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L’usage de stimulants, et en particulier de méthamphétamine, est en hausse au Canada. Or, malgré cette augmentation, les personnes qui utilisent des stimulants n’ont jamais été jugées prioritaires dans les programmes et services de réduction des méfaits. Les programmes ont donc dû adapter leur mode de prestation de services pour mieux prendre en compte leurs besoins éventuels en matière de santé et de soutien au comportement.

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Nous avons interrogé les représentant·e·s de trois programmes offrant des services aux personnes qui utilisent des stimulants en Ontario et au Manitoba afin de mieux connaître leur offre, leur mode de fonctionnement et les difficultés et leçons tirées de leur travail. 

  • Maticus Adams, coordonnataire des programmes de réduction des méfaits, MAX Ottawa, Ottawa, Ontario 

  • Sarah Hansen, gestionnaire du projet Meeting the Moment, centre de santé communautaire Nine Circles, Winnipeg, Manitoba 

  • Tomas Mirabelli, Tomas Mirabelli, coordonnataire du centre de jour, St. Stephen’s Community House 

Maticus Adams, coordonnataire des programmes de réduction des méfaits, MAX Ottawa, Ottawa, Ontario

Dans votre communauté, quels sont les besoins des personnes qui utilisent des stimulants?

L’un des plus importants qui nous a été communiqué par les membres de la communauté, c’est le fait d’avoir accès à des premiers soins en santé mentale pour les personnes qui utilisent des stimulants, surtout en cas d’intoxication sévère, de paranoïa, de détresse émotionnelle ou de psychose. Les personnes qui s’adonnent au party and play (PnP) ou qui utilisent des drogues pour faciliter ou améliorer leurs activités sexuelles veulent pouvoir gérer ces situations, particulièrement lors d’évènements où le PnP aura lieu. Les gens craignent les représailles ou les accusations de policiers, qui pourraient venir avec l’ambulance, lorsque quelqu’un appelle le 911 pour une personne en détresse après avoir utilisé un stimulant (comme le crystal meth).

Pour le moment, la pratique courante consiste à essayer de calmer la personne en détresse, et les gens voudraient savoir comment le faire. Si l’on est incapable de gérer les comportements instables des personnes qui utilisent des stimulants, ces dernières pourraient se faire expulser des évènements, ce qui entraînera des complications (se faire arrêter par la police, s’égarer, perdre ses biens, causer des problèmes aux organisateurs, etc.). Prendre soin des autres est depuis longtemps une pratique solidement ancrée dans la communauté des personnes qui participent au PnP. Nous voulons mieux les outiller afin qu’elles puissent continuer à s’y adonner.

Que fait votre organisme pour fournir des services aux personnes qui utilisent des stimulants? Quels changements ont été apportés à vos services, le cas échéant, pour mieux répondre à leurs besoins?

À MAX, nous comptons sur un comité consultatif composé de personnes issues du milieu du PnP pour nous donner leur avis sur nos programmes s’adressant aux personnes qui s’adonnent à cette pratique et nous informer des besoins de la communauté.

Notre programme Tea 2 Go nous permet de leur offrir du matériel de réduction des méfaits, notamment pour la prévention des surdoses, des relations sexuelles protégées et l’injection d’hormones à moindre risque. Nous avons créé le programme en pensant à eux et en le voulant le plus accessible possible. Nous permettons donc à la clientèle de commander le matériel à l’aide d’un formulaire en ligne sous le couvert d’un pseudonyme – aucune adresse courriel ni inscription n’est nécessaire. Il est possible de se faire livrer sa commande à Ottawa et dans la région desservie par les Services de soutien à domicile et en milieu communautaire Champlain ou de venir chercher la commande à nos bureaux. Le tout est emballé dans des sacs en papier et des boîtes neutres à des fins de discrétion (pourrait ressembler à un achat en ligne).

