- Les chercheurs ont interrogé des utilisateurs de la PrEP de la première heure au sujet de leur expérience.
- Les participants ont déclaré que l'utilisation de la PrEP les faisait se sentir « fiers » et « libérés ».
- La stigmatisation et les jugements défavorables à l'égard de la PrEP poussaient certains participants à cacher leur utilisation de celle-ci.
La PrEP (prophylaxie pré-exposition) consiste à prendre deux médicaments anti-VIH dans un seul comprimé, le plus souvent quotidiennement, pour réduire le risque de transmission du VIH. La PrEP est censée être utilisée en combinaison avec d'autres approches de prévention du VIH, dont les suivantes :
- counseling sur la réduction des risques
- usage de condoms
- dépistage régulier du VIH
- dépistage régulier d'infections transmissibles sexuellement et traitement si nécessaire
On peut trouver de l'information détaillée sur l'utilisation de la PrEP ici.
Des chercheurs de Toronto ont réalisé un projet de démonstration sur la PrEP afin d'évaluer l'accessibilité, l'utilisation et l'efficacité de celle-ci parmi 52 hommes qui avaient des relations sexuelles avec d'autres hommes (HARSAH). Dans le cadre du projet, les chercheurs ont interrogé un sous-groupe de participants au sujet de l'impact de la PrEP sur leur vie sociale et sexuelle. Ces entrevues ont révélé aux chercheurs qu'une forte proportion des hommes éprouvaient le besoin de cacher leur utilisation de la PrEP à leurs amis, à leur famille et à leurs partenaires sexuels à cause des attitudes à l'égard de la PrEP. Lorsque les hommes dévoilaient leur utilisation de la PrEP, cela provoquait habituellement des réactions négatives et complexes au sein de leurs réseaux sociaux. Toutefois, la PrEP permettait aussi aux hommes de connaître un sentiment de normalité lors de leurs relations sexuelles; les hommes trouvaient le sexe exempt de peur, et il devenait par conséquent « excitant et agréable ».
Détails de l'étude
Les participants ont été recrutés parmi les sujets d'une étude appelée Preparatory-5. Avant de passer l'entrevue, les participants prenaient la PrEP depuis au moins un an entre novembre 2014 et juin 2016. Seize participants ont accepté de se faire interroger. Il s'agissait d'hommes blancs qui s'identifiaient comme gais et dont la moyenne d'âge était de 33 ans.
Résultats : un sentiment de libération
De nombreux participants ont affirmé que leur utilisation de la PrEP les faisait se sentir « fiers » et « libérés ». Selon les chercheurs, « Cette idée de fierté dans le fait d'être un homme gai sexuellement actif responsable qui aide à prévenir la propagation du VIH a été un thème récurrent dans les témoignages des hommes ».
Un participant a déclaré ce qui suit à propos de son expérience de la PrEP :
« C'est une des meilleures choses dans ma vie. J'adore cela. J'ai beaucoup de sexe et je fréquente souvent les saunas malgré mon âge avancé… Pour la première fois de ma vie, [la PrEP] a effacé la peur d'avoir du sexe… Le sexe est redevenu une expérience libératrice grâce à la PrEP. »
Selon les chercheurs, la plupart des témoignages des participants au sujet de la PrEP évoquaient des sentiments de libération et de pouvoir personnel accru. Cependant, ces sentiments étaient tempérés par l'expérience de faire face aux attitudes, aux croyances et aux affirmations négatives de certaines personnes au sein des réseaux sociaux et sexuels des participants. Les chercheurs ont réparti ces réactions négatives en trois catégories selon les thèmes suivants :
- stigmatisation de la PrEP
- stigmatisation de la PrEP et du VIH
- stigmatisation de la PrEP et stigmatisation structurale
Nous explorons ensuite ces trois thèmes en détail.
Stigmatisation de la PrEP
Les hommes ont dévoilé que, « aux yeux de nombreuses personnes dans leurs réseaux sociaux et sexuels, utiliser la PrEP équivalait à faire du barebacking ou à avoir du sexe sans condom ». Les chercheurs ont trouvé que les hommes interrogés faisaient face à cette supposition « peu importe s'ils avaient exclusivement des relations sexuelles sans condom sous PrEP ou pas ».
