Au Canada et dans les autres pays à revenu élevé, l’usage répandu des combinaisons de médicaments anti-VIH puissants (TAR) a réduit considérablement le nombre de décès et de maladies liés au sida, au moins parmi les personnes qui sont au courant de leur infection, qui reçoivent des soins et qui prennent le TAR tous les jours en suivant toutes les prescriptions et consignes à la lettre.
Grâce à l’énorme capacité du TAR à sauver des vies, les chercheurs s’attendent de plus en plus à ce que les jeunes adultes qui sont infectés aujourd’hui et qui commencent rapidement un traitement aient de bonnes chances de connaître une espérance de vie quasi-normale, pourvu qu’ils n’aient pas de problèmes de santé préexistants et qu’ils s’impliquent à long terme dans leurs soins et leur traitement. Pour cette raison, certains chercheurs dans les pays à revenu élevé dirigent maintenant leur attention vers les facteurs qui pourraient réduire l’espérance de vie malgré l’utilisation du TAR.
Plusieurs équipes de recherche aux États-Unis et ailleurs ont constaté des taux élevés de blessures (décrites comme intentionnelles ou non intentionnelles) parmi les personnes vivant avec le VIH. Une équipe de chercheurs du Centre d’excellence sur le VIH/sida de la Colombie-Britannique a entrepris une évaluation des taux de blessures et des prédicteurs de celles-ci parmi les adultes séropositifs et séronégatifs de cette province.
Dans l’ensemble, les chercheurs ont trouvé que 14 % des décès de personnes séropositives étaient attribuables à des blessures. En guise de comparaison, notons que le taux chez les personnes séronégatives était de 6 %. Les chercheurs ont également affirmé que « les taux de blessures les plus élevés parmi les personnes [séropositives] étaient associés à des chutes et à des blessures volontaires ». Parmi les personnes séronégatives, les deux principales causes de blessures étaient « les chutes et les accidents de véhicules motorisés ». Les chercheurs ont également découvert que les populations rurales étaient plus susceptibles de subir des blessures que la population de la région métropolitaine de Vancouver. Il s’est aussi avéré que les personnes autochtones étaient plus sujettes aux blessures que les non-Autochtones. Les chercheurs ont formulé des recommandations que l’on pourrait adopter afin d’élaborer des stratégies visant à réduire les taux de blessures au sein des communautés de personnes séropositives.
Détails de l’étude
Les chercheurs ont évalué des données de santé et d’autres informations statistiques vitales provenant de plusieurs bases de données de la Colombie-Britannique établies entre le 1er avril 1996 et le 31 mars 2013. Ils ont choisi au hasard des données se rapportant aux personnes séronégatives en guise de comparaison.
Voici un bref résumé du profil moyen des populations au début de l’étude :
Personnes séropositives
- 13 764 personnes (81 % d’hommes, 19 % de femmes)
- âge : 34 ans
Personnes séronégatives
- 417 416 personnes (49 % d’hommes, 51 % de femmes)
- âge : 40 ans
Résultats
Voici la répartition des décès attribuables aux blessures :
- personnes séropositives : 14 %
- personnes séronégatives : 6 %
Les chercheurs ont signalé les trois principales causes de blessures suivantes (par ordre décroissant de fréquence) :
Personnes séropositives
- chutes
- blessures volontaires
- agressions
Personnes séronégatives
- chutes
- accidents de véhicules motorisés
- « autres blessures »
Dans l’ensemble, les chercheurs ont constaté les différences suivantes entre les personnes séropositives et les personnes séronégatives :
- les personnes séropositives étaient trois fois plus susceptibles de subir des blessures
- les personnes séropositives étaient neuf fois plus susceptibles de subir une blessure intentionnelle
Ces différences sont significatives du point de vue statistique.
