L’attention portée à l’inflammation se tourne vers les champignons
L’infection au VIH cause une gamme de dommages complexes au système immunitaire qui, faute de traitement, entraînent à la longue des infections potentiellement mortelles, certains cancers et une perte de poids impitoyable. Cependant, au Canada et dans les autres pays à revenu élevé, la grande accessibilité du dépistage et du traitement du VIH (TAR) a réduit considérablement la mortalité liée au sida. Le TAR réussit cet exploit en supprimant la production de VIH par les cellules infectées. Lorsque la quantité de VIH dans le sang a chuté jusqu’à un niveau très faible, le système immunitaire commence à se rebâtir. L’effet du TAR est tellement énorme que les médecins et les chercheurs s’attendent à ce que de nombreuses personnes sous TAR aient une espérance de vie quasi normale.
Il reste toutefois que le TAR ne guérit pas l’infection au VIH et, même s’il restaure habituellement une partie importante des fonctions immunitaires, un certain degré de dysfonction immunologique perdure. À titre d’exemple, notons que le VIH est associé à l’activation excessive du système immunitaire et à une inflammation généralisée. Le TAR réduit considérablement ces effets, mais ne peut restaurer les niveaux très faibles d’activation immunitaire et d’inflammation observés chez les personnes séronégatives en bonne santé. Certains chercheurs affirment que l’activation immunitaire et l’inflammation excessives observées chez les personnes séropositives pourraient accroître leurs risques de problème de santé à l’avenir. Pour en savoir plus, consultez TraitementActualités 223.
La cause précise de l’activation du système immunitaire et de l’inflammation excessives qui se produisent chez les utilisateurs du TAR n’est pas claire. Selon une théorie, l’infection au VIH affaiblirait les intestins et permettrait ainsi aux microbes (bactéries, champignons) et/ou aux protéines associées à ces microbes de fuir dans le sang. Une fois dans le sang, ces microbes et/ou leurs protéines se mettraient à circuler et contribueraient à une activation immunitaire et à une inflammation excessives. Des essais cliniques de diverses interventions potentielles sont en cours pour régler ce problème. Jusqu’à récemment, les chercheurs qui étudiaient la migration des microbes et/ou de leurs protéines des intestins vers le sang des personnes séropositives se sont concentrés exclusivement sur un groupe de microbes : les bactéries. Ils ont donné à cette migration le nom de « translocation microbienne » ou de « translocation bactérienne ». La recherche sur la minimisation de la translocation bactérienne se poursuit.
Champignons
Certains chercheurs dont le travail porte sur la translocation microbienne ont obtenu des résultats qui les ont incités à examiner le rôle des champignons dans ce phénomène. Des données émergentes portent à croire que les champignons et/ou des produits fongiques présents dans les intestins contribuent également à l’activation immunitaire et à l’inflammation excessives associées à l’infection au VIH chronique. Pour désigner la migration des champignons et/ou des produits fongiques des intestins vers le sang, ils utilisent le terme « translocation fongique ».
Une équipe de chercheurs à l’Université McGill de Montréal a mené une série d’expériences élégantes et sophistiquées qui portent fortement à croire que la translocation fongique a lieu dans les intestins des personnes vivant avec le VIH. De plus, les chercheurs ont trouvé que les taux de champignons et/ou de produits fongiques étaient élevés chez ces personnes lorsqu’elles commençaient le TAR dès un stade précoce de l’infection. Même après deux ans de TAR, les taux de translocation fongique n’ont pas diminué. Les taux élevés de translocation fongique étaient associés à l’activation immunitaire et à l’inflammation excessives.
Grâce au travail sur la translocation fongique des chercheurs de Montréal et d’ailleurs, des équipes de recherche envisagent des études pilotes pour tester des interventions susceptibles de réduire l’activation immunitaire et l’inflammation liées au VIH.
Nous ne rendons pas compte des détails des différentes expériences menées par les chercheurs de Montréal parce qu’elles ont été très complexes. Au lieu de cela, nous mettons l’accent sur les résultats et, plus loin dans ce numéro de TraitementActualités, les interventions susceptibles d’empêcher la translocation fongique.
Résultats
Les chercheurs de Montréal se sont concentrés sur une substance appelée bêta-D-glucane (BDG). Cette substance se trouve dans la paroi cellulaire des champignons et peut également être décelée dans le sang ou le liquide céphalorachidien des personnes atteintes d’infections fongiques invasives. Cependant, comme les chercheurs de Montréal ont pris des mesures pour écarter la possibilité d’infections fongiques invasives, les taux de BDG élevés dans le sang des personnes séropositives étaient attribuables à la translocation fongique.
Résultats clés
- Les taux de BDG dans le sang des personnes récemment infectées par le VIH étaient plus élevés que chez les personnes séronégatives en bonne santé.
- Les taux élevés de BDG chez les personnes séropositives ne suivant pas de TAR étaient associés à un faible compte de CD4+, à une charge virale élevée et à la présence d’une gamme de protéines associées aux lésions intestinales, à l’inflammation et à l’activation immunitaire.
- Le fait de commencer le TAR tôt dans le cours de l’infection au VIH a permis de stabiliser les taux de BDG dans le sang des participants. Autrement dit, le TAR a empêché les taux de BDG d’augmenter, mais ces derniers n’ont pas diminué, même après deux ans de TAR.
- L’âge ou le sexe n’avaient aucun impact sur les taux de BDG.
D’autres recherches
Les résultats obtenus à Montréal sont étayés par d’autres recherches. À titre d’exemple, notons qu’une étude menée aux États-Unis par le AIDS Clinical Trials Group (ACTG) a permis de constater que les taux élevés de BDG étaient associés à une augmentation statistiquement significative des risques d’événements non liés au sida, y compris les suivants :
- crise cardiaque/AVC
- cancers non liés à l’infection au VIH
- infections bactériennes graves
- décès non liés au sida
D’autres études américaines ont révélé que les taux élevés de BDG dans le sang étaient associés à des problèmes cardiopulmonaires (telle une tension artérielle élevée dans les poumons) et même à des problèmes neurocognitifs liés au VIH.
L’ensemble des résultats obtenus à McGill et aux États-Unis porte à croire que la translocation fongique, telle que déterminée par les taux de BDG dans le sang des personnes séropositives non atteintes d’infections fongiques invasives, devrait maintenant devenir la cible d’interventions thérapeutiques.
Ressource
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCES :
- Mehraj V, Ramendra R, Isnard S, et al. Circulating (1→3)-β-D-Glucan is associated with immune activation during HIV infection. Clinical Infectious Diseases. 2019; en voie d’impression.
- Hoenigl M. Fungal translocation: A driving force behind the occurrence of non-AIDS events? Clinical Infectious Diseases. 2019; en voie d’impression.
- Hoenigl M, Moser C, Funderburg N, et al. Soluble urokinase plasminogen activator receptor (suPAR) is predictive of non-AIDS events during antiretroviral therapy-mediated viral suppression. Clinical Infectious Diseases. 2019; en voie d’impression.
- Ramendra R, Isnard S, Mehraj V, et al. Circulating LPS and (1→3)-β-D-Glucan: A folie à deux contributing to HIV-associated immune activation. Frontiers in Immunology. 2019 Mar 18;10:465.
- Weiner LD, Retuerto M, Hager CL, et al. Fungal translocation is associated with immune activation and systemic inflammation in treated HIV. AIDS Research and Human Retroviruses. 2019 May;35(5):461-472.