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L’hépatite C n’est pas communément considérée comme une infection transmissible sexuellement, car elle se transmet généralement par contact de sang à sang. Cependant, la transmission sexuelle de l’hépatite C est un problème croissant chez certains hommes gais et bisexuels et hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (hommes gbHARSAH). Au cours des deux dernières décennies, la transmission sexuelle de l’hépatite C est survenue principalement chez les hommes gbHARSAH qui vivent avec le VIH. Récemment, un nombre faible, mais croissant d’hommes gbHARSAH séronégatifs pour le VIH ont contracté l’hépatite C. Le présent article passe en revue les modes de transmission sexuelle de l’hépatite C, les types de relations sexuelles propices à cette transmission et les taux de transmission sexuelle de l’hépatite C chez les hommes gbHARSAH. Il présente également des stratégies visant à réduire la probabilité de transmission sexuelle de ce virus et des recommandations destinées aux fournisseurs de services qui traitent les hommes gbHARSAH.
La consommation de drogues, et notamment de drogues injectables, est un vecteur bien compris de transmission de l’hépatite C. Il n’en va pas de même pour la transmission sexuelle de l’hépatite C. Les données probantes indiquent que la transmission sexuelle de l’hépatite C chez les couples hétérosexuels est rare1. Cependant, comme nous le verrons plus loin, la transmission sexuelle de l’hépatite C peut se produire chez les hommes gbHARSAH. Par ailleurs, l’adoption d’autres pratiques sexuelles par les hommes gbHARSAH2 avec un recours à de nouvelles approches de prévention du VIH (comme la PrEP) peut avoir une incidence sur les taux de transmission sexuelle de l’hépatite C.
Le Modèle directeur pour guider les efforts d’élimination de l’hépatite C au Canada indique que les hommes gbHARSAH constituent une nouvelle population prioritaire sur le plan des initiatives d’éradication de l’infection à l’hépatite C. D’après le modèle directeur, la transmission par voie sexuelle et celle qui s’effectue par le biais de la consommation de drogue sont les principaux facteurs de risque d’infection par l’hépatite C chez les hommes gbHARSAH3. Cela dit, l’infection par l’hépatite C n’est pas universellement considérée comme une priorité sur le plan des services de santé et de sensibilisation en matière sexuelle destinés aux hommes gbHARSAH.
Il est difficile de comprendre le risque de transmission sexuelle chez les hommes gbHARSAH, et notamment de distinguer les risques de transmission de l’hépatite C par voie sexuelle de ceux qui sont liés à la consommation de drogue. Dans les études dont il est question dans le présent article, les renseignements relatifs à la consommation de drogue sont souvent fondés sur des données fournies par les sujets eux-mêmes, ce qui peut donner lieu à une sous-estimation du fait de la stigmatisation associée à la consommation de drogue.
L’hépatite C se transmet généralement par contact direct de sang à sang. C’est ce qui se produit lorsque le sang d’une personne entre en contact avec le sang d’une personne infectée par l’hépatite C à la suite d’une coupure ou d’une déchirure de la peau ou des muqueuses. Au Canada, le mode le plus courant de contamination par l’hépatite C est le partage de fournitures servant à l’injection de drogue7. L’hépatite C peut aussi se transmettre lorsque des personnes partagent du matériel servant à fumer une drogue, comme des pipes et des embouts buccaux8, et éventuellement lorsqu’elles utilisent les mêmes pailles pour sniffer une drogue9.
Bien que l’hépatite C ne se transmette pas aussi facilement par voie sexuelle que le VIH et l’hépatite B10, le virus de l’hépatite C peut pénétrer dans l’organisme par les muqueuses rectales pendant les rapports sexuels. On suppose que le virus de l’hépatite C pénètre dans l’organisme par une déchirure de la muqueuse du rectum ou d’une plaie causée par une ITS ulcéreuse, comme la syphilis. Le virus peut être introduit dans le rectum par le pénis, une main (pendant le fisting/pénétration anale du poing) ou un jouet sexuel portant des traces de sang contaminé par l’hépatite C6. Des données indiquent également que les concentrations du virus de l’hépatite C dans le sperme11 et les sécrétions rectales12 de certains hommes gbHARSAH vivant avec le VIH sont suffisamment élevées pour qu’il y ait transmission du virus (notons que l’hépatite C a été détectée dans le sperme11 et les sécrétions rectales12 d’hommes gbHARSAH présentant des charges virales du VIH détectables et indétectables).