Nous reprenons également les activités du Tea Party, notre groupe de soutien bimensuel sans engagement animé par des pairs. Les personnes qui s’adonnent au PnP peuvent venir y raconter leur expérience, tisser des liens avec d’autres membres de la communauté et parler de sujets qui leur tiennent à cœur. Les sujets sont choisis par les pairs animateurs et peuvent couvrir l’utilisation de stimulants ou d’autres sujets pertinents.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées en offrant ces services?  Quelles leçons pourriez-vous transmettre à ceux et celles qui travaillent auprès des personnes qui consomment des stimulants?

On perd parfois de vue la conversation sur les stimulants, car tellement d’attention est accordée aux opioïdes (avec raison) à cause de la crise actuelle d’empoisonnement des drogues et de toutes les vies fauchées. Comme les personnes qui utilisent des stimulants ne se sentent souvent pas concernées, je suggère donc que les programmes qui s’adressent à elles affichent clairement leurs publics cibles.

Sarah Hansen, gestionnaire du projet Meeting the Moment, centre de santé communautaire Nine Circles, Winnipeg, Manitoba

Dans votre communauté, quels sont les besoins des personnes qui utilisent des stimulants?

Chapeauté par le centre de santé communautaire Nine Circles à Winnipeg, au Manitoba, le projet pilote Meeting the Moment (MTM) s’adresse aux personnes qui utilisent des drogues ou qui sont en situation de logement précaire ou d’exclusion sociale et qui vivent au cœur de Winnipeg (centre-ville et Point Douglas). Cette communauté connaît des problèmes de racisme, de pauvreté, de précarité du logement, d’utilisation de stimulants et d’autres substances et d’infections transmissibles sexuellement et par le sang.

Les personnes qui utilisent des stimulants et d’autres substances éprouvent d’importantes difficultés d’accès aux soins de santé et elles sont souvent incapables de se rendre dans un établissement de soins pour un rendez-vous. Parmi ces difficultés figurent les problèmes de santé mentale, la dépendance, les traumatismes et la discrimination. Le programme les aide donc à obtenir des soins primaires pluridisciplinaires qui répondront à leurs besoins de santé.

La moitié des usagers et usagères de MTM affirment utiliser des substances, la plus fréquente étant la meth (36 %), suivie par l’alcool (19 %). La meth crée une forte dépendance et il est très difficile d’en arrêter l’utilisation. Contrairement à d’autres substances comme les opioïdes, il n’existe pas encore de pharmacothérapie de remplacement ou de thérapie à base de médicaments approuvée pour la meth. Pour offrir des soins, il faut d’abord aller à la rencontre des gens et bâtir une relation thérapeutique de confiance.

Que fait votre organisme pour fournir des services aux personnes qui utilisent des stimulants? Quels changements ont été apportés à vos services, le cas échéant, pour mieux répondre à leurs besoins?

Le projet MTM s’associe à des organismes communautaires pour mettre à l’essai et évaluer des services pluridisciplinaires à bas seuil d’accessibilité offerts dans la communauté (centres communautaires, refuges et hébergement d’urgence pour adultes et jeunes, intervention de rue, etc.) qui faciliteront l’accès aux soins et permettront de rejoindre les gens.

En plus de l’intervention de rue et des services de réduction des méfaits, le programme offre des soins primaires, le traitement de la dépendance et des services socioculturels. Nous tentons d’orienter les gens vers des prestataires de soins primaires ou des spécialistes pour le suivi des problèmes de santé chroniques ou complexes. Le programme propose également du matériel de réduction des méfaits comme des trousses d’injection à moindres risques, des pipes à crystal et des pipes à crack.