En raison de la stigmatisation de la PrEP et/ou du fait d'avoir de nombreux partenaires sexuels, certains hommes éprouvaient le besoin de ne pas parler de leur usage de la PrEP à leurs amis et à leur famille. Selon les chercheurs, ces hommes éprouvaient le besoin d'entrer dans « une espèce de placard de la PrEP ». Un participant a fait le commentaire suivant :
« J'en ai parlé à très peu de gens parce que je savais que mes amis m'auraient jugé, qu'ils soient gais ou straight. Pour une personne qui vit aussi ouvertement que moi, c'est bizarre de ne pas avouer que je prends la PrEP. C'est comme si elle était encore stigmatisée, ce qui n'est pas juste. »
Certains hommes ont dévoilé qu'ils faisaient face « à des jugements, à de la stigmatisation et à des rejets liés à la PrEP lorsqu'ils essayaient de trouver des partenaires sexuels en ligne ». Un participant a dit que cela avait peu d'importance parce qu'il s'agissait d'une seule personne. Cependant, selon les chercheurs, un autre participant a fait état de plus d'une expérience de « stigmatisation et de rejet de la part de ses amis, ce qui l'a préparé à vivre des expériences de stigmatisation subséquentes auprès de ses partenaires sexuels potentiels ». Le participant en question a affirmé ceci :
« Cela ne m'a pas vraiment dérangé. Après les deux disputes que j'avais eus très tôt avec mon meilleur ami et un autre qui a rompu notre amitié, j'étais préparé à toute sorte de grossièreté comme “Oh, tu prends la PrEP, je ne vais pas coucher avec toi parce qu'il est clair que t'es une salope... ” puis moi qui dis “ tu ne sais même pas de quoi il s'agit, tant pis pour toi ”. »
Stigmatisation de la PrEP et du VIH
Les chercheurs ont trouvé que l'utilisation de la PrEP amenait les participants à réfléchir, à discuter, à changer ou à contester les tabous et les sentiments négatifs intériorisés qu'ils avaient à l'égard des personnes vivant avec le VIH.
Un homme a dit ceci : « J'ai grandi à une époque où le sexe non protégé était non seulement stigmatisé, mais les gens refusaient toute relation sexuelle avec les personnes séropositives, même avec des condoms ». À la lumière de ce passé, cet homme a dévoilé ensuite que son utilisation de la PrEP lui donnait un sentiment de « pouvoir personnel accru ».
D'autres participants ont affirmé que la PrEP leur permettait d'avoir des relations sexuelles « plus honnêtes » avec d'autres hommes. « Je sais qu'il y a beaucoup de stigmatisation des gars séropositifs, mais quand j'avais des relations sexuelles [avec eux], je trouvais la plupart du temps que ça allait mieux... j'ai établi de bonnes relations et j'ai de nombreux amis qui sont indétectables ou séropositifs... j'avais l'impression que nous étions honnêtes tous les deux », a déclaré un participant.
Des études bien conçues ont révélé que les personnes séropositives qui suivent un traitement antirétroviral (TAR) et qui atteignent et maintiennent une charge virale très faible (un niveau couramment qualifié d'« indétectable ») ne transmettent pas le VIH durant les relations sexuelles. Selon les chercheurs, certains hommes dans la présente étude trouvaient que l'efficacité de cette forme de protection dépendait « des actions et de l'observance thérapeutique d'une autre personne ». En revanche, les hommes trouvaient que l'utilisation de la PrEP « leur permettait d'avoir le contrôle et de faire quelque chose pour eux-mêmes afin de réduire leur risque de contracter le VIH ».
Selon les chercheurs, les participants trouvaient que l'utilisation de la PrEP « atténuait la stigmatisation et le rejet des hommes gais séropositifs ».
Un homme a décrit son utilisation de la PrEP comme un moyen de réduire la « stigmatisation morale » persistante liée au VIH.
Et de dire un autre participant : « Cela me faisait du bien de ne pas avoir à demander aux gars leur statut, et les gars séropositifs n'ont pas besoin de s'inquiéter du dévoilement ou du rejet ou de toute la stigmatisation. Et j'aime l'idée qu'ils ont maintenant une expérience différente puisqu'il y a tant de gars qui prennent la PrEP de nos jours, parce que certains gars diraient... “ Je ne pose pas la question” ».
Comme les chercheurs ont trouvé que plus d'un participant sous PrEP avait décidé de ne plus demander le statut VIH de ses partenaires sexuels potentiels, ils ont fait la déclaration suivante :
« Nous croyons qu'il est important de réfléchir à la signification pour la santé publique du fait que certains hommes sous PrEP ne discutent plus du statut VIH avec leurs partenaires sexuels parce qu'ils utilisent la PrEP. Même si l'intention est de présenter ce changement de comportement comme un genre de progrès social — visant à déstigmatiser la séropositivité — ce comportement pourrait avoir des conséquences non intentionnelles s'il se propageait. Nous croyons que les conseillers cliniques et les éducateurs en matière de PrEP devraient être conscients de ce changement de comportement potentiel à mesure que l'utilisation de la PrEP se répand. » Les chercheurs n'ont pas fourni de détails additionnels concernant leurs préoccupations.
