Le patient de Londres sera-t-il guéri du VIH?
À l’occasion de la Conférence annuelle sur les rétrovirus et les infections opportunistes qui avait lieu plus tôt cette année à Seattle, des médecins de Londres ont présenté le cas d’un homme séropositif atteint d’un cancer potentiellement mortel qui avait subi une série de traitements incluant une chimiothérapie complexe et une greffe de cellules souches.
Spécifiquement, l’homme a subi une greffe de cellules souches provenant d’un donneur qui avait une mutation génétique rare appelée delta-32. Les personnes qui portent cette mutation n’ont pas de corécepteur CCR5 (R5), lequel est nécessaire à de nombreuses souches du VIH afin qu’elles puissent infecter des cellules. Les cellules souches se sont développées avec succès dans la moelle osseuse de l’homme afin de créer un nouveau système immunitaire où il ne se trouvait plus de VIH. L’homme est maintenant dans un état de rémission par rapport au cancer et au VIH. Nous décrivons les détails de son cas dans ce rapport.
Patient de Londres
Des médecins de Londres ont rapporté les détails du cas d’un homme à l’âge inconnu qui avait reçu un diagnostic de VIH en 2003. Son compte de CD4+ le plus faible jamais atteint (nadir) avait été de 290 cellules/mm3, et sa charge virale la plus élevée avait été de 180 000 copies/ml environ. L’homme a refusé de se faire traiter jusqu’en 2012, puis a commencé par la combinaison suivante :
- éfavirenz + TDF + FTC
En décembre 2012, le patient s’est fait diagnostiquer un lymphome hodgkinien qui mettait sa vie en danger. Son cancer n’a pas répondu à plusieurs combinaisons de chimiothérapie différentes ni à l’anticorps anticancéreux brentuximab. Pendant sa chimiothérapie, sa combinaison de traitements anti-VIH (traitement antirétroviral ou TAR), a été changée pour le régime suivant :
- raltégravir (Isentress) + TDF + FTC
On croyait que ce régime à base de raltégravir serait peu susceptible d’interagir avec les médicaments figurant dans la chimiothérapie du patient.
Pour des raisons non divulguées, le TAR du patient a été interrompu pendant cinq jours, et sa charge virale a grimpé jusqu’à 1 500 copies/ml. Une analyse a révélé que le VIH du patient avait acquis une résistance à TDF et à FTC, alors les médecins lui ont prescrit un nouveau régime, que voici :
- dolutégravir (Tivicay) + rilpivirine (Edurant) + 3TC
Ce nouveau régime a réussi à supprimer la charge virale.
Grâce à une chimiothérapie additionnelle, le lymphome du patient est entré en rémission en mars 2016, comme l’ont attesté les résultats d’une tomodensitométrie et d’une tomographie par émission de positrons (PET), lesquels n’ont décelé aucune trace de cancer résiduel.
Régime de conditionnement
Entre-temps, les médecins ont trouvé un donneur qui avait la mutation rare delta-32. Pour préparer le système immunitaire du patient à recevoir une greffe de cellules souches, les oncologues lui ont donné un « régime de conditionnement » qui consistait en les médicaments suivants :
- lomustine
- cyclophosphamide
- Ara-C
- étoposide
Le régime de conditionnement est utilisé pour deux raisons : pour affaiblir considérablement le système immunitaire (afin qu’il ne s’attaque pas aux cellules souches) et pour éliminer une partie de la moelle osseuse afin que les cellules souches aient plus d’espace pour croître.
Le patient a également été traité par des perfusions intraveineuses de l’anticorps monoclonal alemtuzumab. Ce dernier se lie aux lymphocytes T mûrs et les cible pour la destruction. De cette façon, les cellules résiduelles infectées par le VIH (dont grand nombre sont des lymphocytes) ont pu être détruites. Le patient a continué de prendre son TAR.
MGCH
Après la transplantation des cellules souches, le patient a reçu de faibles doses de médicaments comme la cyclosporine et la méthotrexate. Ces médicaments sont couramment utilisés chez les receveurs de greffes parce qu’ils affaiblissent le nouveau système immunitaire (qui est créé par la greffe de cellules souches) et le rendent moins capable de s’attaquer aux tissus du receveur. On appelle ce genre d’attaque la maladie du greffon contre l’hôte (MGCH) et elle peut causer des complications graves voire potentiellement mortelles. Notons cependant que le patient de Londres se portait suffisamment bien pour quitter l’hôpital un mois après sa greffe de cellules souches.
Au 77e jour suivant la greffe, le patient a consulté pour une fièvre et des symptômes gastro-intestinaux non spécifiés. Des biopsies intestinales ont révélé qu’il avait des lésions liées à la MGCH. Ce problème s’est toutefois résolu sans qu’il ait été nécessaire d’intensifier sa dose de médicaments immunosuppresseurs.
Six mois après la greffe, les médecins ont cessé de prescrire la cyclosporine parce qu’ils ne se préoccupaient plus de la MGCH.
Tests immunologiques et autres
Un mois après la greffe, des tests ont révélé que le nouveau système immunitaire du patient avait été créé grâce à la greffe de cellules souches. De plus, son nouveau système immunitaire, et plus particulièrement les cellules CD4+ et CD8+, n’avaient pas de corécepteurs CCR5. Dans l’ensemble, les taux de globules blancs et de lymphocytes du patient se trouvaient dans la fourchette de valeurs normales. Son compte de CD4+ est toutefois demeuré faible, soit environ 300 cellules/mm3 lors de son dernier test.
