Au-delà des patients de Berlin, de Londres et de Düsseldorf

Les résultats obtenus auprès des patients de Londres et de Düsseldorf dont nous parlons dans ce numéro de TraitementActualités, sans mentionner le cas célèbre du patient de Berlin, sont très enthousiasmants. Si l’on continue de ne déceler aucune trace de VIH dans les échantillons de sang et de tissus des patients de Londres et de Düsseldorf sur une période de plusieurs années encore, il est possible que les deux hommes soient déclarés guéris. Si cela se produit, un total de trois patients séropositifs auront guéri du VIH.

Qu’en est-il des autres personnes séropositives?

D’autres tentatives de guérir des personnes séropositives à l’aide de greffes de cellules souches porteuses de la mutation rare delta-32 ont été effectuées. Les systèmes immunitaires qui se créent à partir de ces cellules souches transplantées n’ont pas de corécepteur CCR5 (R5) et sont par conséquent résistants à la plupart des souches du VIH. Dans le passé, de nombreuses tentatives ont échoué, le plus souvent parce que les personnes en question sont mortes de complications liées au cancer (des personnes séropositives atteintes de cancer ont figuré dans ces tentatives, car les greffes de cellules souches peuvent être dangereuses). Notons cependant que d’autres expériences sur la transplantation de cellules souches porteuses de la mutation delta-32 ont été menées, et il est plausible que, d’ici cinq ou dix ans, une poignée de personnes soient déclarées guéries par des chercheurs si l’on continue de ne déceler aucune trace de VIH dans leurs tissus et leur sang.

Greffes de cellules souches

Les greffes de cellules souches sont dangereuses parce qu’il faut affaiblir énormément le système immunitaire du receveur avant et après la transplantation. Ces interventions coûtent cher, nécessitent des soins médicaux et un suivi rigoureux, et les donneurs portant la mutation delta-32 sont rares. Dans les contextes de recherche où des expériences sur la guérison du VIH sont en cours, les greffes de cellules souches porteuses de la mutation delta-32 sont généralement réservées aux personnes séropositives atteintes de cancers potentiellement mortels qui n’ont pas répondu à plusieurs rondes de chimiothérapie et/ou de radiothérapie. Alors, quelles leçons les scientifiques peuvent-ils tirer des expériences menées auprès des patients de Berlin, de Londres et de Düsseldorf afin de pouvoir les appliquer de façon sécuritaire aux personnes séropositives à l’avenir? Voici quelques domaines qui pourraient connaître des changements :

Régimes de conditionnement

On utilise un régime de conditionnement avant d’effectuer une greffe de cellules souches afin d’affaiblir énormément le système immunitaire du patient. Cela est nécessaire pour empêcher le système immunitaire de s’attaquer aux cellules souches. Les régimes de conditionnement peuvent également aider à détruire les cellules résiduelles infectées par le VIH ainsi que les cellules cancéreuses.

La combinaison d’un cancer potentiellement mortel et d’interventions thérapeutiques intenses – chimiothérapie, régime de conditionnement, greffe de cellules souches, traitements immunosuppresseurs – a laissé le patient de Berlin affaibli pendant plusieurs années. Il est cependant encourageant que le patient de Londres ait reçu ce que les chercheurs ont décrit comme un « régime de conditionnement plus léger » que celui du patient de Berlin. Il est donc possible que davantage de personnes puissent survivre et s’épanouir à l’avenir après avoir reçu la combinaison d’une greffe de cellules souches, d’un régime de conditionnement et d’un traitement immunosuppresseur.

Certains chercheurs ont laissé entendre que l’on pourrait envisager de remplacer les chimiothérapies traditionnelles utilisées comme régimes de conditionnement par des traitements mieux ciblés et plus sûrs. À titre d’exemple, notons que certains chercheurs proposent que des anticorps hautement spécialisés soient utilisés pour les régimes de conditionnement. Les anticorps en question ont été créés dans le laboratoire et testés lors d’expériences sur des souris et des singes. Les anticorps ciblent et rendent inaptes des cellules clés du système immunitaire. Ils ciblent aussi une protéine se trouvant sur la surface des cellules immunitaires appelée CD117. Des essais cliniques préliminaires sur ces anticorps se poursuivent auprès de personnes séronégatives souffrant de cancer. Si le ciblage de la protéine CD117 chez les personnes séronégatives se révèle sûr et efficace comme traitement de conditionnement, il est possible que cette technique soit mise à l’épreuve chez certaines personnes séropositives qui s’apprêtent à subir une greffe de cellules souches. Il reste toutefois des questions à régler par rapport à l’utilisation de ces anticorps chez des humains, telles les suivantes :

  • Si l’on inhibe la protéine CD117, quel pourrait être l’ensemble des effets sur les cellules de la moelle osseuse et du système immunitaire?
  • Outre les cellules de la moelle osseuse, la CD117 se trouve sur un groupe de cellules appelées mastocytes qui sont largement dispersées dans le corps. En inhibant l’activité de celles-ci par l’administration d’anticorps qui s’attaquent à la CD117, on risque de nuire aux tissus dans lesquels il se trouve des mastocytes.
  • La CD117 est présente sur une grande variété de tissus, notamment certaines cellules du système nerveux central et d’autres encore des intestins, des reins, etc. Les chercheurs ne sont pas certains quels effets les anticorps contre la CD117 pourraient avoir sur ces cellules et tissus.