Un ensemble de facteurs ont été corrélés avec la transmission sexuelle de l’hépatite C5,6. Pour qu’il y ait transmission sexuelle de l’hépatite C, il faut qu’il y ait exposition au virus de l’hépatite C dans une ou plusieurs des situations suivantes :
Consommation de drogue et relations sexuelles
En cas de consommation de drogue, il est difficile de déterminer dans quelle mesure ladite consommation ou les rapports sexuels contribuent à la transmission de l’hépatite C. On notera, par exemple, que les expressions « Party and Play » ou « chemsex » caractérisent les situations dans lesquelles des hommes gbHARSAH consomment certaines drogues avant ou pendant les rapports sexuels afin de faciliter, de prolonger ou d’intensifier les échanges sexuels. Le risque de transmission de l’hépatite C dans le cadre d’un « Party and Play » est double puisque celle-ci peut s’effectuer par le biais de la consommation de drogue et par les rapports sexuels. Des personnes qui partagent du matériel de consommation de drogue peuvent contracter l’hépatite C. Il existe également un risque que le « booty bumping » ou le « boofing » (insertion de drogues dans le rectum) endommage ou irrite le tissu rectal, ce qui peut augmenter le risque de transmission sexuelle de l’hépatite C13. La pratique du « Party and Play » est également associée à des types de relations sexuelles qui recoupent les facteurs de risque de transmission sexuelle de l’hépatite C. Par exemple, les hommes gbHARSAH qui s’adonnent au « Party and Play » sont plus susceptibles d’avoir des relations sexuelles anales sans condom avec un ou plusieurs partenaires et de prendre part à du sexe en groupe que les hommes gbHARSAH qui ne s’y adonnent pas14. Il est donc difficile de déterminer si les nouvelles infections par l’hépatite C chez les hommes gbHARSAH qui pratiquent le « Party and Play » ont été contractées par le biais de la consommation de drogue ou des relations sexuelles.
Hommes gbHARSAH qui vivent avec le VIH
Au début des années 2000, on a commencé à signaler des éclosions d’hépatite C dans les populations d’hommes gbHARSAH vivant avec le VIH dont la grande majorité ne signalait pas les facteurs de risque classiques de transmission par le sang, comme la consommation de drogue injectable ou les soins médicaux ou dentaires dans les pays où les mesures de prévention universelles de l’infection par l’hépatite C n’ont pas été adoptées de manière systématique6,15. Il s’agissait des premiers cas donnant à penser que l’hépatite C pouvait se transmettre par voie sexuelle. Progressivement, à mesure que des recherches sur les taux d’infections par l’hépatite C chez les hommes gbHARSAH vivant avec le VIH ont été publiées dans le monde entier, il a été admis que les rapports sexuels étaient une voie de transmission de l’hépatite C chez les hommes gbHARSAH vivant avec le VIH6,10,16.
Les résultats de deux revues systématiques internationales indiquent que le taux de prévalence de l’hépatite C chez les hommes gbHARSAH séropositifs pour le VIH sans antécédents d’injection de drogue est d’environ sept sur 10017,18. Ce chiffre est supérieur au taux de prévalence estimé de cinq sur 100 parmi les hommes gbHARSAH atteints ou non du VIH d’après les résultats d’un sondage effectué dans cinq villes du Canada19.
D’après une revue systématique internationale, le taux approximatif de nouvelles infections par l’hépatite C est de 6,4 par 1000 années-personnes chez les hommes gbHARSAH qui vivent avec le VIH17. Dans le cadre d’une autre revue systématique, le taux estimé de nouvelles infections par l’hépatite C chez les hommes gbHARSAH qui vivent avec le VIH était légèrement supérieur, soit 7,8 sur 1000 années-personnes, mais le critère de la consommation de drogue injectable n’avait pas été exclu de cette analyse20. On a constaté une tendance à l’augmentation graduelle du nombre de nouvelles infections par l’hépatite C chez les hommes gbHARSAH séropositifs pour le VIH20. Une analyse canadienne de données recueillies en Ontario (entre 2000 et 2010) fait état de 5,1 nouveaux cas d’hépatite C sur 1000 années-personnes chez les hommes gbHARSAH séropositifs pour le VIH sans antécédents autodéclarés d’injection de drogue21.