Tendances au fil du temps
Les chercheurs de la Colombie-Britannique ont observé les tendances suivantes en ce qui a trait aux blessures subies par les deux populations à l’étude :
- Le taux de blessures non intentionnelles chez les personnes séropositives a diminué de manière significative puis s’est stabilisé vers l’an 2001. Après cette période, le taux de blessures est demeuré constant mais a continué d’être presque le double du taux observé chez les personnes séronégatives jusqu’à la fin de 2012. Chez les personnes séronégatives, le taux de blessures est resté plus ou moins constant tout au long de l’étude.
- Le taux de blessures intentionnelles a chuté parmi les personnes séropositives au cours de l’étude. Cependant, en 2012, le taux de ce genre de blessures dépassait encore de plusieurs fois celui des personnes séronégatives. Parmi celles-ci, le taux de blessures intentionnelles était faible et est resté ainsi tout au long de l’étude.
Explorer les risques de blessures parmi les personnes séropositives
Les chercheurs ont effectué une sous-analyse des 9 033 personnes séropositives qui suivaient ou avaient suivi un TAR parce qu’ils disposaient de plus de données détaillées au sujet de ce sous-groupe.
Dans le sous-groupe de personnes séropositives, celles qui étaient plus susceptibles de subir des blessures non intentionnelles avaient les caractéristiques suivantes :
- âge plus avancé
- ascendance autochtone
- elles vivaient dans une région rurale
- problèmes de santé co-existants, tels qu’une maladie hépatique, cardiovasculaire ou rénale ou une infection par un virus causant l’hépatite
- problèmes de santé mentale
- chômage
Dans le sous-groupe de personnes séropositives, celles qui étaient plus susceptibles de subir des blessures intentionnelles avaient les caractéristiques suivantes :
- âge plus jeune
- sexe masculin
- elles vivaient dans une région rurale
- usage de drogues injectables
- présence des problèmes de santé co-existants suivants : maladie hépatique, infection au virus de l’hépatite B, dépression et autres problèmes de santé mentale
- chômage
Nous énumérons ci-dessous quelques facteurs sous-jacents qui sont susceptibles d’alimenter le risque de blessures :
Santé mentale
Selon les chercheurs, le risque de blessures intentionnelles parmi les participants séropositifs à cette étude était « fortement associé » à des antécédents de troubles de la santé mentale, notamment la dépression. Plusieurs autres études menées dans des pays à revenu élevé ont également découvert un lien entre les problèmes de santé mentale et le risque de blessures volontaires. Quant aux blessures non intentionnelles, les chercheurs ont déclaré ceci :
« Les données probantes qui associent les blessures non intentionnelles aux maladies mentales s’accumulent aussi. » Une étude particulière a révélé que « la maladie mentale, indépendamment de la consommation de drogues ou d’alcool, était un facteur de risque de [blessures non intentionnelles] ».
Drogues injectables
Les chercheurs ont trouvé que les personnes séropositives qui s’injectaient des drogues, qui avaient l’infection au virus de l’hépatite B et qui souffraient d’insuffisance hépatique (conséquence de l’hépatite B) avaient des taux élevés de blessures intentionnelles. Selon les chercheurs, « On s’attendait à ce résultat étant donné la forte prévalence de l’usage de drogues injectables parmi les [personnes séropositives de la] Colombie-Britannique et les épidémies concurrentes de toxicomanie, de violence et de VIH ».
L’intersection entre la consommation de drogues et la violence n’est pas spécifique à la Colombie-Britannique ni aux personnes atteintes du VIH. Lors d’une étude citée par l’équipe de Vancouver, un groupe de chercheurs de New York ont constaté que, dans les années 1990, 27 % des résidents « qui ont subi une blessure fatale avaient utilisé de la cocaïne peu de temps avant leur mort ». Les chercheurs de New York ont laissé entendre que l’impact de la cocaïne sur le cerveau, « y compris l’agitation, la paranoïa et la dépression, pourrait accroître la probabilité de blessures intentionnelles et non intentionnelles ».