La charge virale en VIH du patient était indétectable après la greffe, comme le révélait un test ultrasensible ayant un seuil de détection inférieur de 1 copie/ml.
En septembre 2017, l’homme et ses médecins ont décidé de ne plus utiliser de TAR.
Interruption du traitement
Après l’interruption du TAR, le patient a commencé à passer des tests sanguins hebdomadaires pour vérifier sa charge virale. Pendant les trois premiers mois de l’interruption du traitement, les chercheurs ont trouvé que sa charge virale était inférieure à 1 copie/ml (limite de détection inférieure de l’épreuve utilisée pour la recherche). Depuis le troisième mois suivant l’interruption du TAR, la charge virale du patient est vérifiée une fois par mois et elle continue de rester inférieure à 1 copie/ml jusqu’à ce jour.
Les médecins ont également analysé le sang du patient à plusieurs reprises et n’ont pas trouvé de trace de TAR.
Près de mille jours après la greffe, les techniciens ne pouvaient déceler aucune trace du matériel génétique du VIH dans les cellules du patient. De plus, lors d’une analyse ayant recours à des méthodes ultrasensibles, ils ont détecté un signal positif qui laissait soupçonner la présence possible de cellules infectées par le VIH. Cependant, selon les chercheurs, les tests de ce genre sont seulement des outils de recherche et l’obtention d’un bref signal positif proche des limites de détection de ces épreuves doit être interprétée avec soin. Les chercheurs ont dressé la liste suivante des significations possibles d’un tel résultat :
- le signal est erroné, il s’agit d’un faux positif
- il est possible que l’échantillon testé ait été contaminé par des traces de VIH provenant d’une autre source dans le laboratoire
- il est possible qu’une très faible quantité de cellules infectées par le VIH soient présentes et qu’elles produisent du virus infectieux
Quoi qu’il en soit, si des cellules infectées par le VIH sont présentes, soit elles sont rapidement maîtrisées par le nouveau système immunitaire, soit elles produisent des virus qui ne réussissent pas à infecter les cellules du nouveau système immunitaire.
Il est à retenir que les chercheurs ont vraisemblablement analysé des millions de cellules provenant du patient dans le cadre de leur recherche de traces du VIH.
Les analyses de laboratoire des cellules CD4+ du patient ont révélé que celles-ci pourraient être infectées par des souches du VIH qui ciblent le corécepteur X4. L’analyse de l’ancien système immunitaire du patient, effectuée avant la greffe, a révélé qu’il abritait une souche du VIH qui utilisait le corécepteur R5.
Les techniciens ont également trouvé que les taux d’anticorps anti-VIH dans le sang de l’homme diminuaient graduellement. De plus, ses cellules T n’ont pas de mémoire immunologique leur permettant de se rappeler une éventuelle rencontre avec le VIH. Selon les chercheurs, ces résultats — taux d’anticorps à la baisse et absence de mémoire immunologique — sont « très semblables » à ce qui est arrivé au patient de Berlin à la suite de sa deuxième greffe de cellules souches.
Comparaison et contraste
Il existe à la fois des similarités et des différences entre les patients de Londres et de Berlin. La différence la plus intéressante réside peut-être dans le fait que le patient de Londres a subi un régime de conditionnement moins intensif (et moins débilitant) que le patient de Berlin. Cela est encourageant pour les volontaires éventuels qui voudraient subir un traitement semblable à celui du patient de Londres à l’avenir. Jusqu’à l’arrivée du patient de Londres, les chercheurs croyaient qu’une immunosuppression extrême serait nécessaire pour guérir éventuellement le VIH par une greffe de cellules souches provenant d’un donneur porteur de la mutation delta-32.
Les chercheurs de Londres soulignent aussi la contribution de la MGCH légère de leur patient parce qu’elle a aidé à débarrasser son système immunitaire de cellules résiduelles infectées par le VIH et à assurer sa rémission prolongée par rapport au virus.
Quelques mots à propos d’une guérison possible
Dans l’ensemble, les résultats obtenus auprès du patient de Londres sont encourageants, et il est probable que d’autres expériences seront menées auprès de personnes séropositives atteintes de leucémie ou de lymphome qui auront besoin de subir une greffe de cellules souches provenant d’un donneur porteur de la mutation delta-32. Cependant, la préparation nécessaire à une greffe de cellules souches (régime de conditionnement, suppression immunitaire additionnelle) peut être fatale dans le contexte d’un cancer potentiellement mortel. Des médecins à l’Institut Mayo ont passé en revue les greffes de cellules souches effectuées chez des personnes séropositives atteintes de cancer entre 2002 et 2017. Ils ont trouvé que près de la moitié des 49 patients recensés sont décédés à court ou à long terme. La majorité des décès était attribuable à la récurrence du cancer (60 %), et les autres causes de décès incluaient des infections graves, des complications de la MGCH et des insuffisances organiques.
Il est important de noter que les médecins britanniques n’ont pas affirmé que ce patient est guéri du VIH. En théorie, il est possible qu’il se trouve encore quelques cellules infectées par le VIH dans des régions profondes de son corps, tels que les ganglions lymphatiques ou le cerveau. Plusieurs années d’évaluations seront encore nécessaires avant que les chercheurs aient assez de confiance pour le déclarer guéri.
Ressource
Le Consortium de recherche sur la guérison du VIH (CanCURE)
—Sean R. Hosein
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