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CATIE
  • Nombre d’essais cliniques d’hallucinogènes ont été menés ou se poursuivent chez des personnes atteintes de maladies graves
  • Des chercheurs de San Francisco ont mené une étude pilote sur la psilocybine auprès d’hommes séropositifs âgés
  • Bien que la psilocybine semble prometteuse, elle n’est pas prête à être utilisée largement par les personnes séropositives

Dans les années 1980 et jusqu’au milieu des années 1990, l’épidémie du VIH a causé des taux de morbidité et de mortalité élevés au sein des communautés d’hommes gais et bisexuels. L’avènement subséquent du traitement efficace du VIH (TAR) a réduit énormément le risque d’infections liées au sida. De fait, le traitement produit des effets tellement transformateurs que les chercheurs prévoient que de plus en plus d’utilisateurs du TAR connaîtront une espérance de vie quasi normale. Les cliniciens et les spécialistes de la santé mentale ont cependant observé que de nombreux survivants de l’époque sombre du sida portent un héritage de deuils, de pertes, de traumatismes, de dépression et de démoralisation.

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Il existe de nombreuses interventions conçues pour soulager les problèmes de santé mentale, y compris la psychothérapie individuelle ou de groupe, la méditation guidée et la pleine conscience et la psychothérapie combinée à la prise d’antidépresseurs et/ou d’anxiolytiques. La santé mentale est complexe, et un traitement qui fonctionne chez une personne peut être inefficace chez une autre. Les chercheurs continuent donc de mener des essais cliniques afin de perfectionner les approches existantes et d’en découvrir des nouvelles pour traiter les problèmes de santé mentale.

Drogues psychédéliques

De nombreux documents historiques nous révèlent que certaines cultures ont employé des hallucinogènes, soit des substances dérivées de certains champignons, dans le cadre de leurs pratiques spirituelles. À la fin des années 1950, des chercheurs ont isolé le produit chimique psilocybine présent dans ces champignons. Dans les années 1960, l’industrie pharmaceutique s’est mise à vendre la psilocybine pour aider à traiter des problèmes de santé mentale en association avec la psychothérapie. Peu de temps après, cependant, de nombreux pays à revenu élevé ont restreint la vente et l’usage d’hallucinogènes, et la recherche clinique sur ces composés a entamé un déclin graduel.

L’intérêt pour l’utilisation des hallucinogènes dans le cadre de la psychothérapie se répand à nouveau depuis le début du 21e siècle. Les résultats d’essais cliniques de faible envergure laissent croire que la combinaison de la psilocybine et de la psychothérapie ont le potentiel de soulager la détresse psychologique, y compris l’anxiété et la dépression, chez certaines personnes atteintes d’un cancer en phase terminale. Encouragées par ces premiers résultats prometteurs, des équipes de recherche ont entrepris de tester cette combinaison chez d’autres populations.

Psilocybine et psychothérapie chez des survivants à long terme du sida

Une équipe de neuroscientifiques de San Francisco a recruté 18 survivants à long terme du sida pour une étude pilote sur la psilocybine. Selon les chercheurs, tous les hommes s’étaient fait diagnostiquer « un état de démoralisation modérée à grave ». Les participants ont reçu une seule dose de psilocybine suivie de huit à 10 séances de thérapie de groupe. Le suivi a duré un minimum de trois mois.

Au fil du temps, les chercheurs ont constaté une baisse « cliniquement significative » du sentiment de démoralisation chez ces hommes. Bien que l’exposition à la psilocybine n’ait provoqué aucune complication potentiellement mortelle, sept hommes ont eu des « réactions indésirables graves attendues et spontanément résolutives » à la psilocybine, selon les chercheurs. Cette équipe espère mener d’autres recherches en combinant la psilocybine et la psychothérapie individuelle chez des adultes souffrant de graves maladies médicales à l’avenir.

