Depuis une décennie, on assiste à une accumulation de données probantes révélant qu’il est bénéfique de commencer à prendre une combinaison de médicaments anti-VIH puissants (couramment appelée TAR) le plus tôt possible dans le cours de l’infection au VIH. Cette tendance a culminé à l’été 2015 avec la publication des résultats de l’essai clinique START. Lors de cette large étude rigoureusement conçue, les chercheurs ont réussi à prouver que l’amorce précoce de la TAR procurait des bienfaits mesurables. Spécifiquement, l’introduction précoce de la TAR réduisait le risque de maladies graves et de mortalité.
De plus, nous savons maintenant que lorsqu’une personne commence la TAR et la prend tous les jours en suivant toutes les consignes à la lettre, la quantité de VIH dans son sang diminue jusqu’à un niveau très faible (sous lequel elle ne peut être quantifiée de façon fiable). Lorsque cela se produit, le maintien d’un taux de VIH si faible grâce à la TAR fait en sorte que le risque de transmission du VIH devient extrêmement faible.
Étant donné les bienfaits de la TAR précoce pour la santé et la prévention, il est important de diagnostiquer le plus tôt possible l’infection au VIH et de diriger les personnes atteintes vers des soins. En utilisant une base de données appelée CANOC, des chercheurs du Centre d’excellence sur le VIH/sida de la Colombie-Britannique et d’ailleurs au Canada ont collaboré à une analyse dans le but de déterminer à quel moment dans le cours de l’infection au VIH les patients canadiens avaient tendance à commencer la TAR. Ils ont constaté que, en 2000, le compte de CD4+ moyen des patients lors de l’amorce de la TAR était de 190 cellules/mm3. À la fin de 2012, le point de départ moyen de la TAR avait grimpé à 360 cellules/mm3. Dans un sens large, on peut dire que cette tendance va dans la bonne direction. Toutefois, au cours de l’étude, les chercheurs ont constaté que près de la moitié des participants reportaient le début de la TAR jusqu’à ce que leur compte de CD4+ soit inférieur à 200 cellules/mm3 ou qu’ils soient atteints d'une maladie liée au sida.
Détails de l’étude
Aux fins de cette analyse, les chercheurs ont utilisé de l’information accumulée par la base de données observationnelles nationale du Canada, soit la CANOC. Cette dernière contient des données de santé recueillies auprès de personnes séropositives soignées dans des cliniques importantes. Les cliniques suppriment toutes les informations susceptibles de révéler l’identité des personnes avant que les données soient envoyées à la CANOC.
Les chercheurs se sont concentrés sur les données recueillies dans trois grandes provinces, soit la Colombie-Britannique, l’Ontario et le Québec, pour un total de 8 942 participants. Au moment de leur admission à l’étude, le profil moyen des participants était le suivant :
- âge : 40 ans
- 82 % d’hommes, 18 % de femmes
- compte de CD4+ : 220 cellules/mm3
- charge virale : 80 000 copies/ml
Résultats
En 2000, le compte de CD4+ moyen des personnes commençant la TAR était de 190 cellules/mm3. À la fin de 2012, le point de départ moyen s’élevait à 360 cellules/mm3.
Au cours de l’étude, les chercheurs ont trouvé que 48 % des participants reportaient l’amorce de la TAR jusqu’à ce que leur compte de CD4+ soit inférieur à 200 cellules/mm3 ou qu’ils soient atteints d'une maladie liée au sida.
Accent sur la dernière année
Selon les chercheurs, en 2012 (dernière année de l’étude), les personnes ayant le compte de CD4+ le plus élevé au moment de commencer la TAR vivaient au Québec (au moins 400 cellules CD4+/mm3), suivi de la Colombie- Britannique (360 cellules/mm3), puis de l’ Ontario (329 cellules/mm3).
Les chercheurs ont analysé les données de la dernière année de l’étude et constaté que 664 personnes avaient commencé la TAR. Près de la moitié (48 %) de ces personnes avaient attendu que leur compte de CD4+ soit inférieur à 350 cellules/mm3 ou qu’elles présentent une maladie liée au sida avant de commencer la TAR.
Qui a tendance à commencer tard la TAR?
En analysant les données des dernières années de l’étude (de 2008 jusqu’à la fin de 2012), les chercheurs ont trouvé que l’amorce tardive de la TAR (compte de CD4+ inférieur à 350 cellules/mm3 au début du traitement) était la plus probable parmi les populations suivantes :
- femmes
- hétérosexuels
- personnes plus âgées
- participants de l’Ontario
Point à retenir
Il est possible que les chercheurs aient tiré par inadvertance des conclusions faussées parce que les données se rapportant à l’Ontario et au Québec provenaient seulement de certaines cliniques VIH sélectionnées, situées surtout en régions urbaines. Notons tout de même que la plupart des personnes séropositives vivant dans ces deux provinces habitent de telles régions. De plus, selon les chercheurs : « Des améliorations importantes [des soins et du traitement] ont été documentées dans [chacune des trois provinces] au cours de la période de l’étude ».
