Raisons pour lesquelles certaines personnes ne veulent pas commencer de traitement contre le VIH

Lorsque la multithérapie a été introduite au Canada et dans les autres pays à revenu élevé en 1996, les régimes étaient complexes; les patients devaient respecter des consignes spécifiques quant à la nourriture et l'eau, prendre de nombreuses pilules jusqu'à trois fois par jour en suivant les instructions à la lettre et endurer de nombreux effets secondaires. 

Recevez TraitementActualités dans votre boîte de réception :

Des sondages réalisés auprès des personnes séropositives à cette époque-là ont permis de reconnaître les barrières suivantes à la mise en traitement, entre autres :

  • peur des effets secondaires
  • désir de ne pas prendre de nombreuses pilules plusieurs fois par jour
  • difficulté à intégrer la prise de pilules dans sa vie quotidienne

De nos jours, près de 20 ans après l'arrivée de la multithérapie, le traitement est beaucoup plus simple (de nombreuses personnes ne prennent des médicaments qu'une seule fois par jour, et il existe des combinaisons entières sous forme d'une seule pilule), mais aussi plus sécuritaire et plus efficace. Malgré ces progrès et les bienfaits que l'on connaît en commençant tôt le traitement, certaines personnes séropositives ne veulent toujours pas commencer de multithérapie. Chez l'individu, l'introduction précoce de la multithérapie peut réduire la quantité de VIH dans le corps. Cette réduction aide à atténuer les dommages infligés au système immunitaire, au cerveau, au cœur, aux poumons, aux reins et à d'autres organes et systèmes vitaux. À l'échelle d'une ville ou région comptant des centaines de milliers de personnes (« à l'échelle de la population » dans le langage des chercheurs), le fait de prendre fidèlement sa multithérapie tous les jours et de passer régulièrement des dépistages d'infections transmissibles sexuellement aide à réduire considérablement le risque de transmettre le VIH. Voilà un bienfait important pour la collectivité.

Des chercheurs de l'Union européenne et d'Australie ont sondé des patients séropositifs et leurs médecins au sujet des barrières perçues qui les empêchaient de commencer une multithérapie. L'analyse des résultats porte à croire qu'il existe toujours des barrières à la mise en traitement de nos jours, mais elles sont différentes de celles de la fin des années 1990. Parmi les principales barrières actuelles, notons que certaines personnes séropositives ne se sentent pas suffisamment malades ou n'éprouvent pas de symptômes graves qui les pousseraient à commencer plus tôt le traitement. Quant aux principales raisons évoquées par les médecins pour reporter l'introduction de la multithérapie, elles incluent la perception que les patients souffrent de dépression, qu'ils consomment activement de la drogue ou de l'alcool et qu'ils ne comprennent pas l'importance de l'observance thérapeutique.

Détails de l'étude

Entre novembre 2011 et octobre 2012, les chercheurs ont recruté 508 patients séropositifs ayant le profil moyen suivant :

  • âge – 37 ans
  • 84 % d'hommes, 16 % de femmes
  • période écoulée depuis le diagnostic de VIH – entre un et quatre ans

Voici la répartition des patients selon la voie de transmission :

  • 67 % d'hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HARSAH)
  • 6 % de personnes ayant partagé du matériel d'injection de drogues (UDI)
  • 25 % d'hétérosexuels
  • 2 % de personnes classées comme « autres » par les chercheurs, sans plus de précisions
  • charge virale en VIH – 10 000 copies/ml
  • compte de CD4+ – 568 cellules

La majorité des participants n'avaient aucun symptôme ou bien simplement des symptômes très légers de l'infection au VIH et leurs comptes de CD4+ étaient les suivants :

  • moins de 350 cellules – 8 % des participants
  • entre 350 et 499 cellules – 27 %
  • 500 cellules ou plus – 65 %

Au cours de la même période, 114 médecins ont été recrutés, dont 60 % avaient au moins 10 ans d'expérience en traitement des personnes vivant avec le VIH.

Tous les participants ont rempli un sondage exhaustif sur les barrières perçues à l'introduction de la multithérapie.

Résultats — personnes séropositives

La principale raison donnée par les personnes séropositives pour reporter le début de la multithérapie se résume comme suit :

  • « Je me fie à mon corps pour me dire quand je devrais commencer. »

Cette raison était relativement courante, sans égard au compte de CD4+.

D'autres participants ont répondu qu'ils reporteraient la multithérapie jusqu'à l'apparition de symptômes.

Chose intéressante, 47 % des répondants ont affirmé qu'ils ne voulaient pas commencer la thérapie parce qu'ils ne voulaient pas se faire rappeler leur séropositivité. Cette raison était relativement courante aussi, peu importe le compte de CD4+.

