- Une étude américaine a évalué l’impact d’un changement de TAR avant la ménopause sur la composition corporelle
- Les participantes qui sont passées aux inhibiteurs de l’intégrase durant la ménopause ont pris plus de poids
- Celles qui ont fait le changement avant la ménopause avaient plus de chances d’éviter une prise pondérale
Les traitements contre le VIH (traitements antirétroviraux ou TAR) sont très efficaces lorsqu’ils sont utilisés comme il se doit. Le TAR réduit tellement la production de VIH que la quantité de virus finit par devenir trop faible pour être mesurée par les tests de laboratoire de routine. Une si faible quantité de VIH (charge virale) est couramment qualifiée d’« indétectable ». Lorsque la charge virale est indétectable, le système immunitaire est capable de se réparer largement, ce qui rend extrêmement faible le risque de complications liées au sida.
Qui plus est, grâce à une bonne observance du TAR, les scientifiques prévoient que les personnes sous traitement connaîtront une espérance de vie semblable à celle des personnes séronégatives en bonne santé. Nombre d’études révèlent en effet que le nombre de personnes sous TAR qui vivent jusqu’à un âge bien avancé continue de grimper.
Comme le risque de sida a diminué énormément pour de nombreuses personnes sous TAR, les études se concentrent de plus en plus sur des questions liées au vieillissement, dont la ménopause.
Accent sur les inhibiteurs de l’intégrase
Les inhibiteurs de l’intégrase sont une classe de médicaments utilisés pour le traitement du VIH. Les essais cliniques ont révélé que ces médicaments sont généralement bien tolérés et agissent très efficacement lorsqu’ils sont utilisés en association avec au moins un autre médicament contre le VIH.
De nos jours, les inhibiteurs de l’intégrase utilisés couramment au Canada incluent les suivants :
- bictégravir (ingrédient de Biktarvy)
- dolutégravir (ingrédient de Dovato, Juluca, Triumeq, Tivicay)
- cabotégravir (ingrédient de Cabenuva)
- raltégravir (nom commercial Isentress)
Lors de certains essais cliniques, des scientifiques ont observé que l’usage d’inhibiteurs de l’intégrase provoquait souvent une prise de poids, surtout chez des femmes et des personnes assignées femmes à la naissance, telles que des hommes trans et certaines personnes non binaires. Notons que la prise de poids a également tendance à se produire durant la ménopause, et ce, sans égard au statut VIH. Selon des données d’études issues récemment de l’Université de la Californie, le choix du TAR et le moment fixé pour commencer le traitement pourraient interagir avec la ménopause de sorte à aggraver les prises pondérales dans certains cas.
Détails de l’étude
Une équipe de recherche de l’Université de la Californie a suivi deux groupes de femmes cisgenres, comme suit :
- 1 131 femmes séropositives, dont certaines sont passées à un traitement contenant un inhibiteur de l’intégrase
- 887 femmes séronégatives qui ne prenaient pas de médicaments contre le VIH
Cette recherche fait partie de la Women’s Interagency HIV Study, une étude par observation de grande envergure qui se déroule depuis plusieurs décennies aux États-Unis. L’équipe de recherche s’est concentrée sur les résultats obtenus entre 2006 et 2019.
L’équipe a évalué les changements dans la composition corporelle en déterminant les mesures suivantes :
- tour de taille
- indice de masse corporelle (IMC)
L’équipe de recherche a observé l’évolution de divers facteurs au fil du temps, dont le tour de taille, l’IMC et d’autres mesures. Elle a ensuite comparé les résultats en fonction du moment dans la transition vers la ménopause où les femmes sont passées à un inhibiteur de l’intégrase. L’équipe a classé les femmes dans trois catégories : la préménopause, la périménopause précoce ou tardive (transition vers la ménopause) et la ménopause à proprement parler. Pour ce faire, l’équipe a effectué des tests sanguins.
Le profil moyen des participantes lors de leur admission à l’étude était le suivant :
- âge : fin quarantaine
- IMC : 30 kg/m2 (indice d’une forte probabilité d’obésité)
- compte de CD4+ : plus de 600 cellules/mm3
- charge virale : 47 % des participantes avaient une charge virale indétectable
- inhibiteurs de l’intégrase couramment utilisés : dolutégravir – 38 %; elvitégravir (ingrédient de Genvoya et de Stribild) – 32 %; raltégravir – 21 %; bictégravir – 9 %
Importance de la phase de la ménopause
Les principaux résultats de l’étude indiquent que les femmes séropositives qui sont passées tardivement à un traitement fondé sur un inhibiteur de l’intégrase, soit pendant ou près du début de la ménopause, étaient plus susceptibles de prendre du poids.