Nos lecteurs devraient noter que, lorsque les chercheurs ont examiné les décès survenus parmi les personnes séropositives de New York au cours des années subséquentes (1999 à 2004), ils ont trouvé que 76 % des décès non liés au VIH étaient attribuables, directement ou indirectement, à la consommation de drogues/d’alcool. Des chercheurs du sud de l’Alberta qui ont étudié la mortalité chez les personnes séropositives ont découvert que les décès attribuables aux surdoses de drogues représentaient 27 % de tous les décès non liés au sida à l’époque actuelle.
Région rurale contre région urbaine
Les études menées dans les pays à revenu élevé ont découvert que le risque de blessures était généralement plus élevé parmi les personnes vivant dans les régions rurales. À cet égard, les résultats de l’étude britanno-colombienne ne sont pas surprenants. Selon des chercheurs norvégiens qui ont étudié les taux de blessures en région rurale, le risque accru de blessures pourrait être alimenté par « l’exposition à la machinerie agricole dangereuse, aux armes à feu, aux grands cours d’eau, ainsi que par une plus forte consommation d’alcool et un statut socioéconomique plus faible ».
Autochtones
Dans cette étude menée en Colombie-Britannique, les chercheurs ont trouvé que les taux de blessures non intentionnels étaient plus élevés parmi les Autochtones séropositifs. Ils ont souligné que des résultats semblables avaient été rapportés ailleurs dans l’Ouest canadien et en Ontario. Certains chercheurs croient que le statut socioéconomique plus faible des Autochtones pourrait jouer un rôle dans les taux de blessures, mais d’autres recherches seront nécessaires pour éclairer cette question.
Prochaines étapes
Cette étude révèle clairement que certaines personnes séropositives courent des risques exceptionnellement élevés de subir des blessures, autant intentionnelles que non intentionnelles. Les résultats de cette étude pourront être utilisés pour élaborer des stratégies visant la prévention des blessures. Selon les chercheurs, il sera crucial d’aborder les enjeux suivants, entre autres, si l’on souhaite alléger le fardeau des blessures au sein de cette population :
- consommation de drogues/d’alcool
- problèmes de santé mentale
- pauvreté
En guise de conclusion, les chercheurs ont affirmé ceci :
« Vu que les blessures sont majoritairement prévisibles et évitables, la mise en œuvre d’interventions qui réduisent l’incidence des blessures parmi [les personnes séropositives] est amplement justifiée. »
Ressources
- Une étude trouve la dexamphétamine à libération prolongée prometteuse pour réduire la consommation de cocaïne – Nouvelles CATIE
- Profil : Sorti du gouffre – Vision positive (automne 2016)
- Demandez aux experts : Les dépendances – Vision positive (automne 2016)
- Le VIH et le bien-être émotionnel – CATIE
- VIH et problèmes cérébraux – TraitementActualités 204
- La dépression et le trouble bipolaire – Association canadienne pour la santé mentale
- La schizophrénie et le VIH : Une étude souligne les enjeux sérieux liés au diagnostic mixte – Nouvelles CATIE
- La schizophrénie – Association canadienne pour la santé mentale
- La santé mentale – Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCES :
- Samji H, Zhang W, Eyawo O, et al. Rates and predictors of injury in a population-based cohort of people living with HIV: trends and disparities from 1996 to 2013. AIDS. 2017 Jan 14;31(2):295–304.
- Tardiff K, Marzuk PM, Leon AC, et al. HIV seroprevalence rates among homicide victims in New York City: 1991-1993. Journal of Forensic Sciences. 1997 Nov;42(6):1070–3.
- Marzuk PM, Tardiff K, Leon AC, et al. Fatal injuries after cocaine use as a leading cause of death among young adults in New York City. New England Journal of Medicine. 1995 Jun 29;332(26):1753–7.
- Sackoff JE, Hanna DB, Pfeiffer, et al. Causes of death among persons with AIDS in the era of highly active antiretroviral therapy: New York City. Annals of Internal Medicine. 2006 Sep 19;145(6):397–406.
- Krentz HB, Kliewer G, Gill MJ. Changing mortality rates and causes of death for HIV-infected individuals living in Southern Alberta, Canada from 1984 to 2003. HIV Medicine. 2005 Mar;6(2):99–106.