mm3 ont présenté 11 % des cancers liés à des infections.
Âge et cancers non liés à des infections
Dans l’ensemble, les chercheurs ont constaté que le risque de cancers non liés à des infections doublait avec chaque décennie d’âge au-delà de la tranche de 36 à 40 ans.
Parmi les personnes qui fumaient, le risque de cancers non liés à des infections (principalement le cancer du poumon) était élevé chez les personnes âgées de 50 ans ou plus.
Prévoir les tendances
L’équipe EuroSIDA a signalé qu’une tendance avait émergé durant la première moitié de 2009. Cette année-là, les cancers non liés à des infections sont devenus majoritaires parmi tous les cancers diagnostiqués. Les chercheurs s’attendent à constater une augmentation graduelle des cancers non liés à des infections dans l’avenir prévisible pour les raisons suivantes, entre autres :
- vieillissement
- le tabagisme est relativement courant parmi les personnes séropositives et fait augmenter le risque de cancer du poumon
Les chercheurs n’ont pas prévu de changement dans les taux de cancers liés à des infections parmi les personnes qui s’injectaient des drogues. Il est possible que l’absence de changement dans cette population soit due au fait qu’une proportion insuffisante de personnes qui s’injectent des drogues reçoivent le soutien psychosocial et les autres soutiens nécessaires pour prendre leur dépendance en main, commencer la TAR et continuer à recevoir des soins pour le VIH (et dans certains cas pour le VHB et le VHC aussi).
Vers l’avenir
L’équipe EuroSIDA exhorte les cliniques et les agences de financement de la recherche à faire des cancers liés à des infections une « priorité » dans les années à venir, à mesure que les personnes séropositives dépassent la cinquantaine, la soixantaine et même la soixante-dizaine. L’équipe encourage les cliniques à « envisager d’entreprendre des études pour évaluer la rentabilité des programmes de dépistage [du cancer] visant les personnes séropositives et des programmes de cessation du tabagisme et de l’alcool et de vaccination [contre les virus causant le cancer]… afin de réduire le fardeau des cancers évitables à long terme ».
Ressources
Le VIH et le vieillissement – CATIE
Comment dire « j’écrase » et être sérieux – Vision Positive
Tabagisme et tabac – Société canadienne du cancer
Comment cesser de fumer – L’Association pulmonaire
Le VPH, la dysplasie anale et le cancer anal – Feuillet d’information de CATIE
Le VPH, la dysplasie cervicale et le cancer du col utérin – Feuillet d’information de CATIE
Information sur l’hépatite C de CATIE
L’hépatite B – Feuillet d’information de CATIE
Le lymphome – Feuillet d’information de CATIE
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCES :
- Shepherd L, Borges Á, Ledergerber B, et al. Infection-related and -unrelated malignancies, HIV and the aging population. HIV Medicine. 2016; in press.
- Dolcetti R, Giagulli C, He W, et al. Role of HIV-1 matrix protein p17 variants in lymphoma pathogenesis. Proceedings of the National Academy of Sciences USA. 2015 Nov 17;112(46):14331-6.
- Lorenzo-Redondo R, Fryer HR, Bedford T, et al. Persistent HIV-1 replication maintains the tissue reservoir during therapy. Nature. 2016 Feb 4;530(7588):51-6.
- Fletcher CV, Staskus K, Wietgrefe SW, et al. Persistent HIV-1 replication is associated with lower antiretroviral drug concentrations in lymphatic tissues. Proceedings of the National Academy of Sciences USA. 2014 Feb 11;111(6):2307-12.