Tour de taille
Lorsque le changement de traitement avait lieu avant la ménopause, le tour de taille des femmes séropositives n’augmentait pas comparativement à celui des femmes séronégatives. L’usage ou le non-usage d’inhibiteurs de l’intégrase faisait peu de différence à cet égard. Cette tendance s’est poursuivie durant les phases précoces de la périménopause.
En revanche, lorsque le passage aux inhibiteurs de l’intégrase avait lieu durant la périménopause tardive ou la ménopause, les femmes utilisant ces médicaments étaient susceptibles de connaître une augmentation de leur tour de taille. Cette différence se révélait particulièrement significative lorsque le changement de traitement avait lieu durant la ménopause, le point culminant des effets étant atteint environ trois ans et demi après le début de cette phase.
Indice de masse corporelle
Même si l’IMC a augmenté chez les femmes séropositives durant la préménopause, l’équipe n’a pas constaté de différence significative entre les femmes qui prenaient des inhibiteurs de l’intégrase et celles qui n’en prenaient pas. Durant la périménopause précoce, les augmentations de l’IMC étaient plus importantes chez les femmes recevant des inhibiteurs de l’intégrase que chez celles des autres groupes.
À retenir
Les résultats de cette étude n’ont rien de surprenant, car d’autres études avaient permis de constater des prises pondérales chez des personnes de tous les genres après l’amorce d’un traitement incluant un inhibiteur de l’intégrase, les personnes assignées femmes à la naissance étant les plus touchées. Durant la présente étude, on a constaté une prise pondérale moyenne d’environ 2,4 kilogrammes chez les femmes sous inhibiteurs de l’intégrase, comparativement à 0,2 kg chez celles n’utilisant pas ces médicaments. L’équipe a également relevé des indices que les femmes en période de ménopause et celles de 50 ans et plus qui sont passées à un inhibiteur de l’intégrase ont pris plus de poids que les femmes appartenant à ces catégories qui n’ont pas fait un tel changement.
Il importe de noter que la tendance vers la prise de poids observée dans cette étude ne s’est pas poursuivie indéfiniment. Selon l’équipe de recherche, les femmes qui ont pris du poids après être passées à un inhibiteur de l’intégrase durant la périménopause tardive ont commencé à perdre un peu de ce poids environ trois ans plus tard. Les raisons de cette perte pondérale subséquente ne sont pas claires. Notons à ce propos que l’équipe n’a pas fourni de données concernant l’éventuelle adoption d’un régime minceur ou d’un programme d’exercices par les femmes.
Pourquoi une prise de poids?
L’équipe de recherche ne peut expliquer clairement pourquoi le passage à un inhibiteur de l’intégrase lors d’une phase tardive de la transition vers la ménopause provoquerait une aggravation de la prise pondérale associée à cette phase de la vie. Il est plausible que les inhibiteurs de l’intégrase exercent de légers effets sur les récepteurs d’œstrogènes présents sur les cellules adipeuses. Ces effets pourraient stimuler la croissance, le développement et l’accumulation de ces cellules. Les effets qu’exerceraient éventuellement les inhibiteurs de l’intégrase sur les cellules adipeuses et les hormones devront toutefois faire l’objet d’une autre étude.
Aucun impact du ténofovir ou de l’éfavirenz
Les TAR plus anciens qui provoquaient autrefois une distribution anormale de la graisse corporelle (lipoatrophie) auraient pu donner des résultats différents, mais cette étude a porté sur des femmes peu susceptibles d’avoir utilisé de tels traitements. Les médicaments que ces femmes ont arrêtés en faveur d’un inhibiteur de l’intégrase, soit le ténofovir alafénamide (TAF), le fumarate de ténofovir disoproxil (TDF) et l’éfavirenz, n’ont pas causé de différence significative quant à la prise de poids ultérieure.
Que faire?
Cette nouvelle étude indique que le passage à un inhibiteur de l’intégrase pendant la périménopause tardive et la ménopause est susceptible de provoquer une augmentation du tour de taille et de l’IMC chez certaines femmes. L’équipe de recherche recommande donc aux femmes et à leurs prestataires de soins de santé de tenir compte de la phase de la ménopause avant de passer à un inhibiteur de l’intégrase. Notons qu’un changement effectué plus tôt pourrait aider à réduire le risque de prise de poids.
—Elna Schütz
Ressources
Être ménopositive : Votre guide sur la ménopause - CATIE
Au Canada, trop peu de femmes séropositives d’âge moyen parlent de la ménopause avec leur médecin – Nouvelles CATIE
RÉFÉRENCE :
Abelman RA, Ma Y, Mehta CC et al. Switch to integrase strand transfer inhibitors during the menopausal transition is associated with accelerated body composition change in women with HIV. Clinical Infectious Diseases. 2024; sous presse.