Les cas de réinfection par l’hépatite C constituent également une préoccupation, car une personne qui a été guérie de l’hépatite C ou qui a spontanément éliminé le virus peut contracter à nouveau l’infection si elle est à nouveau exposée au virus. Des taux élevés de réinfection ont été enregistrés parmi les hommes gbHARSAH vivant avec le VIH. Une revue des études de recherche menées en Amérique du Nord et en Europe a fait état de 100 à 150 réinfections par l’hépatite C par 1000 années-personnes chez les hommes gbHARSAH qui vivent avec le VIH22. Ces statistiques montrent que certains hommes gbHARSAH vivant avec le VIH s’exposent à un risque élevé et permanent de réinfection par l’hépatite C.
Hommes gbHARSAH séronégatifs pour le VIH
Les taux de nouvelles infections par l’hépatite C sont beaucoup plus faibles chez les hommes gbHARSAH séronégatifs pour le VIH que chez les hommes gbHARSAH séropositifs pour le VIH. Ces taux sont compris entre 0,4 et 1,5 nouvelle infection par l’hépatite C par 1000 années-personnes chez les hommes gbHARSAH séronégatifs pour le VIH16.
Des cas d’infections par l’hépatite C transmises sexuellement ont récemment été signalés chez des hommes gbHARSAH séronégatifs pour le VIH qui recevaient une PrEP pour prévenir l’infection au VIH5,15,16. Une méta-analyse portant sur des essais relatifs à la PrEP fait état de 13 nouvelles infections par l’hépatite C par 1000 années-personnes23. Dans le cadre d’une étude française, on a constaté une nette augmentation de l’incidence de l’hépatite C chez les hommes gbHARSAH suivant une PrEP : on dénombrait 3 nouvelles infections par 1000 années-personnes en 2016 contre 34 nouvelles infections par 1000 années-personnes en 201724. D’après les résultats d’une étude récente menée à Toronto, le taux de nouvelles infections par l’hépatite C chez les personnes recevant une PrEP était plus faible, mais encore élevé, soit 7 nouvelles infections par 1000 années-personnes25.
Il est important de signaler que, contrairement aux études sur les infections à l’hépatite C menées auprès d’hommes gbHARSAH vivant avec le VIH, les études récentes sur les infections par l’hépatite C menées chez des hommes gbHARSAH recevant une PrEP incluaient des individus qui déclaraient consommer une drogue. La consommation de drogue est généralement reconnue comme un facteur contribuant aux infections par l’hépatite C chez les hommes gbHARSAH qui reçoivent une PrEP, notamment dans le cadre du « Party and Play »16.
Un autre facteur contributif tient au fait que les hommes gbHARSAH suivant une PrEP sont plus susceptibles de passer un test routinier de dépistage de l’hépatite C parce qu’en pareil cas le dépistage systématique des ITS et de l’hépatite C est une pratique courante, et qu’il est donc plus probable qu’ils reçoivent un diagnostic d’hépatite C que les hommes gbHARSAH qui ne reçoivent pas de PrEP. Cela signifie également que les hommes gbHARSAH suivant une PrEP sont plus susceptibles de recevoir des soins et d’être guéris de l’infection par l’hépatite C en temps opportun.
D’après les études de recherche sur la réinfection par l’hépatite C menées chez des hommes gbHARSAH suivant une PrEP, ces derniers présentent un risque élevé de réinfection. Des études portant sur la PrEP menées en France et aux Pays-Bas font état de 10 nouvelles infections par l’hépatite C par 1000 années-personnes pour la première infection par l’hépatite C, mais de 250 nouvelles infections par l’hépatite C par 1000 années-personnes chez les individus ayant déjà contracté l’hépatite C16.
Prises globalement, ces études montrent que la transmission sexuelle de l’hépatite C survient principalement chez les hommes gbHARSAH vivant avec le VIH, et que le nombre d’infections par l’hépatite C a récemment augmenté chez les hommes gbHARSAH séronégatifs quant au VIH et suivant une PrEP5. Ces études établissent également qu’il existe un risque élevé et permanent de réinfection par l’hépatite C chez certains hommes gbHARSAH.