Toutes les personnes membres de l’équipe se font enseigner comment reconnaître les signes d’une surdose de stimulants et d’une psychose déclenchée par la meth et comment intervenir dans ces deux situations. Elles connaissent également les ressources offertes dans la ville pour aider les personnes en crise ou ayant des besoins en santé mentale, ou alors elles reçoivent une formation sur les premiers soins en santé mentale. Nous réfléchissons également à d’autres possibilités d’aide d’urgence qui n’impliquent pas la police ou les ambulanciers, comme des personnes qui transporteraient les gens aux services d’urgence et qui attendraient avec eux. Les membres de l’équipe (dont l’ensemble de l’équipe pluridisciplinaire) se voient offrir diverses possibilités de formation sur des sujets tels que l’introduction à la réduction des méfaits, l’utilisation de naloxone et la prévention des surdoses, les soins tenant compte des traumatismes, la résolution de conflits et les apprentissages culturels (par exemple, la cueillette dans la nature de plantes ou d’autres éléments naturels comme ceux du cèdre).

Le projet MTM fait participer les pairs (faisant partie de la population prioritaire) de façon significative à tous les niveaux du projet, y compris l’élaboration, la promotion, la mise en œuvre et l’évaluation. L’équipe de travail social a par ailleurs créé une séance de formation pour les pairs qui couvre des sujets comme le genre, les espaces sûrs, l’inclusivité, l’équité, la sensibilité culturelle, la stigmatisation, la confidentialité, les notions de pouvoir et de privilège, les limites, les principes de la réduction des méfaits, les approches autochtones de la réduction des méfaits, la consommation de substances en milieu autochtone et les bases à propos du VIH.

On constate un renforcement des capacités entre les membres de l’équipe, les organismes communautaires et la clientèle – une sorte de mentorat mutuel à travers lequel nous apprenons ensemble à aider notre communauté.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées en offrant ces services?  Quelles leçons pourriez-vous transmettre à ceux et celles qui travaillent auprès des personnes qui consomment des stimulants?

Difficultés :

  • Beaucoup de nos usagers et usagères ont éprouvé de la discrimination et des traumatismes dans les établissements de soins de santé et ont donc un grand besoin de soutien et d’encouragement pour répondre à leurs besoins de santé urgents. Ils refusent le transport en ambulance.
  • Comme MTM est un projet pilote, le modèle de financement nous contraint à offrir des interventions deux jours par semaine seulement, et nous ne pouvons que proposer des soins ponctuels de courte durée. Nous essayons de diriger les gens vers des prestataires de soins primaires (PSP) ou des spécialistes pour le suivi des soins de routine ou pour le traitement de problèmes chroniques ou complexes, mais il manque de PSP et ceux et celles qui exercent n’ont pas la capacité d’offrir tous les services nécessaires.
  • La COVID-19 a retardé des interventions et a exercé une pression supplémentaire sur les services sociaux et de santé, ce qui nous a causé certains retards.
  • Il y a une forte demande de services de la part de la communauté et des organismes, et nous peinons à y répondre.  

Leçons apprises :

  • Les stimulants peuvent provoquer un état d’agitation ou d’anxiété et peuvent être liés à des épisodes de psychose. Ces expériences amènent certaines personnes à réagir de manière agressive, parfois par peur. Les prestataires de services doivent recevoir une formation pour savoir désamorcer sécuritairement les situations susceptibles de comporter de l’agressivité ou de la violence, et doivent avoir prévu un plan d’urgence si le désamorçage ne fonctionne pas.
  • Il est important d’avoir une équipe pluridisciplinaire comprenant un·e prescripteur·trice (infirmier·ère praticien·ne ou médecin), un·e agent·e de soutien culturel, un·e pair aidant·e, un·e travailleur·euse social·e et du personnel infirmier. Les usagers et usagères apprécient l’accès à une telle équipe et en profitent grandement.
  • Combinées, la dépendance, la pauvreté, la précarité du logement et les injustices sociales augmentent le risque d’une mauvaise santé chez les gens. Si nous voulons aider nos usagers et usagères, il est essentiel de reconnaître ce fait et de fournir des soins sans jugement, en tenant compte des traumatismes individuels et en appliquant une approche de réduction des méfaits.
  • Comme la collaboration avec les pairs est nouvelle pour nous, il y a eu énormément d’apprentissages, autant de notre côté que du leur. Leur implication nourrit notre démarche et suscite la confiance au sein de la communauté. À ce jour, nous avons surtout retenu que nous devions prendre les décisions de concert avec les pairs à tous les niveaux, rechercher activement les commentaires et y être réceptifs, et envisager les interactions avec compassion et humilité.
  • Il semble que le fait d’offrir des services flexibles et répondant aux besoins de la communauté en dehors des structures de santé habituelles soit une façon prometteuse d’améliorer l’accès aux soins et de réduire les obstacles.