Stigmatisation de la PrEP et stigmatisation structurale
Selon les chercheurs, les participants ont décrit comment la PrEP « exposait parfois des formes de stigmatisation structurale plus large liée à la PrEP et à la sexualité gaie ». Certains hommes percevaient la stigmatisation comme « une barrière structurale insidieuse à l'amélioration de la sensibilisation et de l'accès à la PrEP ».
À ce propos, certains hommes ont exprimé un malaise à l'idée de discuter des sujets suivants avec leurs médecins :
- leur besoin de prendre la PrEP
- la sexualité gaie
- les risques de contracter le VIH
Ce malaise constituait un obstacle à l'accès à la PrEP.
Les chercheurs ont demandé aux participants de faire des recommandations sur les enjeux liés aux politiques relatives à la PrEP. Voici les thèmes soulevés par les hommes :
- L'éducation en matière de PrEP doit augmenter dans la communauté.
- Comme la PrEP offre un bon rapport coût-efficacité, elle est considérée comme une mesure rentable en ce qui concerne la prévention du VIH.
- La PrEP est perçue comme un moyen de donner aux hommes gais « un accès égal à une sexualité saine comme celui des hétérosexuels ».
Points à retenir
Même si les participants faisaient face à certains comportements et attitudes négatifs de la part de leurs réseaux sociaux et sexuels lorsqu'ils dévoilaient leur utilisation de la PrEP, les chercheurs ont trouvé que la majorité des hommes interrogés hésitaient à assumer l'identité de victimes ou à percevoir défavorablement la PrEP à cause de la stigmatisation qu'ils rencontraient. Les chercheurs ont souligné que « les hommes étaient non seulement capables de gérer les problèmes liés à la PrEP, mais aussi que la stigmatisation ne les dérangeait pas ».
Enjeux sociaux et sociétaux
Les chercheurs ont constaté une contradiction apparente dans les témoignages des hommes au sujet de la PrEP. D'une part, le dévoilement de l'utilisation de la PrEP les exposait à des « réactions stigmatisantes au sein de leurs réseaux sociaux et sexuels ». D'autre part, les hommes décrivaient leur utilisation de la PrEP comme un moyen d'aider à « éliminer la stigmatisation, la honte et la peur liées au VIH, à la sexualité et aux relations sexuelles avec les hommes gais vivant avec le VIH ».
Les chercheurs ont fait la déclaration suivante : « Nous croyons qu'il est essentiel de lire ces témoignages en faisant référence aux luttes politiques et aux traumatismes historiques des hommes gais, avec une compréhension des politiques et des discours évolutifs qui coordonnent et régulent les vies sexuelles et sociales des hommes gais. Pour réussir à promouvoir l'accès élargi à la PrEP, il faudra affronter directement la stigmatisation sociétale et structurale de la sexualité gaie. Ces témoignages sur l'utilisation de la PrEP aident à faire la lumière sur la stigmatisation plus large et les paniques morales à l'égard du sexe et de la sexualité qui peuvent nuire à l'accessibilité et à l'adoption de la PrEP, ainsi qu'à la santé de diverses communautés, y compris les hommes gais, mais certainement pas exclusivement ».
Les chercheurs reconnaissent qu'ils ont interrogé un groupe peu nombreux d'hommes gais blancs bien éduqués et que leurs résultats pourraient ne pas s'appliquer à d'autres groupes. Ils souhaitent la tenue de recherches additionnelles auprès de communautés différentes « qui utilisent ou qui pourraient bénéficier de la PrEP » afin d'en savoir plus sur leurs expériences.
Ressources
La prophylaxie pré-exposition (PrEP) par voie orale – Feuillet d’information de CATIE
Ressources sur la prophylaxie pré-exposition (PrEP)
Lignes directrices canadiennes sur la PrEP et la PPE pour aider à prévenir l'infection par le VIH – Nouvelles CATIE
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCES :
- Grace D, Jollimore J, MacPherson P, et al. The pre-exposure prophylaxis (PrEP)-stigma paradox: learning from Canada’s first wave of PrEP users. AIDS Patient Care and STDs. 2018; 2018 Jan;32(1):24-30.
- Cohen MS, Chen YQ, McCauley M, et al. Antiretroviral therapy for the prevention of HIV-1 transmission. New England Journal of Medicine. 2016; 375:830–9. Disponible à l’adresse : http://www.nejm.org/doi/pdf/10.1056/NEJMoa1600693
- Rodger AJ, Cambiano V, Bruun T, et al. Sexual activity without condoms and risk of HIV transmission in serodifferent couples when the HIV-positive partner is using suppressive antiretroviral therapy. Journal of the American Medical Association. 2016;316(2):171–81. Disponible à l’adresse : http://jama.jamanetwork.com/article.aspx?articleid=2533066