Il existe plusieurs hypothèses quant aux raisons pour lesquelles les hommes gbHARSAH vivant avec le VIH sont touchés de manière disproportionnée par la transmission sexuelle de l’hépatite C comparativement aux hommes gbHARSAH non porteurs du VIH. Certaines des raisons peuvent être liées au fait d’être porteur du VIH. Par exemple, le VIH peut contribuer à une détérioration de la muqueuse rectale de la personne porteuse de ce virus, ce qui peut faciliter la transmission du virus de l’hépatite C durant les relations sexuelles anales réceptives6,10. Par ailleurs, les preuves sont contradictoires quant à la question de savoir si une personne présentant un faible nombre de lymphocytes CD4 peut être plus vulnérable à l’infection par l’hépatite C du fait de son immunosuppression6,16.
Une autre hypothèse visant à expliquer les taux plus élevés d’hépatite C chez les hommes séropositifs pour le VIH serait que le VIH est plus infectieux sur le plan sexuel que l’hépatite C, de sorte que les hommes gbHARSAH ayant des relations sexuelles propices à la transmission des deux infections sont plus susceptibles de contracter le VIH avant l’hépatite C6,15. Selon une autre hypothèse, les taux plus élevés d’hépatite C chez les hommes gbHARSAH séropositifs quant au VIH seraient l’effet du hasard6,15. Une fois que le virus de l’hépatite C s’est propagé dans la population des hommes gbHARSAH vivant avec le VIH, il est possible que l’hépatite C devienne « circonscrite » parmi les hommes gbHARSAH vivant avec le VIH par des phénomènes comme le « triage sérologique » (les personnes vivant avec le VIH choisissent de n’avoir des relations sexuelles qu’avec des personnes qui ont aussi le VIH)6,10,15. Les travaux de recherche qui ont servi à analyser les souches de virus de l’hépatite C en vue de reconstituer les profils d’infections confirment cette hypothèse. Il semble qu’il y ait eu une propagation rapide des souches du virus de l’hépatite C spécifiques des hommes gbHARSAH en Europe après 1996, c’est-à-dire après la mise en marché d’un traitement antirétroviral hautement efficace contre le VIH6,26. Les études révèlent également que l’hépatite C se transmettait parmi les hommes gbHARSAH vivant avec le VIH, et que le recoupement avec les souches du virus de l’hépatite C circulant parmi les réseaux d’utilisateurs de drogue injectable était infime26.
Depuis qu’il existe de nouvelles stratégies très efficaces de prévention de la transmission du VIH, comme la PrEP et le maintien d’une charge virale indétectable, les réseaux sexuels d’hommes gbHARSAH qui sont ou non porteurs du VIH semblent se recouper davantage. Les études concernant les souches du virus de l’hépatite C ont révélé que les hommes gbHARSAH séronégatifs quant au VIH qui suivent une PrEP (ou sont candidats à la PrEP) sont porteurs de souches du virus de l’hépatite C qui circulent dans les réseaux d’hommes gbHARSAH séropositifs pour le VIH5,16. La PrEP est recommandée pour les hommes gbHARSAH jugés à risque de contracter le VIH, y compris ceux qui ont des rapports sexuels sans condom et/ou qui ont contracté une ITS4. Ces facteurs peuvent également accroître le risque de transmission sexuelle de l’hépatite C, ce qui permet probablement d’expliquer que les taux de nouvelles infections par l’hépatite C soient plus élevés chez les hommes gbHARSAH qui prennent une PrEP que chez les hommes gbHARSAH séronégatifs quant au VIH qui ne prennent pas de PrEP.
Intégrer la sensibilisation à l’hépatite C aux services de santé sexuelle et de lutte contre le VIH existants destinés aux hommes gbHARSAH :
Intégrer les services de dépistage de l’hépatite C aux services de santé sexuelle et de lutte contre le VIH existants :
Intégrer les services et programmes de santé sexuelle et de réduction des méfaits aux services offerts aux hommes gbHARSAH :
Références
Rivka Kushner est spécialiste en connaissances, hépatite C, chez CATIE. Elle détient une maîtrise en santé publique en promotion de la santé de l’Université de Toronto. Avant de se joindre à l’équipe de CATIE, Rivka a travaillé sur des projets provinciaux et nationaux de recherche et d’échange des connaissances se rapportant à la santé sur les lieux de travail et à la durabilité environnementale.