Thérapie génique : L’approche CRISPR gagne du terrain contre le VIH
L’une des approches de thérapie génique qui a un grand potentiel porte le nom de CRISPR (courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées). Le CRISPR a été découvert il y a plusieurs décennies dans les bactéries, où il servait d’élément du système de défense contre les virus qui infectent les bactéries. Dans les bactéries en question, les virus envahissants insèrent des éléments clés de leur matériel génétique dans celui des bactéries. Les gènes viraux insérés produisent ensuite des protéines et d’autres molécules qui prennent le contrôle de la cellule et la convertissent en une mini-usine à virus, ce qui permet au virus envahissant de poursuivre son cycle de vie et de détruire finalement la bactérie.
Le CRISPR contient de petits morceaux du matériel génétique du virus qui peuvent être utilisés pour détecter la présence de l’ADN du virus dans les gènes de la bactérie. Autrement dit, le CRISPR est utilisé pour détecter des signes d’infection virale dans l’ADN de la bactérie, c’est-à-dire des signes de la présence de l’ADN viral. Une fois l’ADN viral détecté, le CRISPR a ensuite recours à une enzyme appelée Cas9 (protéine 9 associée au CRISPR) pour enlever ou modifier l’ADN viral indésirable. En enlevant l’ADN viral, la bactérie est protégée contre les effets de l’infection virale.
La combinaison CRISPR-Cas a de nombreuses applications potentielles. En particulier, le CRISPR-Cas pourra potentiellement être utilisé pour traiter des troubles héréditaires comme l’hémophilie et certaines maladies infectieuses comme le VIH. Notons que nous utiliserons simplement le terme CRISPR pour désigner la combinaison CRISPR-Cas dans le reste de notre rapport. Avant de parler davantage du CRISPR, nous allons fournir quelques renseignements contextuels sur la façon dont le VIH infecte une cellule, la répartition du virus dans le corps et certains effets du TAR.
Supprimer le VIH
Comme dans l’exemple précédent où nous parlions d’un virus qui infectait des bactéries, un processus largement semblable a lieu dans les cellules immunitaires ciblées par le VIH. Les cellules qui expriment le récepteur CD4 à leur surface (ainsi que les corécepteurs CCR5 et CXCR4) peuvent être infectées par le VIH. Les cellules en question incluent principalement les lymphocytes T (cellules T), les cellules couramment appelées cellules CD4 T (ou simplement cellules CD4+), ainsi que les monocytes (appelées macrophages lorsque la maturité est atteinte) et les cellules apparentées aux macrophages (telles les cellules dendritiques de la peau et des tissus muqueux et les microglies cérébrales). Après que le VIH a inséré son matériel génétique dans les cellules cibles, elles sont susceptibles de s’activer, se convertissant en mini-usines à virus avant de finir par mourir.
TAR et réservoir du VIH
Le traitement du VIH (TAR) est extrêmement efficace lorsqu’on le prend en suivant les posologies à la lettre. Par conséquent, les chercheurs s’attendent de plus en plus à ce que de nombreuses personnes sous TAR aient une espérance de vie quasi normale. Le TAR ne permet toutefois pas de guérir le VIH. Les raisons ne sont pas claires, mais certaines expériences ont porté à croire que, malgré une bonne observance thérapeutique du TAR et une charge virale indétectable dans le sang, de faibles quantités de VIH persistent dans des régions profondes du corps, notamment dans les ganglions lymphatiques, le cerveau, certaines parties des intestins, les tissus adipeux et les testicules, entre autres. Pour désigner ces régions du corps où de faibles quantités de VIH persistent malgré la prise du TAR, les chercheurs utilisent les mots sanctuaire ou réservoir.
Nano-TAR
Depuis au moins une décennie, des chercheurs à l’Université du Nebraska mettent au point ce qu’ils appellent des nano-formulations du TAR, soit des médicaments sous forme de cristaux minuscules enrobés d’une sphère de lipides. Lors d’expériences en laboratoire et sur des animaux, on a constaté que ces boules de graisse bourrées de médicaments pouvaient pénétrer dans une gamme de tissus et y exercer une bonne activité anti-VIH. Notons toutefois que des expériences de courte durée ont révélé que le nano-TAR ne pouvait guérir, à lui seul, l’infection au VIH chez les souris de laboratoire.
Retour au CRISPR
Des expériences sur des souris infectées par le VIH ont révélé que le CRISPR pouvait enlever une portion considérable de l’ADN du VIH des cellules infectées. Le CRISPR est toutefois incapable de guérir, à lui seul, l’infection au VIH chez les souris.
