Une étude d’envergure confirme l’espérance de vie quasi normale de nombreuses personnes séropositives sous TAR
Avant l’avènement des traitements efficaces contre le VIH (TAR), les personnes séropositives avaient une espérance de vie relativement courte, soit une dizaine d’années après le moment de l’infection. À partir de 1996, cependant, des traitements efficaces ont vu le jour au Canada et dans d’autres pays à revenu élevé. En réduisant la quantité de VIH dans le sang jusqu’à un niveau très faible, le TAR affaiblit considérablement la capacité du virus à endommager le système immunitaire. De plus, le TAR réduit énormément l’inflammation excessive et la suractivation du système immunitaire causées par le VIH. L’ensemble de ces effets permet au système immunitaire de se réparer et de se rebâtir dans une grande mesure. Par conséquent, chez la vaste majorité des personnes sous TAR, le système immunitaire se renforce au fur et à mesure que le compte de cellules CD4+ augmente, et le risque de mourir de complications liées au sida diminue énormément.
Durant la première décennie suivant l’avènement du TAR, on associait à ce dernier un certain nombre d’inconvénients, dont les suivants :
- effets secondaires nombreux
- restrictions se rapportant à la consommation de nourriture et d’eau avec certains médicaments
- schémas thérapeutiques nécessitant la prise de beaucoup de comprimés, et ce, deux ou même trois fois par jour
Face à de telles difficultés, certaines personnes interrompaient leur TAR, alors que d’autres faisaient preuve d’une mauvaise observance thérapeutique. De telles interruptions thérapeutiques permettaient au virus de resurgir et à l’inflammation de s’accroître, ce qui pouvait mettre la survie en péril.
Depuis cette époque-là, les traitements ont été simplifiés et sont maintenant beaucoup plus sécuritaires et plus puissants. De nos jours, de nombreuses personnes qui commencent un TAR se font prescrire un traitement complet dans un seul comprimé qu’il suffit de prendre une seule fois par jour. Les principaux médicaments servant de base aux schémas thérapeutiques de ce genre incluent les suivants :
- bictégravir : ingrédient de Biktarvy
- dolutégravir : vendu sous le nom de Tivicay et associé à d’autres médicaments dans les comprimés Dovato, Juluca et Triumeq
- doravirine : vendu sous le nom de Pifeltro et associé à d’autres médicaments dans le comprimé Delstrigo
Au cours des dernières années, un schéma thérapeutique contenant deux médicaments a vu le jour. Il s’agit de Cabenuva, un traitement injectable qu’il suffit d’administrer tous les mois ou tous les deux mois, ce qui peut simplifier énormément l’observance thérapeutique.
Vers 2015, un autre changement s’est produit par rapport à l’époque précoce du TAR lorsque des données d’essais cliniques ont incité les auteur·e·s des lignes directrices thérapeutiques à encourager l’amorce du TAR dès qu’un diagnostic de VIH était posé.
Compte tenu de ces améliorations apportées au traitement du VIH, à savoir l’avènement de médicaments plus efficaces et l’amorce plus précoce du TAR, il est important de revoir l’évolution de l’espérance de vie des personnes séropositives à l’époque actuelle.
Une équipe de recherche dont les membres étaient issu·e·s d’Europe et d’Amérique du Nord, y compris du sud de l’Alberta, a mis en commun le contenu de 20 bases de données afin d’examiner et de comparer l’évolution de l’espérance de vie chez 206 891 personnes qui avaient commencé un TAR entre 1996 et 2014 ou entre 2015 et 2019.
L’équipe de recherche a constaté qu’environ 3 % des personnes étaient décédées entre 1996 et 2019. De plus, chez les personnes présentant un compte de CD4+ élevé qui ont commencé un TAR avant 2015 et qui vivaient encore en 2015, ou chez celles qui ont commencé un TAR après 2015, « l’espérance de vie était plus courte de quelques années seulement comparativement [aux personnes séronégatives] ». Cependant, chez les personnes dont le compte de CD4+ était faible lors de l’amorce du TAR (peu importe la période), les perspectives de survie étaient généralement moins reluisantes.