Tomas Mirabelli, coordonnataire du centre de jour, St. Stephen’s Community House

Dans votre communauté, quels sont les besoins des personnes qui utilisent des stimulants?

Notre communauté avait notamment besoin d’un lieu sécuritaire pour les personnes qui utilisent du crystal meth, comme un centre de jour ouvert l’après-midi. Il était important d’avoir un tel endroit, car les services s’adressant à ces personnes se font rares dans la région, et nous voulions offrir un programme à bas seuil d’accessibilité. Il est primordial que ces personnes aient leur propre espace où elles se sentent libres d’être elles-mêmes et où elles sont entourées de pairs qui ne les jugeront pas. Les usagers et usagères doivent se sentir libres de s’exprimer et le personnel qualifié de notre organisme est là pour les soutenir et les écouter.

Que fait votre organisme pour fournir des services aux personnes qui utilisent des stimulants? Quels changements ont été apportés à vos services, le cas échéant, pour mieux répondre à leurs besoins?

Notre organisme a décidé de réserver trois plages horaires l’après-midi, de midi à quinze heures, les lundi, mercredi et vendredi, pour les personnes qui utilisent du crystal meth. Pendant ces heures d’accueil, nous nous efforçons de rendre l’espace plus confortable pour elles, en tamisant les lumières par exemple ou en nous assurant que des pièces calmes sont disponibles. Nous avons aussi mis sur pied un groupe de cyclistes, des groupes d’art et des séances d’assemblage de trousses de réduction des méfaits pendant ces plages horaires. Finalement, nous mettons à leur disposition des douches et un service de lessive.

Du personnel assure la continuité sur place, mais ce sont des pairs qui gèrent le service et qui vont vers les gens. Un médecin rencontre des patient·e·s sur place le lundi et un·e infirmier·ère est présent·e quatre jours par semaine.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées en offrant ces services? Quelles leçons pourriez-vous transmettre à ceux et celles qui travaillent auprès des personnes qui utilisent des stimulants?

La COVID-19 nous a obligé·e·s à réduire le nombre de personnes qui peuvent entrer sur les lieux. Nous avons également dû assurer les gens que la police ne serait pas présente sur place et que l’espace était sécuritaire pour tout le monde.

À travers cette expérience, nous avons appris qu’il faut du temps pour mettre en place un programme destiné aux personnes qui utilisent du crystal meth et que cela implique d’apporter quelques changements dans la manière dont les programmes sont dispensés. Quelques autres leçons que nous avons tirées :

  • Lorsque nous nous préparons à fermer le centre de jour, il faut donner aux gens plus de temps pour se préparer à partir et rassembler leurs affaires que pour les autres client·e·s. Plutôt que d’annoncer la fermeture 15 minutes avant la fin, nous avertissons maintenant les gens une heure à l’avance.
  • Lorsqu’une personne parle, il est important de la laisser terminer ce qu’elle a commencé à dire et de ne pas l’interrompre en présumant avoir déjà compris ses propos. On renforce ainsi la relation et on lui permet de s’exprimer.

Nous ne disons jamais « oui » si nous doutons de la réponse à une question qu’on nous pose. Ainsi, on évite les déceptions lorsqu’un problème ne peut être résolu comme on l’aurait espéré. Nous préférons dire que nous allons voir ce que nous pouvons faire ou que nous allons creuser la question, puis nous faisons un suivi avec un plan. Nous nous efforçons de ne jamais décevoir quelqu’un, car cela pourrait nuire au rapport et à la confiance que nous avons bâtis jusqu’à présent.