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  • Dans certaines provinces, la plupart des décès liés à la toxicité des drogues sont maintenant dus aux drogues fumées et non injectées
  • Une équipe de Vancouver a interrogé 31 personnes qui fumaient des drogues non réglementées
  • Certaines personnes choisissaient de fumer au lieu de s’injecter parce qu’elles croyaient le risque de surdose plus faible

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Les études menées avant l’arrivée du fentanyl donnaient à penser que le risque de surdose lié aux drogues fumées était faible. Il est possible que cette caractérisation ait fait croire que le risque de surdose était moindre si l’on fumait les drogues au lieu de les injecter. Notons toutefois que le marché des drogues non réglementées a beaucoup changé depuis l’époque de ces études. Les drogues en circulation sont aujourd’hui dominées par le fentanyl et d’autres produits synthétiques et sont devenues très toxiques et imprévisibles. On peut ajouter à cette liste des sédatifs comme les benzodiazépines. Dans ce contexte, les habitudes et les modes d’utilisation préférés des gens ont changé. 

Un peu partout en Amérique du Nord, les gens fument plus couramment des drogues de nos jours, et cette méthode est devenue plus populaire que l’injection dans certaines régions. À titre d’exemple, notons qu'en Colombie-Britannique, les personnes qui utilisent des opioïdes préfèrent maintenant les fumer1. Malheureusement, le nombre de décès par surdose a augmenté parallèlement à la croissance de la popularité de cette méthode, et les drogues fumées sont maintenant la première cause de décès par surdose aux États-Unis et dans certaines parties du Canada2.

Les scientifiques comprennent mal cette augmentation des décès par surdose de drogues fumées. Or, en comprenant mieux la perspective et les expériences de surdose des personnes qui fument de la drogue, on pourra mieux éclairer et orienter les politiques, les programmes et les pratiques qui visent à en réduire les méfaits. 

Détails de l’étude

Une équipe de recherche a interrogé 31 personnes qui fumaient des drogues non réglementées à Vancouver2. L’équipe a recruté des participant·e·s dans deux études de cohorte prospectives et auprès du Vancouver Area Network of Drug Users (VANDU). Les entrevues ont eu lieu en février et mars 2023. L’équipe a admis des personnes âgées d’au moins 19 ans qui fumaient des drogues autres que le cannabis. Les entrevues étaient partiellement structurées et permettaient aux participant·e·s de parler ouvertement de plusieurs sujets, dont leur utilisation courante de drogues et leurs expériences de surdose récentes. L’équipe a codé et analysé les données pour en dégager des thèmes. 

Résultats

La vie de presque tou·te·s les participant·e·s avait été touchée par des surdoses de drogues fumées. Leurs expériences incluaient une surdose personnelle (n = 15), la perte d’un·e proche par surdose (n = 8) ou la nécessité d’intervenir lors d’une surdose (n = 14).

Perspectives sur les surdoses de drogues fumées

Comme certaines personnes croyaient que le risque de surdose était plus faible lorsqu’on fumait les drogues au lieu de les injecter, elles avaient changé de méthode. Pour réduire son risque de surdose, une personne particulière avait cessé de s’injecter de la cocaïne en poudre pour se mettre à fumer du crack parce qu’elle croyait que ce dernier était moins susceptible d’être contaminé par du fentanyl : « J’ai arrêté de m’injecter [de la cocaïne] lorsque le fentanyl est arrivé sur le marché de la drogue ». Les participant·e·s reconnaissaient que fumer comportait un certain risque de surdose, mais ce dernier était perçu comme moindre avec cette méthode. Certaines personnes croyaient que les drogues fumées étaient absorbées plus lentement que les drogues injectées. D’autres expliquaient que fumer leur donnait plus de contrôle sur leur dose parce qu’il était plus facile de fumer une moindre quantité que de s’injecter une moindre quantité : « … ça prenait comme trois [inhalations], comparativement à une [injection], pour faire une surdose, n’est-ce pas? ».

Expériences de surdose de drogues fumées 

Les expériences de surdose de drogues fumées étaient courantes parmi les participant·e·s, qu’il s’agisse d’opioïdes, de stimulants ou des deux. Les participant·e·s attribuaient principalement les surdoses à l’imprévisibilité des effets d’opioïdes non réglementés ou encore à la contamination croisée des stimulants ou du matériel par des opioïdes. 

Effets de drogues imprévisibles

Les participant·e·s qui utilisaient du fentanyl ont expliqué comment la variabilité de la puissance des drogues non réglementées donnait lieu à des surdoses. Une personne a décrit une surdose survenue après « une seule bouffée de sa pipe », même si elle « savait que c’était du [fentanyl], mais il était trop fort ». Selon d’autres participant·e·s, des inhalations trop nombreuses ou trop profondes leur ont fait faire une surdose en fumant du fentanyl.

Contamination croisée

Certain·e·s participant·e·s ont fait accidentellement une surdose d’opioïdes lorsqu’ils ou elles croyaient fumer des stimulants. Selon une personne, il était souvent impossible de savoir si les stimulants contenaient également des opioïdes : « bien des fois tu ne sais pas si tu reçois du fentanyl, si par exemple t’es [quelqu’un qui fume du crack]. C’est pour ça que beaucoup de gens sont morts parce qu’ils n’avaient jamais utilisé de [fentanyl] ».