De façon générale, les hommes avaient une espérance de vie plus courte que les femmes. Cette dernière était également plus courte chez les personnes qui s’injectaient des drogues que chez les personnes qui ne s’en injectaient pas.
Dans l’ensemble, cette étude confirme les données précédentes attestant les bienfaits à long terme du TAR, ainsi que le comblement de l’écart de survie entre les personnes séropositives et les personnes séronégatives. Rappelons que cette étude est fondée sur des données immunologiques et virologiques qui ont été associées à des dossiers sur la survie provenant de bases de données médicales.
Pour s’assurer que les personnes séropositives connaissent une longévité comparable à celle des personnes séronégatives, l’équipe de recherche souligne l’importance du « diagnostic précoce [du VIH] et du traitement ininterrompu du VIH ». Il faut aussi porter plus d’attention aux besoins plus généraux des personnes séropositives, notamment en ce qui concerne la prévention et la prise en charge des comorbidités (maladies du cœur, du foie, des poumons et des reins; prévention et traitement du cancer) et le soutien à la santé mentale. Sont également nécessaires l’accès aux services de réduction des méfaits pour les personnes qui s’injectent des drogues et le soutien à la réduction de la consommation d’alcool et de tabac.
Résultats
De façon générale, le risque de décès était plus élevé chez les personnes qui ont commencé le TAR tôt dans le cours de l’étude, surtout entre 1996 et 1999. Après 2015, année à partir de laquelle les recommandations concernant l’amorce précoce du TAR s’adressaient à toutes les personnes vivant avec le VIH (sans égard au compte de CD4+ ou à la durée de l’infection), l’équipe de recherche a constaté que le risque de décès a diminué par rapport aux premières années du TAR (1996 à 1999).
Les personnes qui ont commencé le TAR avant 2015 couraient un risque de décès plus élevé. Les facteurs associés à ce risque accru incluaient un compte de CD4+ inférieur à 500 cellules/mm3, une charge virale élevée, un diagnostic d’infection ou de cancer lié au sida et l’infection chronique au virus de l’hépatite C (VHC).
Espérance de vie
Pour estimer l’espérance de vie, l’équipe de recherche a réparti les participant·e·s en deux groupes :
- ceux et celles qui ont commencé le TAR avant 2015
- ceux et celles qui ont commencé le TAR en 2015 ou après
L’équipe a ensuite réparti les participant·e·s selon leur compte de CD4+ au début de l’étude et en fonction du sexe qui leur était assigné à la naissance.
Dans l’ensemble, les personnes qui ont commencé le TAR avant 2015 avaient une espérance de vie plus courte que les personnes qui l’ont commencé en 2015 ou plus tard. Les comptes de CD4+ tenaient également une part importante, car, en général, les personnes qui avaient un faible compte de CD4+ lorsqu’elles commençaient le TAR avaient une espérance de vie plus courte que les personnes dont le compte de CD4+ était plus élevé au moment de l’amorce du TAR.
Parmi les personnes séronégatives, les femmes avaient tendance à avoir une espérance de vie plus longue que les hommes. Cela fut également le cas chez les femmes séropositives inscrites à cette étude.
Selon l’équipe de recherche, les personnes qui ont contracté le VIH en partageant du matériel servant à l’usage de drogues avaient une espérance de vie plus courte que les personnes qui ont contracté l’infection d’une autre manière. De plus, les personnes qui avaient le sida lors de leur admission à l’étude avaient une espérance de vie plus courte que les personnes qui n’avaient pas le sida.
Espérance de vie chez les femmes
TAR : incidence globale sur la survie
En ce qui concerne les femmes qui ont commencé le TAR avant 2015 et qui avaient 40 ans, l’équipe de recherche a estimé qu’elles vivraient encore 36 ans pour atteindre un âge final de 76 ans.
Quant aux femmes qui ont commencé le TAR en 2015 ou après et qui avaient 40 ans, elles vivraient encore 39 ans selon les estimations, pour un âge final de 79 ans.