Vers l’avenir
Depuis l’arrivée du premier médicament anti-VIH vers la fin des années 80, les gens débattent du meilleur moment dans le cours de l’infection au VIH pour commencer le traitement. Au cours des décennies récentes, le point de départ de la TAR a oscillé, passant alternativement entre l’amorce précoce et le report du traitement. Cette tendance était principalement attribuable à la toxicité de certains médicaments de première et de deuxième génération.
Il y a 10 ans, cependant, le point de départ de la TAR a commencé à aller dans une seule direction, soit vers l’amorce plus précoce du traitement, puisque les données probantes à l’appui des bienfaits de cette approche s’accumulaient abondamment. Les régimes utilisés pour le traitement initial du VIH sont plus sûrs et plus simples de nos jours, comparativement aux thérapies disponibles il y a 16 ans. Il existe des régimes complets qui consistent en une seule prise de pilule par jour. Les principales lignes directrices et recommandations sur le traitement du VIH des organisations scientifiques internationales recommandent maintenant de commencer la TAR le plus tôt possible dans le cours de l’infection au VIH.
Implications pour le Canada
Les auteurs de cette étude encouragent les planificateurs des politiques, les départements de santé publique et les ministères à rendre le dépistage du VIH plus largement accessible. Rappelons que plus une personne connaît tôt son statut VIH, plus elle peut commencer rapidement la TAR et préserver son système immunitaire. Les chercheurs voudraient que le dépistage du VIH soit offert à des gens que les médecins et les infirmières ont tendance à ne pas considérer comme des personnes à risque. Pour atteindre cet objectif, les auteurs réclament que l’offre d’un test de dépistage du VIH fasse partie des soins de routine dans les hôpitaux et les centres de soins primaires. Ils souhaitent également le lancement d’une campagne publicitaire pour encourager les gens à se faire tester.
Il est important de publiciser et d’élargir l’accès au dépistage du VIH parce que, selon l’Agence de la santé publique du Canada, environ 21 % des personnes vivant aujourd’hui avec le VIH dans ce pays ne savent pas qu’elles sont infectées. À titre de comparaison, voici les chiffres comparables se rapportant à trois autres pays à revenu élevé :
- France : 19 %
- Royaume-Uni : 17 %
- États-Unis : 13 %
Les chercheurs réclament également l’élaboration de « lignes directrices consensuelles canadiennes… comme prochaine étape utile vers l’établissement de directives cliniques uniformes, fondées sur des preuves, sur la prise en charge du VIH d’un bout à l’autre du Canada ».
Les lignes directrices en question, soutiennent les chercheurs, devraient être fondées sur les objectifs du Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA), lesquels sont simplement résumés par la phrase « 90-90-90. » Cette dernière décrit les objectifs importants auxquels les pays sont encouragés à aspirer et qu’ils devraient tenter d’atteindre d’ici 2020, qui sont les suivants :
- 90 % des personnes atteintes du VIH savent qu’elles ont l’infection
- 90 % des personnes diagnostiquées séropositives suivent une TAR
- 90 % des personnes suivant une TAR ont une charge virale « indétectable » (habituellement moins de 50 ou 40 copies/ml dans le sang)
À mesure que d’autres provinces et territoires canadiens s’acheminent vers l’atteinte de ces objectifs, une stratégie de santé publique nationale pour améliorer l’implication dans les soins aiderait à assurer que les progrès accomplis quant à la réduction des nouvelles infections par le VIH et à l’amélioration des résultats pour la santé se produisent de manière égale partout au Canada.
Depuis la conclusion de cette étude sur l’amorce de la TAR, la base de données CANOC a accumulé des données sur quelque 10 300 patients séropositifs. Espérons que les chercheurs répéteront leur analyse dans quelques années pour voir à quel compte de CD4+ les gens choisissent de commencer la TAR.
Ressources
Résultats détaillés de l’étude START – TraitementActualités 210
Un nouveau discours : Pourquoi les initiatives de prévention du VIH au Canada doivent inclure le traitement du VIH – Point de mire sur la prévention
Centre de recherche collaborative CANOC
Guidelines for the Use of Antiretroviral Agents in HIV-1-Infected Adults and Adolescents – U.S. Department of Health and Human Services (en anglais seulement)
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCES :
- Cescon A, Patterson S, Davey C, et al. Late initiation of combination antiretroviral therapy in Canada: a call for a national public health strategy to improve engagement in HIV care. Journal of the International AIDS Society. 2015 Oct 5;18:20024.
- Supervie V, Lacombe JM, Marty L, et al. How far are we from early cART for all? A nationwide population-based study in France. Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections, 22-25 February 2016, Boston, MA. Abstract 1043.
- Skingsley A, Yin Z, Kirwan P, et al. HIV in the UK—Situation report 2015: data to end 2014. November 2015. Public Health England, London.
- HIV in the United States: At a glance. Centers for Disease Control and Prevention. 29 September 2015.
- Sullivan PS, Jones JS, Baral SD. The global north: HIV epidemiology in high-income countries. Current Opinion in HIV/AIDS. 2014 Mar;9(2):199-205