Nano-TAR et CRISPR en combinaison
Lors d’expériences récentes, les chercheurs de l’Université du Nebraska ont collaboré avec des chercheurs de l’Université Temple de Philadelphie qui possédaient de l’expertise en matière de CRISPR. Ils ont effectué une série d’expériences très complexes et détaillées sur des souris infectées par le VIH qui ont fait l’objet d’une des interventions suivantes :
- nano-TAR
- CRISPR
- nano-TAR + CRISPR
- aucune intervention
Le nano-TAR utilisé dans ces expériences se composait de trois médicaments anti-VIH couramment utilisés, que voici :
- dolutégravir + 3TC + abacavir
Une formulation à libération immédiate de ces trois médicaments se vend dans un seul comprimé sous le nom de Triumeq, et on le prend une fois par jour.
L’équipe a eu recours au CRISPR pour rechercher la présence d’éléments clés du matériel génétique du VIH dans les cellules immunitaires des souris.
Des analyses de sang et de tissus détaillées ont porté à croire que la combinaison du nano-TAR et du CRISPR était capable d’enlever le VIH d’environ 30 % des souris, sans causer de toxicité évidente.
Les résultats obtenus avec la combinaison du nano-TAR et du CRISPR sont enthousiasmants, mais il faut les considérer comme préliminaires. Ils laissent penser que cette combinaison pourra peut-être guérir un jour certains singes infectés par le VIS (virus de l’immunodéficience simienne). Rappelons que ce virus provoque une maladie semblable au sida chez les singes vulnérables. Les résultats soulèvent également la possibilité que la combinaison CRISPR + nano-TAR puisse être utilisée pour tenter de guérir l’infection au VIH chez les humains. Il reste cependant de nombreuses étapes à franchir et de nombreuses questions à explorer avant que nous soyons prêts à utiliser le nano-TAR et le CRISPR chez des humains. Nous parlons de certaines de ces questions ci-dessous.
CRISPR : innocuité et autres questions
Lorsqu’on rend compte des nouvelles enthousiasmantes sortant des expériences de laboratoire sur la guérison du VIH ou d’autres maladies catastrophiques, il faut insister sur le fait que les souris ne sont pas des êtres humains. En effet, si chaque thérapie expérimentale qui s’est avérée inoffensive chez les souris agissait également de façon sûre et efficace chez les humains, nous disposerions de bien plus de traitements hautement efficaces contre différentes affections.
En plus d’enlever le matériel génétique du VIH des souris, il est possible que le CRISPR par inadvertance puisse enlever des cellules de l’ADN utile. Cela s’est produit dans certaines expériences menées par d’autres chercheurs, mais pas dans le cadre de la collaboration dont nous parlons ici. Lorsque le CRISPR enlève de l’ADN utile, les chercheurs parlent d’effet « hors cible ». Jusqu’à présent, l’équipe qui collabore à la recherche sur le nano-TAR et le CRISPR chez les souris n’a découvert aucun effet hors cible.
Le CRISPR est également utilisé pour enlever du VIS chez certains singes infectés. Les résultats préliminaires de ces expériences semblent prometteurs. Cependant, puisque certaines espèces de singes ressemblent plus étroitement aux humains sur le plan génétique que les souris, une observation à long terme et un suivi clinique rigoureux des singes traités par CRISPR (et nano-TAR) seront nécessaires pour évaluer le risque de tout effet secondaire chronique. Les études de longue durée sont importantes parce que les conséquences hors cible du CRISPR risquent de ne pas se révéler avant quelque temps, voire plusieurs années. Un tel suivi est également essentiel parce qu’il est impossible à l’heure actuelle d’évaluer chaque cellule du corps pour déterminer si son ADN a été endommagé accidentellement par le CRISPR.
Il n’existe aucune preuve manifeste sur la manière dont le CRISPR peut être désactivé chez les personnes qui le reçoivent. Il se peut même qu’il soit dangereux de laisser le CRISPR agir et de le garder activé chez une personne vivante.
Dans les expériences menées par l’équipe du Nebraska et de Philadelphie, il semble que les souris aient été infectées par un virus inoffensif qui avait été modifié pour permettre l’usage du CRISPR. Il n’est pas clair si la même technologie serait efficace chez les humains.