Pour toutes ces raisons, on attend les résultats détaillés des essais pilotes et des études d’envergure sur cet anticorps qui se poursuivent auprès de personnes séronégatives.

Maladie du greffon contre l’hôte (MGCH)

À la suite de la transplantation de cellules, de tissus ou d’organes, il arrive couramment qu’il se produise une MGCH d’une certaine intensité. Dans certains cas, le nouveau système immunitaire s’attaque à différentes parties du corps. Si la MGCH n’est pas prise en main, elle peut entraîner des conséquences potentiellement mortelles. Les médicaments immunosuppresseurs que l’on donne aux receveurs de greffes peuvent être utilisés pour aider à contrôler la MGCH.

Notons que certains chercheurs croient qu’un certain degré de MGCH peut être utile dans les cas où une personne séropositive a reçu une greffe de cellules souches. Dans le cas des patients de Berlin, de Londres et de Düsseldorf, il est possible que la MGCH ait joué un rôle pour aider le système immunitaire à débarrasser le corps des cellules infectées par le VIH. D’autres recherches et expériences sur les greffes de cellules souches et la MGCH chez les personnes séropositives sont nécessaires pour clarifier le rôle que la MGCH pourrait jouer dans les études sur la guérison du VIH.

Mutation delta-32 et autres approches

Comme nous l’avons mentionné plus tôt, la présence de la mutation delta-32 fait en sorte que les cellules n’ont pas de corécepteur CCR5 (R5). Les cellules qui n’ont pas ce corécepteur sont résistantes à la plupart des souches du VIH.

Outre les patients de Berlin, de Londres et de Düsseldorf, des cas de rémission temporaire du VIH se sont produits chez des patients séropositifs atteints de cancer qui ont reçu une greffe de cellules souches provenant d’un donneur qui n’avait pas la mutation rare delta-32. Ce résultat (rémission temporaire seulement) porte fortement à croire que la mutation delta-32 est un élément essentiel de la rémission réussie à long terme et, espérons-le, de la guérison du VIH.

Rappelons toutefois que la mutation delta-32 est rare, et il est peu probable que les greffes de cellules souches soient utilisées comme interventions de routine dans le contexte des techniques actuelles. Il est plus probable que l’on mettra à l’épreuve une variété d’approches visant la guérison du VIH au cours de la prochaine décennie. Certaines de ces approches tenteront de faire ce qui suit :

  • Utiliser des thérapies géniques pour rendre le système immunitaire résistant à la plupart des souches du VIH en les empêchant d’exprimer le corécepteur CCR5.
  • Améliorer la capacité du système immunitaire à reconnaître et à détruire les cellules infectées par le VIH grâce à des techniques comme la thérapie CAR-T (thérapie par lymphocytes T à récepteur antigénique chimérique) et les agonistes des récepteurs Toll.
  • Renforcer le système immunitaire à l’aide d’anticorps hautement efficaces qui ciblent le VIH ou des récepteurs particuliers sur les cellules immunitaires, tels les récepteurs alpha4bêta7.

À quoi s’attendre de la recherche sur la guérison du VIH?

À court terme, les résultats des expériences actuelles sur la guérison du VIH seront connus au cours des cinq prochaines années. Certaines de ces expériences portent sur des greffes de cellules souches provenant de donneurs porteurs de la mutation delta-32. D’autres expériences tentent d’obtenir le même résultat que celles portant sur la mutation delta-32 en utilisant la thérapie génique ou une combinaison des approches mentionnées ci-dessus.

Espérons que toutes ces expériences se révéleront sûres et qu’elles seront efficaces, au moins dans une certaine mesure. Les chercheurs s’inspireront de ces expériences pour raffiner leurs approches de guérison avant de procéder aux essais cliniques. Certains progrès devraient donc être accomplis au cours de la prochaine décennie.

Entre-temps, il est important que les personnes séropositives prennent soin d’elles afin qu’elles soient le plus possible en santé si elles décident de s’inscrire à des essais cliniques. Si les gens ne se portent pas volontaires pour participer aux essais cliniques sur la guérison du VIH, ce domaine de recherche ne pourra pas avancer.

Ressource

Le Consortium de recherche sur la guérison du VIH (CanCURE)

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