Détails de l’étude

Les chercheurs ont évalué 91 volontaires séropositifs, mais n’en ont retenu que 18 pour leur étude. Ils avaient le profil moyen suivant :

  • âge : entre 50 et 66 ans
  • tous avaient été diagnostiqués séropositifs entre 1981 et 1996
  • la moitié avait fait l’objet de diagnostics de maladies mentales, dont l’anxiété, la dépression et le trouble de la personnalité limite

Interventions

Avant la première séance de la thérapie de groupe, les participants ont rencontré deux psychothérapeutes affiliés à l’étude à la clinique de recherche pour faire ce qui suit :

  • renforcer la confiance et établir de bons rapports
  • se faire renseigner sur la thérapie de groupe et la psilocybine

Lors d’une visite subséquente à la clinique de recherche, les participants ont reçu une capsule de psilocybine (0,30 à 0,36 mg/kilogramme de poids corporel). On a appelé cette consultation la « visite de la médication ».

L’innocuité de la psilocybine a été évaluée exhaustivement parce que cette substance peut exercer des effets sur la tension artérielle et la fréquence cardiaque. Lors de la visite de la médication, la tension artérielle et la fréquence cardiaque ont été surveillées pendant plusieurs heures avant et après la prise de la drogue. Les chercheurs ont également évalué rigoureusement l’impact de celle-ci sur la santé mentale des participants.

Le jour suivant la visite de la médication, les participants ont rencontré les psychothérapeutes pour discuter de leur expérience de la prise de la drogue et pour tenter de faire un lien entre cette expérience et leur vie quotidienne. Les participants ont assisté à des séances de thérapie de groupe deux fois par semaine par la suite.

Résultats : innocuité

Comme la psilocybine n’avait pas été étudiée formellement dans le cadre d’essais cliniques d’envergure depuis des décennies, il était important de recueillir des informations se rapportant à sa sûreté (données d’innocuité). Selon les chercheurs :

« Aucun effet indésirable n’a été attribué à la psilocybine. Lors de la visite de la médication, aucun participant n’a eu besoin de mesures de contention physique ou [de nouveaux médicaments] pour des préoccupations d’ordre psychiatrique ou médical, et tous les effets indésirables liés à la psilocybine étaient spontanément résolutifs et attendus, mais il s’est quand même produit deux réactions post-médication inattendues à la psilocybine ». Nous parlons de celles-ci plus loin dans cet article.

Les effets indésirables qui se sont produits durant la visite de la médication ont été temporaires, comme suit :

  • huit hommes ont eu des réactions anxieuses, dont certaines étaient modérées voire graves
  • quatre hommes sont devenus paranoïaques
  • un homme a présenté un trouble de la pensée caractérisé par un sentiment de déconnexion avec la réalité et une conversation avec lui-même

Chez quatre personnes, la tension artérielle a augmenté significativement au-delà de la normale. Les chercheurs ont attribué ce résultat aux symptômes de l’anxiété. Chez huit autres participants, la tension artérielle a augmenté de façon modérée.

Selon les chercheurs, ces effets secondaires étaient attendus. Il n’empêche que deux autres personnes ont éprouvé des effets secondaires inattendus, que voici :

  • Un participant a vécu « un flash-back d’intensité modérée caractéristique du stress post-traumatique » et s’est plaint de nausées, de bourdonnements d’oreilles, de panique et de problèmes de sommeil.
  • L’autre participant s’était fait diagnostiquer un trouble de personnalité limite et avait des antécédents de « consommation excessive de substances multiples », ont précisé les chercheurs. Dans un premier temps, cet homme a signalé la disparition quasi totale de son anxiété chronique. Cependant, selon les chercheurs, « 10 jours plus tard, il s’est plaint d’une anxiété grave qu’il décrivait comme le sentiment profond d’avoir été rejeté par les autres membres [du groupe suivant la thérapie]. Ensuite, il a fait une rechute et s’est remis à prendre de la méthamphétamine (après avoir passé un mois sans consommer quoi que ce soit avant de commencer l’étude) et s’est retiré [de la thérapie de groupe]. Il a toutefois participé à la plupart des évaluations subséquentes [de l’étude] ».