Quand commencer?

De plus en plus, les lignes directrices thérapeutiques recommandent de commencer la multithérapie peu de temps après le diagnostic de VIH, peu importe le compte de CD4+. En réponse aux questions sur leur attitude à l'idée de commencer la multithérapie, les participants ont répondu comme suit :

  • 50 % des participants ayant un compte de CD4+ inférieur à 500 cellules n'étaient pas prêts à commencer
  • 30 % des participants ayant un compte de CD4+ inférieur à 500 cellules étaient « ambivalents » à l'idée de commencer

Médecins

Selon la plupart des médecins (93 %), les recommandations des lignes directrices concernant l'introduction de la multithérapie convenaient à leurs patients. Or, lorsque les chercheurs leur ont demandé si les patients ayant moins de 350 cellules CD4+ devraient commencer le traitement, 46 % des médecins ont répondu « non ».  Cette réponse a étonné les chercheurs car toutes les lignes directrices des pays à revenu élevé recommandent de commencer la multithérapie dès que le compte de CD4+ passe sous ce seuil. Soucieux d'y voir plus clair, les chercheurs ont interrogé les médecins à propos de leur hésitation à prescrire la multithérapie en fonction du compte de CD4+ des patients. Voici ce qu'ils ont pu apprendre :

Moins de 350 cellules CD4+

  • le patient est trop déprimé pour commencer
  • le patient ne comprend pas les enjeux clés liés au traitement du VIH
  • le patient consomme des substances nocives

Compte de CD4+ entre 350 et 499 cellules

  • je ne connais pas le patient depuis assez longtemps
  • le patient est trop déprimé
  • le patient ne comprend pas les enjeux clés liés au traitement du VIH

Compte de CD4+ de 500 cellules ou plus

  • je ne connais pas le patient depuis assez longtemps
  • les proches du patient ignorent qu'il est séropositif
  • son travail empêche une bonne observance thérapeutique

Les chercheurs se sont étonnés de l'hésitation de certains médecins à traiter les personnes utilisant des drogues puisque, à en croire les études, il est possible d'assurer la transition de ces personnes vers un traitement de substitution aux opiacés (méthadone, buprénorphine) grâce à une intervention appropriée et à l'apport du soutien nécessaire. De plus, moyennant un soutien psychosocial et de l'éducation, ces personnes peuvent réussir à suivre fidèlement une multithérapie et à se rétablir d'une dépendance aux drogues de façon durable.

Limitations et forces

La proportion de répondants à ce sondage ayant un compte de CD4+ de moins de 350 cellules était relativement faible. Ce problème pourrait être attribuable au fait que la multithérapie commence souvent de nos jours lorsque les CD4+ sont plus nombreuses. De plus, les chercheurs n'ont pas recueilli de données sur les différences culturelles qui pourraient exister en matière de médecine et de santé dans différents pays.

Soulignons toutefois que ce sondage est l'un des plus importants à avoir abordé ces thèmes dans les pays à revenu élevé.

Vers l'avenir

Les résultats de ce sondage sont importants et fournissent des indices précieux de comment certains médecins et patients perçoivent les barrières à l'introduction de la multithérapie. Les enjeux soulevés dans ce sondage surgiront de plus en plus à mesure que les programmes visant à élargir l'accès au dépistage du VIH, au counseling et au traitement seront mis sur pied non seulement pour améliorer la santé des personnes séropositives, mais aussi pour réduire la propagation générale du VIH. Si l'on souhaite que la multithérapie soit utilisée plus largement, il sera essentiel d'aborder les enjeux soulevés par ce sondage.

Pour faire suite à ce genre de recherche, on pourrait envisager de réaliser des entrevues ciblées auprès d'un petit groupe de patients afin de connaître leurs sentiments à l'idée de commencer la multithérapie. Une telle démarche pourrait découvrir des enjeux psychosociaux plus profonds et peut-être plus significatifs qui expliqueraient l'hésitation et l'ambivalence qu'éprouvent certains patients à l'idée de commencer la thérapie.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Fehr J, Nicca D, Goffard JC, et al. Reasons for not starting ART: a multinational survey among patients and their physicians—the bART study (barriers to ART). In: Program and abstracts of the 14th European AIDS Conference, 16–19 October 2013, Brussels, Belgium. Abstract PS 11/1.
  2. McNairy ML, El-Sadr WM. Antiretroviral therapy for the prevention of HIV transmission: What will it take? Clinical Infectious Diseases. 2014; in press.