Nano-TAR : innocuité et autres questions
Les formulations du TAR utilisées par l’équipe du Nebraska et de Philadelphie ont été mises au point à petite échelle dans un laboratoire et étaient destinées à l’usage chez des souris. Si des expériences sur un grand nombre de singes ou d’humains sont prévues, les chercheurs devront fabriquer le nano-TAR à relativement grande échelle. Ils devront également s’assurer que le nano-TAR est exempt de contaminants. Ensuite, les chercheurs devront évaluer l’innocuité à court et à long terme chez les singes et les humains. Le nano-TAR sera capable de pénétrer et de se concentrer dans plusieurs réservoirs dans le corps, notamment le cerveau, les intestins, les ganglions lymphatiques, les testicules, et cetera. L’effet du nano-TAR sur la santé de ces tissus devra être évalué et élucidé complètement. Après être passé par les expériences initiales sur l’innocuité, le nano-TAR devra être évalué pour son innocuité à long terme et sa capacité à supprimer efficacement la charge virale de façon continue. Il est peu probable que le nano-TAR à lui tout seul puisse guérir le VIH.
Une autre préoccupation soulevée par le nano-TAR consiste à déterminer la manière idéale de faire entrer cette formulation dans le corps. Les perfusions intraveineuses régulières seraient-elles la meilleure façon? Ou d’autres méthodes, dont les injections intramusculaires, seraient-elles aussi efficaces?
CRISPR à l’étude en essais cliniques
Des essais cliniques se poursuivent dans certains pays pour évaluer l’utilisation du CRISPR chez des personnes séronégatives atteintes des affections suivantes :
États-Unis
- cancer de certains globules blancs : une personne
- cancer qui se déclare près des articulations : une personne
Chine
- cancer pulmonaire « non à petites cellules » : 12 personnes
Les résultats préliminaires de ces expériences sur des humains laissent croire que le CRISPR est sûr, mais il faut plus de temps avant que les médecins puissent savoir si le CRISPR sera efficace dans ces cas. Notons toutefois que certains chercheurs et médecins ont mis en garde contre la possibilité que la modification des gènes permette par inadvertance la propagation de cellules cancéreuses chez certaines de ces personnes. Ainsi, une surveillance à long terme des participants traités par CRISPR dans ces études sera nécessaire.
À retenir
Il importe de souligner qu’environ 30 % des souris infectées par le VIH dans l’étude menée au Nebraska et à Philadelphie ont guéri du VIH sous l’effet de la combinaison du nano-TAR et du CRISPR. Voilà un accomplissement scientifique incroyable. Il faudra toutefois que les taux de guérison augmentent lors des expériences futures. Les thérapies fondées sur le CRISPR et le nano-TAR en sont à leurs premiers balbutiements, et il reste beaucoup de recherche à faire avant qu’elles soient mises à l’épreuve chez un grand nombre de personnes vivant avec le VIH.
Pour atteindre un taux de guérison plus élevé que celui de 30 % signalé dans la présente étude, il est probable que le CRISPR doive être affiné à l’avenir. L’intensification de la capacité de modification génique du CRISPR pourrait augmenter par inadvertance le risque que des gènes humains essentiels soient effacés.
Il est également possible que davantage de traitements expérimentaux doivent être utilisés en association avec le CRISPR et le nano-TAR. L’usage de plusieurs traitements expérimentaux chez des personnes vivant avec le VIH pourrait augmenter le risque de problèmes, et plus particulièrement le risque d’effets secondaires. Voilà une raison de plus d’assurer une surveillance rigoureuse en laboratoire et en clinique des animaux et des humains traités par CRISPR, et ce, à court et à long terme.
Dans le prochain article de ce numéro de TraitementActualités, nous parlons d’un autre enjeu lié à l’usage de CRISPR et d’autres traitements potentiellement curatifs du VIH.
Ressources
Consortium de recherche sur la guérison du VIH (CanCURE)
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCES :
- Dash PK, Kaminski R, Bella R, et al. Sequential LASER ART and CRISPR treatments eliminate HIV-1 in a subset of infected humanized mice. Nature Communications. 2019 Jul 2;10(1):2753.
- Panfil AR, London JA, Green PL, et al. CRISPR/Cas9 genome editing to disable the latent HIV-1 provirus. Frontiers in Microbiology. 2018 Dec 14;9:3107.
- Wang L, Yang Y, Breton CA, et al. CRISPR/Cas9-mediated in vivo gene targeting corrects hemostasis in newborn and adult factor IX-knockout mice. Blood. 2019 Jun 27;133(26):2745-2752.
- Pipe SW, Selvaraj SR. Gene editing in hemophilia: a "CRISPR" choice? Blood. 2019 Jun 27;133(26):2733-2734.