Aucun participant n’a eu de pensées suicidaires ni n’a fait de tentative de suicide durant l’étude.

Changements dans les problèmes préexistants

Les chercheurs ont constaté une réduction « robuste » des sentiments de démoralisation qui s’est maintenue chez de nombreux participants pendant jusqu’à trois mois après la prise de la psilocybine.

Les chercheurs ont également affirmé que l’intensité du TSPT (trouble de stress post-traumatique) et du deuil complexe « a semblé s’atténuer au fil du temps ».

À retenir

Selon les chercheurs, « cette étude pilote a démontré la faisabilité, l’innocuité relative et l’efficacité potentielle d’une thérapie de groupe facilitée par la psilocybine ».

Les chercheurs se doutent que le taux relativement élevé de réactions indésirables était attribuable à « la complexité clinique » des personnes inscrites à l’étude.

Les effets secondaires cardiovasculaires de la psilocybine avaient déjà été documentés lors d’études antérieures portant sur une dose semblable à celle utilisée dans cette étude. De plus, lorsque les participants à cette étude ont souffert d’anxiété, les chercheurs ont réussi à calmer la majorité d’entre eux en leur parlant doucement tout simplement. Cette approche a fait baisser la tension artérielle des participants.

Chez un participant qui avait des antécédents de traumatismes importants, la tension artérielle est restée très élevée pendant quelques heures après la prise de la psilocybine. En temps normal, les chercheurs auraient offert un anxiolytique à cet homme, mais c’était impossible parce qu’il souffrait également de paranoïa. Faute de mieux, les cliniciens ont baissé les lumières dans la pièce et ont fait jouer de la musique apaisante, ce qui a fait revenir la tension artérielle de l’homme dans la fourchette normale.

Les résultats de cette étude indiquent qu’il est nécessaire de mener d’autres essais cliniques de la psilocybine à l’avenir. Pour ces derniers, il faudra choisir les volontaires avec précaution et assurer un suivi clinique rigoureux dans un contexte de psychothérapie individuelle et non de groupe. Il est clair que la psilocybine ne convient pas à toutes les personnes souffrant de problèmes de santé mentale parce que la drogue peut déclencher des réactions différentes selon la personne. Il serait peut-être intéressant de tester des doses réduites de la drogue à l’avenir.

Infection au VIH et psilocybine

L’infection au VIH provoque un état inflammatoire chronique qui ne s’atténue que partiellement sous l’effet du TAR. Les conséquences de cette inflammation incluent un risque accru de maladies cardiovasculaires. Heureusement, dans la présente étude, les augmentations temporaires de la tension artérielle n’ont pas provoqué de crise cardiaque ou d’AVC. Il reste que cette possibilité, quoique faible, pourrait inciter les chercheurs à limiter l’utilisation de cette drogue lors de leurs expériences futures sur des personnes séropositives âgées.

Il est certain que d’autres études exploratoires seront nécessaires à l’avenir si l’on souhaite tester à nouveau la psilocybine chez des personnes vivant avec le VIH. De nombreuses questions restent sans réponse. Par exemple, la psilocybine peut-elle interagir avec des médicaments anti-VIH couramment utilisés (ou vice versa)? Autrement dit, est-ce que les médicaments anti-VIH font augmenter la concentration de la psilocybine ou celle des composés dans lesquels elle se dégrade dans le sang? (Rappelons que les médicaments qui font augmenter la concentration sanguine de la psilocybine pourraient aggraver les effets secondaires de ce composé.) Ou encore la psilocybine exerce-t-elle des effets sur les médicaments anti-VIH et la façon dont ils se dégradent dans le sang?

Dans cette étude, un grand pourcentage des participants avaient des problèmes de santé mentale liés aux séquelles psychologiques laissées par les premières années de la pandémie du VIH. Elle met ainsi en évidence le fait que la santé mentale des survivants à long terme du VIH/sida est une préoccupation importante.

—Sean R. Hosein

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