Les participant·e·s ont décrit quelques façons dont la contamination croisée pouvait se produire :

  • contamination accidentelle de stimulants par des opioïdes lors du pesage ou de l’emballage de drogues non réglementées
  • prise accidentelle d’opioïdes en lieu et place de stimulants dans un groupe où les gens prennent de nombreuses drogues
  • partage, pour fumer des stimulants, d’une pipe ayant déjà servi à l’usage de fentanyl

Une personne a fait une surdose parce qu’elle a partagé du matériel : « … la première fois [que j’ai fait une surdose], j’étais avec un groupe d’amis et… je ne me rendais pas compte que quelqu’un fumait du fentanyl avec sa pipe, puis j’ai perdu connaissance… ». 

Interventions lors d’une surdose de drogue fumée

Près de la moitié des participant·e·s étaient intervenu·e·s lors d’une surdose causée par de la drogue fumée. Comme elles associaient les surdoses à l’injection de drogues, certaines personnes s’étaient étonnées de tomber sur des personnes qui avaient fait une surdose après avoir fumé. Des participant·e·s qui travaillaient dans des centres de prévention des surdoses (CPS), la plupart desquels n’offrent pas d’espaces pour l’inhalation, ont décrit des interventions effectuées lors de surdoses de drogues fumées survenues à l’extérieur du centre ou à d’autres endroits dans l’immeuble, comme les toilettes. Une personne qui travaillait dans un CPS a souligné qu’elle observait « plus de gens qui fument que de gens qui s’injectent à mesure que le temps passe » et qu’un « bon quart » des surdoses lors desquelles elle était intervenue étaient attribuables à des drogues fumées. 

Implications 

Depuis quelques années, fumer est devenue la méthode préférée pour l’usage de drogues dans de nombreuses parties du Canada. À cause de cette contamination croissante des drogues non réglementées et de ce mouvement vers les drogues fumées, le nombre de surdoses liées à cette méthode a augmenté considérablement. Dans certaines provinces, fumer est maintenant la méthode la plus associée aux décès dus à la toxicité des drogues. Les programmes de réduction des méfaits et de sensibilisation n’ont toutefois pas suivi cette évolution, ce qui a créé d’importants obstacles pour les personnes qui fument de la drogue. 

Cette étude met en lumière l’importance d’adapter les programmes et pratiques de réduction des méfaits pour répondre aux besoins des personnes qui fument de la drogue. Voici quelques recommandations à cet égard : 

  • Sensibiliser les gens au risque de surdose lié aux drogues fumées et les informer au sujet des pratiques plus sécuritaires : Il est important que les gens sachent que fumer de la drogue n’offre pas de protection contre les surdoses. Il est également important de souligner les pratiques d’utilisation plus sécuritaires, comme éviter de partager son matériel pour fumer de la drogue. 
  • Distribuer du matériel permettant de fumer de la drogue de manière plus sécuritaire : Ce matériel est offert dans de nombreuses parties du Canada, mais pas toutes. Là où il est offert, les quantités ne sont pas toujours suffisantes. S’assurer l’accès des personnes qui fument à du matériel plus sécuritaire peut réduire les risques associés au partage de matériel, y compris les surdoses et les infections par le virus de l’hépatite C. 
  • Adapter les services de consommation supervisée (SCS) pour permettre l’inhalation : En novembre 2023, seuls deux des 39 SCS actifs au Canada permettaient que les gens fument de la drogue2, ce qui privait ceux-ci de l’accès à un espace sécuritaire pour le faire.
  • Mettre sur pied des programmes d’approvisionnement plus sécuritaire qui fournissent des drogues fumables : L’accès à l’approvisionnement plus sécuritaire est limité au Canada. Comme la plupart des programmes n’offrent pas de drogues fumables, cela exclut les gens qui préfèrent celles-ci des services relevant de cette approche. 

Limites

Comme la plupart des personnes figurant dans cette étude vivaient dans le centre-ville de Vancouver, il est possible que leurs expériences et perspectives ne reflètent pas nécessairement celles des personnes qui utilisent des drogues dans d’autres parties du Canada, notamment celles habitant des régions rurales ou éloignées. Les auteur·e·s ont également souligné que leur échantillon ne représentait pas nécessairement des groupes touchés de façon disproportionnée par les surdoses de drogues fumées, tels que les personnes noires et les Autochtones. 

RÉFÉRENCES :

  1. Parent S, Papamihali K, Graham B et al. Examining prevalence and correlates of smoking opioids in British Columbia: opioids are more often smoked than injected. Substance Abuse Treatment, Prevention, and Policy. 2021;6:1-9. 
  2. Ivsins A, Bonn M, McNeil R et al. A qualitative study on perceptions and experiences of overdose among people who smoke drugs in Vancouver, British Columbia. Drug and Alcohol Dependence. 2024 May;258:111275.