Il importe de souligner que les chiffres ci-dessus sont des estimations globales. L’équipe de recherche a constaté que le compte de CD4+ au moment de l’amorce du TAR pouvait avoir une incidence énorme sur l’espérance de vie, comme l’attestent les données suivantes :
Amorce du TAR avant 2015 avec un compte de CD4+ faible ou élevé
Parmi les femmes qui ont commencé le TAR avant 2015 et qui avaient un faible compte de CD4+ (moins de 50 cellules/mm3), on s’attendait à ce qu’elles vivent encore 19,4 ans à l’âge de 40 ans, pour une espérance de vie totale de 59,4 ans. Si le compte de CD4+ était plus élevé au moment de l’amorce du TAR, les femmes en question pouvaient s’attendre à une espérance de vie plus longue, soit jusqu’à 40,2 années additionnelles de vie si elles commençaient le traitement à l’âge de 40 ans (pour une espérance de vie totale de 80,2). Notons que ce chiffre élevé se rapportait aux femmes qui ont commencé le TAR lorsque leur compte de CD4+ était de 500 cellules/mm3 ou plus.
Amorce du TAR après 2015 avec un compte de CD4+ faible ou élevé
Parmi les femmes qui ont commencé le TAR après 2015 à l’âge de 40 ans et avec un compte de CD4+ inférieur à 50 cellules/mm3, on estimait une espérance de vie additionnelle de 25 ans, pour un âge final de 65 ans. Cependant, s’agissant des femmes qui ont commencé le TAR avec un compte de CD4+ de 500 cellules/mm3 ou plus à l’âge de 40 ans, on s’attendait à une espérance de vie additionnelle de 40 ans, pour un âge final de 80 ans.
En ce qui concerne les femmes séronégatives de 40 ans après 2015, on estimait une espérance de vie additionnelle de 45,8 ans, pour un âge final de près de 86 ans.
Espérance de vie chez les hommes
TAR : incidence globale sur la survie
En ce qui a trait aux hommes qui ont commencé le TAR avant 2015 et qui avaient 40 ans, l’équipe de recherche a estimé qu’ils vivraient encore 34,5 ans pour atteindre un âge final de 74,5 ans.
Quant aux hommes qui ont commencé le TAR en 2015 ou après et qui avaient 40 ans, ils vivraient encore 37 ans selon les estimations, pour un âge final de 77 ans.
Il importe de souligner que les résultats pourraient différer en fonction du compte de CD4+ au moment de l’amorce du TAR, l’espérance de vie étant plus longue chez les personnes qui commencent le TAR avec un compte de CD4+ plus élevé.
Amorce du TAR avant 2015 avec un compte de CD4+ faible ou élevé
Parmi les hommes qui ont commencé le TAR avant 2015 et qui avaient un faible compte de CD4+ (moins de 50 cellules/mm3), on s’attendait à ce qu’ils vivent encore 18,2 ans à l’âge de 40 ans, pour une espérance de vie totale de 58,2 ans. L’espérance de vie augmentait si le compte de CD4+ était plus élevé au moment de l’amorce du TAR durant cette période. Notons, à titre d’exemple, que chez les hommes ayant un compte de CD4+ de 500 ou plus lors de l’amorce du TAR, l’espérance de vie additionnelle à l’âge de 40 ans était de 38 ans, pour un âge final de 78 ans.
Amorce du TAR en 2015 ou après avec un compte de CD4+ faible ou élevé
Pour les hommes de 40 ans qui ont commencé le TAR en 2015 ou plus tard avec un compte de CD4+ inférieur à 50 cellules/mm3, l’équipe de recherche estimait une espérance de vie additionnelle de 23,7 ans, pour un âge final de 63,7 ans. Cependant, chez les hommes dont le compte de CD4+ était de 500 cellules/mm3 ou plus lors de l’amorce du TAR, l’espérance de vie additionnelle à l’âge de 40 ans était de 39,2 ans, pour un âge final de 79,2 ans.
Chez les hommes séronégatifs, l’espérance de vie additionnelle à l’âge de 40 ans était de 40,7 ans après 2015, pour un âge final de 80,7 ans, selon les estimations.
Espérance de vie : incidence de l’âge et du sexe
Femmes
Selon les estimations de l’équipe de recherche, l’espérance de vie globale à l’âge de 20 ans était de 72 ans chez les femmes qui ont commencé le TAR avant 2015. Chez les femmes qui ont commencé le TAR à l’âge de 20 ans en 2015 ou après, l’espérance de vie était de 77 ans.
Hommes
Selon les estimations de l’équipe de recherche, l’espérance de vie globale à l’âge de 20 ans était de 71 ans chez les hommes qui ont commencé le TAR avant 2015. Chez les hommes qui ont commencé le TAR à l’âge de 20 ans en 2015 ou après, l’espérance de vie était de 75 ans.
À retenir
Rappelons qu’il s’agit ci-dessus d’estimations, et que certaines personnes pourraient vivre plus longtemps ou moins longtemps selon leurs circonstances personnelles. À mesure que les études continueront de surveiller l’espérance de vie sur des périodes plus longues, les estimations en cette matière deviendront plus précises.
Durant les premières années de l’époque du TAR (1996 à 1999), les personnes sous traitement étaient plus susceptibles de mourir parce qu’elles étaient exposées à des médicaments plus toxiques (qui rendaient l’observance difficile) et étaient généralement plus malades que les personnes suivies durant la dernière période de l’étude, entre autres raisons. Malgré cela, l’équipe de recherche a souligné que deux facteurs — l’âge et le compte de CD4+ au moment de l’amorce du TAR — étaient « les facteurs les plus associés [au risque de mortalité] à partir de 2015 ».
À la lumière de ces données, on peut conclure qu’un jeune adulte qui contracte le VIH aujourd’hui et qui commence rapidement un TAR après son diagnostic devrait atteindre un âge avancé, toutes choses étant égales par ailleurs.
Inégalités
Il importe de noter que l’avenir ne sera pas si radieux pour toutes les personnes sous TAR. Chez les personnes séronégatives, l’espérance de vie varie en fonction de facteurs socioéconomiques qui n’ont pas été mesurés dans cette étude. Notons de plus que, dans cette étude, les personnes qui s’injectaient des drogues vivaient moins longtemps que les personnes qui ne s’en injectaient pas.
Une autre étude menée aux États-Unis auprès de personnes séropositives qui s’injectaient des drogues a permis de constater une réduction de la survie comparativement aux personnes qui ne s’en injectaient pas. La même étude a révélé que les hommes noirs vivaient moins longtemps que les hommes blancs. Notons toutefois que l’étude dont nous parlons ici n’a pas inclus d’analyse de données se rapportant à la race ou à l’ethnicité.
Espérance de vie et davantage
La présente étude rend compte d’efforts visant l’amélioration de l’espérance de vie chez les personnes vivant avec le VIH. L’équipe de recherche souhaite la continuation d’initiatives centrées sur le diagnostic précoce du VIH et la poursuite du traitement. Cela nécessitera la multiplication des occasions de dépistage du VIH et l’aiguillage rapide vers des soins. Il faudra également porter plus d’attention à la satisfaction des besoins des personnes séropositives en matière de santé mentale parce que les problèmes de cet ordre peuvent compromettre l’observance du TAR. Certaines personnes qui utilisent des drogues, de l’alcool ou du tabac ont également besoin de services de réduction des méfaits. Il existe d’autres problèmes qui nuisent à la santé aussi, telle la co-infection par le virus de l’hépatite B ou C et le cancer.
Outre l’extension de l’espérance de vie, des efforts (et du financement) sont nécessaires pour aider les cliniques à se concentrer sur l’amélioration de la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH. Cela peut inclure l’utilisation plus répandue de traitements modernes, tolérables et efficaces. Des études sont toutefois nécessaires pour comprendre les enjeux qui influent sur la qualité de vie et pour concevoir des interventions destinées à maintenir ou à améliorer celle-ci.
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCES :
- Trickey A, Sabin CA, Burkholder G et al. Life expectancy after 2015 of adults with HIV on long-term antiretroviral therapy in Europe and North America: a collaborative analysis of cohort studies. Lancet HIV. 2023 May;10(5):e295-e307.
- Klein MB. Living longer with HIV: gains for some but not for all. Lancet HIV. 2023 May;10(5):e275-e276.
- Uusküla A, Feelemyer J, Des Jarlais DC. HIV treatment, antiretroviral adherence and AIDS mortality in people who inject drugs: a scoping review. European Journal of Public Health. 2023 Jun 1;33(3):381-388.